Par E.C
Il y a quelques années, j’avais eu le privilège de voir Philip Seymour Hoffman jouer Mort d’un commis voyageur à New York. J’étais sortie de l’expérience bouleversée. Voir Seymour Hoffman sur scène, c’était comme découvrir le magicien d’Oz derrière son rideau. Un magicien dont je connaissais bien le visage pour l’avoir vu dans de multiples rôles, très divers, drôles parfois, souvent tristes. Du Big Lebowski à Boogie Nights, de Magnolia aux Marches du pouvoir… On le voyait adopter des personnalités contrastées dans les films de Paul Thomas Anderson, pour qui il avait donné une performance magistrale dans le récent The Master. Maître, il l’était sur tous les plans de sa profession, interprétant ses rôles avec une facilité, un naturel déconcertants. Son intelligence du jeu lui permit de prêter ses traits à un grand génie littéraire, Truman Capote. L’arrogance, le cynisme, le talent de l’écrivain se trouvaient incarnés dans ce visage rond, presque poupon, et qui pourtant paraissait sans âge. Il prêta son ambiguïté, sa force morale et sa dignité à un prêtre accusé d’avoir des relations douteuses avec un de ses étudiants dans Doute tout comme il incarna un fils lâche, abdiquant toute morale pour braquer ses propres parents par besoin d’argent dans 7h58 ce samedi-là. Souvent Philip Seymour Hoffman était filmé de près, pour que l’on observe à loisir son visage et ses transformations multiples, passant en un éclair de l’humanité la plus profonde à une froideur et une rigidité implacables.
Ce visage-là je le connaissais donc en arrivant au théâtre. C’est pourquoi le choc fut si grand en le voyant entrer sur scène. Comme dans la Rose pourpre du Caire, l’homme était sorti de l’écran, et je pouvais désormais ressentir physiquement sa présence. Imposant, charismatique, triste, calme. Voilà les mots qui viennent à l’esprit. L’acteur se mêlant bien évidemment au rôle, je ne peux dire ce qui émanait de sa personne ou bien du personnage. Et c’est là dire toute la force de l’acteur, faisant instantanément oublier le visage connu de l’acteur de cinéma pour devenir Willy Loman, le personnage de la pièce. Willy Loman, cet homme aux attitudes presque enfantines, piquant des colères, en conflit perpétuel avec son fils. Un homme qui souffre d’être commun, d’être ordinaire. De Seymour Hoffman se dégageait cette souffrance, avec une douceur inimitable. Comme si son corps entier diffusait un parfum de tristesse, qui, petit à petit, contaminait les spectateurs. J’ai rarement vu des gens pleurer au théâtre. Ils étaient pourtant nombreux ce soir-là.
Jean-Louis Trintignant a souvent affirmé que ce qui rendait le théâtre plus excitant et satisfaisant, c’était qu’on ne pouvait rater une scène et la refaire, comme au cinéma. Qu’au théâtre on se doit d’être formidable de bout en bout. Ce soir-là, Philip Seymour Hoffman fut, comme à son habitude, formidable.
Viddy Well.
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