«Une femme dans la tourmente», un éclair de beauté

naruseillUne femme dans la tourmente de Mikio Naruse. Avec  Hideko Takamine, Yuzo Kayama, Aiko Mimasu. Durée : 1h38. Sortie le 9 décembre.

Des films, il en sort plein –trop– toutes les semaines. Des bons et des moins bons ou des carrément nuls, des gros et des petits, des attendus et d’autres pas. Qui est très attentif à l’actualité cinématographique y découvrira fréquemment des œuvres intéressantes, et assez souvent des films remarquables. Sinon domine un sentiment de quantité indistincte d’où émergent des mastodontes, les blockbusters (James Bond et Hunger Games en attendant Star Wars), et de loin en loin un «événement critique», comme par exemple Le Fils de Saul ou Mia Madre. Ce n’est pas exactement la routine, il se passe plein de choses dans la vie du cinéma telle qu’elle se renouvelle constamment dans les salles. Mais c’est le flux, un flux si massif que l’effet de masse tend à prendre le pas sur la singularité des objets.

Et puis il arrive que surgisse, hors de tout repère, un coup de tonnerre totalement imprévisible. Un choc. Il s’appelle Une femme dans la tourmente. C’est un film japonais de 1964. Il raconte simplement une histoire simple. Dans le Japon de l’après-guerre, une femme a aidé sa belle-famille à relever la boutique familiale ruinée par le conflit et la mort de son mari.

Mais le petit commerce affronte la concurrence des supermarchés venus d’Amérique, et la jeune femme affronte les sentiments de son jeune beau-frère, qui l’aime malgré la réprobation de l’entourage et les règles sociales. C’est un mélodrame. C’est, surtout, une splendeur de chaque instant, un miracle de mise en scène. Le sublime noir et blanc, la grâce lumineuse et subtile des deux interprètes principaux, l’agencement des thèmes sentimentaux, sociaux et historiques, l’humour discret et la capacité d’embrasser un registre très vaste, de la chronique à la tragédie, sont les composants les mieux repérables de ce miracle. Ils n’en donnent pas le secret, qui semble trouver dans une formule magique où fusionneraient le plus beau d’un certain cinéma italien, d’un certain cinéma américain et d’un certain cinéma japonais.

Le réalisateur, Mikio Naruse, est loin d’être un complet inconnu. Il est, et demeure, l’injustement méconnu quatrième mousquetaire du cinéma classique japonais. (…)

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Chef d’oeuvre et damnation

Faust d’Alexandre Sokourov, avec  Johannes Zeiler, Anton Adasinskiy, Isolda Dychauk. Sortie le 20 juin. Durée 2h14

Rares, très rares sont les occasions où il apparaît inévitable de sortir les grands mots, les superlatifs qu’on essaie plutôt d’éviter d’ordinaire. Chef d’œuvre? Il n’est pas sûr que ce soit rendre service à un film que de le porter ainsi sur un piédestal. Pourtant, très vite durant la projection du Faust d’Alexandre Sokourov, Lion d’or 2011, une évidence s’impose –et même deux évidences.

L’une est qu’on sait d’emblée qu’on reverra ce film, et plusieurs fois. L’autre, qu’on est devant une œuvre d’une puissance et d’une richesse hors norme, ayant vocation à entrer directement parmi les titres qui marquent l’histoire du cinéma.

Il y a, c’est vrai, une sorte de solennité dans la manière dont le cinéaste russe aborde l’histoire de Faust, plus exactement du Faust selon Goethe (le premier Faust). Descendu des nues, le film s’ouvre d’ailleurs par un plan «magique», qui évoquerait plutôt une autre grande transposition du mythe, Le Maître et Marguerite, mais fait directement écho aux vers du prologue de Goethe:

«De la création déroulez les tableaux,
Et passez au travers de la nature entière,
Et de l’enfer au ciel, et du ciel à la terre.»

Il est d’ailleurs intrigant de se souvenir à l’occasion combien ce «Prologue sur le théâtre» semble aujourd’hui concerner l’impureté du cinéma, entre industrie, art et distraction. Avec Sokourov, pas de doute, la barre est résolument du côté de l’art.

Aussitôt arrivés sur terre, nous voici au cœur du sujet, l’humain, et très explicitement, son cœur. Voici un cœur d’homme empoigné à pleines mains devant nous, et aussi ses tripes et ses viscères. Son âme? Introuvable. En pleine séance de dissection, le Docteur Faust discute d’emblée avec son assistant, l’insaisissable Wagner, les grandes questions métaphysiques, les aspects les plus triviaux et un humour obstiné, exigeant, véritable force de tension et de vibration qui parcourt le film, sont là d’emblée.

Où? Dans une petite ville d’Allemagne, assurément. Dans un monde décrit-rêvé par la peinture et la gravure (Dürer bien sûr…) autant que par l’Histoire. Mais plus encore dans un entre-monde, dans l’obscur virage du Moyen-Âge à la Renaissance. Un monde où les monstres s’apprêtent à changer d’état, où les formes et les idées, les pulsions et les pensées s’organisent selon des ordres qui se transforment. Un monde où la nature est encore saturée de divinités et de terreur, et déjà objet d’études et de théories dont rien n’assure qu’elles seraient moins folles que les anciennes croyances. Un monde où la religion vacille et se reconfigure (le temps de Faust est celui de Luther). Un monde fantastique qui à bien des égards peut se comparer au nôtre.

Nous savons grâce à ses films que Sokourov aime les humains et déteste ce qu’ils (se) font, surtout collectivement. Ni Dieu ni science, le «progrès» encore moins, ne sont à ses yeux des promesses d’un monde moins pire. Et pourtant, dans ce film comme dans toute son œuvre, vibre et travaille une force vitale, qui pousse en avant malgré toutes les raisons de désespérer –y compris, donc, de s’être vendu au diable. Un pacte satanique n’engage que celui qui y croit.

Le diable a ici l’apparence incernable d’un usurier sans âge, dont on verra à l’occasion le corps monstrueux, capable des pires vilénies, des meilleures farces, des plus fines interprétations. D’une certaine manière, il ressemble au film lui-même, à sa complexité, son ironie, son inventivité, sa monstruosité.

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Le cadeau des frères Coen

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Jeff Bridges et Hailee Steinfeld, dans True Grit (Paramount Pictures)

Il y a comme ça des films-cadeaux, des films-gâteaux. Des séances où on se retrouve à déguster chaque instant, en se rassasiant les yeux. Avec True Grit, les frères Coen offrent un tel festin, et on ne voit pas bien quelle raison il y aurait de s’en priver. La réussite du quinzième long métrage des Minnesota Brothers gagne son pari grâce à un coup double et un heureux changement de pied.

Le coup double se met en place dès le début. La voix off de l’héroïne qui cadre le contexte propice à l’action et à la vengeance, la découverte de la ville et de ses habitants hauts en couleurs affirment que les réalisateurs ont choisi de prendre le genre au sérieux. Ce «sérieux» s’établit en trouvant plan après plan, ambiance après ambiance, accessoire après accessoire, porte de saloon après crosse de revolver, le juste alliage de l’imagerie du western et de l’authenticité de reconstitution.

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