Au grand bazar vaccinal et démocratique
Sept mois déjà que la pandémie a émergé ; sept mois pour se préparer, affiner les plans élaborés contre la menace du A(H5N1), peaufiner les messages préventifs destinés à la population, organiser la constitution de stocks vaccinaux et programmer leur utilisation. Sept mois pour, collectivement, apprendre en France à faire face au mieux à la déferlante virale annoncée. La déferlante n’est pas encore véritablement là mais le niveau des eaux comme leur turbulence ne cessent d’inquiéter. Tout comme ne peut qu’inquiéter le désordre grandissant observé dans l’Hexagone.
Aucun bouton de guêtre ne devait manquer et, de fait, aucun bouton de guêtre ne manque ou ne manquera. L’intendance militaire n’avait seulement pas prévu qu’une fraction massive des troupes allait se méfier des guêtres vaccinales et des boutons-adjuvants ; et ce alors que l’appel sous les drapeaux n’a plus rien d’obligatoire…. Tout ceci génère une pagaille que l’on ne qualifiera certes pas de joyeuse ; une pagaille qui met en lumière l’étrangeté des temps que nous vivons de même que le caractère décidemment bien versatile d’une population française que l’on pousse dare-dare –qui nous dira jamais pourquoi ?- à s’interroger sur son identité.
Quelques échos parmi les plus récents. Dans la France de cette fin novembre une nouvelle étape est franchie avec le lancement de la proposition/incitation de la vaccination de 5,3 millions élèves, collégiens et lycéens. . Les enfants du primaire et des maternelles seront concernés à partir du 1er décembre. Quant aux enseignants ils ne font curieusement pas partie du dispositif. Pourquoi ?
Comme toujours sur le pont, à la manœuvre médiatique et pédagogique, c’est Roselyne Bachelot qui a donné le baptême de cette campagne comme elle avait baptisé les précédentes. Il faudrait vivre dans un monastère sans WiFi pour ignorer qu’elle était, férule à la main, dès l’aube du 24 novembre, dans un collège du 7ème arrondissement de Paris (pourquoi le 7ème ?) ; une ministre de la Santé qui, interrogée sur les réticences des jeunes à bénéficier de l’immunisation a déclaré qu’elle aimerait pouvoir conduire les récalcitrants dans des services de réanimation intensive afin qu’ils puissent voir (nous citons en substance et de mémoire) des-jeunes-de leur-âge-avec-des-poumons-définitivement-détruits-ce-qui-ne-se-produit-jamais-avec-la-grippe-saisonnière.
« Transparence » oblige les citoyens français sauront peut-être un jour qui, depuis plus d’un semestre, conseille (ou ne conseille) pas la ministre de la santé dans ses pluriquotidiennes interventions médiatiques. Et dans l’ombre portée de cette dernière réflexion pourquoi ne pas diffuser au plus vite des messages sanitaires télévisés relatant les dernières souffrances, floutées bien sûr, de jeunes infectés par le H1N1pdm aux derniers stades d’un syndrome de détresse respiratoire aigu ? Qui s’en offusquerait ? Et à quel titre ?
Au lendemain de la prestation ministérielle et sanitaire les médias généralistes radiophoniques et télévisuels (pour ne pas parler des « sites d’information » de la Toile et de leurs blogs …) ont répercuté les discours et les angoisses collégiennes et lycéennes. Nous découvrons ainsi que les jeunes ont pleinement capté les ondes ambiantes, ne parlent que d’ « effets secondaires graves », d’ « adjuvants », de « mutations ». Ils rapportent tous plus ou moins les échos des discussions familiales. « On en a parlé. Maman n’est pas chaude pour que je me fasse piquer. Papa est plutôt pour. » Et en l’espèce l’opinion maternelle, comme souvent (comme toujours ?), de l’emporter.
Pour l’heure les mêmes médias généralistes ne cesse de tambouriner : la proposition de vaccination rencontre un succès croissant, et donc sans doute bientôt considérable. Ici ou là des préfets s’inquiètent, des médecins libéraux refusent d’être « réquisitionnés ». On commence à filmer les files d’attentes, les impatiences des volontaires. Des témoignages qui ne correspondent guère aux derniers décomptes nationaux. Mais comment savoir ? Comment retrouver ici un fil d’Ariane, un cadre rationnel, dans les brouillards de cette fin novembre ?
L’inquiétude vient aussi d’ailleurs. Elle résulte du fossé croissant autant que paradoxal qui –semble-t-il – se creuse ces derniers jours entre « experts » et « citoyens ». Les premiers martèlent – « pilonnent » serait mieux adapté – leurs messages issus des forges et des cornées scientifiques. Les seconds écoutent et soupèsent sur d’autres trébuchets, personnels ceux-là. Ils bavardent, s’interrogent, et ne cachent pas au total leur plaisir de pouvoir, enfin, prendre la parole pour dire leurs doutes corporels dans un espace démocratique. On pourrait sans grand mal y voir une résurgence assez moderne des échanges tricolores entre les deux vieilles plaques tectoniques : la jacobine et la girondine.
Jean-Yves Nau
Complexité
Force est de reconnaître que l’on est assez désarmé devant ce genre de crise sanitaire. Les « relativistes » refusent aujourd’hui de voir le moindre problème dès lors qu’ils ne sont pas en face d’une hécatombe ; les « catastrophistes » évoquent le phénomène comme si l’hécatombe allait se produire, et donc cherchent à la prévenir, à tout prix. Entre ces deux lignes, il y a tous les « indécis », tantôt emportés par les arguments des uns, tantôt ralliés à ceux des autres. Les connaissances avancent et diffusent au rythme des informations. Elles rejoignent tantôt le panier des relativistes (l’épidémie semble régresser aux USA et au Canada), tantôt dans celui des catastrophistes (une mutation du virus a été identifiée en Norvège chez deux patients décédés).
Entre ces deux paniers, il y a tous ceux qui ont recours au fléau (en construction permanente) d’une balance personnelle qui leur permet de soupeser chaque nouvelle. Parmi eux il y a, bien sûr, les experts eux-mêmes. Mais il faut aussi compter avec ceux que la complexité agace, rebute peut-être. Pour ces derniers la question est réglée depuis le début : on cherche à les tromper, à les manipuler, il est clair que c’est un cache-misère pour éviter de parler de la crise économique mondiale, et que tout cela arrange les grands de ce monde. Ou, pour d’autres sans complexes, cette question est réglée aussi, mais dans l’autre sens : un vaccin est disponible, on va avoir soi-même recours au principe de précaution, au diable les effets secondaires, écoutons la Faculté ou la ministre.
Je présente ici d’emblée mes excuses à ceux qui trouveront mes catégories d’autant plus désagréables que l’on peut vraisemblablement passer d’une catégorie à l’autre au cours d’une même journée. Disons néanmoins que chez les « sans complexes» prévaut parfois un mécontentement, vis-à-vis des autorités, parfois de la ministre de la Santé, des experts ou des journalistes. Parfois même vis-à-vis de la Nature elle-même qui pourrait enfin sortir du bois : elle arrive ou non cette pandémie ? Elle déferle un bon coup et on n’en parle plus, ou bien elle continue à jouer au chat et à la souris avec nous tous ?
Puis il y a tous ceux qui entendent la complexité, ceux qui cherchent coûte que coûte à mieux comprendre dans ce fatras d’informations parfois contradictoires. Il ya tous ceux qui écoutent les arguments des uns et ceux des autres. Ils sont un peu comme les scientifiques dans le fond, mais à leur manière. Ils n’ont pas encore d’opinion très tranchée mais la succession des faits façonne leur opinion de manière progressive. La vague pandémique va-t-elle déferler ? A quelle vitesse, à quelle force ? Quelles conséquences pour mes proches et pour moi ? Puis-je l’éviter ? Limiter les dégâts ? Ne pas créer des problèmes en en faisant trop puisque le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Au fond, pourquoi déteste-t-on donc tant la complexité ?
Antoine Flahault
lire le billetOn ne les avait jusqu’ici guère entendu sur le front de la pandémie. Il suffisait d’attendre. Au moment où Roselyne Bachelot, optimisme radieux chevillé au corps se félicitait du fait que le cap des 200 000 vaccinés soit dépassé les Verts ont, mercredi 18 novembre, instruit le procès du plan de lutte gouvernemental.
Force est bien d’observer que jusqu’ici la pandémie n’a guère donné matière à de véritables joutes politiques, les seuls affrontements véritables concernant les spécialistes de la question ; spécialistes véritables ou autoproclamés. Seul peut-être Jean-Marie Le Guen, député (PS, Paris) et président du Conseil d’administration de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris avait tenté une lecture critique de la politique gouvernementale dans ce domaine (Slate.fr du ….).
Comme souvent avec les Verts on change de registre et de ton. Les militants de ce parti que l’on dit hétérogène dénoncent désormais le « fiasco de la vaccination générale » face à la grippe H1N1pdm qualifiant dans un même élan de tribune le plan du gouvernement de « disproportionné » et la communication gouvernementale « ratée ».
« L’excès de zèle des autorités françaises a produit un plan délirant de
vaccination générale contre la grippe H1N1 qui, au final, pourrait avoir des conséquences sanitaires négatives » écrit dans un communiqué Jean-Louis Roumégas, porte-parole des Verts qui s’émeut du « coût exorbitant » de ce plan : « 1,5 milliard d’euros, deux fois le plan cancer, au moment où le personnel dénonce le manque de moyens chronique dont souffre l’hôpital ».
« La France est le seul pays à avoir choisi la vaccination générale de toute
la population et a commandé pour cela 94 millions de doses, soit deux fois plus que les Etats Unis, et 10% du stock mondial. Bravo pour la solidarité avec le reste de la planète… » ajoute M. Roumégas. Il selon lui est grand temps de revenir à des mesures de bon sens et de rétablir la
confiance, de renoncer à la vaccination générale pour se concentrer d’abord sur les populations à risque, réintroduire les généralistes dans le dispositif, suspendre les centres de vaccination et ne les rouvrir qu’en cas de nécessité.
Les Verts déplorent encore une « une dramatisation à outrance au départ » ainsi que des « risques liés à la vaccination niés bêtement alors qu’ils sont probables ». Sur ce point les Verts souhaitent la création d’un « comité d’experts indépendants pour surveiller les effets secondaires du vaccin de façon transparente ».
Ainsi donc à peine l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) commence-t-elle à œuvrer en temps réel (avec publication de communiqués détaillés) dans le champ de la vigilance vaccinale qu’elle est déjà –tout comme le gouvernement- accusée de ne pas faire la nécessaire « transparence ».
Attendra-ton le printemps avant d’apprendre que la création d’une commission d’enquête parlementaire est demandée ?
Jean-Yves Nau
Démocrathermomètre
Ainsi donc cette pandémie nous offre-t-elle, aussi, l’occasion de prendre la mesure des niveaux de démocratie sanitaire dans différents pays. Et j’espère que (si ce n’est déjà fait) des spécialistes de sciences politiques s’empareront du sujet et nous livreront au plus vite des analyses comparatives, notamment entre les grandes nations démocratiques de niveau de développement similaire.
Items : Quel a été le niveau du débat ? Sur quelles questions a-t-il porté ? A quel moment de la pandémie ? Qui a-t-il impliqué : les parlementaires (députés, sénateurs), les maires, les conseillers généraux, régionaux, les syndicats, les associations ? Comment le débat s’est-il organisé ? Comment les autorités de santé, les gouvernements ont-ils – ou non- accueilli ces questionnements en forme de remise en cause ? Comment ont-ils pris en compte les demandes formulées ?
A mes yeux il est sain que le débat prenne aussi, désormais, une tournure politique. Et au risque de me répéter : les experts n’ont pas à dicter des choix qui concernent la population ; ils peuvent apporter des éléments de compréhension au débat, tout au plus ; ces décisions sont principalement d’ordre politique.
A un degré plus fin (plus subtil, et donc plus difficile aussi) l’analyse pourrait chercher à évaluer l’impact de la préemption démocratique du débat sur l’évolution de la pandémie elle-même. Des retards ont-ils été engendrés ? Ou au contraire, les mesures ont-elles été mieux acceptées après débat et discussion ? Le cas d’école que représente cette pandémie est, de ce point de vue, tout particulièrement intéressant, éclairant, enseignant.
Aujourd’hui (comme nous l’avions observé et rapporté dans notre « Journal de la pandémie » couvrant les quatre premiers mois de ce phénomène) le débat n’est pas fermé. Les contradicteurs ne sont pas pris au piège de la pensée unique. Et c’est heureux ! On peut être pour ou contre la vaccination. On peut trouver qu’on en fait « trop » ou « pas assez ». On peut vouloir « revendre » les stocks vaccinaux en surplus ou vouloir les « donner » aux pays les plus pauvres, voire … les garder encore un peu, au cas où.
Aucun tabou ! Pas d’anathèmes ! Un peu de cacophonie, certes. Mais les dissonances ont aussi leurs vertus. Verts et Oranges ; Roses, Bleus, Blancs et Rouges partageons nos avis, nos incertitudes, nos croyances,nos inquiétudes, nos points de vue.
Antoine Flahault
lire le billetC’est une information d’importance doublée d’un aveu. L’information a été donnée jeudi 5 novembre par Roselyne Bachelot qui s’exprimait sur RTL. La ministre de la Santé a annoncé que la France pourrait bientôt revendre une partie de son stock de 94 millions de doses de vaccin contre la grippe pandémique. Comment mieux avouer que la décision gouvernementale prise cet été d’acquérir, pour près d’un milliard d’euros, un tel stock national était, au choix, un pari risqué ou une erreur stratégique ?
Ainsi donc nous sommes aujourd’hui dans une situation bien étrange. Alors même que la campagne de vaccination a à peine commencé, que la quasi-totalité des vaccins n’ont pas encore été livré et que la vague épidémique commence à enfler le gouvernement étudie la possibilité de revendre les vaccins qui, faute de volontaires, n’auraient pas été utilisés…. Interrogée sur le fait de savoir si elle comprenait que les professionnels de santé « rechignent » à se faire vacciner Mme Bachelot a précisé que le verbe « rechigner » (« témoigner de la mauvaise volonté pour ») ne convenait pas. Sans doute la ministre n’aurait-elle pas non plus accepté « renâcler », « grogner », « râler » ou « rouspéter » qui sont ses synonymes. Elle a préféré user d’une autre qualificatif. « C’est timide » a-t-elle dit, ajoutant : « D’ores et déjà nous avons 50 000 personnes à l’hôpital qui se sont faites vacciner A l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris plus 10% des personnels de santé sont vaccinés. Et il y a une très bonne accélération. »
Comprend-elle les reproches qui lui sont fait quant à l’acquisition d’un stock vaccinal à ce point surdimensionné ? « Non. Ce que je veux c’est que mon pays soit préparé à cette vaccination, répond-elle. D’ores et déjà nous savons que nous aurons peut-être la chance qu’une seule dose soit nécessaire. Mais cette information a besoin d’être confirmée et une partie de la population aura toujours besoin de deux doses, les enfants en particulier. Et puis, vous savez, depuis quelques jours la France est très demandée. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de pays qui nous consultent et qui nous demandent si on n’accepterait pas de leur revendre des vaccins. Ces pays n’ont pas pris leurs précautions. Mais moi je ne veux pas leur revendre ces vaccins tant que je ne suis pas sûre, par une constatation clinique, que l’immunité donnée par la première dose – et qui est déjà importante – est bien durable. » Mais combien de temps faudra-t-il pour le savoir ?
La situation est étrange autant qu’elle est inédite. Si l’on comprend bien ce que nous dit Mme Bachelot la France a, au nom du principe de précaution, acquis pour une somme qui n’a rien d’anodin (un peu plus que celle annoncée par Nicolas Sarkozy dans le cadre du nouveau Plan Cancer) notablement plus de vaccins anti grippaux qu’elle n’en utilisera. Et si l’on saisit toujours bien il n’y a là rien de grave puisque d’autres pays n’ont pas, dans ce domaine, pris leurs précautions. Acheteur aux trop grands yeux le gouvernement va se faire revendeur.
On imagine sans mal la somme des questions qui vont se poser. Le gouvernement va-t-il, comme l’étaient hier les fabricants, être ici en position de force et va-t-il faire monter les enchères ? Qui mènera les négociations et sur quelles bases marchandes ou éthiques ? Pourquoi, par exemple, ne pas offrir notre surplus vaccinal aux pays qui n’ont pas pu « prendre leurs précautions » faute d’en avoir les moyens ? Préfèrera-t-on au contraire vendre à ceux qui offriront le plus ce qui permettrait sinon, peut-être, de réaliser des bénéfices, du moins d’effacer l’impression désastreuse qui prévaut aujourd’hui : celle que le gouvernement a fort mal mené les négociations avec les firmes productrices ? Les détails des futures tractations seront-ils ou non rendus publics, ce qui offrirait le grand avantage de prévenir les critiques aujourd’hui formulées quant au caractère secret des premières négociations ?
Etonnant retournement de situation. A qui la France pourra-t-elle vendre ses surplus ? Aux Etats-Unis peut-être où des voix s’élèvent pour dénoncer la stratégie gouvernementale en la matière. Comme, rapporte l’AFP, celle de Nicole Kunka, une responsable travaillant pour la sous-commission du Travail et de la Santé de la Chambre des représentants. Elle estime que le gouvernement a « lamentablement échoué » dans son objectif de production de vaccins contre le H1N1pdm. «Les premières estimations du gouvernement étaient que 160 millions de doses seraient disponibles pour octobre or le 29 octobre, 24,8 millions de doses
étaient disponibles » souligne-t-elle. Elle cite aussi des statistiques du département américain de la Santé indiquant que « des doses pour couvrir l’ensemble des groupes prioritaires dans la population ne devraient pas être disponibles en nombre suffisant avant janvier 2010 ». Aux antipodes de la situation française la pénurie de vaccins fait qu’aux Etats-Unis de longues files d’attente se forment à l’extérieur des cliniques et des centres où le vaccin est administré. De nombreuses personnes considérées comme les plus exposées au risque infectieux (les enfants et les femmes enceintes notamment) ne peuvent bénéficier de l’immunisation protectrice alors que, sur les conseils des autorités sanitaires, elles la réclament.
La France sera peut-être aussi amenée à vendre ses surplus au Nigeria qui vient d’annoncer son premier cas officiel de grippe pandémique : une fillette américaine de 9 ans résidant à Lagos. Rappelons qu’avec 140 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent africain. Sera-t-elle un jour contactée par le Belarus (qui vient d’enregistrer ses sept premiers cas mortels) dont le président Alexander Loukachenko vient de dire que la pandémie était une « provocation des sociétés pharmaceutiques » ? « C’est une provocation ordinaire des sociétés pharmaceutiques et le souhait de gagner de l’argent sur le malheur humain » a-t-il déclaré le 4 novembre en arrivant en Ukraine, pays confrontée depuis peu à une forte vague épidémique. Selon l’agence Interfax, interrogé sur le fait de savoir s’il n’avait pas peur de se rendre pour deux jours dans ce pays il a répondu : « De quoi dois-je avoir peur? Il faut se calmer et vivre ».
Jean-Yves Nau
« Vous chantiez ? J’en suis fort aise …. »
Le gouvernement semble avoir pris la (sage) décision de ne retenir qu’une seule dose dans le schéma vaccinal des adultes. Même si le discours officiel reste mesuré. En effet, certains experts européens semblent encore s’arc-bouter sur le schéma à deux doses initialement envisagé pour le vaccin contre le virus H5N1, celui de la grippe aviaire. Après la publication des résultats concordants provenant de nombreux essais vaccinaux, après les positions claires de l’OMS sur ce sujet et l’attitude de la FDA nord-américaine, le consensus se dessine avec peine : avec la souche N1N1pdm il faut adopter un schéma à une dose.
La raison finira par l’emporter, comme on l’on apprend ce jour, en filigrane de ces déclarations de la ministre de la Santé. Diriger c’est prévoir aurait-on rappelé à la ministre si elle n’avait commandé des vaccins que pour la moitié de la population française en pariant dès le mois de juin 2009 (à l’heure des prises de commandes) pour un schéma à une dose. S’est-elle trompée ? Les experts qui la conseillent ont-ils mal prévu ? Les affreux lobbys industriels étaient-ils derrière l’épaule ministérielle ? Ou si l’on est plus paisible, dame Nature (pour paraphraser l’un de nos fidèles lecteur-blogueur), a-t-elle su se montrer coopérante en offrant une forte réaction immunitaire des vaccinés dès la première injection ?
En toute hypothèse nous savons que nous devrons faire avec des surplus massifs. Et ce même si l’opinion se retournait en faveur de la vaccination, même si la vague épidémique prenait de l’ampleur et qu’apparaissait une demande massive de protection. A l’évidence la question du re-routage des doses se pose. Faut-il les donner aux pays pauvres qui en ont tant besoin et n’ont pas les moyens de les acquérir ? On a annoncé il y a plusieurs semaines qu’on le ferait un peu. L’OMS a annoncé que l’on offrirait, comme d’autres pays développés, 10% de nos stocks aux pays en développement.
Faut-il aller plus loin ? Le feraient-ils pour l’ensemble du surplus que l’on accuserait vite nos dirigeants (après leur avoir reproché leur imprévoyance) de dilapider les deniers publics. Faut-il donner ces vaccins en trop à nos amis européens ou américains qui n’en ont pas assez ? Il n’y aurait même plus la logique humanitaire pour sous-tendre une telle décision. Faut-il les vendre à ces riches cigales, pour une fois que la fourmi est bien française ? Roselyne Bachelot ne peut quand même pas répondre à ses collègues du G20 : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise : Eh bien ! Dansez maintenant ». La décision à prendre est clairement politique, elle ne relève pas de l’expertise. La ministre est pleinement dans son rôle en soulevant publiquement la question qu’elle devra trancher. La démocratie sanitaire, en l’absence d’urgence, exige un débat. En Suisse, on organiserait une votation. En France, n’est-ce pas le rôle du Parlement ?
Antoine Flahault
lire le billetL’alliance des extrémismes politiques américains contre le vaccin
Il y a quelques jours Slate.fr nous apprenait, sous la signature de Christopher Beam (de Slate.com) que l’on observait la formation aux Etats-Unis d’une « étrange alliance de l’extrême gauche et de l’extrême droite américaines » qui ne veulent ni l’une ni l’autre de la vaccination contre la grippe pandémique.
Superbe sujet pour journalistes avant que politiciens et sociologues ne leur volent ; superbe sujet qui, nous semble-t-il n’a pas pris corps en France. Ni la fille de Jean-Marie Le Pen ni Olivier Besancenot (pour ne parler que de ce couple) n’ont, à notre connaissance, pris publiquement la parole sur le thème pandémique. Pas plus que Nicolas Sarkozy ; à la différence – notable – de Barak Obama.
Comment comprendre ? Avant de lire Antoine Flahault un conseil : lire (ou relire) Christopher Beam.
Jean-Yves Nau
« J’ai vacciné, personnellement, et sans déplaisir »
Un de nos fidèles lecteurs écrivait récemment sur ce blog un commentaire où il expliquait nous trouver, Jean-Yves et moi, sinon déprimés du moins lassés par ces débats. Ce n’est pas exact, me semble-t-il. Nous sommes l’un et l’autre trop passionnés par cet événement extraordinaire, au sens propre du terme, qu’est la pandémie pour qu’il induise aujourd’hui chez nous on ne sait quelle forme de lassitude mélancolique. Il est vrai que notre intérêt se manifeste parfois sous la forme « épidémiologique », voire parfois « entomologique », et qu’à ce titre il peut paraître froid à certains.
Nous vous demandons de bien vouloir accepter nos excuses si nous pouvons vous donner l’impression de trop regarder nos congénères comme des arthropodes dans l’insectarium. Même si Jean-Yves est davantage mû par la collection des faits de l’actualité et leur analyse, et moi par leur rapprochement avec les données acquises de la science, notre démarche commune part du même principe et de la même motivation.
Lorsque notre ministre a parlé « d’enfants gâtés » à propos de ceux qui refusaient la vaccination, j’ai posté un commentaire sur le volet « gâtés » de l’expression. Le billet de Jean-Yves de ce jour me conduit à traiter aujourd’hui le volet « enfants » qui n’est pas neutre non plus puisque le terme de « pédagogie » que l’on entend souvent à propos de la promotion de la santé est de la même origine étymologique (pedes, enfant). Le concitoyen a peut-être été trop infantilisé par les experts, puis par les pouvoirs publics pendant plus d’un siècle d’éducation à la santé dans la société moderne.
Aujourd’hui les temps changent. Une fraction, extrémiste, de la population peut s’exprimer bruyamment. Mais il existe aussi bel et bien une majorité silencieuse qui refuse le discours des experts fondé sur les preuves scientifiques et repris par les autorités de santé. Avec 83% d’opposants en France à la vaccination, et 60% aux USA, ce n’est pas nous qui inventons le désamour de nos contemporains vis-à-vis des experts. Force est bien de constater que nous sommes loin, très loin, du plébiscite !
On nous a dit un jour : « Il est obligatoire maintenant d’attacher votre ceinture de sécurité ». Nous n’avons pas bronché. A bien y regarder pourtant, sur le fond, c’était déjà une atteinte à notre liberté individuelle. J’ai le droit de me jeter d’un pont, mais pas celui de conduire sans ceinture. Je ne menace pourtant personne sans ceinture. Enfin, personne d’autre que moi. Mais le gouvernement veille sur moi, malgré moi, et m’attache, comme j’attachais mes enfants sur leur siège « réhausseur », sans qu’ils n’y trouvent à redire ; même si je dois bien reconnaître que parfois ils se débattaient.
Puis on nous a dit, il n’y a pas si longtemps : « Fumer tue » ; on avait ordonné aux fabriquant d’imprimer cette formule sur les paquets de cigarettes, en grosses lettres noires. Pourquoi ? Pour mieux nous montrer que si nous n’avions pas compris d’emblée au fil du temps, cela finirait bien par entrer dans nos têtes ; un peu comme le mot de la maîtresse sur le cahier de textes, quand nous étions/quand j’étais en primaire et que nous n’avions pas rendu nos devoirs en temps et en heure.
Tabac prohibé ? Nous n’avons pas non plus –osons le mot- « bronché ». Sur cette pente (montante ?) on est bien sûr allé plus loin. On nous a bientôt interdit de consommer du tabac dans nos bureaux, quand bien même y étions-nous parfois désespérément solitaires. Conséquence immédiate et quotidienne : nous avons vu descendre aux rez-de-chaussée des tours et des entreprises les nouveaux parias ; ceux de l’addiction tabagique. Comment ne pas voir là la résurgence d’une trop vieille symbolique, celle qui veut qu’une fraction du peuple reste sur le seuil, n’ayant plus –pour l’heure- le droit de faire partie de la communauté. Comme jadis : puni, au coin de la salle de classe, au vu et au su de tous. La punition a-t-elle encore des vertus thérapeutiques quand elle devient pluri quotidienne à l’âge adulte ?
Je me souviens avoir vu deux policiers en tenue arriver en extrême urgence pour verbaliser un pauvre homme qui fumait tranquillement une cigarette. Nous étions alors dans l’immense hall aéroportuaire de Dulles, Washington DC. Sans doute peut-on assister aujourd’hui (ou assisterons-nous demain) à la même scène à Roissy-Charles de Gaulle ou sur le quai de la gare Montparnasse ou de Rennes, de Vierzon ou de Saint-Pierre-des-Corps. Car nous savons bien que a loi n’est ce qu’elle est que si elle est la loi pour tous.
L’usage de l’automobile, donc ; puis la consommation de tabac ; puis celle des boissons que l’on qualifiait d’ « alcoolisées » avant de passer à « alcooliques ». Ici le dispositif se met en place aussi progressif qu’implacable.
Et les succès sont au rendez-vous : la sécurité routière a grandement progressé, la consommation de tabac a stoppé sa courbe ascendante, la consommation d’alcool décroit depuis un demi-siècle. Poursuivons : l’espérance de vie croît parallèlement, les paramètres jugeant de notre santé publique s’améliorent. Jamais, sans doute, dans l’histoire de l’humanité n’avons-nous été à ce point triomphants sur les fronts sanitaires.
Pourquoi ne pas applaudir ? Le premier vœu que se font la plupart des habitants de la planète à l’aube de la nouvelle année est bien celui d’une « bonne santé ». En écho nos dirigeants (que nous avons directement ou pas élus) ont, face au risque pandémique, voulu répondre de façon adéquate. Et ils réussissent plutôt bien jusqu’à présent. Les faits sont là. Les doses vaccinales aussi. Disponibles. Probablement efficaces. Sans doute bien tolérées.
Mais vous avez peur d’une piqûre ? Et cela devrait enrayer la machine bien huilée mise en place ? C’est une blague n’est-ce pas ? Je me souviens avoir voulu prendre à bras le corps la question de la couverture vaccinale contre la grippe saisonnière pour les personnels de santé de l’Hôpital Tenon de Paris lorsque j’y dirigeais le département de santé publique. J’avais alors osé mettre tout le personnel du département sur le pont : internes, stagiaires, infirmières, médecins. Plusieurs collègues m’avaient alors prêté main forte. Nous sillonnions de jour comme de nuit tous les services de l’hôpital avec un charriot mobile et nous avons fait grimper très sensiblement le taux de couverture qui est rapidement devenu le plus élevé de tous les établissements de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (juste devant celui d’Ambroise-Paré à Boulogne qui s’était associé à la même opération).
A cette époque j’ai donc vacciné, personnellement et sans déplaisir, des centaines de personnes : infirmières, aides soignantes, médecins et chefs de service. Je me souviens que la principale raison que me donnaient ceux qui (bien peu nombreux) refusaient la vaccination (car cette dernière était bien évidemment effectuée sur une base volontaire) était la « peur de la piqûre ». Ces professionnels qui passaient une bonne partie de leur activité soignante à injecter, inciser, ponctionner et cautériser refusaient ce soir l’indolore injection du vaccin grippal saisonnier qu’on leur proposait (car c’est probablement la plus indolore des injections, même si le bras est assez souvent un peu « courbaturé » le lendemain). Ainsi va la vie.
Eduquer ? Informer ? Promouvoir ? La « communication » est sans aucun doute une question à « travailler ». Mais plus profondément c’est bien la conception des rapports humains que nous avons à prendre à bras le corps. Celle de l’infinie complexité des rapports entre ceux qui « savent déjà » et ceux qui « ignorent encore ». De la complexité plus grande encore entre ceux qui ont pour mission officielle de (tenter de) modifier les comportements de leurs congénères ; congénères qui ne l’entendent pas toujours de cette oreille.
Ceintures automobiles, tabac, alcool, nouvelle grippe et démocratie sanitaire ? Mais parlons-en ! Si l’on faisait aujourd’hui voter les Français que répondraient-ils ? Pourquoi les décisions de santé publique ne s’appuient-elles pas davantage sur des règles démocratiques communes ? Pourquoi le médecin, le professionnel de santé publique, le préfet ou la ministre auraient-ils à devoir « convaincre » qu’il faut se faire vacciner ? Ces experts et politiques redouteraient-ils de ne pas avoir la majorité de l’opinion acquise à leurs arguments ? Le « bon peuple » ne serait-il pas définitivement « mûr » pour saisir tous les enjeux de ces questions qui « nous » concernent au premier chef ? La problématique du pour et du contre la vaccination contre la grippe pandémique (qui n’est pas « obligatoire ») résume tout ceci. A nous tous d’en profiter, de rebondir pour nous parler et partager. A nous tous, à notre façon, d’enquêter, de mieux comprendre, d’enseigner.
Antoine Flahault
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