Attention, cet article contient des spoilers sur la saison 5
J’avais toujours été une très grande admiratrice de Mad Men. Spectatrice depuis le début de sa diffusion à la télévision américaine, ce fut même un véritable coup de foudre. Enfin arrivait une série qui ne se préoccupait pas de ce que l’audience souhaitait ou attendait. Un rythme lent et analytique, des dialogues riches et subtils, des personnages profonds et complexes, des acteurs parfaits. J’avais adoré les quatre premières saisons, que j’avais revues au moins quatre fois chacune. Cependant, après la quatrième saison, j’avais commencé à m’inquiéter. L’annonce d’une saison 5 repoussée m’apparut comme de mauvais augure : comment une série télé pourrait-elle survivre à une interruption aussi longue ? Quelques éléments de la saison 4 m’avaient déjà alertée : les personnages tendaient à devenir manichéens et tombaient dans la caricature. C’est à Betty, bien sûr, que je pense ici. Tout au long de cette saison 4, on voyait Betty se transformer peu à peu en une femme beaucoup plus méchante, une mère encore plus mauvaise : adieu donc la complexité émotionnelle des trois premières saisons. La subtilité de la personnalité de Betty commençait déjà à se dissiper alors qu’elle constituait l’un des personnages les plus complexes de la série.
Et pour mon malheur, cette tendance ne fit que s’aggraver. Au début de la saison 5, l’absence totale de Betty dans les deux premiers épisodes me créa un choc. Ces épisodes étant agréables et divertissants, je n’y prêtai pas trop d’attention. Pourtant quelques thèmes, traités avec délicatesse dans les saisons passées, me semblèrent cette fois plus lourds. Le scénario insistait un peu trop sur le vieillissement de Don, et sur sa différence d’âge avec sa jeune et nouvelle femme. Pas très enthousiaste, je décidai cependant de garder confiance dans le grand talent de Matthew Weiner. La découverte de « fat Betty », désormais surnommée ainsi aux Etats-Unis, fut un choc, mais me conduisit à penser que Weiner y avait trouvé le moyen de ramener au premier plan les multiples contradictions du personnage de Betty. Hélas, j’avais tort.
Au fil de la saison, la série ne fit que me déplaire. Auparavant, je pensais que Weiner savait où il menait ses différents personnages. Mais, épisode après épisode, j’en abandonnai l’idée. Voici pourquoi.
Des personnages qui tournent en rond.
C’est toujours la même rengaine. Don fronce toujours autant les sourcils, difficile donc de dire s’il est heureux ou non dans sa nouvelle vie. Il ne trompe pas sa femme : c’est le changement principal de son personnage. Mais, à voir ses disputes avec Megan et sa déception lorsqu’elle s’émancipe, on ne doute guère que ses activités extra-maritales finiront par reprendre. Changement bien mince pour un personnage de la taille de Don Draper. Maintenant que nous connaissons son histoire, maintenant qu’il a arrêté de mentir aux personnes qu’il aime, il semble que Weiner ait du mal à donner à son personnage principal quelque chose à faire hormis boire et être déprimé. Rien que nous n’ayons déjà vu : sa fuite lors de son week-end amoureux avec Megan – qu’il plante là sans explication -, sa colère envers Peggy lorsque sa protégée prend son indépendance, puis sa dureté envers ceux qu’il pense être comme lui alors qu’ils ne le sont pas, et enfin son refus d’affronter sa culpabilité. Ce dernier aspect reste à mes yeux le plus gros problème. Pendant quatre ans, ce personnage n’a cessé d’être un homme rattrapé par sa culpabilité et ses lourds secrets. Qu’il soit Dick ou Don, il ne parvient pas à s’aimer. À chaque fois, il se construit une nouvelle vie, dans l’espoir de cacher sa honte et sa haine de lui-même. Pourtant dans cette nouvelle saison, hormis le fantôme d’Adam (le frère qu’il a poussé au suicide), Don a l’air plutôt satisfait de lui-même. Il commence même à insulter Betty, alors qu’il est celui qui lui a menti pendant toutes ces années. Et Weiner nous demande de compatir avec le menteur plutôt qu’avec l’épouse trompée ! Dans un épisode, Don dit qu’il ne veut pas que Betty mette « son gros nez » dans ses affaires, et émet le souhait que Megan « ne finisse pas comme Betty ». Ce mépris pour son ex-femme semble venir de Weiner lui-même, plus que du personnage. Car Don sait bien que c’est lui qui a mené Betty à ce destin de « desperate housewife ». Weiner, comme Don, est de nouveau tombé amoureux, au plus grand désarroi du spectateur. Bien que Jessica Paré soir une bonne actrice et que Megan semble être gentille et convenable, je ne trouve rien de bien fascinant au personnage. Au début, elle me paraissait être une fille ambitieuse qui avait épousé Don par intérêt. Mais Megan décide vite de quitter la compagnie. Reste donc une gentille fille, qui traite Sally comme une copine, aime son mari malgré ses nombreux défauts, et rêve d’être actrice. Dans le dernier épisode, une réplique assez intéressante met en lumière le personnage de Megan. Sa mère dit à Don que le problème de sa fille est d’avoir un tempérament d’artiste alors qu’elle n’en est pas une. Voilà un thème intéressant qui reste totalement absent à mes yeux dans les nombreuses scènes où l’on voit Megan. Tout ce que j’ai vu, c’est une fille essayant de trouver un travail en tant qu’actrice. Et au vu de sa bonne performance de « Zou Bisou », je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas douée. La fascination de Weiner m’est donc difficile à comprendre : le bout d’essai de Megan dans le dernier épisode ne m’a procuré aucune émotion là où l’épisode « Carousel » (saison 1), montrant Don visionnant des vidéos de Betty et de leurs enfants, m’avait bouleversée. Weiner concentre la plupart de ses épisodes sur Megan et Don, abandonnant aux autres des intrigues faciles, dignes d’un soap. Pete, par exemple, me fatigue, car lui aussi fait du surplace. Toujours aussi geignard, insatisfait, toujours le même petit garçon pathétique qui n’obtient jamais ce qu’il désire. Le fait de gagner du pouvoir dans la compagnie aurait dû le changer, le faire évoluer (que cette avancée soit bénéfique ou non). Sa liaison avec Beth n’est qu’agaçante. Et ces électrochocs ? Weiner aurait-il un peu trop regardé Homeland avant d’écrire cet épisode ? Autre liaison absurde de la saison celle d’Harry et la fille de Hare Krishna, qui atteint des sommets du ridicule.
« Je commence à être fatiguée de cette dynamique »
Dans la saison 5, Betty est visiblement devenue la Méchante Sorcière de l’Ouest. Affreuse avec Sally (mis à part une douce dernière scène ensemble), elle se morfond dans un autre mariage malheureux. J’ai toujours adoré la manière dont January Jones interprétait son personnage. L’actrice a, c’est évident, une foi absolue dans les décisions de Weiner. Et Dieu sait si elle en a bavé cette saison ! Weiner s’obstine à humilier son personnage (ou l’actrice ?) sans relâche. La voici donc qui s’avale de la crème fraîche à même la boîte, se bâfre de crème glacée (la sienne ET celle de Sally !). Puis, confrontée au corps jeune et mince de Megan, décide de semer la pagaille dans le mariage de Don… Mais échec, car elle n’est qu’une petite peste, tandis que Megan est la gentille fée, toute guillerette, qui ne se lasse jamais de faire l’amour. Mad Men est devenu un soap dans lequel il y a les gentils et les méchants. La dynamique « Vilaine Betty contre Merveilleuse Megan » fatigue dès les quatre premiers épisodes. Peut-être le problème principal réside-t-il dans une dynamique générale qui ne change pas, et dans des rebondissements bien trop prévisibles. Le sort de Lane, loin d’être choquant, n’émeut pas. De même, la fin de la saison se dilue dans la facilité. Dès le premier épisode, je pensais que la saison finirait sur la rechute de Don. J’espérais une rechute originale, inattendue, mais c’est la manière de faire habituelle et ronronnante qui a gagné. Weiner se laisse aller à des combines faciles : la scène de la cage de l’ascenseur, la réplique de Sally « dirty », les pensées soi-disant philosophiques de Glen… Tout cela semble faux, facile et indigne d’une série qui traitait de tout avec subtilité et finesse. Envolé aussi le goût de Weiner pour les détails. Julia Ormond interprétant la mère de Megan, censée être Canadienne Française, est pénible à regarder. Et pourquoi engager un véritable Canadien Français pour jouer le père puis abandonner cette précision pour la mère ? La différence entre les accents reste dérangeante. De plus, le divorce montré si répandu dans les années 60 me paraît anachronique. Dans la série, la plupart des personnages sont divorcés, ou l’ont été, et le font aussi vite que l’éclair : Roger (deux divorces), Joan, Don…
Bien sûr il y a par ailleurs des bonnes choses, comme l’épisode réunissant Dawn et Peggy. Michael Ginsberg est un personnage assez intéressant, et j’espère qu’il sera plus développé l’année prochaine. Je suis dure uniquement parce que Mad Men était l’une de mes passions, et que je suis triste de voir la série décliner. Qu’est-il arrivé à Matthew Weiner pour qu’il perde de vue l’essence même de sa série ? Est-ce parce que son attention se porte désormais sur la production de son premier long métrage ? Ou bien la longue interruption de la série a-t-elle tué sa créativité ?
Peu m’importe la réponse. Tout ce que j’espère c’est que l’année prochaine, lorsque je regarderai le premier épisode de la saison 6, je retrouverai le Mad Men que j’aimais tant.
Viddy Well.
E.C
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