Certaines très grosses productions boivent la tasse, des «petits» films cartonnent, Steven Spielberg et George Lucas prédisent la fin des blockbusters et la fin du cinéma tel qu’on le connaît. Les majors ont des raisons de s’inquiéter. Mais les indépendants encore plus.
C’est l’été des (apparentes) remises en question à Hollywood. Ou plutôt, plusieurs interrogations se mêlent, suscitant à la fois un sentiment généralisé d’inquiétude et pas mal de confusion. A l’origine de ce remue-ménage, un nombre inhabituel de très grosses productions qui connaissent un échec cinglant au box-office, tandis que quelques films aux budgets modestes tirent leur épingle du jeu.
After Earth de M. Night Shyamalan avec Will et Jaden Smith et Pacific Rim de Guillermo Del Toro, déjà sortis en France, White House Down de Roland Emmerich avec Channing Tatum et Jamie Foxx, Lone Ranger de Gore Verbinski avec Johnny Depp (le duo gagnant des Pirates des Caraïbes), RIPD avec Jeff Bridges et Ryan Reynolds, tous productions à plus de 150 millions de dollars, se ramassent au box-office. Dans le genre mégaspectacle à effets spéciaux et explosions tous azimuts, seul le miraculé World War Z (à qui tous les analystes avaient prédit un sort encore pire) est un succès.
Deux événements sans rapport direct viennent alimenter commentaires inquiets et appels à un autre schéma.
Sa mort ressemble à sa vie. Sa mort? Pas seulement «les circonstances de sa mort», le 5 août 1962, ça c’est encore une autre histoire. Mais ce que Marilyn Monroe est devenue, une fois morte, et qui ne fait que se confirmer, c’est à dire s’aggraver, le temps passant, les hommages, révélations, clichés plus ou moins inédits, récits, confidences et biographies s’accumulant. Elle aura été tant et tant de choses. Et d’abord, en dépit de tout –et bien sûr d’elle-même: une très grande actrice de cinéma.
Les livres d’histoire notent qu’elle débute à l’écran en 1947, mais malgré une apparition notable dans Les Reines du music-hall (Phil Karlson, 1948), les spectateurs, eux, notent véritablement son irruption (éruption?) dans l’excellent quoique sous-évalué La Pêche au trésor (1949). C’est le dernier film des Marx Brothers, signé David Miller mais auquel Leo McCarey a prêté la main.
L’année suivante elle est chez Tay Garnett et John Sturges, et surtout, elle réussit des apparitions inoubliables dans Quand la ville dort de John Huston et, plus encore, Eve de Joseph Mankiewicz. A ce moment, elle n’est pas encore une star, elle est déjà complètement Marilyn, the one and only. La séquence à la soirée est dans le film du machiavélique Mankiewicz comme une fusée incandescente, fausse note volontaire à l’intérieur de l’affrontement glacé entre Bette Davis, George Sanders et Anne Baxter. Une brève et joyeuse tornade dans un jeu d’échecs.
Ce qui se produit dans Eve est exemplaire, et dit énormément de la singularité de celle qu’on retrouvera très bientôt chez nombre des plus grands réalisateurs hollywoodien de l’époque: Howard Hawks (Chérie je me sens rajeunir, 1952, Les hommes préfèrent les blondes, 1953), Fritz Lang (Le démon s’éveille la nuit, 1952), Otto Preminger (La Rivière sans retour, 1954), George Cukor (Le Milliardaire, 1960, Something’s Got To Give, 1962, inachevé), et à nouveau John Huston (Les Désaxés, 1961, inoubliable chef-d’œuvre malade). Excusez du peu. En 1950, Marilyn Monroe a attiré l’œil des patrons de studios comme le montre malicieusement Mankiewicz, elle n’a pas de carrière, elle n’a pas non plus rencontré les Strasberg ni commencé a travailler avec l’Actor’s Studio.
Elle est une «nature», sa plastique, sa gestuelles, son énergie vitale, sa séduction, l’étrangeté de sa voix ou plutôt de certaines inflexions déstabilisent son environnement, introduisent une rupture. Il faut prendre au sérieux la réaction d’Alfred Hitchcock refusant de travailler avec elle en disant «je n’aime pas les actrices qui portent leur sexe sur la figure». Le maître du suspense, qui avait besoin d’une totale maîtrise de ses «outils» – acteurs, accessoires, montage, lumière, rebondissements dramatiques – voit d’emblée que cette actrice flanquerait la pagaille dans l’horlogerie de précision de ses tournages. Perturbation qu’il associe au sexe, ce qui est à la fois juste et incomplet: Marilyn Monroe incarne (ce verbe aura rarement été aussi approprié) uns forme de présence transgressive dont la dimension sexuelle est essentielle, mais qui ne s’y limite pas.
Il y aurait une ligne de démarcation à tracer entre les réalisateurs qui aiment affronter et jouer avec ces puissances, et ceux qui tiennent à les dominer. On ne s’étonnera pas qu’elle ne se soit entendue ni avec Lang, ni avec Preminger, ni avec Cukor, mais qu’elle soit si entièrement à l’unisson des films dirigés par Hawks, Huston et Wilder. Ils sauront faire le meilleur usage de cette présence…
En inventant le (soi-disant) récit fondateur de ce qu’il a raconté en 1979, Ridley Scott accomplit un geste de propriétaire reprenant ses droits sur un monde.
C’est un geste curieux qu’accomplit Ridley Scott en réalisant Prometheus, plus de 30 ans après Alien. A l’heure où les «franchises» sont devenues la règle à Hollywood, le film semble s’inscrire dans cette recherche éperdue de sécurité que représente pour les majors la réutilisation de personnages et de situations connues, surtout si les films nécessitent de gros investissements en effets spéciaux.
Mais il est beaucoup plus singulier que ce recyclage soit relancé par l’auteur du film fondateur. Auteur? Scott est à n’en pas douter l’auteur d’Alien, même si le film fut à l’origine une commande la Fox. La manière dont il s’est approprié le sujet est incontestable, tout comme le rôle décisif joué par le film dans sa carrière ensuite, après que son premier film, «film d’auteur» au sens classique, européen, Duellists (1977), a été un échec commercial. En inventant aujourd’hui avec Prometheus le (soi-disant) récit fondateur de ce qu’il a raconté en 1979 –et des trois sequels réalisés par d’autres– Ridley Scott accomplit un geste de propriétaire reprenant ses droits sur un monde.Au premier rang de ces «autres», James Cameron (Alien, le retour, 1986). James Cameron devenu entre temps le cinéaste qui aura à deux reprises signé le film ayant eu le plus de succès de toute l’histoire du cinéma, Titanic puis Avatar.
James Cameron qui vient d’annoncer qu’il entendait ne plus tourner que des films situés sur Pandora, la planète inventée par lui pour Avatar. C’est-à-dire continuer de créer son propre monde, rester maître de l’univers qu’il a conçu. Projet d’artiste démiurge, dont on aurait tort de sourire tant Cameron a prouvé qu’il était capable de mettre en œuvre les conditions artistiques (récit, images) mais aussi financières et technologiques de ses projets.
Projet titanesque? Précisément au sens de ce titan nommé Prométhée, qui conçut le projet d’égaler les dieux. Exactement ce vers quoi tendent certains réalisateurs d’aujourd’hui, avec le renfort des puissances technologiques ouvertes par le numérique et des puissances économiques ouvertes par le marketing mondialisé –vous avez dit Pandora?