«Le Fils de Saul», une lueur d’humanité

saul1Le Fils de Saul  de Laszlo Nemes avec Geza Röhrig. Durée: 1h47. Sortie le 4 novembre 2015.

Il émerge du magma, du néant. Non. Il n’émerge pas. Il habite le néant. Un monde de folie et de mort, aux règles brutales, hyperrationnelles et absurdes. C’est nous, les spectateurs, qui un temps l’accompagneront au sein de ce magma d’enfer. Il avance dans un environnement confus et absolument dangereux, dans un brouhaha indistinct et atroce. Saul travaille. Saul agit. Saul doit voir ce qui est indispensable à sa survie, et surtout rien d’autre. Il faut baisser les yeux. Il faut obéir ou être abattu. Il faut se protéger des images insoutenables. Mais il voit. Un cadavre d’adolescent.

Et le monde, son monde fantomatique et mécanique au tréfonds de la terreur, bascule. À cet enfant mort qui est peut-être le sien, il trouvera la possibilité d’une sépulture selon les règles, les autres règles, celles d’avant, celles des vivants. Un rituel, une prière. Il le faut. Saul le veut. Et ce vouloir le sauve, de la seule manière possible lorsque tout semble perdu.

Autour de Saul, le monde n’est ni inerte ni abstrait. Il s’y décide des actions, il s’y déroule des trafics, des ruses, des coups bas, il s’y construit des projets, une révolte se prépare, une évasion s’organise. Saul y est associé tout en s’obstinant dans un objectif fou. Mais qui est fou dans le dernier cercle de l’enfer? Collé à son protagoniste et laissant entrevoir comme dans les tableaux de Jérôme Bosch la foule des damnés, comme dans les illustrations de Gustave Doré pour Dante le vertige du gouffre où s’abolit l’espoir de l’homme, Nemes construit un récit lacunaire, d’une noirceur hantée, fantastique géhenne où on parle yiddish et toutes les langues de l’Europe, et qui exista réellement sur la terre de Pologne.

Le Fils de Saul est le récit d’un combat. Le combat désespéré d’un homme pour rendre place à une parcelle d’humanité là où celle-ci est absolument niée. Un combat en apparence paradoxal –vouloir s’occuper d’un mort là où tout le monde meurt– et qui fait de ce paradoxe même la dynamique d’une interrogation vitale, d’une énergie extrême. De ce point de vue, le premier film de Laszlo Nemes n’est pas un «film sur la Shoah». C’est un film sur l’humain.

Mais il est situé à Auschwitz. (…)

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“Tsili”, une flamme de vie dans la forêt

tsili_3Tsili d’Amos Gitai, avec Sarah Adler, Meshi Olinski, Adam Tsekhman. Durée: 1h28. Sortie le 12 août

De Tsili, livre bref et magnifique d’Aharon Appelfeld publié aux éditions de l’Olivier, le réalisateur Amos Gitai a fait Tsili, film bref et magnifique. Le film est infiniment fidèle au livre, en ne lui ressemblant pas. Appelfeld raconte l’histoire d’une adolescente juive d’un village d’Europe centrale au début des années 1940, dont le nom est aussi celui du livre. Abandonnée par sa famille en plein ouragan antisémite, maltraitée et humiliée par tous, Tsili se réfugie dans la forêt, y survit seule au milieu d’un monde en guerre et d’un pays hostile, y est rejointe par un autre Juif qui se cache, Marek.

Gitai, lui, ne raconte pas. Il filme.

D’abord, on est ailleurs. Corps blanc sur fond noir, dans la nuit abstraite des signes et des mythes, une jeune femme danse. Puis, tout de suite, elle est là. Elle est dans la forêt. Elle se bat, contre les éléments, les épines, le froid, la pluie. Elle travaille, fabrique une sorte d’abri de branchages, plutôt une idée d’abri qu’une construction utile. Elle est fille, femme, être humain, animal. Elle ne parle pas, elle lèche quand elle saigne, elle gratte et grogne. Elle vit.

lle? Ce n’est plus un personnage, c’est la flamme même de la vie, faible, et sale, intense. Elle a un visage, et puis un autre. Un corps, et puis un autre. Une manière de bouger, et puis une autre. En confiant le rôle alternativement à deux interprètes, toutes deux impressionnantes, Meshi Olinski et Sarah Adler (et plus tard à une troisième, la voix de Lea Koenig), Gitai transforme un personnage de fiction en être de légende, en symbole si on veut, mais un symbole très incarné, très physique, avec des mains, une peau, des lèvres et des dents, des yeux.

Autour, il y a la forêt, ses bruits, ses menaces, ses beautés. Autour, il y a la guerre. Le bruit ininterrompu des bombardements, des passages d’avion, des coups de feu, parfois au loin les chiens, des voix crient. Cela ne s’arrête pas.

On est avec Tsili. Au ras du sol, des herbes, des taillis, des racines. Et puis autrement aussi, dans cette autre dédoublement qui fait écho à celui de l’actrice, le déplacement radical du point de vue: de très haut, à la verticale. Qui regarde ainsi? Dieu? Mais quel Dieu en cet enfer?

Du fond de l’image comme du fond des bois et de la guerre, Marek arrive. Il parle yiddish (…)

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Cannes/5: «Le Fils de Saul», «Ni le ciel, ni la terre»: le bouclier d’Athéna

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Géza Röhring dans Le Fils de Saul de Laszlo Nemes. Jérémie Renier dans Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore.

Mia Madre de Nanni Moretti avec margherita Buy, Nani Moretti, John Tuturro, Giulia Lazzarini. Durée 1h42. Sortie 23 décembre 2015.

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes, avec Géza Röhrig, Molnar Levente, Urs Rechn. Durée: 1h47. Sortie novembre 2015.

Ni le ciel, ni la terre de Clément Cogitore, avec Jérémie Renier, Swann Arlaud, Kévin Azaïs. Durée: 1h40. Sortie 2015.

Que retenir de l’offre particulièrement féconde de ce week-end sur la Croisette? Si on pose la question en termes d’origine, l’Europe l’emporte sans mal face aux Etats-Unis, non seulement sous-représentés numériquement cette année, mais avec des films en petite forme. Et si on s’interroge du point de vue des générations, les jeunes réalisateurs l’emportent haut la main face aux praticiens chevronnés. Encore faudra-t-il apporter des nuances.

Les films en compétition de Gus van Sant (The Sea of Trees, une parabole mystique et bien pensante entre suburbs états-uniens et forêt japonaise, étonnamment lourde de la part d’un tel auteur) et de Todd Haynes (Carol, une histoire d’amour entre femmes dans l’Amérique des années 50, compassée et prévisible) tout comme le nouveau Woody Allen hors compétition (L’Homme Irrationnel, retour un peu laborieux sur une fable morale déjà explorée avec bien plus de brio par l’auteur de Crimes et délits) font partie des déceptions.

Mais il faut ajouter un réalisateur jeune et européen, le Grec Yorgos Lanthimos, dont le conte fantastique Lobster (Compétition), cherchant avec insistance du côté de la cruauté et de l’humour noir, se révèle vite d’une grande vanité. Et, a contrario, il convient de chanter haut les louanges d’un cinéaste on ne peut plus reconnu, Nanni Moretti.

Sur un canevas qui pouvait être simpliste, opposant la réalité d’une situation dramatique –la mort imminente de la mère– à l’artifice de l’univers où évolue le personnage principal, celui du cinéma, Ma Mère (Compétition) se révèle séquence après séquence d’une finesse et d’une émotion exceptionnelles.

Il faudra revenir sur l’intelligence de la construction à partir de cette division de lui-même qu’opère Moretti. Il confie en effet la fonction de faire des films à Margherita Buy (absolument magnifique), jouant la réalisatrice tandis que lui-même joue un frère en impeccable contrepoint, et très subtile déroute. Il faudra revenir, surtout, sur la manière dont le film dépasse l’opposition binaire sur laquelle il semblait construit, pour ouvrir vertigineusement vers ce qui nous porte et nous limite, et qui est tout autant réel et imaginaire, face à la mort et avec la fiction.

Mais les deux films peut-être les plus importants, en tout cas les plus prometteurs de ces deux derniers jours sont des premiers films, Le Fils de Saul du Hongrois Laszlo Nemes (Compétition) et Ni le ciel ni la terre du Français Clément Cogitore (Semaine de la critique). Bien qu’extrêmement différents, ils ont en commun d’inventer avec une étonnante liberté, face à des situations tragiques inscrites dans l’histoire contemporaine, des réponses de cinéma –de cinéma comme moyen de prendre en charge l’horreur, ni pour la cacher ni pour l’édulcorer, mais pour continuer d’exister, sans amnésie, dans le monde de «ça».

Dans son maître-livre Théorie du film. La Rédemption de la réalité matérielle, Siegfried Kracauer comparait le cinéma au bouclier de Thésée, ce miroir offert par Athéna et qui permettait de regarder indirectement la Gorgone sans être paralysé par elle. C’est ce que font ces deux très beaux films, littéralement chez Nemes, de manière plus contournée chez Cogitore. (…)

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«The Day the Clown Cried»: le film invisible de Jerry Lewis sur la Shoah

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C’est un des plus célèbres parmi la vaste cohorte des films invisibles. C’est aussi, de par son sujet, la Shoah, et son réalisateur interprète, la star comique Jerry Lewis, un des plus intrigant. Il s’appelle The Day the Clown Cried («Le jour où le clown a pleuré»), et officiellement il n’existe pas.

S’il a bien été écrit et presqu’entièrement tourné, et même dans une certaine mesure monté, non seulement il n’a jamais été terminé et donc jamais montré, mais un concours de circonstances complexe où son propre auteur a fini par jouer un rôle particulier l’assigne à une inexistence peut-être éternelle. Etre des limbes, film fantôme. Ce qui est assez approprié compte tenu de son sujet.

The Day the Clown Cried est effectivement un film-songe –un film-cauchemar pour être plus précis. Il conte l’histoire d’un clown allemand, Helmut Doork, interprété par Jerry Lewis, qui se retrouve accompagner des enfants juifs dans une chambre à gaz à Auschwitz.

Est-il nécessaire d’ajouter que ce n’est pas un film drôle? C’est à vrai dire un des films les plus tristes qui soient. Mais c’est bien, en très grande partie, un film dont l’enjeu est le rire, ce que c’est que faire rire, être drôle, faire profession d’être drôle: un sujet sur lequel Joseph Levitch, mieux connu sous le nom de Jerry Lewis, possédait quelques connaissances en 1971 quand il s’est lancé dans ce projet, après plus de 30 ans de carrière comme stand-up comedian, acteur et réalisateur comique.

Si The Day the Clown Cried n’existe pas, du moins officiellement, il n’en va pas de même de son scénario, disponible sur Internet.

Le film suit plutôt fidèlement les grandes lignes narratives de ce scénario, où on trouve une phrase qui aurait pu devenir le slogan:

«Quand la terreur règne, un éclat de rire est le plus effrayant de tous les sons.»

Ces paroles sont prononcées par le Révérend Keltner, compagnon de cellule d’Helmut. A ce moment de l’histoire, on a vu comment celui-ci, ex-plus grand clown d’Europe, est tombé en disgrâce, devenant un faire-valoir avant d’être viré du cirque. S’étant enivré pour noyer son désespoir, il s’est mis à insulter un portrait d’Hitler. Arrêté par la Gestapo, il a été envoyé dans un camp de concentration pour prisonniers politiques.

Capture d’écran du scénario de The Day the Clown Cried

Jusque-là, Helmut ne s’intéressait qu’à son cas personnel. Bien que vivant dans l’Allemagne nazie, il ne se préoccupait que de sa gloire perdue et des humiliations que lui infligeaient le directeur du cirque et le nouveau clown tête d’affiche.

Déporté, il proclame qu’il est un grand artiste de renommée internationale, et refuse de parler aux autres prisonniers. Pour tromper leur peur et leur ennui, ceux-ci lui demandent de les faire rire, et ainsi de prouver ses dires. Quand Helmut refuse avec mépris, ils deviennent agressifs et finissent par le cogner afin de le forcer à les faire rire. Seul le Révérend Keltner prend le parti du clown, et essaie de le protéger.

Peu après, de l’autre côté des barbelés qui délimitent le camp où se trouve Helmut est installé un nouveau camp destiné à des enfants juifs. Les prisonniers politiques ont interdiction absolue d’entrer en relation avec eux, mais alors qu’il exécute sans conviction des sketchs sous la menace des prisonniers, Helmut s’aperçoit qu’il fait rire les enfants.

Stimulé, le clown se lance cette fois dans un numéro complet, qui plaît à tout le monde: les enfants qui portent l’étoile de David, les politiques avec leur triangle rouge, et même les gardes allemands du haut de leurs miradors. Le commandant du camp, lui, ne rit pas, il interrompt brutalement le numéro. Plus tard, Helmut et le Révérend Keltner sont violemment battus par les SS, et un autre prisonnier est abattu après avoir aidé le clown à distraire les enfants. C’est une des scènes vraiment violentes du film, qui en compte plusieurs mais toujours traitées de manière stylisée, où par exemple on ne voit jamais de sang.

Jusque-là, Helmut s’est comporté comme s’il ne comprenait rien à la situation générale, guidé par son seul égoïsme, puis son désir irrépressible de faire rire un public dès qu’il en a l’occasion: il est un jouet aisément manipulable par les nazis, et le restera presque jusqu’à la fin. (…)

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La vraie-fausse histoire du «film d’Hitchcock sur les camps de concentration»

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Depuis un an, et avec insistance à l’approche de la commémoration des 70 ans de la libération d’Auschwitz ce 27 janvier 2015, circule une vraie-fausse histoire à propos d’un «film d’Hitchcock sur les camps», qui s’intitulerait Night Will Fall. Il existe bien un documentaire de ce titre, mais il s’agit d’une réalisation de 2014 signée André Singer et consacrée à (une partie de) l’histoire d’un autre film, connu sous le titre Memory of the Camps.

Ce film est issu d’une réalisation commandée en 1945 par le Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (SHAEF, le commandement des Forces alliées installé à Londres), à partir de documents tournés par les armées alliées lors de l’ouverture des camps de concentration et d’extermination.

La conception de ce projet fut confiée à Sidney Bernstein, chef de la section «cinéma» de la Division d’action psychologique du SHAEF. Il devait utiliser du matériel tourné par les armées britanniques, américaines et soviétiques. L’objectif de départ était d’en faire trois versions, une destinée aux Allemands en Allemagne, une aux Allemands prisonniers et la troisième aux autres publics. Selon une formule de Bernstein, il s’agissait de «secouer et d’humilier» l’ensemble des Allemands et de montrer qu’eux tous –et pas seulement les SS ou les nazis– étaient responsables de crimes contre l’humanité.

Ce film de six bobines fut bien réalisé, mais il ne fut jamais projeté, les nouvelles priorités de la Guerre froide naissante menant à minimiser la culpabilisation du peuple allemand et à interrompre la collaboration entre Anglo-Américains et Soviétiques.

En 1952, cinq bobines étaient transférées du British War Office à l’Imperial War Museum de Londres, accompagnées d’un commentaire tapuscrit.

 La sixième bobine, qui contenait les images tournées par les opérateurs soviétiques, a disparu. Le Musée donna alors à ce dépôt le titre Memory of the Camps. Il resta invisible et inconnu jusqu’à ce qu’en 1985 (…)

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Entretien avec Claude Lanzmann: «Il ne faut pas faire du style ou des effets»

Montage, photo, commentaire, utilisation des archives: l’auteur de «Shoah» commente les choix formels de son nouveau film, «Le Dernier des injustes», dans lequel il fait dialoguer des images du présent avec des séquences filmées il y a quarante ans.

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Le nouveau film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, est une œuvre considérable, non seulement par sa durée (3h40) mais par sa manière de faire dialoguer événements du passé le plus tragique, celui de l’extermination, mémoire filmée par lui-même il y a quarante ans lorsqu’il enregistrait un entretien avec l’ancien «Doyen du Conseil juif» de Theresienstadt Benjamin Murmelstein, et images et paroles d’aujourd’hui.

La sortie en salles du film a donné à son auteur l’occasion de revenir longuement sur plusieurs aspects controversés de l’histoire de la Shoah, et notamment l’attitude des responsables juifs contraints par les nazis de faire partie des Conseil juifs, et la figure particulière et sujette à débat de Murmelstein. Mais ces aspects seraient tout simplement incompréhensible sans éclairage sur la manière dont a été composé ce film à la forme très singulière, et c’est sur cet aspect «formel», mais qui n’a rien de superficiel ou d’accessoire, qu’il nous a paru souhaitable d’interroger le cinéaste.

Le nouveau film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, est une œuvre considérable, non seulement par sa durée (3h40) mais par sa manière de faire dialoguer événements du passé le plus tragique, celui de l’extermination, mémoire filmée par lui-même il y a quarante ans lorsqu’il enregistrait un entretien avec l’ancien «Doyen du Conseil juif» de Theresienstadt Benjamin Murmelstein, et images et paroles d’aujourd’hui.

La sortie en salles du film a donné à son auteur l’occasion de revenir longuement sur plusieurs aspects controversés de l’histoire de la Shoah, et notamment l’attitude des responsables juifs contraints par les nazis de faire partie des Conseil juifs, et la figure particulière et sujette à débat de Murmelstein. Mais ces aspects seraient tout simplement incompréhensible sans éclairage sur la manière dont a été composé ce film à la forme très singulière, et c’est sur cet aspect «formel», mais qui n’a rien de superficiel ou d’accessoire, qu’il nous a paru souhaitable d’interroger le cinéaste.

Comment avez-vous construit Le Dernier des injustes, à partir du moment où vous décidez d’utiliser les images tournées en 1975 au tout début de la préparation de Shoah, où vous n’avez pas fait figurer ces séquences?

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“Le Dernier des injustes”, un film dans l’histoire

Le Dernier des injustes, de Claude Lanzmann. 3h40

arton8477Lanzmann aujourd’hui, à Theresienstadt

Il existe un film, qui, à lui seul, s’est construit une place unique et décisive dans l’histoire du cinéma, en même temps qu’il aura joué un rôle majeur dans la manière contemporaine d’aborder cette tragédie incomparable que fut le tentative d’extermination des juifs d’Europe par les nazis. Ce film s’appelle Shoah. Il se trouve que ce film-là aura en outre nourri l’existence d’autres films de Claude Lanzmann, des films composés à partir de séquences tournées à l’époque mais qui ne faisaient pas partie des neuf heures de l’œuvre accomplie. Près de 40 ans après le tournage initial (1975), près de 30 après la sortie de Shoah (1985), arrive sur les écrans le quatrième de ses surgeons, après Un vivant qui passe, Sobiboret Le Rapport Karski. S’il est bien lui aussi le lointain produit d’une des rencontres filmées en vue de la réalisation de Shoah, Le Dernier des injustes s’en distingue par l’importance considérable de ce qui a été tourné récemment pour donner naissance, avec les séquences de 1975, au nouveau film. Et c’est qui en fait une des réalisations les plus ambitieuses de Lanzmann.

Le Dernier des injustes prend en charge trois époques et se déploie autour de trois personnages. Les trois époques sont l’âge sombre de l’oppression nazie, de la déportation et de l’extermination, la période d’un après-guerre qui se construit des années 50 aux années 70, celle de l’élaboration d’un premier ensemble de discours et de pensée autour de ce qu’on n’appelait encore ni la Shoah ni l’Holocauste, période notamment marquée par la parution de certaines œuvres marquantes, dont Nuit et brouillard d’Alain Resnais et le roman Le Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart, mais aussi le procès Eichmann et le texte qu’il a inspiré à Hannah Arendt, et enfin la période actuelle. Les trois personnages, ce sont, par ordre d’apparition à l’écran, Claude Lanzmann, Benjamin Murmelstein et Claude Lanzmann.

Murmelstein est un intellectuel juif viennois, un rabbin qui deviendra le dernier président du Conseil juif (Judenrat) chargé d’administrer la communauté juive pour les nazis, à Vienne puis dans le faux camp d’hébergement, vrai mouroir et lieu de transit vers les fours qu’était Theresienstadt, vieille forteresse militaire située dans ce qui est aujourd’hui la République tchèque. Le Claude Lanzmann qui rencontre Murmelstein, qui le filme longuement et qui dialogue pied à pied avec lui en 1975 à Rome n’est pas le même personnage que le Claude Lanzmann actuel.

C’est ce dernier qui apparaît tout d’abord, face caméra, s’adressant au public avec la vigueur et la volonté de convaincre qu’on lui connaît. C’est à ses côtés qu’on voyage dans ces paysages actuels de Bohême, qui semblent avoir si peu changés depuis que la gare de Bohusovice accueillait les malheureux déportés de toute l’Europe centrale. C’est lui qui présente les documents d’époque – venant au passage détruire l’idée qu’il serait contre tout usage d’archives, alors qu’il a toujours expliqué pourquoi ce choix concernait le film Shoah dans sa radicale singularité, tout en appelant à une judicieuse vigilance dans l’utilisation des documents, vigilance dont de récentes dérives (Apocalypse et consorts) ont montré la nécessité.

C’est avec Lanzmann, le Lanzmann d’aujourd’hui, qu’on visite la forteresse presque intacte qui servit de prison, et aussi de décor à l’infernale manipulation qui donna lieu au film connu (à tort) sous le titre Hitler donne une ville aux juifs[1]:

«Theresienstadt où culminent indissociablement la tromperie et la violence pure » comme le dit ce guide lyrique, animé d’une colère et d’une compassion sans limites. Mais il est aussi et surtout tribun et philosophe, et encore professeur d’histoire rappelant l’incroyable projet Madagascar ou expliquant le rôle dévolu par Eichmann à la bourgade polonaise de Nisko, lieu de mort rayé des mémoires. Orateur impétueux, il énonce qui a raison et qui a tort, ce qu’il faut penser et comment il faut penser.

REVIEW-Le-Dernier-des-Injustes-Claude-Lanzmann-est-il-le-dernier-des-geants_referenceLanzmann et Murmelstein à Rome en 1975

Mais voilà que peu à peu se glissent d’autres images, celles du film de 1975. Voilà qu’on fait la connaissance de l’extraordinaire monsieur Murmelstein. Lui aussi parle, il parle au Lanzmann d’alors qui, d’abord bord cadre, va devenir de plus en plus présent, jusqu’à occuper une place quasiment à égalité avec son interlocuteur. Mais ce n’est pas le même Claude Lanzmann, il est dans la quête et l’interrogation, celles qui mèneront à Shoah, et au Claude Lanzmann d’aujourd’hui.

Murmelstein raconte, ce qu’il a fait, ce qu’il a pensé. Il juge ses actes et ceux des autres, notamment de ses prédécesseurs comme Doyen du Conseil juif. Il s’interroge, comprend comment d’autres ont perçu son comportement, et pourquoi dans de nombreux cas on l’a traité de collabo, voire accusé d’être directement responsable de dizaines de milliers de morts. Murmelstein ne dit pas non à ça. Il dit ce que ce fut, pour lui, d’être dans l’Histoire.

Une grande œuvre douloureuse dédiée au relatif

Ce faisant, il renvoie implicitement dos à dos Hannah Arendt, qui a violemment dénoncé les Judenräte, et le procès Eichmann lui-même, procès biaisé organisé par Ben Gourion pour légitimer Israël, et dont Murmelstein, qu’on a refusé d’accueillir à Jérusalem, fut un des accusés collatéraux – au passage, rappelons que c’est cette manipulation politicienne du procès qui est le véritable sens du texte d’Arendt si souvent réduit à la seule formule de la «banalité du mal».

Et elle est incroyablement vive et inquiète, cette parole du vieux rabbin exilé à Rome, cette parole qui semble par moments planer sur les toits du Vatican et du Trastevere, dans un ciel de Quattrocento. Et Lanzmann, le Lanzmann de 1975, qui n’est certes pas d’accord avec tout, entend et comprend cette recherche des mots qui ne nient ni ne figent, cette inquiétude sans fin. Il entre dans un échange d’émotion et de pensée qui dansent, et c’est somptueux, bouleversant.

Cela ne résout rien, bien sûr. Cela n’absout ni la terreur, ni les erreurs. Mais cela construit un espace qui récuse tout effet de sidération, tout assommoir, fusse-t-il celui de la Raison ou de la Morale.

Et voici comment Claude Lanzmann, celui d’aujourd’hui, celui qui fait ce grand film d’histoire, met en jeu, en question, en déséquilibre le personnage même qu’il est devenu et qui ne manque jamais une occasion d’occuper une tribune pour marteler sans appel où est le Bien et le Mal. Voici que Claude Lanzmann, parce qu’il est un immense cinéaste, se déborde lui-même. Voici comment, grâce aussi à l’indispensable longue durée du film (3h40), partie prenante du caractère impérieux de la quête d’une forme juste, lui le tribun de l’absolu engendre cette grande œuvre douloureuse dédiée au relatif.

LIRE AUSSI L’ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR

NB: Cette critique est une nouvelle version du texte publié sur Slate.fr lors de la présentation du film au Festival de Cannes 2013.

 


[1] Ce film est un des enjeux du livre remarquable de Sylvie Lindeperg paru au début de cette année, La voie des images (Verdier) http://www.slate.fr/story/68947/lindeperg-cinema-histoire

 

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Il n’y a pas d’événement sans image

Image 9Une image de Shoah de Claude Lanzmann

Existe-t-il une impossibilité de montrer ? Parce que ce serait matériellement impossible ? Ou parce que ce serait moralement inadmissible ? –  deux questions complètement différentes, mais souvent confondues. La question de l’imontrable revient sans cesse, et il est souhaitable qu’elle revienne. Ça n’empêche pas d’y apporter une réponse – la mienne, seulement la mienne.

Un concours de circonstances a fait qu’en quelques jours je me suis trouvé convié dans deux prestigieuses assemblées, pour intervenir sur ces mêmes enjeux, bien que formulés différemment. D’abord dans le cadre du colloque « La Mémoire, l’histoire, l’oubli 10 ans après » organisé du 2 au 4 décembre pour célébrer l’ouverture du fond Paul Ricoeur, où j’étais invité à intervenir sur le thème « La Shoah et sa représentation ». Ensuite au colloque « La Shoah. Théâtre et cinéma aux limites de la représentation ? » organisé du 8 au 10 décembre par l’Université de Nanterre et l’Institut Nationale d’Histoire de l’Art. Je suis très reconnaissant aux organisateurs, d’autant que j’ai conscience d’avoir été, ici comme là, un « élément extérieur », n’étant pas universitaire mais critique de cinéma – c’est surtout le fait d’avoir dirigé le livre collectif Le Cinéma et la Shoah qui m’aura valu ces invitations.

En effet ces deux occasions mobilisaient les interrogations sur les enjeux sur les possibilités de faire image à partir de la Shoah, ce qui est bien légitime : comme Ricoeur l’avait si bien explicité en parlant à son propos d’ « événement limite », revendiquant le paradoxe d’une « unicité exemplaire », la Shoah aura poussé à l’extrême la question des possibilités et des conditions de l’image d’un événement. C’est bien à propos de la Shoah que s’est construite cette thèse de « l’inmontrable ». Elle résulte selon moi d’un grave malentendu. Sans l’avoir prévu, je me suis trouvé faire deux fois de suite le même plaidoyer, contre l’inexistence ou l’inutilité des images, contre l’idée d’une « limite » au-delà de laquelle on ne pourrait pas ou on n’aurait pas le droit de faire des images.

Comme on le sait, un film, Shoah de Claude Lanzmann, a cristallisé les enjeux des relations entre image, histoire et génocide, y compris sous forme de polémique fiévreuse. Mais la manière dont Lanzmann a réalisé Shoah témoigne, à cet égard, simultanément de deux choses : on peut faire des images de la Shoah, et : il faut constamment se demander : quelles images ?

Parce que Shoah, c’est 9 heures 30 d’images. D’images fortes, bouleversantes, belles, cruelles, douces, vibrantes, d’images pensées comme images. Les partis pris de mise en scène de Lanzmann, et notamment son refus de l’archive comme inadéquate à ce sujet, participent de l’impérieuse interrogation « quelles images ? », ils n’annulent pas la possibilité de l’image, bien au contraire !

Image 10Filip Müller dans Shoah

Avec ce film, le cinéaste accomplissait la requête formulée par un de ses protagonistes, le survivant du Sonderkommando Filip Müller disant, au terme de l’éprouvante description de ce qui fut son travail, c’est-à-dire récupérer les corps gazés et les brûler dans les crématoires : « il faut imaginer ». Imaginer, ce n’est pas regarder des photos. Imaginer, c’est ce que nous faisons dans notre tête, chacun, à partir de ce que nous sommes, et à partir des éléments qu’on met à notre disposition, et notamment de ce que les artistes mettent à notre disposition, en stimulant notre imagination. Cette imagination n’appréhendera jamais l’entièreté de l’abomination qui s’est accomplie à Auschwitz ? Evidemment ! Mais à nouveau c’est là l’intensification à l’extrême de notre rapport au réel : notre imagination n’appréhendera jamais l’entièreté de la complexité du monde. Y compris à l’occasion d’événements moins immensément tragiques. Pas même la complexité du monde quotidien, lorsqu’il ne se passe rien d’ « historique ». Mais les œuvres, pas des moyens différents, et les œuvres d’images au premier chef, nous permettent de nous en construire des représentations imaginaires. C’est ce qu’a fait Lanzmann, c’est ce que d’autres aussi ont fait et feront, autrement. Les voies de l’art sont multiples, à condition de ne jamais se départir de l’inquiétude du « comment ? ».

Comment je montre, qu’est-ce que je cache en montrant aussi, quel type d’illusion je produis ? Là se pose encore une autre question, qui est celle du naturalisme, des effets d’une représentation qui au contraire se donne pour la réalité, qui vise à effacer la distance, l’inquiétude, le trouble du processus de représentation. Là commence le risque de l’obscène. Cela a été souligné à juste titre dans certaines représentations relatives à la Shoah, mais son questionnement concerne en fait toute représentation qui se nie comme représentation, et ainsi vise à priver celui qui la regarde de sa place réelle.

Cet enjeu proprement critique de la construction imaginaire ne cesse d’être reconduit, vis à vis des événements, souvent des tragédies plus récentes, soumises à la double menace soit de la distorsion spectaculaire, qui les rend invisibles en les engloutissant dans un « déjà-vu » trompeur, soit des différentes sortes de censure, d’occultation dont l’indifférence médiatique n’est pas la moindre. Cela n’invalide en rien ni la possibilité matérielle ni la possibilité éthique de construire la visibilité d’un événement. Mais c’est un travail, une construction complexe et sensible. Oui le cinéma enregistre le réel, mais non jamais cet enregistrement à lui seul suffit.

inglourious_basterds_02Inglourious Basterds de Quentin Tarantino

Désolé, ce n’est pas encore fini. Parce que cette visibilité construite, aujourd’hui encore plus qu’hier, ne passe pas par un rapport simple entre réalité et représentation même pensée. Il se joue sur un terrain, notre imaginaire, habité de multiples représentations préexistantes, représentations (références, images mentales, analogies…) dont le rapport avec l’événement réel est plus ou moins pertinent. Ces images pré-existantes, diffusées, ces clichés et ces archétypes que nous avons tous déjà dans la tête au moment d’imaginer un autre événement, sont le support sur et avec lequel nous construisons l’imaginaire d’un événement, lorsque les éléments nouveaux entre en collision et en combinaisons avec elles.

Ce matériau imaginaire, différent chez chacun mais massivement produit collectivement, est donc un enjeu majeur, qui peut lui-même faire l’objet d’un travail artistique. C’est exemplairement le cas d’Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Dire qu’il s’est trouvé des gens fort intelligents pour croire que le film se passe en 1944, et du coup se plaindre qu’il donnait une image fausse de l’histoire ! Alors qu’évidemment le film se passe aujourd’hui, non pas dans la France occupée par les Allemands mais dans nos esprits occupés par 60 ans d’images de guerre.

Il est possible de faire des images d’un événement, de tout évènement – et c’est difficile, même quand on a accès aux faits, même en direct, sans doute surtout dans ces cas-là. D’où que nous voyons en effet beaucoup d’images indignes, qui dissimulent et humilient, qui méprisent ce qu’elles montrent et ceux à qui elles montrent. Mais il ne sert à rien d’édicter des interdits généraux, ils seront toujours faux, et souvent dangereux. Seule la conscience critique de chacun face à des propositions d’image particulières (un film, mais aussi bien le Journal télévisé) est à même de dire, pour elle-même, si elle perçoit une ouverture sur le monde et sur la pensée ou un asservissement aux clichés, à l’ignorance et à la soumission. Et alors c’est en effet, pour celui qui regarde et qui pense, l’abjection dont parlait, il y a près de 50 ans, le critique Jacques Rivette.

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Invisible depuis 60 ans

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Accusation, dessin du Groupe Kukryniksy réalisé durant le Procès de Nuremberg.

Invité au New York Film Festival pour y accompagner la projection de Film : socialisme de Jean-Luc Godard, je découvre un surprenant et passionnant « film : justice » : Nuremberg, Its Lesson for Today. Ce film a été réalisé par Stuart Schulberg dans le cadre  du célèbre procès des dirigeants nazis qui eu lieu à Nuremberg, du 20 novembre 1945 au 1er novembre 1946. Stuart Schulberg était alors membre de la section de l’OSS dirigée par John Ford et affectée aux activités cinématographiques. Cette section reçut plusieurs missions extraordinaires en relation avec le procès de Nuremberg. Il s’agissait en effet à la fois du premier procès filmé de manière concertée, le cinéma étant utilisé par les autorités alliées comme outil d’éducation et de dénonciation, et du premier procès où le cinéma fut également utilisé comme élément de preuve sur une grande échelle dans le cours des débats eux-mêmes. Stuart et son frère Budd Schulberg eurent ainsi, avant le procès, la tâche de réunir des archives filmées et de les monter.

50879539L’écran de cinéma, élément important de la scénographie du Procès de Nuremberg

La plupart de ces archives témoignant des atrocités nazies étaient évidemment des films tournés par les nazis eux-mêmes. Dans ce contexte, Budd – futur scénariste et producteur de plusieurs films importants dont La Forêt interdite de Nicholas Ray – arrêta même Leni Riefenstahl dans son chalet de Kitzbühel pour la forcer à identifier les dignitaires figurant sur les documents retrouvés. Les archives retrouvées et montées par les frères Schulberg et les autres membres de l’équipe de Ford furent projetées sur le grand écran qui faisait partie de la scénographie du procès de Nuremberg. Ce film, connu sous le titre Nazi Concentration Camps, et au début duquel figurent les signatures des officiers supérieurs John Ford et George Stevens attestant de sa véracité, avait un objectif très particulier : non seulement montrer ou rappeler aux juges, avocats et témoins certains des effets de l’action des accusés, mais si possible déclencher des réactions révélatrices chez ceux-ci, les Goring, Ribbentrop, Hesse, Kaltenbrunner et consorts.

L’enregistrement du procès lui-même, confié à Stuart Schulberg, devait ensuite servir à l’édification de tous, grâce à la réalisation d’un film combinant prises de vue au tribunal et extraits des documents figurant dans Nazi Concentration Camps – et d’autres. On y voit en effet notamment un document resté inédit par ailleurs, et qui représente une des premières utilisations des gaz d’échappement comme moyen de meurtre collectif, probablement filmée par Arthur Nebe en personne, commandant des meurtriers Einsatzgruppe B.

Ce film, Nuremberg, ses leçons pour aujourd’hui se termine par le vibrant appel de « Justice » Robert Jackson, le procureur en chef du procès, qui contribue alors à jeter les bases de ce qui devait devenir la construction d’une justice internationale contre les criminels de guerre et les crimes contre l’humanité.

Le film de Stuart Schulberg fut brièvement montré en Allemagne en 1948. Sa sortie aux Etats-Unis début 1949 fut annulée : le film montrait les Soviétiques comme des alliés et les Allemands comme coupables des pires crimes, ce n’était plus d’actualité après le blocus de Berlin et à l’heure du Plan Marshall de reconstruction de la RFA. En outre, Universal, le studio qui devait le distribuer, avait indiqué que ses services de marketing ne voyaient pas comment montrer de telles images, dans des lieux, les cinémas, « où les gens vont pour se distraire ».

Durant 60 ans, le film disparut. C’est grâce à la fille de son réalisateur, Sandra Schulberg, qu’il est aujourd’hui accessible, restauré à partir des éléments tournés et avec un énorme de travail sur le son dû à Josh Waletzky. Le découvrir aujourd’hui, chargé de ce passé qui ne passe pas, est passionnant non seulement pour la valeur des documents ainsi rendus accessibles, et pour la manière dont le film met en jeu le rôle des images, mais pour les échos avec aujourd’hui qu’il suscite.

P1010123Après la projection, débat avec Richard Peña, directeur du Festival, Benjamin Ferencz, Aryeh Neier, Emilio DiPalma qui était un des soldats affectés à la garde des criminels de guerre à Nuremberg et Sandra Schulberg.

A l’heure des TPI, les partis pris, les questionnement et les ambitions du procès de Nuremberg suscitent des échos qui sont loin de ne concerner que les historiens. En témoigna le débat aussi animé que courtois, à l’issue de la projection, entre deux activistes de premier plan dans le combat pour les droits de l’homme par des moyens juridique. Guerrier couvert de médailles, ayant participé au débarquement en Normandie et à l’ouverture de plusieurs camps de concentration, Benjamin Ferencz fut le procureur général d’un autre procès à Nuremberg, contre les officiers supérieurs des Einsatzgruppe. Ce juriste est devenu, devant d’innombrables instances internationales, l’inépuisable combattant d’un pacificisme intransigeant. A ses côtés, Aryeh Neier, ancien directeur général de Human Right Watch et président de l’Open Society Foundations (la Fondation de George Soros) plaide de son côté pour une stricte distinction entre crimes contre l’humanité et activité militaire. Unis par une même condamnation sans faille des Etats-Unis dans leur refus de reconnaître les instances judiciaires internationales, les deux hommes, reprenant l’un et l’autre les arguments de Justice Jackson 60 ans plus tôt, eurent l’occasion de développer  deux argumentaires aussi brillants l’un que l’autre. Deux approches de la nécessité de construire les condition pour juger les criminels de guerre et les meurtriers de masse. Le sous-titre donné à son film par Schulberg il y a plus de 60 ans, « sa leçon pour aujourd’hui », semblait alors d’une vive actualité.

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