« Visite », voyage fantôme dans le passé et le futur

4639193_7_e373_le-cineaste-portugais-manoel-de-oliveira-a_24abb61a6b797c932cba2aed85deb34aVisite ou Mémoires et confessions de Manoel de Oliveira.

Durée : 1h10. Sortie le 6 avril.

Dans un des plus beaux films de l’histoire du cinéma, Nosferatu de Friedrich Murnau, figure cette célébrissime formule « Quand ils eurent passé le pont, les fantômes vinrent à leur rencontre. » Elle est devenue une façon de définir le cinéma lui-même, comme rencontre avec ces fantômes qui seraient le mode d’existence même des êtres réels lorsqu’est franchi le pont de l’écran et de la projection.

Innombrables sont les manières qu’auront eu ces fantômes d’habiter nos regards, nos émotions, nos esprits, au point qu’il a pu être dit que tout film digne de ce nom est, d’une manière ou d’une autre – et bien sûr sans que cela invalide ses multiples rapports à la réalité – un film de fantômes. Mais jamais peut-être les puissances fantomatiques mobilisées par le cinéma n’auront atteint ce degré de présence, d’efficience, de suggestion que suscite Manoel de Oliveira dans Visite. Pour partie volontairement, et pour partie bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer.

Le cinéaste portugais a tourné ce film en 1982. Il avait alors 73 ans, et derrière lui six longs métrages, et une dizaine de courts depuis Douro, faina fluvial en 1931. Visite est construit dans et autour d’une maison, maison bien réelle de la ville de Porto, ou le réalisateur a vécu 40 ans, mais qu’il s’apprête à quitter, contraint de la vendre. Cette maison, nous ne la verrons que vide, mais peuplée de voix de personnages qui l’explorent, celles d’amis visiteurs à la recherche du couple Oliveira avec qui ils doivent sortir en ville.

Maison fantôme, au bord d’entrer dans les limbes du souvenir, maison hantée de voix, et de récits de ce que fut l’existence de son propriétaire, Manoel de Oliveira, et de son temps. Le réalisateur lui-même raconte, parfois documents à l’appui (photos, films de famille, témoignages), ce qu’a été sa vie d’homme et d’artiste, à travers les remous de l’histoire, le fascisme version Salazar, la Révolution des œillets et ses suites, les amitiés, les rencontres, les péripéties, la famille. Comme énoncé non sans ironie, mais aussi par souci de clarté : « c’est un film de Manoel de Oliveira sur Manoel de Oliveira. »

Evidemment, c’est loin d’être uniquement cela. Visite raconte une histoire longue, complexe, peuplée et contée avec un humour aristocratique, où perce à de multiples reprises une profonde mélancolie, une sorte de fatalisme qu’effleure un demi-sourire.

Ce récit est un geste affectueux et mélancolique qui embrasse son pays, sa ville, sa maison, sa famille (le film est dédié à Maria Isabel, son épouse) et son propre parcours en ce bas monde comme trace que le cinéma peut conserver. Autre présence décisive, celle d’Agustina Bessa Luis, l’auteure du roman qui a inspiré le film immédiatement précédent d’Oliveira, Francisca (1982), qui sera sa scénariste et complice sur sept autres titres majeurs, et la signataire du dialogue de fiction qui accompagne la circulation dans la maison.

Ce film, cette évocation, cet autoportrait, Manoel de Oliveira avait exigé qu’il ne soit montré qu’après sa mort.

Ce n’est pas du tout un testament, et il ne contient guère de révélations ni d’indiscrétions. C’est, ou plutôt c’était, y compris avec le côté farceur qui fut toujours présent chez lui, une manière de s’installer du côté des fantômes, d’anticiper les puissances singulières qu’une telle mise à distance temporelle, et par delà le mur de la mort, permet. C’était peut-être aussi une façon de jouer avec une forme d’immortalité, de retour après sa disparition.

S’il arrive souvent qu’on retrouve des œuvres inédites d’un réalisateur après sa mort, on ne connaît pas d’autre exemple que cela ait été délibérément organisé par l’auteur lui-même, comme composant de la mise en scène de son film. Quand Oliveira réalise Visite et en définit les modalités de diffusion, il fabrique un dispositif temporel et artistique qui met en jeu certaines des puissances essentielles du cinéma, comme réserve de temps et dépassement de l’absolu de la mort – toutes ces notions qu’André Bazin a explicité dans les premiers chapitres de Qu’est-ce que le cinéma ? Encore Bazin et Oliveira ne pouvaient-ils envisager la question que dans une circulation entre passé (de l’enregistrement) et présent (de la projection).

En 1982, Oliveira ne peut pas connaître toutes les conséquences de son dispositif. Il était alors impossible de prévoir que ce récit d’un réalisateur âgé qui se penche sur son existence s’entendrait au travers d’une singulière chambre d’écho : celle d’un cinéaste signataire d’une œuvre immense, 31 longs métrages d’une incroyable audace et inventivité, dont 25 sont encore à venir lorsqu’il réalise Visite. Personne, Oliveira pas plus qu’un autre, n’a prévu ce que serait sa longévité (jusqu’à sa mort à 106 ans en 2015) mais surtout son incroyable fécondité.

Et c’est donc aussi au travers de cette gigantesque œuvre alors encore à venir que se visite à présent Une visite, que s’écoute ces Mémoires et confessions. La machine ne fonctionne pas seulement avec le passé, mais également avec le futur – du moment où est réalisé le film. Visite n’est pas la version sophistiquée des Visiteurs, c’est une réalisation concrète de La Jetée.
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“Midnight Special”: ouvrez la cage aux oiseaux (de feu)

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Midnight Special de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Adam Driver. Durée: 1h51. Sortie le 16 mars.

Il est amusant de voir la publicité annoncer avec le quatrième film de Jeff Nichols la révélation d’un nouveau Spielberg. Si le sens du spectacle cinématographique de l’auteur de Shotgun Stories, de Take Shelter et de Mud peut en effet être comparé à celui du signataire d’ET, c’est pour en faire un tout autre usage, voir pour affirmer un point de vue opposé et un désir de rupture.

Midnight Special est un conte à la morale assez simple: il faut que les enfants vivent leur vie, l’avenir leur appartient, les parents (et les autres pouvoirs, politiques, religieux, militaires, médiatiques) doivent accepter de les laisser un jour partir vivre leur vie. Soit l’exact contraire du message familialiste, de la prééminence des liens du sang et de l’appartenance à la cellule familiale, martelé sur tous les tons et, éventuellement, à grands renforts d’effets spéciaux par Spielberg.

Il est à cet égard légitime que le film porte le titre d’un song de Leadbelly, musicien noir qui a passé le plus clair de son temps dans un pénitencier près duquel passait ce train de minuit dont la lumière le faisait rêver de liberté. La liberté, dans un sens assez vague, est bien l’enjeu de la fuite dans la nuit de Roy, le père, aidé du policier passé dans le camp opposé Lucas, plus tard rejoints par la mère, Sarah et par Paul, un analyste de la NSA (le seul personnage spielbregien de l’affaire, mais dans un emploi très différent) pour amener le garçon de 8 ans, Alton, à sa mystérieuse destination malgré la mobilisation de la puissance et de la violence des autorités de tout poil.

De tous ces protagonistes, chacun typé d’une manière originale et assez ambivalente, à commencer par Michael Shannon déjà remarquable dans Take Shelter, la mère remarquablement sous-jouée par Kirsten Dunst est certainement la figure la plus singulière, dans un contexte où la pulsion animale de l’amour maternel est une loi quasi-absolue du scénario du cinéma mainstream contemporain, et son surjeu la règle de la part de toutes les actrices recrutées pour cet emploi.

Le seul protagoniste sans grand intérêt, être fonctionnel plutôt que fictionnel, est Alton, qui est moins un enfant qu’une idée. Si le film cherche à susciter l’identification, c’est avec les adultes qui l’entourent. Comme si Midnight Special n’avait pas à savoir, et encore moins à rendre partageable, ce dont cet enjeu de liberté, et de manière douloureuse, est porteur.

La liberté, c’est aussi celle que se donne Jeff Nichols, et celle qu’il offre à ses spectateurs –là aussi tout à fait à rebours du cinéma dont Spielberg est la figure exemplaire. Pas de manipulation du récit, mais une organisation lacunaire des informations qui laisse ouvertes de multiples hypothèses quant aux motivations des personnages et à la succession des événements. L’accès à des indices disséminés comme les repères d’une «plus grande image», qui ne sera jamais montrée, propose un rapport à la fois ouvert et codé à la fiction, d’un effet très heureux. (…)

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«Seul sur Mars», check-list pour un vol (plus ou moins) habité

Seulsurmars5Seul sur Mars de Ridley Scott, avec Matt Damon, Chiwetel Eliofor, Jessica Chastain, Jeff Daniels. Durée : 2h21. Sortie le 21 octobre.

Deux modèles étendent leur ombre, ombre de taille très inégale, sur ce séjour martien. L’un relève du réflexe pavlovien des grands studios hollywoodiens (décliner dès que possible une formule qui a marché), l’autre de l’inscription dans une longue tradition culturelle (adapter à un contexte contemporain un récit fondateur et largement connu, conçu dans un tout autre contexte). Le nouveau film de Ridley Scott s’inscrit donc en orbite croisée autour de Gravity et de Robinson Crusoé.

Du second, il conserve un peu du côté matériel, technique, quotidien. Dès lors que l’astronaute et botaniste Mark Watney est laissé pour mort sur la planète rouge par l’équipage dont il faisait partie, contraint de fuir devant une tempête, la description des techniques de survie, le bricolage créatif fournissent les meilleures scènes du film.

On y retrouve le plaisir principal du roman de Defoe (ou de L’Ile mystérieuse de Jules Verne), une histoire de garçon plutôt, de boyscout avec son Manuel des Castors Juniors et seulement un canif et trois allumettes dans la poche pour réanimer un monde vivable. Le visage, le corps et le jeu à la fois enfantin et viril, sans aucune sophistication, de Matt Damon conviennent parfaitement à la tâche.

Mais, pas plus que Gravity de surfaite mémoire, Seul sur Mars n’ose tenir le pari de la solitude. Du moins, immense avantage sur son prédecesseur, les retours sur terre destinés à meubler ne sont plus dévolus au crétinisme familialiste. Le contrepoint terrestre de l’aventure se joue entièrement chez les responsables de la Nasa, et ceux auxquels ils doivent rendre des compte (et demander de l’argent): les politiques et le public.

Bien que mise en œuvre de manière singulièrement naïve, pour ne pas dire bébête, la tension entre action et émission d’information fabrique le véritable et intéressant ressort du film.

Coté terre, la question est dédoublée en «on fait quoi?» (une nouvelle fusée? un vol cargo pour envoyer de la nourriture? une alliance avec les Chinois? le changement de trajectoire de l’équipage sur le chemin du retour?) et «on dit quoi?», «on raconte quoi?» (aux dirigeants, aux publics –traités ouvertement comme une masse de veaux– aux partenaires mi-ennemis mi-alliés de l’étranger, et à Mark Watney himself, bloqué à mille miles de toute terre habitée, mais relié par un fil de com).

Cette double question est symétrique de celle qui se pose au personnage principal, elle aussi divisée entre «je fais quoi?» (pour faire pousser des patates sur Mars et traverser un désert rouge plus vaste que toute l’œuvre de Michelangelo Antonioni) et «je sais quoi?». Et ça, ça fait un scénario qui tourne, la mécanique de Seul sur Mars.

Scénario intéressant, aussi, par sa manière de jouer sur une autre limite. Le titre est lourd de malentendu. Assurément Watney est seul sur sa planète, pas de Vendredi en perspective, ni d’E.T., ni expérience de l’«autre» ni utopie d’un monde plus grand et plus riche que ce que nous en savons. (…)

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“Interstellar”, poussif vaisseau spatial

Interstellar-2014-Poster-WallpaperInterstellar de Christopher Nolanavec Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Michael Caine, Jessica Chastain. Sortie le 5 novembre | Durée: 2h49

Le dixième long métrage de Christopher Nolan est un étrange engin spatiotemporel, dont l’aérodynamisme reposerait sur une base énorme et assez informe qui irait en s’effilant à mesure que le film avance.

Les premiers étages de l’énorme fusée (une bonne heure et demi) sont fabriqués avec un amalgame de thèmes convenus, ponts aux ânes de la science-fiction fermement agrippée à la mythologie américaine. Curieusement, tout y est à la fois schématique et empesé, la description d’une vie sur terre tentant de réinventer une possibilité de survie après une catastrophe écologique qui revient pourtant, l’existence d’être surnaturels guidant l’humanité vers une possible rédemption, l’envoi d’une mission spatiale pour découvrir dans une autre galaxie une planète alternative, les paradoxes temporels associés au voyage à travers les années-lumières et à proximité des trous noirs.

A quoi s’ajoute la très prévisible triple dose de sentimentalisme familialiste, cette fois à base de relation fusionnelle papa-pilote de fusée et fifille visitée par des visions. Deux excellents acteurs, Matthew McConaughey et Jessica Chastain sont ainsi réduits à des emplois crispés sur une grimace pour elle, deux pour lui.

On sait que l’espace réel est encombré par des tonnes de débris, l’espace du cinéma de SF est, lui, encombré de débris des précédents films dans le même contexte, et si 2001 et Gravity sont ici les deux références les plus évidentes, le vaisseau spatial armé par Nolan ne cesse de télescoper d’innombrables autres scories, qui ne peuvent que ralentir sa course. Le réalisateur recroise même certains de ses propres reliefs, par exemple lorsque la seule idée pour inventer (encore!) une planète inconnue à l’écosystème inédit est de faire surgir d’une mer uniformément plate des vagues vertigineuses, mais qui sont surtout des réminiscences de l’extraordinaire soulèvement des immeubles parisiens dans Inception.

Il y a en effet une grande différence entre remettre sur le métier les motifs de prédilection d’un auteur (ce qui est bien l’enjeu de ce film) et recycler des trouvailles visuelles, surtout si elles sont nettement moins intéressantes la deuxième fois. Les motifs de prédilection de Christopher Nolan, qui vont finir par s’installer au cœur du film et lui offrir sa matière la plus intéressante, concernent deux enjeux liés mais tout de même différents et qui, ensemble, fournissent une assez belle approximation de ce qu’est le métier de metteur en scène.

Il s’agit du temps, et s’il s’agit de la possibilité de composer, d’associer, de synchroniser des composants hétérogènes. La remise en cause du caractère linéaire et à sens unique du temps était le sujet même du premier film qui fit remarquer Nolan, Memento, et le matériau travaillé avec finesse, inventivité et brio par Inception. La puissance de transformation du monde, ou de la perception du monde, grâce à la bonne coordination d’actions et de personnes, était la clé du passionnant Le Prestige, un des meilleurs films sur le spectacle (donc sur le cinéma et sur l’organisation sociale) des 20 dernières années.

Cette fois-ci, tout l’énorme arsenal d’arguments plus ou moins scientifiques, de gadgets visuels, de débordements sentimentaux et d’énigmes magiques qui constituent les premiers deux tiers vise à finalement créer l’occasion de mettre en scène de manière explicite une succession de synchronisations –entre humains et robots, entre homme et femme, entre deux machines en principe inaptes à se brancher l’une sur l’autre, entre générations… Et surtout, grâce à un pur coup de force de mise en scène, entre des êtres séparés par des milliards de kilomètres et par des décennies. (…)

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Pourquoi «Lucy» est le premier bon film de Luc Besson depuis «Jeanne d’Arc»

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Lucy de Luc Besson, avec Scarlett Johansson, Morgan Freeman, Min-sik Choi. Durée: 1h29. Sortie le 6 août.

Lucy est le premier bon film de Luc Besson depuis 15 ans –depuis Jeanne d’Arc, en 1999.

Pour mieux se faire comprendre, il faudrait l’écrire différemment: Lucy est le premier bon-film-de-Luc-Besson depuis 15 ans. En effet on ne se soucie pas ici d’évaluer si Lucy est un «bon film» en général, pour autant qu’on sache ce que c’est, mais de souligner que c’est un «bon-film-de-LB».

Qu’est-ce qu’un «BFdLB»? Un film énergique, spectaculaire et finalement touchant qui raconte toujours la même histoire: la construction d’une héroïne. Soit le sujet commun des autres BFdLB, Nikita, Léon, Le Cinquième Elément et Jeanne d’Arc.

Depuis, surtout absorbé par son immense projet industriel dont les principaux accomplissements sont sa société Europacorp et la Cité du cinéma en banlieue de Paris, les incursions dans la réalisation ont parfois essayé de broder sur le même thème, avec les très ratés Adèle Blanc-sec et The Lady, et parfois esquissé des pas de côté, le très oubliable Angel-A et le complètement nul Malavita –sans oublier ces profitables et totalement inintéressantes digressions que furent les deux Arthur animés.

Cette fois, le réalisateur Luc Besson est bel et bien de retour, avec un film qu’il a écrit et qui relève de ce que, comme auteur, il fait de mieux: inventer un chemin qui donne naissance à une figure féminine exceptionnelle.

Lucy est même la figure la plus ambitieuse qu’il ait conçu sur ce schéma. Bien servi par le charme graphique, ou mieux, design, en tout cas pas du tout érotique, de Scarlett Johansson telle qu’il la filme, il engendre une créature qui va acquérir en elle-même plus de super-pouvoirs que tous les Gardiens de la Galaxie réunis: une jeune femme qui n’aurait pour elle que le plein usage de ses moyens –des moyens dont tout un chacun dispose, mais est d’ordinaire incapable de les utiliser.

Sous le couvert de son utopie scientifique (l’hypothèse d’une personne pouvant mobiliser 100% de ses capacités cérébrales), le mécanisme est un bel éloge au développement du potentiel dont tout être humain est détenteur.

Il y a, pour Lucy comme pour Nikita, pour la Mathilda de Léon, pour Leeloo dans Le Cinquième Elément et pour sa Jeanne d’Arc, quelque chose de très généreux dans la manière lui faire conquérir progressivement les degrés d’une capacité d’action exceptionnelle –celle de Lucy allant bien plus loin qu’aucune autre auparavant.

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A toi. Et pas à toi.

Her, de Spike Jonze | avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams | durée: 2h06 | sortie: 19 mars 2014

j-phoenixDans une ville américaine de demain, d’après-demain, Theodore, quadragénaire qui sort d’une histoire d’amour mal terminée, mène à Los Angeles une vie terne tout en excellant dans son travail: écrire pour d’autres des lettres personnalisées, déclarations d’amour, de félicitations ou de tendresse. Sans attente particulière, il acquiert OS1, un nouveau système d’exploitation plus performant pour son ordinateur et ses appareils connectés.

Bien sûr, comme la quasi-totalité de ce qui constitue son existence se trouve dans les différents disques durs (l’organisation de son temps, ses contacts, ses courriers personnels, ses goûts et ses désirs), OS1 peut en effectuer la synthèse, proposer des solutions. Il apparaît qu’OS1 est un bon système logique, capable d’inventer à partir des données dont il dispose.

Pour interagir de manière plus simple et plus agréable, le logiciel se dote d’un nom, Samantha, et d’une voix de jeune femme. Samantha se montre attentionnée et subtile, avec du caractère et le sens de l’humour. En sa compagnie, même virtuelle, Theodore reprend goût à l’existence.

Comme il se doit, surtout dans un film hollywoodien, Theodore et Samantha tomberont amoureux. Que Samantha n’ait pas de corps, que d’autres, à commencer par l’ex de Theodore, puissent trouver cette liaison malsaine, et qu’OS1 soit aussi le système d’exploitation de millions d’autres usagers (sous le nom de Samantha pour quelques milliers) seront certains des principaux obstacles à leur relation. Mais comme on sait, nobody’s perfect. Pas même un programme informatique.

Spike Jonze a reçu l’Oscar du meilleur scénario pour ce film, c’est une des rares statuettes qui n’ait pas été stupidement attribuée cette année –rien d’inhabituel, pas de quoi s’énerver… Mais Her est bien davantage qu’un récit astucieux inspiré par la dépendance croissante des humains envers leurs outils numériques et une habile composition dramatique. Sa réussite est surtout le fruit de sa mise en scène, mise en scène dont fait partie l’interprétation de l’excellent Joaquin Phoenix.

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Dynamique de l’adaptation

Snowpiercer, Le Transperceneige de Bong Joon-ho avec Chris Evans, Song Kang-Ho, Ed Harris | En salles le 30 octobre 2013 | Durée: 2h05

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Il y a une bande dessinée française des années 1980 devenue culte. Il y a un casting international de prestige (Ed Harris, Tilda Swinton, Chris «Captain America» Evans, John Hurt) et de gros moyens en effets spéciaux. Il y a un excellent réalisateur sud-coréen, Bong Joon-ho, auteur d’une oubliable pochade estudiantine, Barking Dog (2000) et de trois très bons films, Memories of Murder (2003), The Host (2006) et Mother (2009), le deuxième de la liste l’ayant imposé bien au-delà de la reconnaissance dans son propre pays et chez les cinéphiles occidentaux. Tout cela fait d’incontestables ressources, et les ingrédients d’un prévisible méga-bidouillage artificiel et tape-à-l’œil.

Et voici que pas du tout.

L’histoire du Tranceperceneige-le film (celle de la BD écrite par Jacques Lob et dessinée par Jean-Marc Rochette, Benjamin Legrand ayant succédé à Lob pour le scénario pour les albums 2 et 3, est assez différente), on l’a vue, ou lue, cinquante fois: c’est celle d’une révolte des misérables contre des très riches dans une société du futur fermée comme un œuf, ce qui n’empêche certes pas d’y voir des métaphores contemporaines.

Que le «monde du futur» soit ici un train roulant infiniment sur une planète dévastée et gelée plutôt qu’une cité souterraine ou une bulle de survie sur une planète refuge ou un vaisseau spatial échappé de la catastrophe ultime pourrait n’être qu’anecdotique.

Or pas du tout.

Et il est passionnant d’essayer de percevoir ce qui permet la réussite d’un film dont presque tous les composants sont on ne peut plus conventionnels.

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Un TRON de retard

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Deux remakes dominent cette semaine de cinéma. Tous les deux sont des curiosités. Darren Aronofsky, le Bouguereau de Hollywood, nous sert, deux ans après, le remake de son Wrestler, avec cette fois Nathalie Portman dans le rôle de gros catcheur torturé (déguisé en ballerine flippée). Black Swann tartine la psychologie, l’imagerie, les poncifs et les effets de performance (du personnage et de l’interprète) avec la même lourdeur racoleuse. On attend (sans impatience) l’installation qui mettra les deux films en parallèles pour une étude comparée…

L’autre remake est plus intéressant, ne serait-ce que parce qu’il s’inspire, lui, d’un film majeur, en tout cas d’un film qui a marqué son époque. Tron, celui réalisé en 1982 par Steven Lisberger, inventait du même élan la description de l’univers numérique qui alors avait à peine commencé de se mettre en place et les moyens visuels originaux pour raconter cette histoire-là. Film visionnaire au scénario compliqué, Tron fut un échec commercial et son réalisateur ne devint jamais célèbre, mais le film reste un jalon décisif dans l’histoire des effets spéciaux et dans la prise de conscience qu’un autre rapport au réel était en train de se mettre en place – pas seulement au cinéma ni dans les jeux vidéo, mais dans la vie de tous les jours. Lire la suite…

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