Mercredi prochain 31 août sort sur les écrans un film promis à un beau succès, Divines de Houda Benyamina. Très bien accueilli lors de ses projections à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, il a en outre reçu la prestigieuse Caméra d’or, supposée récompenser le meilleur premier film du Festival, toutes sections confondues.
Le film raconte les tribulations de deux jeunes filles d’une cité de banlieue, une Arabe et une Noire, qui à force d’énergie, de ruse, de trafics et de violence parviennent à acquérir ce dont elle rêvent, luxe et pouvoir, écrasant au passage les rivaux non sans subir elles-mêmes des épreuves multiples.
Saturé d’une énergie de clip survolté, entièrement soumis à la fascination pour la consommation et la domination, Divines imite les vidéos de rappeurs qui surjouent la violence, l’arrogance et tous les excès de l’argent et de la force, et qui séduisent tant de jeunes gens dans le monde.
Petite machine efficace et racoleuse, Divines n’aurait aucune raison de susciter le moindre intérêt, s’il n’était un symptôme très significatif de ce temps. Tout ce que font les héroïnes du film, aussi bien que tout ce qui constitue sa réalisation, reconduit les mécanismes de l’oppression, de l’aliénation, des appétits manipulés.
Mais le plus significatif, et le plus désolant, est l’accueil enthousiaste réservé au film par des spectateurs, festivaliers et commentateurs dont nul ne doute (surtout pas eux-mêmes) qu’ils sont d’ardents défenseurs de l’idée de banlieues moins inégalitaires, moins soumise aux injustices, à la violence, à la misère, au racisme et au sexisme.
Et qui, parce que ce film roublard en met plein la vue avec ses héroïnes customisées comme des figurines de jeu vidéo (femmes,jeunes, pauvres, issues de minorités, la totale), ovationne un pur produit de ce que l’excellent Monsieur de La Boétie appelait déjà il y a quelque 470 ans la servitude volontaire.
Une servitudes parée ici du clinquant du fric et du glamour, du kif irépressible pour la célébrité sur réseaux sociaux et de l’éclate comme speed permanent, selon un système qui se croit ludique, voire même libertaire, et qui est la traduction à l’état chimiquement pur des mécanismes du marché et de la domination.
lire le billetQuentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet dans Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin
Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin. Avec Quentin Dolmaire, Lou Roy-Lecollinet, Mathieu Amalric, Olivier Rabourdin. Durée: 2h. Sortie le 20 mai.
Au Festival de Cannes, des films, il y en a tous les jours. Plein. Des très bien, et des moins bien… Et puis il arrive qu’un seul éclipse tous les autres; un film qui se détache si évidemment du lot qu’il n’y aurait pas grand sens à en parler parmi les autres, dans le flux. Un film aussi dont on sait déjà que quand l’excitation cannoise sera retombée, il sera toujours là, il restera. Bonne nouvelle pour tous ceux qui ne sont pas au Festival, ce film, Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, sort en salle dans toute la France mercredi prochain 20 mai.
Dès le début, c’est là-bas, mais ici. Aujourd’hui, mais autrefois. Lui, mais pas le même –et pourtant si, tel qu’en lui-même enfin la vie le change. Lui, Paul, Paul Dédalus. C’était le nom du personnage joué par Mathieu Amalric dans le deuxième long métrage d’Arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), en 1996. On retrouve Amalric, il est… au Tadjikistan, il s’en va, rentre en France. Il dit «Je me souviens».
Il se souvient de son enfance, de sa jeunesse, qu’on verra –on ne verra plus beaucoup Mathieu Amalric, on verra l’enfance et la jeunesse de Paul. C’est un peu le personnage du film de 1996, c’est beaucoup Desplechin lui-même, c’est passionnément une figure romanesque –et donc, dans sa singularité, un miroir pour chacun.
Chacun, pas chacune. Trois souvenirs de ma jeunesse est l’histoire d’un garçon. Ce qui, assurément, ne signifie pas qu’elle ne concerne pas les filles. On y trouvera un des plus beaux portraits féminins jamais composé par une fiction –livre, film ou tableau– et bien des choses qu’il serait heureux que les femmes sachent des hommes.
Un film en trois parties, alors? Oui, et non. La première partie se nomme «L’Enfance». On y retrouve la grande demeure hitchcockienne en crise où se situait L’Aimée, plaisamment présenté à l’époque (2007) par le réalisateur comme un documentaire sur sa maison familiale à Roubaix. Paul, maman, papa, petit frère: la tempête.
La deuxième partie s’appelle «Russie». Paul est au lycée, il part en voyage scolaire, il a une mission secrète dans ce qui est encore l’Union soviétique. C’est une aventure, une vraie, comme dans Tintin et parfois dans la vie.
La troisième partie s’appelle «Esther». C’est l’histoire d’amour entre Paul et Esther. C’est le film lui-même. Mais qui ne serait pas ce qu’il est sans les deux premières parties. Compliqué? Pas plus qu’une existence d’homme. L’existence de Paul, pour qui rien ni personne n’équivaudra jamais la folle, la sage, la rêveuse et jouisseuse et parleuse et écriveuse et taiseuse et fantasque et radicale et exigeante et malheureuse et capricieuse et juste et injuste Esther. Vivante. C’est comme ça.
Le Mur de Berlin tombe. Ça aussi, c’est comme ça –le monde, l’histoire. On est dedans. On marche dedans.
Stanislas Mehrar et Clotilde Courau dans L’Ombre des femmes de Philippe Garrel, en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs
Hier, une fois n’est pas coutume, la Sélection officielle s’est ouverte avec un bon film, La Tête haute d’Emmanuelle Bercot. Aujourd’hui, la Quinzaine des réalisateurs ouvre avec un film magnifique, L’Ombre des femmes de Philippe Garrel. Ne serait-ce que pour le titre, en cette année où les organisateurs ont fait des efforts insistants (trop?) pour afficher la présence des femmes à Cannes, surjouant la contradiction aux attaques dont le Festival avait fait l’objet les deux précédentes années sous l’accusation de manque de présences féminines au sein de la sélection, le film aurait été bienvenu en compétition.
Mais il est tout aussi à sa place en ouverture d’une section créée par des cinéastes, et pour valoriser le rôle central du metteur en scène. Nul peut-être ne l’incarne plus parfaitement que Philippe Garrel, depuis… hé bien depuis la même époque que la création de la Quinzaine elle-même. Le Lit de la vierge figurait d’ailleurs dans la première édition de la section crée alors, dans le sillage de Mai 68, par la Société des Réalisateurs de Films (SRF), en 1969.
L’Ombre des femmes? C’est la plus simple, la plus commune des histoires. Un couple, ils s’aiment mais bon ce n’est plus tout à fait ça. Monsieur rencontre une autre jeune femme. Un canevas de boulevard si vous voulez. Ou plus ou moins l’argument de nombre de précédents films du même réalisateur, pratiquement tous avec les mêmes moyens stylistiques, ce noir et blanc somptueux, comme jailli d’un incunable du cinéma, et que les grands chefs opérateurs de la Nouvelle Vague (Lubtchansky, Coutard, Kurant, cette fois Renato Berta) déploient pour Garrel, composant une longue route de lumière et d’ombres.
Qu’il se renouvelle en changeant un peu les générations, et beaucoup les visages (on n’attendait pas forcément Stanislas Mehrar, 25 ans après Le Petit Criminel de Jacques Doillon on redécouvre avec la puissance d’une évidence Clotilde Courau, cette actrice de première force), n’est pas l’essentiel. L’essentiel est ailleurs, aujourd’hui comme sans cesse depuis bientôt 50 ans qu’il filme. Philippe Garrel est de longue date un réalisateur qui fabrique avec soin ses films. Il travaille désormais avec pas moins de trois coscénaristes –Jean-Claude Carrière rejoignant cette fois Caroline Derruas et Arlette Langmann. Mais écriture et soins, et acteurs doués ne sont que des contrepoints de l’essentiel: Garrel met en scène comme il respire. (…)
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