Jour 1 Luhrmann
Jour 2 Ozon et Escalante
Jour 3 Jian Zhang-ke (et Farhadi)
Jour 4 Desplechin
Jour 5 Lanzmann
Jour 6 Le rapport Lescure
Jour 7/a Coen Brothers et Soderbergh
Jour 7/b Claire Denis
Jour 8 Refn et Miike, cinéma de genre
Jour 9 Kechiche
Jour 10 James Gray
Jour 11 Jarmusch et Rassoulof
Jour 12/a Pronostics
Jour 12/b Les sections parallèles
Jour 12+1 Palmarès
lire le billetJudith Godrèche, Catherine Deneuve et Karine Viard
L’actrice est l’enjeu même d’une comédie loufoque qui multiplie les artifices pour approcher la vérité.
Dans la rue, on regarde les affiches, les têtes des six acteurs principaux, avec les post it. On songe peut-être au jeu mortel sur ce principe, qui est la scène centrale d’Inglourious Basterds. Chez Tarantino était brutalement posée la question: mourir de correspondre, ou pas, à une identité assignée, visible seulement par les autres. On se doute qu’avec Potiche ça ne meurt pas, la tonalité est toute autre. Mais l’enjeu n’est pas moindre, ni très différent. Sans avoir vu le film, on peut jouer à rétablir le bon agencement, associer chaque personnage à son étiquette, c’est aussi facile que les identités fabriquées pour une partie de Cluedo. Mais il y en un qui ne marche pas, une plutôt: Catherine Deneuve. Par élimination, il faudra bien qu’elle se retrouve avec le label «femme au foyer», mais ça ne colle pas. Tout est là.
Quand le film commence, on la découvre en train de faire un jogging en pleine campagne, vêtue d’un improbable survêtement rouge. Les couleurs, les mouvements, jusqu’aux animaux de la forêt filmés trop mignons comme des personnages de Walt Disney, puis aussitôt s’enfilant avec ardeur, établissent le drôle de monde où se passe Potiche. On sourit, on est un peu gêné, on est pris au dépourvu. Catherine Deneuve écrit dans son petit carnet.
lire le billetParmi les sorties du 27 janvier, un nombre inhabituel de beaux films, menacés de passer inaperçus.
Douze nouveaux films en salles cette semaine, c’est beaucoup et pourtant nullement exceptionnel, depuis que la moyenne s’établit du côté des 14 ou 15 nouveaux titres hebdomadaires. Mais si on veut bien considérer que les énormes succès sortis à la fin de l’année, Avatar et Invictus continuent d’occuper à eux seuls plus de 1100 écrans (sur un total de 5500 en France), ce nouvel arrivage a forcément du mal à trouver sa place. Mais surtout, ce qui est renversant à la lecture des sorties de la semaine, c’est l’accumulation de films véritablement importants, d’œuvres singulières qui auraient chacune méritée une attention, une écoute, une disponibilité – des médias d’abord, de ceux qui aiment le cinéma et désirent être en mesure de se rendre compte par eux-mêmes de ce qui advient d’inventif en ce domaine. Voilà la liste des sorties, avec le nombre d’écrans sur lequel chaque film sort, et qui souligne l’extraordinaire disparité de visibilité, d’accessibilité entre ces nouveautés : La Princesse et la grenouille (712), Océans (595), In the Air (306), Le Refuge (124), La Baltringue (90), Mother (40), Sumo (39), Ne change rien (11), Chaque jour est une fête (5), Suite parlée (4), The Rebirth (3), Were the World Mine (2).
Je ne me soucie pas de commenter tous ces films, mais d’essayer d’attirer l’attention sur cinq d’entre eux , qui chacun aurait mérité une attention supérieure à ce qui est presqu’inévitablement leur lot dans de telles conditions de sortie: Mother, Le Refuge, Ne change rien, Suite parlée, The Rebirth.
Kim Hye-ja dans Mother de Bong Joon-ho
Mother de Bong Joon-ho, le mieux remarqué, est pourtant accueilli très en-dessous de ce que mérite ce film incroyable de vigueur, d’étrangeté, d’émotion à la fois intense et complexe. Remarqué avec son deuxième film, Memories of Murder, consacré avec le suivant, The Host, le jeune réalisateur coréen est à l’évidence un de ces rares cinéastes qui possèdent, outre les codes du cinéma de genre, la capacité à la fois de pousser à des sommets encore inédits ce qu’on peut en attendre (ici dans les registres du mélodrame familial et du film noir, aux franges de l’horreur), et d’emporter son film – et ses spectateurs avec lui – sur un territoire complètement inconnu. A quoi il faut ajouter un travail d’acteurs exceptionnel, non seulement de la part de l’actrice principale, mais de tous ceux qui l’entourent. Bong Joon-ho est sans doute un des plus grands cinéastes de sa génération, mais il semble que ce n’est pas cette fois-ci qu’on va s’en aviser.
Isabelle Carré et Louis-Ronan Choisy dans Le Refuge de François Ozon
Quant à François Ozon, il poursuit décidément une passionnante trajectoire, à la fois inventive et cohérente. Après l’admirable et mal compris conte baroque Angel, après l’ébouriffant Ricky, il explore avec Le Refuge une variation nouvelle de ce qui habite et porte son cinéma depuis toujours: l’impétuosité et les enchevêtrement des pulsions de vie, au défi de tous les obstacles. Avec une sincérité joueuse, il offre ainsi cette fois sans doute la plus libre approche de l’enfantement et de la maternité qu’on ait vu au cinéma depuis des lustres. Il le fait avec le concours d’une actrice qui jamais sans doute ne fut aussi bien filmée, Isabelle Carré, et d’un jeune acteur (et musicien) qui est une révélation, Louis-Ronan Choisy.
Jeanne Balibar dans Ne change rien de Pedro Costa
Les trois autres films appartiennent, surtout dans l’esprit de ceux qui ne les ont pas vus, à une sorte de marginalité. Ce sont pourtant, dans des registres très différents, trois expériences de cinéma aussi touchantes que passionnantes. Dans Ne change rien, Pedro Costa filme Jeanne Balibar préparant un spectacle de chant classique. Moi j’aime Jeanne Balibar, la personne et l’artiste, sa voix, sa présence à l’écran et en scène. Tout le monde n’est pas de cet avis. Cela n’a aucune importance en ce qui concerne ce film. Parce que ce dont s’occupe Pedro Costa est moins d’une chanteuse et actrice, ni même du chant, que de l’aventure extraordinaire que peut être, si on sait regarder et écouter, un être humain au travail. Travail physique, ô combien, et dont la caméra capte les efforts et les modulations, travail de l’esprit qui contrôle et qui laisse aller, qui s’élance et qui se protège, travail des nerfs et du corps tout entier, risque de l’inconnu, victoires et défaites vécues avec une intensité admirablement perçue. Aventure, oui, au-delà du cas particulier auquel on assiste : là où se joue, dans le contrôle de soi et l’abandon de soi, dans le boulot quotidien et la capacité à aller où on ne fut jamais, le dur et beau métier de vivre en être humain.
Bruno Lochet dans Suite parlée Marie Vermillard et Joel Brisse
Avec Suite parlée, Marie Vermillard poursuit l’œuvre ébauchée l’an dernier avec Petites Révélations : la mise à l’épreuve, par la petite forme de brèves rencontres, des modes de récit et de représentation du cinéma, sur le terrain des sensations et des émotions. Elle filme ici, comme autant de portraits qui seraient ceux d’une parole autant que d’un visage, vingt-trois comédiens, chacun racontant une histoire écrite par le co-réalisateur, Joël Brisse. Histoires tristes ou drôles, souvenirs intimes ou rêveries fantastiques, petits cailloux d’un imaginaire singulier, et qui pourtant murmure à l’oreille de chacun. Les images sont là, dans la présence et la voix de chaque acteur. Quel est ce mystère qui nous les fait percevoir, en même temps que la présence des visages d’hommes et de femmes devient comme un écran où adviennent des drames, des comédies et des contes fantastiques. Nous en savons le nom, même si nous ne savons toujours pas comment ça marche: cela s’appelle l’incarnation.
Masahiro Kobayashi et Makiko Watanabe dans Rebirth de M. Kobayashi
Léopard d’or du Festival de Locarno, Rebirth de Masahiro Kobayashi est une tragédie optimiste, d’une beauté tendue et envoutante. Dans un décor de bout du monde, deux être au bout d’eux-mêmes et qui devraient se haïr élaborent dans la répétition des gestes du quotidien la possibilité d’une autre relation. Œuvre véritablement kafkaïenne, notamment par l’importance de l’humour dans la description de ces rituels infimes et terrifiants, Rebirth est un film où chaque moment recèle une vibration particulière, et qui mobilise chez ses spectateurs des formes d’attention, de disponibilité à ce qui advient, de vibration à d’infimes variations, qu’ils ne se savaient pas posséder. Pas mal comme cadeau.
lire le billet