Pour l’amour de Laurence

Laurence Anyways de Xavier Dolan

Melvil Poupaud dans Laurence Anyways de Xavier Dolan

On avait considéré avec une affectueuse ironie la protestation de son auteur, le tout jeune Xavier Dolan, regrettant publiquement d’être privé de la possibilité d’obtenir une Palme d’or, faute d’être en compétition. Mais c’est qu’il avait raison le bougre ! Et qu’on ne s’explique pas que son film n’ait pas été préféré à nombre de produits plus prévisibles et formatés qui ont encombré  la section reine du Festival. Laurence Anyways raconte l’histoire d’un homme qui, à 35 ans, proclame à ses proches ce qu’il sait depuis longtemps : qu’il est en réalité une femme, qu’il se sent femme. Le film l’accompagnera durant dix ans à la suite de ce coup de Trafalgar, soit les dix dernières années du 20e siècle.

Laurence Anyways n’est pas réductible à un film sur la transsexualité, ou l’identité sexuelle, ou même la liberté de choisir qui on est. C’est d’abord une étonnante histoire d’amour, entre Laurence et une jeune femme nommée Fred.  C’est l’histoire de quelqu’un, de quelques uns, L, F, la maman de L, la sœur de F, et une poignée d’autres. C’est aussi, ou surtout, une tempête d’images, un bonheur de filmer, de filmer fort, de filmer juste, d’être avec ceux qu’on filme pour les accompagner ailleurs, jouer avec eux (et donc aussi avec les spectateurs). Un, cinq, dix jeux, à la suite et à la fois, des pistes qui bifurquent, des listes comme en faisait la princesse japonaise Sei Shônagon, une brique peinte en rose sur un immeuble bourgeois de Trois-Rivières, les Five Roses, délicieux travestis dépositaires de toutes les chansons du monde, un orage de feuilles mortes à Montréal, le procès injuste mais imparable du chocolat noir, des pluies d’habits colorés comme un rêve de Jacques Demy, une île qu’on croirait inventée par Hergé, et un tourbillon ininterrompu d’émotions faites lumières, sons, rythmes et mots.

Et au cœur de tout ça l’admirable et renversant et complètement craquant Melvil Poupaud, si étonnant qu’on pourrait manquer de saluer ce que fait, tout à fait remarquable également, Suzanne Clément, qui joue Fred – et un des plus beaux rôles de Nathalie Baye, qui pourtant n’en manque pas.

Laurence Anyways dure dix ans, et 2h39, Xavier Dolan a tout fait, le scénario, le montage, la production, les costumes dont des capes de héro violet où Prince paraît percuter le Petit Prince – mais n’est-ce pas justement lui, XD, cet enfant bizarre descendu d’une planète trop petite ? Lui qui sait filmer la Cinquième Symphonie en 1/33, le format fondateur du cinéma, et c’est la modestie du cadre portée à incandescence par le romantisme revendiqué en même temps que tendrement moqué, mais aimé sans détour.  Cinéma, anyways.

(Reprise de la critique publiée lors de la présentation du film dans la section Un certain Regard du Festival de Cannes)

 

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