«Les jours venus»: Romain Goupil, même pas vieux

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Les Jours venus de Romain Goupil. Avec Romain Goupil. Et Sanda Charpentier, Emma, Clémence, Jules, Caroline et Odette Charpentier, Pierre et Sophie Goupil, Valeria Bruni-Tedeschi, Marina Hands, Noémie Lvovsky, Jackie Berroyer, Florence Ben Sadoun, Esther Garrel. Et aussi, brièvement, Daniel Cohn-Bendit, Arnaud Desplechin, Rémy Ourdan, Mathieu Amalric, André Glucksman, Alain Cyroulnik… Durée: 1h30. Sortie le 4 février.

Il y a le jour. Et les jours.

Le jour, c’est celui de sa propre mort, dans la formulation contournée du marchand de pompes funèbres, expliquant ce qu’il conviendra alors qu’il soit fait, et ce qu’il est même souhaitable de faire d’ores et déjà en vue de cette inéluctable et statistiquement de moins en moins lointaine occurrence.

Les jours, ce sont ceux qui sont advenus, depuis la naissance du petit Romain jusqu’à exactement aujourd’hui, maintenant. Ils sont venus, ces jours, ils ne sont pas entièrement partis. Ils ont laissé des traces, ils ont fabriqué quelque chose. Le Romain de maintenant, justement, celui qui se dirige vers «le» jour à venir, comme tous les vivants, et qui le sait, comme tous les humains.

Humain et vivant il l’est, ce Romain-là, grand corps un peu raide, grande gueule un peu de même, séducteur, naïf, filou, amoureux, batailleur. On le connaît un peu, il a fait des films, il vient de temps en temps à la radio, à la télé, dans les journaux. Il s’adresse à ses spectateurs comme si c’était ses potes, pour raconter un peu de son histoire, de ses angoisses, de ses espoirs, de ses doutes.

Un peu d’une existence pas comme les autres (aucune existence n’est comme les autres), et pourtant avec des bouts d’échos plus ou moins directs, plus ou moins audibles, avec celles de tant d’autres, mais très loin de la sociologie, de la statistique, de l’échantillon représentatif. A grandes embardées dans son parcours personnel, qui est aussi un bout de l’histoire du monde de ces cinquante dernières années, de Mai 68 à Sarajevo, de Hô Chi Minh à Daech.

Bande-annonce des Jours Venus

En France, une bonne part du dernier semestre de 2014 a été consacré à la promotion rétrospective du cinéma de Claude Sautet, réalisateur très estimable qui fut entre autres choses le chroniqueur affectueux et attentif du vieillissement de sa génération, celle qui était déjà vieille à 50 ans, en 1975. Goupil a l’air de faire la même chose, et fait le contraire. Il doit régler ses problèmes de points retraites et accompagner des vieux potes à l’hosto, ou dans la tombe, mais en 2015, à plus de 60 ans, il n’est pas encore vieux.(…)

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En envol

Très vite, Après Mai d’Olivier Assayas émet quelque chose de singulier. Une manière d’être au présent, son présent. Au tout début des années 70, dans un lycée d’une banlieue plutôt chic, un élève et ses copains participent de l’élan qui porta une grande partie de la jeunesse de ces années-là. Activisme politique, violence et rhétorique, transgressions diverses colorent en profondeur ce qui est l’aventure de toute adolescence, confrontation au désir, à la construction de soi et de ses relations aux autres, famille, amis, amoureux/ses…

Et très vite il saute aux yeux combien cette époque-là, qui n’est pas Mai 68 mais son onde de choc dans la société française durant un peu moins de dix ans, aura été si peu et si mal filmée. Phénomène d’autant plus étonnant que la période a été marquante, sinon décisive, pour plusieurs générations notamment de gens de cinéma (et de médias): disons, ceux qui avaient alors 15-18 ans, comme Assayas (et l’auteur de ces lignes), mais aussi ceux qui en avaient dix ou vingt de plus.

Il est sidérant qu’une période si particulière ait été si peu prise en charge par le cinéma français. Et qu’elle l’ait été si mal, lorsque cela a été le cas. Loin de l’antipathique ironie de Cédric Klapisch (Le Péril jeune) et de l’embarrassante maladresse de Ducastel et Martineau (Nés en 68), Assayas trouve d’emblée comment être avec ceux qu’il montre pour raconter une histoire dont on voit bien qu’elle est aussi la sienne, quoiqu’on sache de l’exacte biographie du cinéaste, et de la proximité avec son bref essai Une adolescence dans l’après-mai. Lettre à Alice Debord (Editions Cahiers du cinéma). Ici est gagné l’essentiel, qui tient tout entier à une certaine manière de faire du cinéma.

Au fond, cette manière-là n’a que faire de la distance avec la date à laquelle se situe le récit. Sans l’ombre d’une nostalgie, ni bien sûr la moindre idéalisation de l’époque, elle s’accomplit dans le temps de ce qu’elle montre, elle est avec ses personnages, leurs mots, leurs corps, leurs choix, jamais en avance ni au-dessus. Olivier Assayas, cinéaste résolument contemporain, en avait déjà donné l’exemple dans L’Eau froide, qui se passait à peu près au même moment qu’Après Mai, mais aussi dans Les Destinées sentimentales et Carlos, malgré tout ce qui par ailleurs distingue ces quatre films.

Dès lors, donc, il est possible d’entrer dans un flux toujours en mouvement, parfois rapide comme un torrent, parfois flâneur et disponible au farniente. Ce mouvement et ses variations ne sont pas «imprimés» au film, comme on dit, ils y naissent naturellement, comme le souffle s’accélère dans la course, la peur ou l’émotion, s’apaise dans l’attente ou la rêverie. Après Mai respire avec Gilles (Clément Métayer), son personnage principal, et c’est cette relation organique qui rend possible le naturel avec lequel peuvent être énoncées (et entendues) les formules coulées dans le plomb du militantisme de l’époque, l’évidence d’accoutrements et d’attitudes d’ordinaire frappés d’une sorte d’exotisme incompréhensible.

En voyant Après Mai, on réalise combien ce qui ont été les codes et les imaginaires d’une génération a été depuis frappé d’irrecevabilité. (…)

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