Le labyrinthe des images

Salma Hayek, Carlos Bardem et Mathieu Demy dans Americano de Mathieu Demy

 

La première image ressemble à un gag. Les deux personnes que l’on entend, puis que l’on voit faisant (semblant de faire) l’amour ne sont autre que la fille de Catherine Deneuve et de Marcello Mastroianni en plein ébats avec le fils d’Agnès Varda et de Jacques Demy. Le téléphone sonne, le garçon répond puis dit à la caméra et à sa partenaire : « ma mère est morte ». Pas sa vraie mère, fort heureusement, Agnès V. se porte comme un charme – elle vient de livrer 5 délicieux programmes à Arte, Agnès de ci de là Varda , mais le personnage dont le décès enclenche la demi-fiction qu’est Americano. Demi-fiction + demi-vérité = folie Demy.

Americano est une histoire de fou. Ou de fous. L’enjeu du film se joue sur ce passage au pluriel. Comment passer du cas Mathieu à quelque chose de plus général. Parce que fou, nul doute que ne le soit Mathieu Demy, du moins tel qu’il se met en scène dans son premier long métrage. Fou d’être précisément ce qu’il est, saturé d’héritage cinématographique au point de se sentir orphelin de sa véritable parentèle, tout en étant déchiré entre deux territoires, la Californie où il a grandi et où a continué de vivre feue maman, Paris où il vit lui, pas trop près de son père fort peu paternel, joué par Jean-Pierre Mocky.

Entre l’apparition de celui-ci et la réception par Géraldine Chaplin du fils revenu à Los Angeles chercher les clés de la maison de la morte, on a compris. Poussant à bout la logique dans laquelle il est de toute façon pris, au moins pour ce film-là, Mathieu Demy surenchérit sur les présences et les signes de cinéma, tout en racontant ce roman familial sous le signe du trauma réciproque mère/fils. Bien d’autres influences cinématographiques, du road movie au western et du polar au fantastique, que viendront parasiter cette accumulation de ciné-signes. De toutes les interférences cinématographiques dans le déroulement de l’histoire, la plus belle est sans hésiter l’utilisation de plans de Documenteur, où Sabine Mamou, rayonnante, jouait la mère d’un petit Martin effectivement joué par Mathieu Demy. Agnès Varda l’avait réalisé en 1981, son fils avait 9 ans, l’histoire se passait dans la même maison de Venice où revient Mathieu devenu grand, ce qui ne veut pas dire adulte.

Arrivé à LA pour y rester deux jours, antipathique et flippé, Martin s’enfonce dans une quête à tiroirs qui le mènera au Mexique, dans les bas-fonds, dans les bras de Salma Hayek, et au-delà. Débuté entre artifices et coups de force, le film construit son propre univers, composite et déstabilisant, émouvant parfois, intrigant souvent. Surtout, ce qui semblait à l’origine la guerre mentale d’un seul homme, devient peu à peu un voyage à travers une folie beaucoup plus partagée. Martin Demy s’enfonce dans les arcanes de ce qui s’avère moins une mémoire cinématographique, encore moins un savoir cinéphile (nul besoin d’identifier les référence), mais un rapport au monde hanté pas des formes issues des films. A mesure que se construit cette trajectoire, le cas particulier du réalisateur-acteur-personnage devient extensible non seulement aux amateurs éperdus de cinéma, qui plus ou moins vivent dans un monde contaminé par les souvenirs de leurs émotions devant les écrans, mais à tout un chacun.

Récit extraordinairement singulier (nul n’occupe une place comparable à celle de Mathieu Demy), Americano devient la fable romanesque de cet état commun, qui est de vivre dans un monde réellement et fantasmatiquement habité d’autant de créatures nées de l’imaginaire que de personnes et d’objets « réels ». C’est avec ça, autant qu’avec la mémoire compliquée de maman adorée et détestée, que Martin doit trouver moyen sinon de se réconcilier, du moins de vivre avec.   Et « ça », les images qui nous travaillent, nous bloquent, nous stimulent, nous embarquent et nous débarquent, il n’est nul besoin d’être le rejeton de deux grands cinéastes pour l’éprouver. Il suffit de vivre aujourd’hui.

 

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Jean Rolin, écrivain cinéaste

Avec son nouveau livre, «Le Ravissement de Britney Spears» (P.OL.), il poursuit son chemin, son travail entièrement dédié au récit du monde.

Au fin fond du Tadjikistan, un agent des services secrets français raconte le déroulement de la mission dont l’échec l’a mené en ce lieu aussi reculé qu’inhospitalier. Redoutant un projet d’enlèvement de Britney Spears par des islamistes, ses employeurs avaient chargé le narrateur d’une surveillance de la star américaine et d’une étude de son environnement afin de pouvoir agir en cas de besoin. Mais qui espérera du 17e ouvrage de Jean Rolin un classique roman d’espionnage en sera pour ses frais.

De même, quiconque comptera sur lui pour des déballages croquignolets sur l’intimité de l’interprète de Baby One More Time et de Femme fatale fera fausse route.

A la différence de ses précédents romans parus chez P.O.L. (La Clôture, Chrétiens, Terminal Frigo, L’Explosion de la durite, Un chien mort après lui), et qui composent un ensemble aussi cohérent que leur thématique paraît dispersée, Rolin, sans renoncer à l’écriture à la première personne du singulier, l’attribue clairement cette fois à un personnage de fiction, et même un personnage assez improbable d’espion dilettante et obsessionnel, dépourvu de la plupart des qualités généralement supposées pour l’exercice de ce métier, à commencer par l’art pourtant assez répandu de savoir conduire.

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