Plus fort que les bombes de Joachim Trier, avec Gabriel Byrne, Isabelle Huppert, Devin Druid, Jesse Eisenberg.
De l’ombre il y a de Nathan Nicholovitch, avec David D’Ingéo, Panna Nat, Viri Seng Samnang.
Cemetery of Splendour d’Apichatpong Werasethakul,avec Jenjira Ponpas Widner, Banlop Lomnoi, Jarinpattra Ruengram.
A mi-parcours de cette 68e édition du Festival de Cannes, il faut constater une relative faiblesse de la sélection, et notamment de la compétition officielle.
Un grand film domine pour l’instant, Mia Madre de Nanni Moretti. Et deux réelles découvertes ont jalonné ces six premiers jours, toutes deux européennes, avec le premier film du Hongrois Nemes, Le Fils de Saul et le troisième film de Joachim Trier, Plus fort que les bombes. On reviendra sur la décidément trop massive et trop inégale présence française, mais, un peu à l’image de l’ensemble des sélections, il convient aujourd’hui de glaner un peu partout dans les diverses sections pour trouver, malgré tout, de fort belles propositions de cinéma.
Voici donc trois très beaux films, parfaitement incomparables entre eux. Et pourtant, chacun à sa manière fait éclore sous ses plans, comme on dirait sous ses pas, un voyage ni dans l’espace ni dans le temps, mais dans l’esprit même de leurs protagonistes. Il le fait en réussissant à associer de manière créative ce qui d’ordinaire relève de régimes différents sinon contradictoire, documentaire et fantastique, narration et incantation, romanesque et poésie.
Troisième long métrage du talentueux jeune cinéaste norvégien Joachim Trier, Plus fort que les bombes (Compétition) se lance dans ce processus vertigineux qu’on appelle anamnèse –soit une entreprise de reconstruction de ce qui a été une histoire multiple, celle des quatre membres d’une famille, après la disparition de la mère, laissant le père et les deux fils dans des états de connaissance et d’émotions différents par rapport à cet événement. (…)
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Oslo 31 août de Joachim Trier
« En fin de cure de désintoxication, Anders se rend en ville pour une journée, à l’occasion d’un entretien d’embauche. Il en profite pour renouer avec sa famille et ses amis, perdus de vue.
Une lutte intérieure s’engage en lui, entre un profond sentiment de gâchis face aux occasions manquées, et l’espoir d’une belle soirée et, peut-être, d’un nouveau départ… » Ce texte est le synopsis du film dans le dossier de presse. Ce qu’il dit est rigoureusement exact. A ceci près qu’on voit très bien les quatre ou cinq films ou téléfilms atroces qui pourraient aussi correspondre à ce synopsis. Ce pourrait être un jeu de les décrire, ou un exercice pour étudiants en cinéma d’en réaliser des extraits. Et à ceci près qu’en face de « ça » (la jeunesse, la drogue, la volonté, le tournant dans la vie, les bons et les mauvais côtés, les amis et la famille…), ou à côté, il y a Oslo 31 août, qui ne ressemble à peu près à rien de ce que vous pouvez prévoir, ni supposer en référence à d’autres films.
Ça tient à quoi ? Mais à tout ! A la lumière, à la voix des acteurs, au rythme avec lequel le très impressionnant Anders Danielsen Lie, qui joue le rôle principal, marche dans la rue. A sa façon d’écouter les autres dans un restaurant, à son regard, à ses silences, cela tient à la musique, aux habits, aux regards. Donc cela tient à ce qu’on appelle la mise en scène, qui est tout dans ce film tendu et émouvant, où chaque élément sonne juste comme la corde bien accordée d’un vaste instrument. Qu’importe dès lors que sa mélodie soit sombre, si la composition qu’il émet est, elle, bien vivante.
Ayant vu le film deux fois, j’ai été aussi surpris à l’issue de la deuxième projection de « découvrir » qu’il s’agit d’une adaptation du Feu Follet, découverte qui semble dès lors totalement évidente. Et c’est aussi vrai comme adaptation du roman de Drieu La Rochelle que du film de Louis Malle, le plus beau de ce cinéaste, qui trouve ici une descendance d’autant plus légitime qu’elle ne l’imite en rien.
Au cours de la journée unique que désigne le titre, et qui est en Norvège celle du dernier jour de l’été, Anders parcourt la ville, retrouve des connaissances, se confronte à son passé et à plusieurs images de lui-même. Ce chemin est semé de pièges, pour le personnage, mais pour la réalisation aussi. Celle-ci, du moins, trouve sans cesse les bonnes réponses, qui sont souvent les plus simples, les plus franches, les plus directes.
La sécheresse graphique de l’image, loin de déshumaniser les personnages, ouvre un accès souterrain à ce qui les travaille de l’intérieur, et d’abord à l’insoluble humanité du gouffre qui habite Anders. Il est aussi clair que difficile à expliquer que cela passe par une élégance rare – et qui a d’autant plus de mal à être reconnue. Oslo 31 août est le deuxième film d’un cinéaste norvégien de 37 ans, après Nouvelle Donne qui, en 2006, affirmait sans hésitation la vigueur et la précision de son talent. Aparté qui change de registre, mais ni de sujet ni de région : j’ai vu avec des semaines de retard le Millenium de David Fincher, pur joyau de mise en scène, admirable composition qui sublime les simplismes un peu racoleurs du récit – mais il semble que cela n’intéresse plus grand monde vu l’accueil condescendant reçu par le film.
Il faudrait être particulièrement distrait pour ne pas avoir remarqué le dynamisme de la production culturelle scandinave récente, notamment dans le roman et le cinéma. Pour ce qui est des films, un immense artiste, Lars von Trier, continue d’occuper sans conteste une place éminente dans cette partie du monde. Il compte peu de rivaux, notamment parce que, si les conditions matérielles pour la production sont globalement favorables grâce à la coopération entre les institutions des quatre pays, le cinéma est enseigné dans cette partie du monde davantage pour apprendre à rentrer dans le rang audiovisuel que pour stimuler les singularités. La bonne nouvelle est que Joachim Trier est issu d’une de ces écoles (et même deux, une au Danemark et l’autre à Londres), et qu’il a de toute évidence parfaitement résisté au formatage qu’on y promeut.
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