L’idée même de film encerclée par les géants du Net
Peu après son arrivée en France, annoncée comme susceptible de ravager l’organisation de la diffusion des films telle qu’elle fonctionne ici, Netflix, seule grande puissance mondiale de la diffusion (légale) de films et de produits audiovisuels en ligne vient d’annoncer deux projets qui ont fait l’effet de coups de tonnerre à Hollywood.
Le premier, le plus médiatisé mais pas forcément le plus significatif, concerne la production par la firme de Los Gatos (Californie), associée au producteur le plus médiatique du cinéma américain, Harvey Weinstein, d’une suite à Tigre et dragon –en VO: Crouching Tiger Hidden Dragon 2: The Green Destiny. On y retrouvera Michelle Yeoh cette fois accompagnée de Harry Shum Jr. et Donnie Yen, et dirigés par Yuen Wo-ping, éminente figure des scènes d’arts martiaux, qui avait dirigé les combats dans le n°1 réalisé par Ang Lee.
Que Netflix devienne producteur de longs métrages n’est pas un scoop, ce qui l’est davantage est la décision de sortir le film directement en VOD et sur les écrans des salles IMAX, à l’exclusion de toutes les autres. Cette exclusion des salles classiques a déclenché une rare réaction commune des grands circuits de multiplexes aux Etats-Unis: les quatre principaux, AMC, Regal, Cinemark et Carmike, ont immédiatement fait savoir qu’ils n’accueilleraient pas le film dans leurs Imax, ce qui anéantit pratiquement la présence du film dans ce cadre.
Ces circuits possèdent également de nombreuses installations à l’étranger, où la même réponse sera sans doute apportée. En France la question ne se pose même pas, le film ne pouvant juridiquement pas être distribué dans les salles Imax. Quant à la Chine, enjeu commercial majeur pour Hollywood, il n’est pas certain que le film y soit même autorisé. La Chine (où le premier Tigre et dragon, qui n’y a guère eut de succès, est par ailleurs considéré comme un ersatz un peu lourd) est aussi un des grands pays où Netflix n’opère pas– ou pas encore.
Bref, à l’arrivée, c’est pratiquement sur Netflix seulement que The Green Destiny sera visible. L’affaire a suscité de très vigoureuses réactions à Hollywood, les Studios et les grands circuits de salles s’y opposant tandis qu’une partie des professionnels plaide pour cette mutation accompagnant les évolutions des pratiques de consommation, notamment des jeunes générations.
Les journées professionnelles du cinéma français, qui se tiennent du 16 au 18 octobre à Dijon à l’invitation de l’ARP (Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs), ne vont pas manquer de rappeler qui si la «chronologie des médias», qui organise l’ordre et la durée de la diffusion des films sur les différents supports, a besoin d’être revue pour s’adapter aux technologies et aux usages, cela doit se faire de manière concertée et encadrée, et pas à l’aide de coups de force comme vient de le faire Netflix.
L’affaire mobilise en réalité deux enjeux distincts. Le premier est économique. La filière cinéma a vu son chiffre d’affaires global baisser régulièrement depuis l’arrivée des services en lignes. Légaux ou pas, ils taillent des croupières à ce qui avait été de 1985 à 2005 le secteur financièrement le plus dynamique, la vidéo physique– VHS puis DVD.
A l’échelle française, c’était la conclusion la plus évidente de l’étude concernant le cinéma présentée dans le cadre du séminaire «L’audiovisuel, enjeu économique» organisé par le CSA le 2 octobre. (…)
Ouvroir The Movie, by Chris Marker
Du 28 au 31 mars, La fémis, la grande école des métiers du cinéma, a organisé un séminaire destiné à tous les élèves de l’école et également ouvert au public, sur le thème «Ce que le cinéma fait avec Internet». Sont intervenues des personnalités représentatives de toutes les facettes de la relation complexe entre cinéma et internet. Nous avons réorganisé en 5 «chapitres» les extraits des huit séances qui ont composé ces rencontres, intégralement filmées par les élèves de l’école.
Si les enregistrements ne montrent guère que des « têtes qui parlent » (celles des intervenants qui se sont succédés à la tribune), ces textes comporteront des liens permettant de visionner certains des éléments auxquels il est fait référence.
lire le billetDans La Jeune Fille de l’eau de M. Night Shyamalan, le mauvais critique finissait dévoré par les monstres de la fiction auxquels il ne croyait pas.
Pas de semaine sans ressurgisse l’interrogation, généralement hostile ou condescendante, sur le/la critique de cinéma. Guère de mois où ne se présente une sollicitation d’en débattre en public, de l’université à la radio et aux journaux, français et étrangers. On lit un peu partout que le critique ne sert plus à rien, qu’elle a fait son temps, mais cette insistance du questionnement, y compris pour l’enterrer, sonnerait au contraire comme le symptôme d’une présence obstinée.
Donc, question: à quoi sert la critique de cinéma?
Réponse : la critique de cinéma sert à quelque chose, dont je parlerai. Mais pour bien répondre, il faut faire un détour, en se servant du verbe «servir». Parce que justement la critique est surtout considérée comme devant servir, au sens d’être la servante de maîtres qui veulent lui faire faire des choses qui ne sont pas sa véritable vocation. Ces maîtres abusifs sont au nombre de quatre: les marchands, les organisateurs de loisir, les journalistes et les professeurs.
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