The Revenant d’Alejandro Gonzales Iñarritu, avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter. Durée: 2h35. Sortie le 24 février 2016.
Réglons tout de suite l’aspect le moins intéressant de The Revenant, la «performance» de Leonardo DiCaprio destinée à lui faire obtenir un Oscar. Elle est entièrement conforme à ce qui est prévu dans ce cas de figure, succession de grimaces et de contorsions, dans la boue, dans la neige, dans les fleuves glacés, même dans un cheval mort. C’est une idée bien misérable du travail des acteurs, et bien méprisante des acteurs eux-mêmes, a fortiori des très bons acteurs comme Leonardo DiCaprio, que d’être sommés de se livrer à pareil numéro pour mériter une consécration.
Pour le reste, The Revenant est un film aussi antipathique qu’intéressant. Antipathique est la manière dont tout, absolument tout –les actions, les sentiments, les idées, les paysages, les sons– est asséné comme coup de massue au spectateur. L’insistance, la triple dose, la surenchère d’effets est l’idée même que se fait Iñarritu (Birdman…) de la mise en scène –en quoi il est parfaitement en phase avec une époque où règne le quantitatif, où le «toujours plus» reste la loi dominante telle que le marché l’a établi pour toutes les relations humaines, où l’emprise sur le cerveau des autres demeure le but ultime de la production, sous influence écrasante de la publicité.
The Revenant raconte une histoire en elle-même très intéressante, et inspirée d’un fait réel, mais le raconte stupidement –pas par bêtise, mais par volonté délibérée d’être stupide. C’est-à-dire d’être du côté du surjeu, du passage en force, du «coup», de la mise raflée. C’est ici que le film commence à devenir quand même intéressant, pour ce qu’il n’est pas.
Contrairement à ce qu’on répète ici et là (y compris sur Wikipedia), il n’est en aucun cas un western. (…)
Birdman d’Alejandro Gonzales Iñarritu, avec Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton, Andrea Riseborough, Amy Ryan, Emma Stone, Naomi Watts. Durée : 1h59 | Sortie le 25 février.
Ce sera l’histoire d’un acteur travaillé jusqu’au fantastique par ses rôles, à l’écran, à la scène, dans la vie et dans le regard des autres –ses proches comme son public.
Hollywood saisi par le pirandellisme, c’est à vrai dire une vieille histoire. On trouverait des jeux sur la mise en abime du personnage de fiction tout au long de l’histoire du cinéma américain: Chaplin, Keaton, Sternberg (sublime Crépuscule de gloire), Lubitsch et Mankiewicz évidemment, sans parler de Welles, et bien sûr Woody Allen, en offrent de multiples figures.
A la fin du 20e siècle, dans le sillage de Brian De Palma, on assista même à une sorte d’inflation du thème, avec l’excellent Héro malgré lui de Stephen Frears (1992) mais aussi les assez gonflés Un flic à la maternelle (1990), Last Action Hero (1992) et True Lies (1993) tous avec Arnold Schwarzenegger, le simpliste Truman Show (1998) faisant référence, et faisant de l’ombre au seul chef-d’œuvre du genre, Man on the Moon de Milos Forman (1999).
Tout cela pour dire que l’interrogation sur les jeux entre réalité et fiction dont se nourrit avec une indéniable habileté Birdman n’a rien d’inédit dans le cinéma hollywoodien.
Il se nomme Riggan. Il a connu la gloire en jouant un superhéro ailé, la gloire comme elle en a l’habitude s’est ensuite enfuie à tire-d’aile. L’acteur entreprend de la reconquérir, selon une approche assez courageuse, qui est aussi celle du film: en s’enfermant dans un théâtre, dans le théâtre, dans une pièce de théâtre inspirée d’une nouvelle de Raymond Carver.
Le personnage et le film passent donc la quasi-totalité de leur temps dans l’intérieur d’un théâtre de Broadway, ce qui n’en fait pas un huis clos (les lieux sont suffisamment variés) mais tout de même une boite fermée –si bien fermée, à la fois protectrice et contraignante, que lorsqu’il finira par s’aventurer par mégarde à l’extérieur, le personnage principal se retrouvera littéralement à poil, et dans l’impossibilité de retourner à l’intérieur.
Ce sentiment de dédale sans issue est renforcé par la technique de prises de vue, des plans séquences à la steadycam qui accompagnent des circulations parfois longues et complexes, éventuellement en changeant de protagoniste en cours de circulation dans les arcanes du théâtre.
A l’intérieur, dans les coulisses, sur la scène, dans les couloirs et dans les loges, grouille une faune folklorique, celle des animaux du showbiz dans ses multiples variantes, depuis le théâtre à texte et fier de l’être jusqu’à l’entertainment sans scrupule. (…)