Face aux spectres de la guerre

La Bataille de Tabato de João Viana. Avec Fatu Djebaté, Mamadu Baio, Mutar Djebaté. Portugal. 1h23. Sortie le 18/12/2013

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Il est rare qu’un film nous fasse entrer dans un pays inconnu, vraiment inconnu. Il est exceptionnel qu’il fasse entrer en même temps, et comme de plain-pied, dans plusieurs pays inconnus. C’est le véritable miracle qu’accomplit ce geste de cinéma qui a plus d’un lien avec la magie et s’appelle La Bataille de Tabato. Réalisé par le jeune cinéaste portugais João Viana, il raconte le pays mandingue, berceau d’une civilisation très ancienne, immense et féconde. Il raconte simultanément la Guinée Bissau, terre d’une guerre de libération atroce, aux suites tout aussi atroces. Il raconte la traversée des souvenirs d’un conflit vers un présent où la paix serait imaginable. Il raconte le territoire d’une musique qui peut et veut prendre part au cours du monde, et qui redessine l’espace et le temps. Il conte une histoire à la complexité de mangrove, avec juste trois personnages, Fatu, Idrissa et Balo.

Fatu est une jeune femme très belle. Elle  va se marier avec Idirissa le musicien. Balo est le père de Fatu, il revient d’une très longue absence, elle va le chercher à l’aéroport, l’emmène de Bissau à Tabato, où son fiancé l’attend pour l’épouser. Tabato est le village des griots, un lieu surnaturel et tout à fait réel. La fille et son père hanté par les souvenirs de la guerre traversent le pays. Les fantômes viennent à leur rencontre. Souvent ce sont des bruits, les sons de la guerre ancienne, les traces des innombrables crises qui n’ont cessé d’agiter cette terre depuis l’indépendance, il y a 40 ans. Les plans du film sont comme des mouvements de musique, une composition dont chaque élément aurait sa richesse narrative, sa beauté propre, et dont l’assemblage peu à peu suscite un autre récit, une autre attente.

Il s’agit de s’inscrire dans de très anciennes histoires. Il s’agit d’affronter de très vives et présentes douleurs. Un vieil homme qui marche en trainant une valise à roulettes tout à coup suffit pour suggérer la violence des retrouvailles avec le passé pas passé. Des immeubles vides font jaillir à la fois la brutalité de l’oppression coloniale et la béance d’un monde arrêté en plein mouvement. Comme un voile de sang, la teinte rouge qui envahit par moment le noir et blanc somptueux de l’image est une vibration de plus dans cette circulation secrète des récits et des rêves qu’organise le film. Rien d’abstrait mais au contraire un assemblage précis d’informations et d’émotions, de lieux très réels et de corps très vivants.

C’est par eux qu’une histoire à la fois antique, gravée dans la mythologie du 20e siècle et contemporaine se raconte : c’est avec eux, ces corps réels, documentaires si onveut et pourtant mythologiques aussi, qu’à la tête d’une armée de musiciens Idrissa déclenche la bataille, une bataille pour la vie, pour le présent, pour la joie. Mais cela, on ne le réalise qu’au sortir de cette expédition onirique qu’est le film – pendant, l’intensité et l’étrangeté de chaque moment auront comme aspiré dans un espace imaginaire généré par l’écran et la bande son. Ce film l’aurait-on rêvé ? Il faudrait en ce cas être un très talentueux rêveur.

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Le camp de la mémoire

A World Not Ours de Mahdi Fleifel

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La réussite du film est de ne pas raconter une histoire mais plusieurs. Chronique du camp d’Ain el-Helweh, le plus grand camp de réfugiés palestiniens au Liban, il retrace à la fois l’interminable malédiction de cet exil collectif et le ressenti d’un petit groupe de personnes – le grand père du réalisateur, qui a dû partir en 1948, son oncle ancien héro des combats anti-israéliens aujourd’hui au bord de la folie, son copain d’enfance, ex-militant du Fatah à bout de trop d’espoirs déçus. Mahdi Fleifel a grandi dans ce camp, puis l’a quitté, il vit en Europe ; il y revient chargé de souvenir et d’affection, mais il n’en est pas un habitant. Il y revient tous les ans, et tous les ans il filme.

Car A World Not Ours raconte aussi cette histoire-là, cette passion palestinienne de filmer, de garder trace, dont récemment 5 Caméras brisées  était un autre exemple. Pulsion scopique qui est aussi l’exigence (ou le fantasme) de l’archive pour faire pièce au malheur de la perte de soi, et encore pour répondre aux images des autres, les médias occidentaux et moyen-orientaux, le point de vue personnel, familial, intime, porté par le voix-off du réalisateur travaille les interactions entre tragédie géopolitique et drame intime. Enregistrement opiniâtre qui devient cartographie d’une horreur très matérielle, celle de l’atroce urbanisme de cette ville de parpaings et de poussière, celle de la litanie dépressive des retransmissions sportives venues d’un autre monde, qui n’aura cessé de s’éloigner. Car cette multiplicité d’histoire témoigne aussi d’une sortie de l’Histoire, d’une sorte de glaciation, d’une réduction au silence à force de répétition impuissante.

L’humour est une terrible et très efficace ressource pour prendre en charge d’un même élan ces histoires différentes. Pas de quoi rire, pourtant. Mais l’humour fournit l’énergie capable de dresser un portrait terriblement sombre et tout à fait sans complaisance des multiples sources du désespoir dans lequel s’enlise toute une population. Avec un grand sens de la composition, de la circulation entre les distances mais aussi les époques, le recours à des documents d’archives, parfois méconnus, souvent impressionnants, inscrit ces instants de vie dans un contexte à tant d’égard trop connu, et qui trouve pourtant ici un nouveau et juste éclairage.

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La «Marche» de l’histoire contemporaine

La Marche de Nabil Ben Yadir

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C’est une si belle histoire que manifestement, personne ne s’est demandé s’il était souhaitable de se poser à son sujet la moindre question de cinéma. Des gens (le réalisateur, le producteur, les comédiens, mais aussi l’éditeur du livre de Christian Delorme, le «curé des Minguettes», paru aussi sous le titre La Marche chez Bayard le mois dernier) se sont avisés qu’il convenait de commémorer ce geste effectivement digne de mémoire que fut la Marche pour l’égalité et contre le racisme, du 15 octobre au 3 décembre 1983, de la banlieue lyonnaise à Marseille, de Marseille à Dreux et de Dreux à Paris.Ils ont eu raison. Ceux qui ont entrepris d’en faire un film n’y ont vu qu’un moyen de donner de la visibilité à l’événement. Dont acte.

La composition du groupe de marcheurs, les péripéties de leur odyssée, les manœuvres de ceux qui cherchèrent à les bloquer ou à les récupérer fournissaient une trame narrative imparable. Avec de surcroît une solide interprétation, le film emporte une adhésion et une émotion au service d’une cause qu’ici, on ne songe pas une seconde à remettre en question.

Solide docu-fiction usant quand elle le peut de quelques archives, la reconstitution de Nabil Ben Yadir construit un monument mémoriel et sentimental qui pourrait n’être qu’un hommage à une initiative remarquable d’un petit groupe de Français du début des années 80. Emmenés par Olivier Gourmet en prêtre des banlieues, Hafsia Herzi en lumineuse égérie et le très tonique Vincent Rottiers, avec le soutien de Philippe Nahon en bougon compagnon de route et de Jamel Debbouze, ludion solidaire et farfelu, les marcheurs du film tracent un parcours rectiligne à travers la France pluvieuse de l’automne 83 vers la reconnaissance émue de tous les démocrates dignes de ce nom.

Hélas pour nous mais, du moins, heureusement pour le film, celui-ci trouve pourtant, chemin faisant, une autre dimension, plus complexe, plus troublante, plus travaillée d’incertitude. (…)

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Entretien avec Claude Lanzmann: «Il ne faut pas faire du style ou des effets»

Montage, photo, commentaire, utilisation des archives: l’auteur de «Shoah» commente les choix formels de son nouveau film, «Le Dernier des injustes», dans lequel il fait dialoguer des images du présent avec des séquences filmées il y a quarante ans.

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Le nouveau film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, est une œuvre considérable, non seulement par sa durée (3h40) mais par sa manière de faire dialoguer événements du passé le plus tragique, celui de l’extermination, mémoire filmée par lui-même il y a quarante ans lorsqu’il enregistrait un entretien avec l’ancien «Doyen du Conseil juif» de Theresienstadt Benjamin Murmelstein, et images et paroles d’aujourd’hui.

La sortie en salles du film a donné à son auteur l’occasion de revenir longuement sur plusieurs aspects controversés de l’histoire de la Shoah, et notamment l’attitude des responsables juifs contraints par les nazis de faire partie des Conseil juifs, et la figure particulière et sujette à débat de Murmelstein. Mais ces aspects seraient tout simplement incompréhensible sans éclairage sur la manière dont a été composé ce film à la forme très singulière, et c’est sur cet aspect «formel», mais qui n’a rien de superficiel ou d’accessoire, qu’il nous a paru souhaitable d’interroger le cinéaste.

Le nouveau film de Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, est une œuvre considérable, non seulement par sa durée (3h40) mais par sa manière de faire dialoguer événements du passé le plus tragique, celui de l’extermination, mémoire filmée par lui-même il y a quarante ans lorsqu’il enregistrait un entretien avec l’ancien «Doyen du Conseil juif» de Theresienstadt Benjamin Murmelstein, et images et paroles d’aujourd’hui.

La sortie en salles du film a donné à son auteur l’occasion de revenir longuement sur plusieurs aspects controversés de l’histoire de la Shoah, et notamment l’attitude des responsables juifs contraints par les nazis de faire partie des Conseil juifs, et la figure particulière et sujette à débat de Murmelstein. Mais ces aspects seraient tout simplement incompréhensible sans éclairage sur la manière dont a été composé ce film à la forme très singulière, et c’est sur cet aspect «formel», mais qui n’a rien de superficiel ou d’accessoire, qu’il nous a paru souhaitable d’interroger le cinéaste.

Comment avez-vous construit Le Dernier des injustes, à partir du moment où vous décidez d’utiliser les images tournées en 1975 au tout début de la préparation de Shoah, où vous n’avez pas fait figurer ces séquences?

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“Le Dernier des injustes”, un film dans l’histoire

Le Dernier des injustes, de Claude Lanzmann. 3h40

arton8477Lanzmann aujourd’hui, à Theresienstadt

Il existe un film, qui, à lui seul, s’est construit une place unique et décisive dans l’histoire du cinéma, en même temps qu’il aura joué un rôle majeur dans la manière contemporaine d’aborder cette tragédie incomparable que fut le tentative d’extermination des juifs d’Europe par les nazis. Ce film s’appelle Shoah. Il se trouve que ce film-là aura en outre nourri l’existence d’autres films de Claude Lanzmann, des films composés à partir de séquences tournées à l’époque mais qui ne faisaient pas partie des neuf heures de l’œuvre accomplie. Près de 40 ans après le tournage initial (1975), près de 30 après la sortie de Shoah (1985), arrive sur les écrans le quatrième de ses surgeons, après Un vivant qui passe, Sobiboret Le Rapport Karski. S’il est bien lui aussi le lointain produit d’une des rencontres filmées en vue de la réalisation de Shoah, Le Dernier des injustes s’en distingue par l’importance considérable de ce qui a été tourné récemment pour donner naissance, avec les séquences de 1975, au nouveau film. Et c’est qui en fait une des réalisations les plus ambitieuses de Lanzmann.

Le Dernier des injustes prend en charge trois époques et se déploie autour de trois personnages. Les trois époques sont l’âge sombre de l’oppression nazie, de la déportation et de l’extermination, la période d’un après-guerre qui se construit des années 50 aux années 70, celle de l’élaboration d’un premier ensemble de discours et de pensée autour de ce qu’on n’appelait encore ni la Shoah ni l’Holocauste, période notamment marquée par la parution de certaines œuvres marquantes, dont Nuit et brouillard d’Alain Resnais et le roman Le Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart, mais aussi le procès Eichmann et le texte qu’il a inspiré à Hannah Arendt, et enfin la période actuelle. Les trois personnages, ce sont, par ordre d’apparition à l’écran, Claude Lanzmann, Benjamin Murmelstein et Claude Lanzmann.

Murmelstein est un intellectuel juif viennois, un rabbin qui deviendra le dernier président du Conseil juif (Judenrat) chargé d’administrer la communauté juive pour les nazis, à Vienne puis dans le faux camp d’hébergement, vrai mouroir et lieu de transit vers les fours qu’était Theresienstadt, vieille forteresse militaire située dans ce qui est aujourd’hui la République tchèque. Le Claude Lanzmann qui rencontre Murmelstein, qui le filme longuement et qui dialogue pied à pied avec lui en 1975 à Rome n’est pas le même personnage que le Claude Lanzmann actuel.

C’est ce dernier qui apparaît tout d’abord, face caméra, s’adressant au public avec la vigueur et la volonté de convaincre qu’on lui connaît. C’est à ses côtés qu’on voyage dans ces paysages actuels de Bohême, qui semblent avoir si peu changés depuis que la gare de Bohusovice accueillait les malheureux déportés de toute l’Europe centrale. C’est lui qui présente les documents d’époque – venant au passage détruire l’idée qu’il serait contre tout usage d’archives, alors qu’il a toujours expliqué pourquoi ce choix concernait le film Shoah dans sa radicale singularité, tout en appelant à une judicieuse vigilance dans l’utilisation des documents, vigilance dont de récentes dérives (Apocalypse et consorts) ont montré la nécessité.

C’est avec Lanzmann, le Lanzmann d’aujourd’hui, qu’on visite la forteresse presque intacte qui servit de prison, et aussi de décor à l’infernale manipulation qui donna lieu au film connu (à tort) sous le titre Hitler donne une ville aux juifs[1]:

«Theresienstadt où culminent indissociablement la tromperie et la violence pure » comme le dit ce guide lyrique, animé d’une colère et d’une compassion sans limites. Mais il est aussi et surtout tribun et philosophe, et encore professeur d’histoire rappelant l’incroyable projet Madagascar ou expliquant le rôle dévolu par Eichmann à la bourgade polonaise de Nisko, lieu de mort rayé des mémoires. Orateur impétueux, il énonce qui a raison et qui a tort, ce qu’il faut penser et comment il faut penser.

REVIEW-Le-Dernier-des-Injustes-Claude-Lanzmann-est-il-le-dernier-des-geants_referenceLanzmann et Murmelstein à Rome en 1975

Mais voilà que peu à peu se glissent d’autres images, celles du film de 1975. Voilà qu’on fait la connaissance de l’extraordinaire monsieur Murmelstein. Lui aussi parle, il parle au Lanzmann d’alors qui, d’abord bord cadre, va devenir de plus en plus présent, jusqu’à occuper une place quasiment à égalité avec son interlocuteur. Mais ce n’est pas le même Claude Lanzmann, il est dans la quête et l’interrogation, celles qui mèneront à Shoah, et au Claude Lanzmann d’aujourd’hui.

Murmelstein raconte, ce qu’il a fait, ce qu’il a pensé. Il juge ses actes et ceux des autres, notamment de ses prédécesseurs comme Doyen du Conseil juif. Il s’interroge, comprend comment d’autres ont perçu son comportement, et pourquoi dans de nombreux cas on l’a traité de collabo, voire accusé d’être directement responsable de dizaines de milliers de morts. Murmelstein ne dit pas non à ça. Il dit ce que ce fut, pour lui, d’être dans l’Histoire.

Une grande œuvre douloureuse dédiée au relatif

Ce faisant, il renvoie implicitement dos à dos Hannah Arendt, qui a violemment dénoncé les Judenräte, et le procès Eichmann lui-même, procès biaisé organisé par Ben Gourion pour légitimer Israël, et dont Murmelstein, qu’on a refusé d’accueillir à Jérusalem, fut un des accusés collatéraux – au passage, rappelons que c’est cette manipulation politicienne du procès qui est le véritable sens du texte d’Arendt si souvent réduit à la seule formule de la «banalité du mal».

Et elle est incroyablement vive et inquiète, cette parole du vieux rabbin exilé à Rome, cette parole qui semble par moments planer sur les toits du Vatican et du Trastevere, dans un ciel de Quattrocento. Et Lanzmann, le Lanzmann de 1975, qui n’est certes pas d’accord avec tout, entend et comprend cette recherche des mots qui ne nient ni ne figent, cette inquiétude sans fin. Il entre dans un échange d’émotion et de pensée qui dansent, et c’est somptueux, bouleversant.

Cela ne résout rien, bien sûr. Cela n’absout ni la terreur, ni les erreurs. Mais cela construit un espace qui récuse tout effet de sidération, tout assommoir, fusse-t-il celui de la Raison ou de la Morale.

Et voici comment Claude Lanzmann, celui d’aujourd’hui, celui qui fait ce grand film d’histoire, met en jeu, en question, en déséquilibre le personnage même qu’il est devenu et qui ne manque jamais une occasion d’occuper une tribune pour marteler sans appel où est le Bien et le Mal. Voici que Claude Lanzmann, parce qu’il est un immense cinéaste, se déborde lui-même. Voici comment, grâce aussi à l’indispensable longue durée du film (3h40), partie prenante du caractère impérieux de la quête d’une forme juste, lui le tribun de l’absolu engendre cette grande œuvre douloureuse dédiée au relatif.

LIRE AUSSI L’ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR

NB: Cette critique est une nouvelle version du texte publié sur Slate.fr lors de la présentation du film au Festival de Cannes 2013.

 


[1] Ce film est un des enjeux du livre remarquable de Sylvie Lindeperg paru au début de cette année, La voie des images (Verdier) http://www.slate.fr/story/68947/lindeperg-cinema-histoire

 

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Il restera des loups

Le fond de l’air est rouge de Chris Marker

La grande manifestation « Planète Marker » orchestrée par le Centre Pompidou avec notamment la rétrospective la plus complète jamais consacrée (en France) à son œuvre est accompagnée de plusieurs ressorties en salles et d’un important travail d’édition DVD. Au sein de cet ensemble, il faut porter une attention particulière à la sortie ce 30 octobre du Fond de l’air est rouge, film de 1977 auquel Marker a retravaillé jusqu’en 2008. Il constitue un geste d’art politique d’une ampleur et d’une profondeur sans égal.

 

En septembre 1977 sort en France le film Le fond de l’air est rouge, auquel Chris Marker travaille depuis trois ans. D’une durée de quatre heures, il est organisé en deux parties respectivement intitulées « LES MAINS FRAGILES 1. Du Viêt-Nam à la mort du Che 2. Mai 68 et tout ça » et « LES MAINS COUPEES 1. Du printemps de Prague au Programme Commun 2. Du Chili à – quoi, au fait ? ». Quoi, au fait ? Cette question restera sans réponse. C’est à elle qu’il importe encore de réfléchir aujourd’hui. Marker lui-même n’y aura pas plus répondu lorsqu’il reviendra sur le montage, réalisant successivement plusieurs versions abrégées d’une heure, la version en langue anglaise de 1988, la version à la fois raccourcie et complétée d’une « mise à jour » de 1993, enfin la version « définitive » qui figure sur le DVD édité en 2008 – celle qui sort en salles aujourd’hui. Le sens du film, selon Marker lui-même, n’était pas supposé changer : « Il s’agissait de raccourcir, pas de modifier » dira-t-il (à Film Comment, juillet-août 2003), affirmation d’ailleurs contestable.

Le fond de l’air est rouge est un montage d’images, certaines tournées par Marker lui-même, et de huit voix off. Le projet du film est  de prendre en charge l’histoire des mouvements révolutionnaires du 20e siècle, de la Révolution d’Octobre à une situation d’ensemble au milieu des années 70 marquée par la défaite, l’écrasement, la dilution ou la sclérose de ces mouvements, alors que refluent les espoirs nés au cours des années 60 et au début des années 70 d’un bouleversement progressiste de l’organisation du monde. Là commence de se jouer ce qui fait la singularité politique du film, au-delà de ses très nombreuses qualités en termes d’information, d’émotion, d’invention formelle.

Devant le Pentagone en 1967, mais aussi ailleurs, sinon partout…

Il est clair que partager des informations est aussi politique, que susciter des émotions a ou peut avoir une dimension politique, que créer des propositions formelles est potentiellement riche d’effets politiques. Il ne s’agit donc ni d’opposer la dimension politique aux dimensions informatives, émotionnelles et esthétiques, ni de découper en rondelle ce qui constitue le film et ce qu’il produit. Mais s’il est exact d’affirmer qu’il y a du politique dans toutes les composantes d’un film (au moins au sens de « traduction de rapports de forces »), une telle affirmation sert trop souvent à affaiblir la compréhension et à créer de la confusion. C’est singulièrement le cas avec Le fond de l’air est rouge, qui n’est pas seulement « politique » au sens où son sujet concerne la politique, ni « politique » au sens où il y a toujours des enjeux politiques dans ce que fait un film, quel qu’il soit, mais au sens, beaucoup plus singulier, où ce film-là définit un moment politique en tant que tel. Et qu’il le fait de manière extrêmement puissante, par rapport au passé, au présent et à l’avenir – un avenir dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui.

Les quelque trois ans consacrés par Chris Marker au montage complexe des images et des voix composent en effet une réflexion à plusieurs niveaux, et qui a l’intelligence de ne pas les séparer, de ne pas les confondre non plus. Chris Marker appelle cette approche « dialectique », elle est à vrai dire bien davantage que ce que désigne cette méthode de pensée, qui reste fondée sur des oppositions binaires. S’il emploie, avec respect, le mot « dialectique », c’est que Marker, en tout cas le Marker de cette époque-là, pense et parle encore avec le vocabulaire et les concepts issus du 19e siècle et de la première moitié du 20e. Cela fera partie des reproches qu’adresseront au film la plupart des rédacteurs des Cahiers du cinéma lors de la table ronde qu’ils consacreront au film[1], reproches synthétisés autour du fait que les voix du film appartiennent à des personnes de la génération de Marker, et pas à des personnes plus jeunes notamment, à ceux (comme eux) de la « génération 68 ». Avec le recul, il est au contraire probable que ce soit précisément cette relation différente à l’actualité récente, nourrie d’une expérience et d’une mémoire plus amples des luttes révolutionnaires, qui donne au Fond de l’air est rouge sont importance historique, au moment où il apparaît et ensuite.

Cette importance s’affirme (même si on n’en a pas toujours conscience alors) sur deux fronts : à la fois contre les illusions d’une continuité impensée de l’élan révolutionnaire du siècle, et contre la liquidation de l’espoir d’un monde meilleur. Contre le romantisme et contre le cynisme. Ce sont deux puissants ennemis, très bien représentés alors dans les mouvements politiques, dans l’intelligentsia, dans les médias, dans le monde artistique.

Pour les combattre, le film élabore les conditions d’une intelligence des mouvements révolutionnaires qui ont traversé trois quarts de siècle, à partir d’un tissage complexe d’images et de sons. Cette composition ne ressemble pas à ce que ferait un historien, elle n’est ni chronologique, ni attachée à lister tous les événements décisifs, à en décrire les causes et les effets. Non, il s’agit bien d’une composition, qui se rapproche davantage d’une grande fresque comme aurait pu la concevoir Picasso, où des éléments extrêmement hétérogènes résonnent les uns avec les autres, où les tournants historiques majeurs s’éclairent de notations intimes, de digressions poétiques, de rapprochement inattendus, jamais gratuits.

Dans Lettre de Sibérie, le même passant était successivement décrit comme “pittoresque représentant des contrées boréales“, “inquiétant asiate” et “Yakoute affligé de strabisme

Ce travail sur le matériau historique est tout entier habité d’une compréhension nouvelle des enjeux de représentation. Marker pense ensemble, et bien au-delà de la dialectique, les interactions entre faits et images. Il ne l’a pas toujours fait. Au contraire, jusqu’à Si j’avais quatre dromadaires (1966) où il le formulait explicitement, il aura disjoint « le réel » des « représentations », quitte à jouer sur le passage entre les deux comme dans la célèbre séquence du Iakoute qui louche de Lettre de Sibérie (1958). On peut penser que l’expérience de Loin du Vietnam (1967), et notamment les contributions de Jean-Luc Godard et d’Alain Resnais, tout comme l’expérience de SLON et des Groupes Medvedkine en 1968, ont joué un rôle important dans cette évolution. En préambule à l’édition des « textes et descriptions » du Fond de l’air est rouge publiée en 1978 chez Maspero, Marker fournissait sous l’intitulé « Repères » un certain nombre d’éléments de compréhension, dont celui-ci : « INFORMATION La séquence du pilote américain ne montre pas que les Américains napalmaient le Vietnam, mais un Américain « se montrant » en train de napalmer le Vietnam. Le mode d’information fait partie de l’information et l’enrichit. C’est un des principes de choix des documents : chaque fois que c’était possible (écrans de télévision, lignes de kinescope, citations d’actualité, lettre enregistrée « sur minicassette », images tremblées, voix de radio, commentaires des images à la première personne par ceux qui les ont captées, rappel des conditions de tournage, caméra clandestine, ciné-tract…) rapprocher le document des circonstances concrètes de son élaboration, faire en sorte que l’information n’apparaisse pas comme cosa mentale, mais comme une matière – avec son grain, ses aspérités, quelquefois ses échardes ».

Il y a plus. Il y a la compréhension nouvelle des puissances actives des images, y compris de fiction, dans le déroulement des faits et leur perception. Le Fond de l’air est rouge est tout entier placé sous le signe du Cuirassé Potemkine, et en particulier de la séquence de l’escalier d’Odessa, traitée explicitement comme un événement historique fondateur, événement dont il est dit clairement qu’il ne s’est jamais produit ailleurs que dans le film d’Eisenstein. Mouvement des images qui retraverse et reconfigure les chronologies et les enchainements selon un mode qui n’a rien d’absolu (d’autres configurations sont possibles), mais qui produisent du sens, de l’intelligence historique.

La Jetée (1962), Le Cuirassé Potemkine (1925)

A bien y regarder, cette idée vient de loin chez Chris Marker. Il faut se souvenir ici des premiers mots de La Jetée : « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. La scène qui le troubla par sa violence, et dont il ne devait comprendre que beaucoup plus tard la signification, eut lieu sur la grande jetée d’Orly, quelques années avant le début de la Troisième Guerre mondiale ». Remplacez « la grande jetée d’Orly » par « le grand escalier d’Odessa », et voilà une manière légitime (mais certainement pas suffisante) de comprendre Le fond de l’air est rouge (dont le sous-titre est justement Scènes de la Troisième Guerre mondiale), en l’inscrivant plus directement dans une histoire intime. Le film s’ouvre d’ailleurs sur des images de Potemkine et la voix de Simone Signoret disant « Je ne suis pas parmi ces gens qui ont vu Potemkine quand c’est sorti, j’étais trop petite… ». Marker, lui, l’a vu.[2]

Chris Marker reviendra, de manière plus théorique, sur ce processus de l’image fondatrice, et tragique, dans l’épisode de L’Héritage de la chouette intitulé « Mythologie ou la vérité du mensonge » (1989). Avant cela, il aura commencé d’explorer à nouveaux frais les puissances contemporaines de l’image, avec Sans soleil, tournant décisif de sa réflexion et de sa pratique, incompréhensible sans le précédent du Fond de l’air.

Le film est construit depuis un moment spécifique, la deuxième moitié des années 70. Loin de chercher à le masquer, il revendique son inscription dans une histoire longue mais marquée par une actualité, qui distord les événements, fait saillir davantage ce qui est plus proche. Cette construction permet de produire un discours au présent. Et en effet, Le fond de l’air est rouge tient un discours. Mais est-ce le discours de Chris Marker ? Pas sûr. En tout cas lui-même, qui fut et reste un maître rhétoricien, s’en sera défié. Dans la préface à l’édition des « textes et descriptions », il revient sur ce qu’il appelle « le commentaire-dirigeant », qui ne désigne pas seulement la position de maîtrise de celui qui parle sur les images, ce qu’il fit avec un brio étourdissant et discutable, mais la domination sur tout le film d’un discours qui le précède et le définit. Il écrit :   « j’ai essayé pour une fois (ayant en mon temps passablement abusé de l’exercice du pouvoir par le commentaire-dirigeant) de rendre au spectateur, par le montage, « son » commentaire, c’est à dire son pouvoir ».

Il fait plus, et mieux. Il ouvre des espaces que nul ne peut préempter, des interstices disponibles, que chacun peut occuper sans les combler pour autant. C’est notamment le sens des séquences dédiées aux animaux, les chats bien sûr, mais aussi les loups massacrés avec lesquels se termine la projection. Ces séquences participent d’un aspect particulièrement important, et particulièrement admirable de ce film. Il s’agit en effet d’un film tragiquement lucide, qui vient dresser avec affection et nuances le constat d’une défaite planétaire, celle de tous ceux dont Marker lui-même se sent proche, qu’il a dans bien des cas côtoyés. Terrible constat ! Et magnifique manière de le mettre en scène pour ne pas ajouter une pierre au tombeau des espoirs assassinés, des révoltes étouffées, des rêves écrasés, mais au contraire ouvrir des interstices, ménager le passage possible de nouvelles lumières. Où ? Quand ? Comment ? On ne sait pas.

Chris Marker non plus ne sait pas. Il sait qu’il est indispensable de regarder en face ces mouvements populaires qui sont de plus en plus souvent des processions d’enterrements, ou des funérailles de fosse commune. Il sait tout autant qu’il n’est en aucun cas question de se ranger du côté des liquidateurs, des vainqueurs, des nantis, et pire encore de ceux qui les rejoignent en trahissant leur propre histoire et le sens de leur propre vie – c’est exactement l’époque, en France, où une partie de l’intelligentsia renie l’ensemble de ses engagements sous le drapeau de ceux que les médias appellent « les nouveaux philosophes ». Sachant ce qu’il sait et conscient d’ignorer ce qu’il ignore, Marker fait un film qui laisse place aux autres qui le verront à l’époque – le « spectateur » à qui il entend « rendre son pouvoir ».

Mais surtout il fait un film prêt pour ce qu’on ne sait pas encore.

D’où cela reprendra, comment, sous quelle forme ? Marker pas plus qu’un autre ne peut le dire alors. Mais le pavé refleurira, comme dit la chanson – même si ce ne sera surement pas le même pavé, ni les mêmes fleurs. C’est pourquoi, loin d’être un film nostalgique, Le Fonds de l’air est rouge fonctionne comme un appel d’air (rouge). Il l’est de plus en plus à mesure que le temps passe, que de nouvelles pratiques sociales, de nouvelles relations entre individus et groupes apparaissent, de nouvelles propositions d’actions ou de comportements se construisent.

De A bientôt j’espère (1967) au Souvenir d’un avenir (2001) en passant par 2084 (1984), les titres de ses films auront à plusieurs reprises souligné cette relation ouverte, dynamique, avec les mouvements de l’histoire longue telle que les hommes la font et la subissent. Avec la question du titre de la deuxième partie, « quoi, au fait ? », il reconnaissait ne pas posséder la réponse. Mais il ne renonçait à rien de ce qui pourrait permettre d’un construire une. Puisque, comme il l’écrirait au moment du nouveau montage du film en 1993, avec 15 ans de recul (« l’espace d’une jeunesse »), devant un monde encore davantage en mouvement après la chute du Mur de Berlin, et pourtant encore en deçà des bouleversements qui accompagneraient le nouveau siècle, « il restera des loups ».


[1] Cahiers du cinéma n°284.

[2] C’est l’idée défendue par Arnaud Lambert dans le livre Also Known as Chris Marker (éditions Le Point du jour), ouvrage opportunément réédité aujourd’hui.

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Venise 70-6 (3/09) Deux lieux pour deux histoires

Yuval Scharf dans Ana Arabia d’Amos Gitai

Sans hésitation, la compétition aura été dominée par le nouveau film d’Amos Gitai, Ana Arabia. Qu’il soit réalisé en un unique plan séquence d’une heure et demi n’a rien d’un exercice de maîtrise gratuit. C’est au contraire une manière à la fois élégante et efficace de prendre en charge, en termes de mise en scène, l’affirmation politique et éthique qui soutient tout le film. A partir de l’histoire vraie d’une femme palestinienne dont les enfants et petits enfants découvrirent tardivement qu’elle était juive et avait été, enfant, déportée à Auschwitz, Ana Arabia accompagne l’enquête d’une journaliste israélienne dans une enclave palestinienne de Jaffa. Et c’est toute l’inextricable et déstabilisante unité de ce qui construit ce lieu, ses habitants et habitantes, dont une autre femme juive ayant elle aussi épousé un arabe, qui se met en pace dans la circulation qu’organise le film.

Car cette unité n’est en aucun cas simple ni linéaire, c’est un labyrinthe dont les lieux, dédale de cours, de ruelles, de petites maisons, de lopins cultivés, de décharges d’ordures, est la formulation topographique du labyrinthe d’histoires qui relient et si souvent opposent les protagonistes, présents physiquement à l’image ou dans les multiples récits, protagonistes eux-mêmes fruits de non moins labyrinthiques relations familiales épousant les tragédies et rebondissements de la deuxième moitié du 20e siècle, et jusqu’à aujourd’hui.

Portée par quatre interprètes remarquables, Youssef Abou Warda campant un émouvant et modeste patriarche, et trois femmes magnifiques jouées par Yuval Scharf, Sarah Adler et Assi Levy, cette construction aux allures de 1001 nuits de la catastrophe subie par les Palestiniens est aussi une vigoureuse affirmation politique que sous ce ciel unique qui finira par occuper tout l’écran, il n’y a qu’une terre à habiter par tous.

Pas grand chose en commun en apparence avec At Berkeley, documentaire fleuve de Frederick Wiseman consacré à la célèbre université californienne. Et pourtant… Pourtant là aussi c’est un lieu qui condense une histoire, et cristallise une multiplicité d’enjeux, de conflits. Là aussi c’est une sorte de labyrinthe qui se met en place grâce à la circulation organisée, fut-ce avec d’autres moyens cinématographiques, par Wiseman pour donner à comprendre la complexité d’une histoire à partir d’un territoire et de pratiques circonscrites, réunions budgétaires de l’administration, cours de littérature ou de physique, chorale et équipe de football.

Et de Thoreau aux mutations génériques cancéreuses, de l’héritage des contestations des années 60 à la défense de l’enseignement public dans l’Amérique actuelle ravagée par l’égoïsme libéral au front bas, des pelouses du campus baignées de soleil aux laboratoires de recherche de pointe, c’est là aussi un admirable de travail de composition historique et politique qui se déploie quatre heures durant par les ressources d’un cinéma dans l’espace d’une supérieure intelligence. La longue durée de celui-ci faisant écho à la virtuosité du plan unique de celui-là.

Il n’y a absolument aucun lien logique reliant le film de Wiseman au fait que c’est à Berkeley qu’Amos Gitai a étudié l’architecture, art dont on retrouve l’influence à tous les détours de son cinéma. Aucun lien de causalité, juste un bel écho.

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Dans le sillage d’un rêve fusée

The Lebanese Rocket Society. L’Etrange Histoire de l’aventure spatiale libanaise.

De Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.

Oyez oyez ! En des temps si lointains que nul n’en garde trace, il y eut des savants sérieux et rêveurs pour vouloir faire voler une fusée vers les étoiles, lancée depuis (et par) un petit pays dont le nom ne signifierait bientôt plus que guerre et troubles. Ça ne vous dit rien ?

Ce sera donc  l’histoire d’un oubli. L’oubli d’une entreprise qui fut célèbre en son temps, et puis effacée des mémoires. L’histoire d’un rêve, et du rêve qui a rêvé ce rêve. C’est l’histoire, au présent et au passé, de nos regards, et de comment ils voient ce qu’ils voient, c’est à dire comment des formes appartiennent à des histoires, suscitent des associations d’idées, des peurs et des espoirs.

La forme en question, donc, est celle d’une fusée. Une fusée qui court à travers le film, telle qu’en elle-même l’Histoire, la science, l’armée libanaise, les services de sécurités israéliens, des artistes, des journalistes, des archivistes, des badauds la changent. Et des aussi cinéastes bien sûr, celle et celui qui ont entrepris de raconter cette « étrange aventure ».

Nonobstant leurs voix off du début, « raconter » n’est d’ailleurs sans doute pas le terme le plus approprié. S’il y a bien un récit, il se fait par assemblage d’éléments composites, qui suivent bien un fil dramatique, mais en ne cessant de le tisser de matériaux nouveaux, dont l’hétérogénéité fait la richesse du film, à partir de son point de départ historique.

C’est ainsi que The Lebanese Rocket Society prend en charge le projet de construction spatiale né à l’université arménienne Haigazian de Beyrouth en 1962, sa mise en œuvre progressive avec le soutien, qui va devenir envahissant, de l’armée pour la construction et le lancement des fusées Cedar, le blocage de l’expérience suite à des pressions internationales de la part de pays (les Etats-Unis, l’Union soviétique, la France) qui ne veulent pas que des petits viennent jouer dans la cour des grandes compétiteurs de la course à l’espace.

Mais grâce à sa composition, le film raconte aussi combien cette aventure aura cristallisé les espoirs du panarabisme d’alors – le rêve nassérien, le rêve de la révolution arabe, composant du rêve tiers-mondiste qui aura porté les années 60. Et il raconte combien l’échec du projet Cedar est synchrone de l’effondrement du projet panarabe après la défaite de la Guerre des 6 Jours en 1967. Il est aussi l’occasion de faire ressurgir d’autres images d’histoire contemporaine totalement balayées des mémoires collectives – qui se souvient que les Etats-Unis ont envahi le Liban pour y imposer leurs vues, 15 000 marines débarquant à Beyrouth en 1958 ?

Empruntant le ton d’un thriller, il montre une enquête qui mène jusqu’aux Etats-Unis justement, à Tampa en Floride. Là enseigne l’initiateur du projet Cedar, le professeur Manoug Manouguian. Et c’est le miracle des archives, le vieux prof a tout gardé, les photos, les films en 16 et 8 mm, les journaux, et ses propres souvenirs. Et ce n’est pas seulement sa propre entreprise qui ressurgit et, c’est une représentation beaucoup plus ample de ce qu’a été le Liban d’avant la guerre civile.

Toute une histoire, donc, et à nouveau son imaginaire, indissolublement tramé dans les documents et les faits. Hadjithomas et Joreige en poussent la logique au-delà, grâce à une séquence de dessin animé qui développe l’uchronie d’un pays du Cèdre qui ne se serait pas entre-massacré durant 15 ans, de 1975 à 1990. Ils imaginent et réalisent ce qu’aurait pu être un autre Liban, inventent le Golden Record qu’aurait emporté vers les étoiles une fusée Cedar, ce « disque d’or » comme en emporteront les sondes Voyager au début des années 70, présentant à l’univers les trésors de l’humanité… Jouant avec audace mais sans faux)semblant avec les « si », le film fait aussi percevoir comment ce qui a passionné une nation peut être ensuite refoulé, enfoui dans un oubli total.

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ne sont pas historiens. Ils ne décrivent pas seulement ce qui s’est produit. Ils travaillent ce qui vibre aujourd’hui autour et à cause de cette histoire. Cinéastes, les deux auteurs sont aussi plasticiens, ils ont le sens de la fabrication d’objets et de la mise en place de situations qui, différemment du cinéma, provoquent eux aussi des émotions, et de la pensée. Le film The Lebanese Rocket Society, L’Etrange Histoire de l’aventure spatiale libanaise est d’ailleurs l’élément « film » d’un diptyque dont l’élément plastique, The Lebanese Rocket Society, Hommage aux rêveurs, vient d’être exposé à Paris, Marseille et New York.

Entre leur travail de cinéastes et de plasticiens, pas de barrière : c’est en artistes qu’ils cherchent une réponse politique à la question dont reste porteuse l’aventure spatiale libanaise. Ils entreprennent donc de faire refabriquer aujourd’hui à l’identique une fusée Cedar IV, objet d’art, statue à la mémoire de ceux qui rêvèrent. Mais une fusée aujourd’hui à Beyrouth, personne ne la voit comme une fusée. Dans tous les regards, une fusée c’est un missile. Tous les regards ? Bravant les innombrables obstacles officiels, administratifs, militaires, policiers, logistiques, y compris les objections israéliennes à l’existence de quoique ce soit qui ressemble à un projectile chez ses voisins, les artistes entreprennent de faire traverser la capitale par la fusée, sur un camion découvert, sous les regards de la population.

Cette opération, qui dans le champ artistique relève de la performance et de l’installation, est filmée, la séquence correspondante dans le film redéploie à nouveau tous les échos selon des directions nouvelles, contemporaines. Comique et dangereux, le cheminement de la fusée vers le campus de l’université Haigazian où elle sera finalement installée à demeure devient une retraversée onirique d’un immense espace temps (pas les galaxies lointaines, mais l’histoire du Moyen Orient au 20e siècle) sous les éclairages à la fois instables et acérés d’une actualité dangereuse elle aussi, mais qui n’a hélas rien de comique.

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Cinéma Bauhaus

 

Lullaby to my Father d’Amos Gitai

Elle est belle. Elle est couchée dans l’herbe avec un livre. Elle est enceinte. Elle lit et éclate de rire. Et son rire déclenche les contractions. Autour, personne, la forêt. Un garçon dans la forêt, il y a de la boue. Des chevaux. Un feu. C’est ailleurs, ce n’est pas la même époque, pas la même forêt, pas la même image. Mais où ? Mais quand ? Le violon danse sur la bande son, il est léger et inquiet. La voix de Jeanne Moreau lit une lettre qui parle d’une époque sombre, de la montée des périls. C’est la nuit, la voiture fonce, les flocons de neige se ruent sur le pare-brise.

Ce sont de mouvements, des sensations, des indices qui construisent un récit. C’est une invocation pour un absent, un homme dont on mettra longtemps à deviner le prénom, plus encore à bien comprendre le nom. Munio Weinraub. Sans doute est-ce lui dont on aperçoit le visage sur certaines de ces photos en noir et blanc qui, à l’écran, viennent composer une sorte de tableau, accolées à des documents, à des dessins, à des plans d’architecte. Et sans doute est-ce lui, aussi, que désigne le titre du film, ce père qui est bien en effet celui du réalisateur, Amos Gitai.

Devant un tel film, chacun est à sa place, définie par ce qu’il sait. Les places sont égales, mais différentes, selon que le spectateur connaît ou pas l’histoire tel ou tel aspect de l’œuvre récente de Gitai, œuvre qui pour une grande part s’élabore autour de la mémoire de ses parents, Efratia et Munio. Livres, expositions, spectacles, films, installations conspirent depuis cinq ans à multiplier des traces, à agences des signes qui conspirent à faire percevoir la présence d’une absence – absence de personnes bien réelles aujourd’hui disparues, mais aussi d’une époque, d’une histoire, de certaines idées. Ce que fait Gitai n’a guère à voir avec l’exhibition de son intimité familiale.

Ces deux figures, ces deux parcours, ces deux récits de vie, double expérience dont il est lui-même le produit, permettent au cinéaste de rendre leur place à des pans entiers d’une vision du monde dont il éprouve douloureusement l’affaiblissement, le possible effacement. Et d’abord dans son pays : « Ces expositions, ces lectures publiques, ces livres et ces films visent à empêcher que ces gens et ce qu’ils représentaient soient effacés par le révisionnisme actuellement à l’œuvre en Israël. Il y a aujourd’hui un puissant mouvement qui vise à occulter les idées, et les modes de vie de ceux qui sont venus là autrement que dans le déni des autres, et bien sûr d’abord des Palestiniens. Munio et Efratia représentent des éléments importants de l’histoire israélienne, de l’histoire juive, qui sont aujourd’hui marginalisés. Y compris les idées architecturales de Munio, que les décennies qui ont suivi sa mort ont entièrement contredit, dans une architecture spectaculaire, sans égard pour le contexte, une architecture très dispendieuse en moyens, pour ne pas dire un énorme gâchis de matériaux, d’espace, d’énergie, etc. Tout le contraire de ce que proposait le Bauhaus, et qu’il était venu adapter à l’environnement de la Palestine. Ce gâchis dispendieux et tape-à-l’œil n’est pas propre à Israël, on en trouve des formes bien plus extrêmes ailleurs dans la région, à commencer par les Emirats.  C’est de l’architecture-spectacle. Dans le contexte du pouvoir militaro-religieux sectaire qui caractérise le pays aujourd’hui, il me semble utile de revenir à ces points de départ. »

Sa mère, Efratia, est née en Palestine au début du 20e siècle, il a notamment évoqué sa mémoire, et ce qu’elle mobilise, dans le film Carmel, qui ressort en même temps que Lullaby. Son père, Munio, né en Silésie, a étudié l’architecture au Bauhaus sous la direction de Gropius, de Mies Van Der Rohe et de Kandinsky, avant la fermeture de l’école par les nazis. Arrêté, tabassé, condamné, il est expulsé, et rejoint les rives de la Palestine, où il deviendra un bâtisseur de kibboutz, d’immeubles modernes et de lieux collectifs, adaptant aux conditions locales l’enseignement du Bauhaus.

Ce parcours se devine peu à peu au fil de Lullaby, mais le film n’est pas une biographie, encore moins une succession d’anecdotes. C’est, par un assemblage complexe de mots, d’images rêvées, d’archives, de musiques, de saynète brechtienne, de témoignages, la recherche fiévreuse et délicate du sens d’une vie, en tant qu’elle ne concerne pas seulement celui qui l’a vécue et ses proches.

La puissance d’invocation du film, et la multiplicité des échos qu’il suscite, tient à sa construction, assemblage de blocs aux formes simples qui permettent des circulations inédites, ouvrent sur des lumières inhabituelles, rapprochent de manière féconde des composants d’ordinaire séparés, sinon exclusifs. On aura reconnu quelques uns des principes de l’architecture et du design inventés par le Bauhaus, et qui en firent un des premiers grands creusets de la modernité.

Amos Gitai confirme s’en être directement inspiré : « Lullaby est un film Bauhaus. C’est un film de rupture, conçu sur la tension entre les fragments. Aujourd’hui, il y a un malentendu sur ce que signifie le Bauhaus. Ce n’était pas un projet formel, c’était un projet politique et social qui trouvait des réponses notamment dans le domaine des formes. On peut dire que le Bauhaus a souffert de la guerre froide, les Soviétiques ne se sont intéressés qu’à la dimension politique, en la noyant dans le kitsch réaliste socialiste, et l’Ouest ne s’est intéressé qu’à l’aspect formel, en le privant de son sens. Avec la victoire de l’Ouest, il ne reste que l’aspect formel. Mais le projet était au point de fusion des deux approches. Et c’est ce que Munio a essayé d’adapter au contexte d’Israël. »

Amos Gitai devant un plan dessiné par Munio Weinraub

dans les bâtiments du Bauhaus à Dessau

Fils d’architecte ayant lui-même passé son diplôme dans cette discipline avant de s’orienter vers le cinéma, Gitai a souvent eu l’occasion de pointer les proximités entre les deux pratiques. Dans Lullaby, on entend un fragment d’un texte de Munio Weinraub sur la primauté de l’ensemble d’un projet sur les détails et ornements qui peuvent s’y trouver, et sur la nécessité de la cohérence. Occasion de souligner, cette fois, une différence entre architecture et mise en scène : lorsqu’on découvre un bâtiment, on voit d’abord l’ensemble, avant d’en découvrir les détails, alors qu’au cinéma, on voit les plans du films un par un, et l’ensemble n’existe qu’à la fin, dans la tête du spectateur, comme résultante de ce qui est advenu instant après instant, situation après situation. Caractéristique de tout film un peu ambitieux – « un grand film n’advient qu’après la fin de la projection, dans ce qu’elle a fait naître comme totalité chez chaque spectateur » aime à dire Amos Gitai –  ce phénomène est vrai à un degré inhabituel dans ce film, dont la richesse ne se ressent véritablement qu’à l’issue de la traversée, jalonnée de moments émouvants, amusants, troublants ou simplement d’une grande beauté, mais qui ne trouvent leur véritable raison d’être que comme composant d’un tout.

C’est aussi cette relation au fragment, aux ressources de la composition, qui permet à Gitai de mener désormais son œuvre en entrecroisant plusieurs domaines artistiques : « J’ai la possibilité d’adapter ce que je veux faire à des lieux différents, y compris en utilisant des fragments de mes films, de même que les films utilisent des fragments de ce que je fais ailleurs. Et le fait de changer de medium révèle des sens nouveaux. Je ne sépare pas les œuvres des archives, tout ce qu’a laissé Munio est riche de sens, les lettres d’Efratia aussi : lorsque c’est Jeanne Moreau qui lit ces lettres, qui étaient pourtant dans une autre langue, et à usage privé, une nouvelle intelligence de l’histoire, et du présent, devient perceptible. Se déplacer dans l’espace fait aussi partie de ce travail : selon que le projet est destiné au musée Reina Sofia de Madrid, au Moma à New York ou à la Cinémathèque française – trois endroits où je vais prochainement présenter quelque chose -,  les mêmes éléments prennent différentes résonnances, doivent être agencés différemment et chaque fois avec des composants nouveaux. Si on se déplace, on ne peut pas se répéter. C’est à mes yeux une des puissances de ce phénomène qu’on voudrait aujourd’hui renvoyer aux ténèbres du passé, la diaspora, le cheminement à travers le monde. »

 

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«Django Unchained» et «Lincoln», il était deux fois la révolution

Bien que très différents, les derniers films de Tarantino et Spielberg, qui sortent à deux semaines d’écart, partagent la même foi dans le grand acte politique qui, par le fer et la parole, fait basculer le monde.

Leonardo DiCaprio, Christoph Waltz, Samuel L. Jackson et Jamie Foxx dans «Django Unchained» (Sony Pictures).

 

Tout de suite, le cadre de Django Unchained est posé: ce sera celui du mythe. Chanson «western», puis musique «à la Ennio Morricone» —en fait: de Ennio Morricone—, cadrages magnifiant l’ampleur cosmique du paysage, profil de Jamie Foxx isolé parmi la file de Noirs enchainés et filmé tel un dieu grec.

Django arrive. Cet homme noir vient de quelque part, et même de pas moins de trois lieux à la fois. Ça va péter! Exploser, gicler, tonitruer, rollercoasteriser grave, à l’image et au son, pendant 170 minutes, au nom de cette triple origine.

Django n’est pas du tout le héros du western classique, venu du nulle part et voué à redisparaître dans le soleil couchant, figure du Bien ayant effacé ses origines de miséreux européen. Il n’est pas le héros du western moderne, produit de son époque et de ses contradictions. Et il n’est pas le héros du western postmoderne, pure figure graphique et sensorielle (tel son homonyme inventé par Sergio Corbucci, dont le Django de 1966 ressort opportunément le 23 janvier).

1+2+3=violence déchaînée

D’où viens-tu Django?

1) D’une plantation du Sud des Etats-Unis juste avant la guerre de Sécession, donc de l’enfer de l’esclavage.

2) De l’outrageante insuffisance de la prise en compte de la brutalité de cet enfer dans l’imaginaire collectif américain. Hollywood n’a pas nié l’esclavage, et face à Naissance d’une nation, film dont Tarantino dit «qu’il l’obsède», et à Autant en emporte le vent (deux titres fondateurs du cinéma US, tous deux pro-Sudistes), on trouverait bien sûr nombre de réalisations dénonçant le sort des Noirs.

Mais la fabrique mythologique moderne n’a jamais massivement fait de la dénonciation des crimes inouïs et ininterrompus sur lesquels s’est bâtie la première prospérité américaine un enjeu de spectacle —alors que, très lentement et encore insuffisamment, le génocide des Indiens a fini par être pris en compte, après avoir été systématiquement inversé, faisant des victimes les bourreaux, durant plus d’un demi-siècle.

3) Des Etats-Unis d’aujourd’hui, ceux du Tea Party, de Fox News, de la surenchère extrémiste de la plupart des candidats à l’investiture républicaine en 2012. Du point de vue de Tarantino, ces gens-là ne sont pas des concitoyens aux opinions différentes des siennes, mais un ramassis d’abrutis malfaisants qu’il convient de réduire à néant par tous les moyens pour rendre l’air un tant soit peu plus respirable.

1+2+3=la déferlante de violence déchainée, comme l’indique le titre. Pour déclencher cette explosion, il faut une mèche, un dispositif de mise à feu. Celui-ci vient encore d’ailleurs: d’Europe, et du langage.

Irruption décisive du langage

On sait depuis la première scène du premier film de Quentin Tarantino, le conciliabule au restaurant en ouverture de Reservoir Dogs, l’importance décisive qu’il accorde à la parole. Et tous ses films fonctionnent sur des escalades en contrepoint de dialogues (ou de monologues) et d’action. Soit l’introduction comme corps étranger, perturbateur, d’une dimension toujours d’habitude marginalisée par la quête d’efficacité du spectacle hollywoodien («Pas de paroles, des actes»).

Tarantino fait un usage distancié, affichant son artifice, de l’usage des mots, à la différence de la présence massive de la parole chez Scorsese par exemple, où elle est organique, fait partie de la définition des personnages en relation avec leurs racines européennes, italiennes. Alors que l’usage immodéré des mots, et de phrases construites, sophistiquées, souvent s’interrogeant sur leur propre sens ou leur propre statut (rappelez-vous les arguties sémantiques de Travolta et Jackson dans Pulp Fiction), est clairement toujours un élément extérieur, intrusif et perturbateur, dont la présence a des effets finalement ravageurs.

Dans Django Unchained, cette irruption décisive du langage est incarnée avec une jubilatoire faconde par Christoph Waltz, le mémorable colonel Landa d’Inglourious Basterds. Waltz est devenu en deux films un «être tarantinien» par excellence, c’est à dire un personnage venu d’ailleurs, et capable d’une virtuosité d’expression verbale exceptionnelle, susceptible de dérégler les dramaturgies installées, de libérer des forces contenues par les manières habituelles de régler les rapports humains —et de raconter les histoires. Herr Doktor King Schultz libère Django, pas seulement au sens propre, mais au sens où la physique parle de la libération des puissances de l’atome.

Exactement comme Inglourious Basterds faisait penser à l’inscription sur la guitare de Woody Guthrie, «This machine kills fascists», Django Unchained porte en étendard «This machine kills racists». L’acte de «tuer» ne s’entendant, ne pouvant s’entendre qu’à l’aune des puissances particulières d’une guitare ou d’un film, et pas d’un fusil d’assaut —ce qui est une petite différence avec les braves gens de la NRA et assimilés.

Exemplaire est à cet égard la séquence renversant sur des membres du Klu Klux Klan un tombereau de ridicule, non pas parce que cela fait du bien de se moquer de salopards débiles, mais parce que cela s’inscrit dans un contexte qui insiste sur les effets atroces de ce qu’ils représentent. Le burlesque ne distrait pas de l’horrifique ni ne l’enrobe, ils sont deux modèles de munition au service du même combat.

Un combat qui se déroule dans les salles de cinéma

Ce combat ne se déroule pas dans le Sud des Etats-Unis au milieu du 19e siècle, mais dans les salles de cinéma au début du 21e. Pas plus que le précédent film ne se référait à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais à l’univers imaginaire qui a été construit à partir d’elle, le nouveau film n’est pas une description des conditions réelles de l’esclavage, ni une fiction réaliste de ce qu’aurait pu y faire un noir révolté et particulièrement doué pour l’usage des armes.

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