Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaïmèche. Avec Nabil Djedouani, Rabah Ameur-Zaïmèche. Mohamed Aroussi, Marie Loustalot, Patricia Malvoisin Durée: 1h39. Sortie le 8 avril 2015
D’abord les pierres. Le soleil dur, le jaune pâle de la poussière. Un souffle, difficile à cause de l’effort pour gravir la montagne, mais un élan aussi, une force. Et puis l’ombre. Une poignée de mots comme une poignée de mains, deux amis dans la pénombre, du respect. L’épuisement de celui là-haut dans la cahute obscure au milieu du désert, qui est allé au bout de son épreuve, de sa quête. L’autre, qui est venu le chercher, le portera pour redescendre, geste à la fois de fraternité et d’allégeance.
A elle seule la première séquence où le disciple Judas vient chercher Jésus au désert et le ramène parmi les vivants, suffit à témoigner de la puissance et de la complexité du cinéma de Rabah Ameur Zaïmèche –complexité qui n’a rien de difficile, qui est juste la prise en charge d’un très grand nombre d’élément fort simples.
Ainsi est d’emblée remise à zéro «la plus grande histoire jamais contée», comme la nomme Hollywood lorsque l’industrie lourde se mêle de reprendre le récit évangélique.
A zéro, c’est-à-dire au niveau des humains, au niveau du sol, au niveau du message originel –celui que nul ne connaît, puisque sa transcription est tardive et multiforme: les quatre évangiles officielles plus celles que l’Eglise n’a pas validées.
Avant même la singularité de la proposition du film dans sa manière de décrire l’histoire de Jésus le Nazaréen, singularité qu’annonce le titre, c’est bien la manière de filmer à la fois violente et tendre du cinéaste de Bled Number One qui fait naître sous les pas de ses personnages une vision inédite de la passion du Christ. Une vision toute entière tournée vers la matérialité des choses, l’humanité des êtres, la violence des enjeux de pouvoir et l’exigence des liens de fidélité, d’affection et de révolte contre l’oppression.
Coupant au travers des récits établis sans les attaquer ni offenser qui que ce soit, Rabah Ameur-Zaïmèche invente une diagonale de la compassion et de la souffrance qui, en deçà de tout rapport religieux ou dogmatique, et sans naïveté aucune, affirme une foi dans les hommes et dans ce qui vibre entre eux.
C’est au nom de cette approche où l’esprit et la matière ne font qu’un que le réalisateur met en place cette légende alternative où Judas, interprété avec une impressionnante intensité et une sorte d’humour décalé par le réalisateur lui-même, n’est plus le traître, mais le disciple fidèle parti exécuter un ordre urgent de son maître spirituel, Jésus, au moment de l’arrestation de celui-ci. (…)
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Y a-t-il une origine à ce film ? Mon enfance. J’étais à l’école, en CM2, je ne sais pas vraiment pourquoi mais j’ai commencé à m’intéresser au personnage de Jésus. Pendant une année j’ai dessiné des crucifix, je les coloriais de toutes les couleurs. Mon instituteur était perplexe mais m’a laissé continuer, mes camarades – pas beaucoup d’arabes à l’époque – se demandaient ce qui me prenait, ils me considéraient à la limite comme un traitre. Mais Jésus a été un personnage important, qui m’a aidé à me construire. Ce n’est pas forcément lié à la religion, en tout cas pour moi, je n’ai pas besoin de référence à Dieu, ou à un dieu, pour trouver passionnant ce personnage et avoir envie de l’explorer. Il n’y a pas besoin de Dieu pour cela, même si nous avons tous en nous un sentiment de l’invisible qui nous interroge et nous interpelle. Jésus est une figure fondatrice à mes yeux, comme d’ailleurs Mandrin (auquel Ameur Zaïmèche a consacré son précédent film, Les Chants de Mandrin) : ce sont deux personnages sur lesquels je me suis construit. Jésus était aussi un trait d’union entre la culture du monde d’où je suis originaire, et celui qui m’accueille, la France.
Vous vous intéressez plus à Jésus qu’au Christ ? Oui. Et Judas est presqu’un prétexte, pour faire un portrait de Jésus comme personnage humain, même s’il possède une certaine puissance, et comme quelqu’un qui continue de chercher à se découvrir lui-même.
C’est un agitateur, un chef révolutionnaire ? C’est un rabbin, c’est à dire un sage, quelqu’un qui connaît les textes sacrés, et qui aide et guide sa communauté. Il possède un savoir et il veut le vivre pleinement, au présent, maintenant. C’est sans doute ce qui le distingue des autres rabbins. Et c’est pourquoi il ne veut pas qu’on inscrive ses faits et gestes, et encore moins ce qu’il dit, dans la pierre ni sur des parchemins. Il se défie de la parole qu’on fige, et qui deviendra forcément un dogme, un outil de pouvoir, un instrument de domination et de soumission. D’où la mission de détruire les transcriptions de ses prêches qu’il donne à Judas, dans l’urgence : « Fais ce que tu dois faire. Et fais-le vite. »
Il y a de ce point de vue une primauté donnée à ce qui arrive, qui le rapproche du spectacle vivant, du théâtre comme mise en forme, et en mots, et comme expérience de ce qui se passe au présent. Mais c’est un peu ce que nous avons fait aussi en réalisant le film. On a reconstitué une sorte de théâtre à ciel ouvert, un vrai théâtre antique, pour s’approcher au plus près de la présence physique. J’étais très conscient de cette frontalité en tournant, je la cherchais, je voulais que le film propose de se confronter à ce qu’incarne Jésus tel que je le montre. J’ai cherché cette rencontre directe avec des mythes fondateurs, remodelés, réappropriés. Les récits gravés dans le marbre ne m’intéressent pas, un personnage comme Jésus mérite d’être en permanence réimaginé.
Vous avez tourné en Algérie. Dans quelles conditions ? J’y reviens pour filmer, 6 ans après Bled Number One, à nouveau dans des conditions où on aborde le tournage comme une sorte de chasse, de traque. A ce moment-là, j’ai un scénario, très écrit, très complet, je dois installer mes séquences dans des décors, des environnements que je découvre au fur et à mesure, et qui transforment tout. Même si à l’arrivée le film raconte bien, selon moi, ce qui était en jeu dans le scénario. Le passage de l’un à l’autre, du projet à sa réalisation, repose sur une dépense d’énergie extrême, avec le sentiment que c’est la dernière fois qu’on fait un film, qu’il advient quelque chose qui ne va plus jamais se reproduire. Et c’est cette énergie qui nous apporte des solutions improbables, inimaginables à l’avance.
Est-ce lié aux endroits, aux décors, aux gens ? Les pierres, les gouttes d’eau participent de ce phénomène, comme le rire des enfants, le visage des hommes, des femmes, des vieillards. La montagne au début, je ne savais pas qu’elle existait. La situation est dans le scénario mais pas comme ça, il y avait des plans qui venaient avant, de manière assez explicative, et qui sont devenus inutiles : quand j’ai vu cette montagne avec la cabane au sommet, j’ai su que je recevais un cadeau immense. C’était ce qu’on cherchait, sans le savoir. Au lieu de sortir d’une narration, les personnages sortent littéralement de la matière, de la terre.
Où avez-vous tourné exactement ? Tout autour de Biskra, au pied des Aurès, là où commence le Sahara. Il n’y avait rien là-bas qui puisse représenter une ville antique, a fortiori Jérusalem. J’ai choisi de partir de la réalité telle que je la trouvais plutôt que de fabriquer des leurres, j’ai donc pris le parti de tourner au milieu de ruines qui pourraient être aussi bien celles d’un violent bombardement récent que la trace d’un très ancien empire effondré. On est à la fois dans la terre des mythes et dans un lieu actuel, qui pourrait aussi bien être Gaza.
Lorsque vous arrivez pour tourner, le scénario est très écrit ? Oui. C’est grâce à ce scénario que nous avons pu financer le film, auprès de l’Avance sur recettes, d’Arte, et avec le distributeur, Potemkine. Le scénario est très précis, y compris les dialogues. Il résulte d’un vaste travail de recherches, dans les textes bibliques et les études savantes, mais aussi la littérature. Avec Sarah (Sarah Sobol, collaboratrice de Rabah Ameur Zaïmèche à toutes les étapes de la création), pendant trois ans on s’est plongés dans des montagnes d’ouvrages. En lisant les textes, on comprend que la construction du personnage de Judas est liée à la volonté d’élargir le message du Christ aux gentils, aux non-juifs, ce qui est en particulier la stratégie de Paul. Que la nouvelle religion puisse recruter ses adeptes chez les « non-circoncis » était surement une nécessité politique, mais qui a des effets. Si on avait accusé les Romains d’être les coupables, il aurait été difficile de répandre la religion tout autour du bassin méditerranéen, ce qui est l’objectif alors : cette zone est d’abord un bassin romain.
Ce sont des interprétations qui figurent dans les documents ? Les interprétations sont innombrables. En lisant les meilleurs érudits récents, on s’aperçoit qu’en fait on ne sait pas grand chose de manière assurée. Oui Jésus a existé, et il a très probablement été crucifié. Pratiquement tout le reste, c’est du récit. La place reste donc ouverte à de multiples compréhensions. Ce que je refuse c’est qu’une interprétation soit imposée. Dès lors, il est possible de remettre en question le rôle attribué à Judas, et le mécanisme le plus simple que nous avons trouvé pour cela est qu’en fait il n’était pas là au moment de l’arrestation et de la crucifixion, il était en mission envoyé par son rabbin. Et cette mission est précisément de détruire ce qui aurait été le seul véritable évangile, les chroniques recueillies sur place des actes de Jésus. Parce que celui-ci se défie de la manière dont cela figerait son message. Lui-même connaît les textes saints, mais il veut justement apporter un autre rapport à l’invisible, quelque chose qui se vit dans l’instant, dans l’expérience de chacun et pas en appliquant des recettes établies. Il s’agit d’une expérience mystique, sans doute, puisqu’elle implique une relation avec des puissances spirituelles, mais aussi et sans rupture une expérience des rapports entre les êtres humains, et des êtres humains avec la terre, avec la nature. C’est une sacrée mission.
Outre les textes religieux et historiques, avez-vous utilisé aussi d’autres sources ? Parmi les sources qui m’ont servi le plus directement se trouvent Ponce Pilate de Roger Cailloix, Le Maître et Marguerite de Boulgakov, auquel on a emprunté les répliques du procès de Jésus, et puis surtout Erri De Luca, de manière moins littérale, mais très présente. Nous avons aussi lu avec beaucoup d’admiration Histoire de Jésus de Nazareth, le scénario que Dreyer a essayé en vain de tourner durant 30 ans. Mais je me suis aussi beaucoup appuyé sue la peinture, notamment sur Caravage et sur Rembrandt. La séquence du tombeau vide avec Judas à la fin est directement inspirée du Christ au tombeau de Holbein, le plan n’était pas prévu dans le scénario, c’est le tableau qui l’a engendré. Avec Irina Lubtchansky, qui fait l’image pour la troisième fois sur un de mes films et est devenue une partenaire, nous avons beaucoup regardé ces lumières et ces compositions. J’ai aussi découvert James Tissot, qui a peint d’innombrables tableaux consacrés à la vie du Christ et à la Passion. Mais ses œuvres me servent plutôt pour la scénographie, la disposition dans l’espace, alors que Caravage et Rembrandt aident à donner de la présence, de la matière.
Le Christ au tombeau (1521) de Hans Holbein
Jésus au Mont des Oliviers de James Tissot
En quoi était-il important de revenir, aujourd’hui, sur l’histoire de Jésus ? Pour moi les mythes, les grands récits doivent être constamment repris, réinterprétés, transformés. Sinon on court un très grave danger, celui que nos représentations soient confisquées par un appareil, un pouvoir, et figés dans un système qui empêche de réfléchir, de comprendre, en particulier ce qui arrive de nouveau. Cela vaut pour les mythes anciens comme pour des récits plus récents, ou des formes de récits dictées par les technologies actuelles, et qui elles aussi formatent et tendent à imposer une représentation unifiée du monde. Face à cela, je ressens le besoin de réintroduire du questionnement, de l’émerveillement, un possible ré-enchantement.
Pourquoi Judas ? Je n’ai jamais compris pourquoi on avait besoin d’une idée aussi bête, aussi primaire, aussi brutale que cette trahison minable pour expliquer comment il a été pris. Pour moi, il a toujours été évident que c’était un artifice qui justifie les persécutions contre les Juifs – son nom, Judas, c’est déjà « le juif ». Et moi, je me suis toujours senti du côté des percutés, je devais être un peu juif quand j’étais petit : l’autre, celui qui est différent, et qu’on accepte pas à cause de cela. Oui, j’ai senti ça très profondément.
En faisant de Judas le personnage principal, vous avez voulu remettre en question cette perception si bien établie que « judas » est devenu un nom commun pour désigner un traître ? Oui, il me semble que depuis toujours je ressens qu’il y a une arnaque dans cette distribution des rôles, et qu’au moins on peut l’interroger. On voit alors que le récit de la vie de Jésus, de ce qu’il représente, n’a pas du tout besoin de ce qu’on a fait de Judas pour garder sa signification et sa puissance. Je crois même que c’est une histoire plus juste, plus humaine ainsi. Je ne prétends pas réécrire l’Evangile, seulement interroger ce qui s’est figé, de manière on le sait tardive, et fabriquée a posteriori, dès lors que cela produit des effets négatifs. Mon film n’est pas un film d’historien ou d’exégète, c’est un film pour aujourd’hui. La quête de la vérité doit rester de chaque époque, de chaque instant, au sein même des histoires, des mythes, des représentations parmi lesquels nous vivons, et qui nous aident à nous construire mais aussi peuvent devenir des carcans, des barrières mentales quand ils se transforment en dogmes. La vérité n’est pas fixée dans les livres, elle est toujours dans les intervalles.
Le son joue également un rôle important. Le travail sur le son vise à faire ressentir que le monde que l’on voit à l’écran existait avant, et continuera après notre départ, une fois que la situation semblera s’être dénouée. Il contribue à inscrire l’action dans une autre durée que celle du cours des événements. Le vent, les insectes, les oiseaux donnent cette dimension, grâce au son direct mais recomposé avec Nikolas Javelle, le monteur son et mixeur de tous mes films.
Qui sont les acteurs ? Jésus est joué par un ami, Nabil Djedouani, un réalisateur de films documentaires et de fiction. J’ai toujours été frappé, dans sa douceur, par sa ressemblance avec Jésus. Il a été essentiel à la naissance du film, dont il est aussi le premier assistant réalisateur. Mohamed Aroussi, qui joue Carabas, est un acteur qui a une formation de danseur. J’ai aussi demandé à mes cousins de me rejoindre, ils jouent la plupart des seconds rôles et ils étaient à la régie sur le plateau. A cause de la longueur des répliques, j’ai privilégié des comédiens venus du théâtre pour jouer les Romains, comme Régis Laroche qui joue Ponce Pilate, Roland Gervet dans le rôle du centurion, Xavier Mussel dans celui de Ménénius ou Nouari Nezzar dans celui de Caïphe. Marie Loustalot qui joue Bethsabée, était assistante caméra.
Vous êtes vous posé la question de la langue ? On entend des bribes d’arabe et de berbère, ça ne me dérange pas, Jérusalem était une ville très cosmopolite, avec des mercenaires, des marchands, des esclaves venus de tout le monde méditerranéen, et au-delà. Pour le reste, le film est parlé en français, c’est normal, c’est un film français. Je ne vois pas pourquoi je raconterais l’histoire dans une autre langue, ce serait ridicule. Le problème n’est pas la reconstitution, ce qui compte c’est la foi dans notre cinéma, la cohérence, l’énergie intérieure du film. On ne peut jamais filmer le passé, on ne peut filmer que ce qui est devant la caméra, des hommes et des choses d’aujourd’hui. Tout le film tient à son rapport au présent.
Le film a-t-il été difficile à produire ? Oui, comme tous mes films. Mais c’est aussi le cinéma que je veux faire, et le film ressemble à ce que je cherchais. Il est né dans ce processus long de la recherche dans les documentations, les musées, les bouquins, et puis le texte qui arrive, qui déferle, le scénario s’écrit en trois semaines. Le texte est écrit, à la virgule près, avec les dialogues. Le plus contraignant a été l’obligation de tourner très vite, cinq semaines de tournage en tout, cela demande à la fois de beaucoup prévoir et de s’adapter sans cesse. On travaille sans filet. Ensuite, le film est là, mais il faut aller le chercher au montage, il change encore, il se cache, il fuit, il mute. Il faut beaucoup de patience, d’exigence et de gentillesse pour l’apprivoiser, et qu’il vienne se poser à nos côtés.
Le film est dédié à votre père. Pourquoi ? Merci de me poser la question. Histoire de Judas est dédié à mon père parce qu’il fut pour moi exemplaire. Il est mort juste après le tournage. Exemplaire, il le fut à plus d’un titre : par sa patience, sa persévérance, sa gentillesse et son travail. Il a réussi à franchir toutes sortes d’obstacles : de simple chauffeur, il est devenu propriétaire de toute une flotte de transport. Pour lui, la vie ne se subissait pas, elle devait être vécue pleinement en ouvrant les portes sur le monde et sur les autres. Et ce qui lui importait le plus pour l’éducation de ses enfants, ce n’était pas la richesse matérielle, mais leur accès au chemin de la connaissance. Aujourd’hui, je pense faire le même métier que lui, mon père transportait des marchandises, je transporte des rêves.
Lire la critique d’Histoire de Judas sur Slate.fr
(Une version plus courte et légèrement différente de cet entretien figure dans le dossier de presse du film).
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Queen of the Desert de Werner Herzog (Compétition), Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaïmèche (Forum)
Ce sont deux films étonnants, pour des raisons diamétralement opposées. Deux films qui n’ont pour seul point commun que de se situer principalement dans le désert.
Le premier, Queen of the Desert, en compétition officielle, est surtout étonnant parce qu’on n’attendait pas pareil ratage de son réalisateur, Werner Herzog. De ses quelques 40 films (fictions et documentaires, longs ou moyens métrages), on peut même dire que c’est le premier film sans intérêt qu’il ait jamais réalisé. A moins de supposer qu’il a eu besoin d’argent, et trouvé dans ce pensum hollywoodien kitsch la possibilité d’en gagner beaucoup en tournant ce pseudo-remake de Lawrence d’Arabie, centré sur un personnage authentique, Gertrud Bell, Anglaise exploratrice du monde arabe au début du 20e siècle.
On sait Herzog très intéressé par les figures d’aventuriers de l’extrême, la différence entre un grand film comme Aguirre et celui-ci est comparable à celle entre Klaus Kinski et Nicole Kidman, tirée à quatre épingles dans ses toilettes de chamelière doit sortie de chez un couturierde Los Angeles. Tout aussi improbable est James Franco en séduisant attaché d’ambassade à Téhéran – Robert Pattinson en Lawrence s’en tire un peu mieux, dans un registre parodique.
On aurait peut-être simplement oublié cette opération ringarde qu’on espère du moins rémunératrice pour un cinéaste lui-même praticien d’aventures audacieuses (Potemkine est en train de publier en DVD un florilège remarquable de ces réalisations), si on ne trouvait au centre du film un motif visuel et thématique qui est également décisif pour un autre film présenté ce même jour à Berlin, le désert.
Celui-ci est en effet également essentiel au magnifique et étrange Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaïmeche, qui est, lui, étonnant par la manière dont le réalisateur réussit à poursuivre et amplifier la puissance de son cinéma, dans un contexte où on ne l’attendait pas. Avec une puissance d’évocation exceptionnelle, une sorte d’émotion tendue, à la fois violente et fraternelle, le cinéaste de Dernier Maquis propose une vision inédite de la passion du Christ, toute entière tournée vers la matérialité des choses, l’humanité des êtres, la violence des enjeux de pouvoir et l’exigence des liens de fidélité, d’affection et de révolte contre l’oppression.
Coupant au travers des récits établis sans les attaquer ni offenser qui que ce soit, Rabah Ameur-Zaïmèche invente une diagonale de la compassion et de la souffrance qui, en-deçà de tout rapport religieux ou dogmatique, et sans naïveté aucune, affirme une foi dans les hommes et dans ce qui vibre entre eux.
De manière qu’on croira de pure coïncidence, et qui se trouve dire très clairement la vérité antagoniste de deux idées du cinéma, le désert de Queen of the Desert, que la caméra ne tolère jamais comme désert, que la réalisation ne cesse de peupler de gadgets visuels, de symboles, d’anecdotes aggravées par une musique tonitruante, s’oppose radicalement au désert d’Histoire de Judas, dans sa puissance tellurique, sa singularité comme espace, comme sensation, comme autre de l’humain et que pourtant celui-ci habite, ou affronte.
Ce serait la même chose n’importe où, à la ville, à la mer ou à la campagne comme disait Michel Poicard, mais l’âpreté exigeante du désert (que Herzog avait d’ailleurs lui-même si bien filmée dans Le Pays où rêvent les fourmis vertes, comme ailleurs le fleuve, la forêt ou la montagne) ne fait que souligner davantage ce qui distingue, et oppose, un cinéma avec le monde – fut-ce pour raconter une mythologie antique – d’un cinéma qui élimine le monde – fut-ce pour raconter une histoire vraie, et aux échos très actuels.
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