« Mimosas », le souffle intérieur des grands espaces

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Mimosas, la voie de l’Atlas d’Oliver Laxe avec Ahmed Hammoud, Shakib Ben Omar, Saïd Aagli, Ikram Anzouli. Durée: 1h36. Sortie le 24 août 2016.

C’est ici, et c’est là-bas. C’est aujourd’hui, et c’est dans le temps des légendes, dans le vent des djinns, dans un monde connu, où nous sommes souvent allés, mais ni en train ni en avion, et sans autre passeport que nos rêves et nos souvenirs.

Il y a les chauffeurs de taxis qui embauchent sur la grande place, et râlent quand le patron ne donne pas de voiture. Et il y a les Cavaliers menés par le Vieux Chef à travers la Montagne, pour un but aussi précis que métaphysique.

Ce ne sont pas deux histoires, c’est la même, racontée sur deux tonalités. Oliver Laxe filme comme un organiste joue à deux mains sur deux claviers différents, pour une seule musique.

Le maître de la caravane, les voleurs, l’ange avec une mission, nous ne les connaissons pas, mais nous les reconnaissons. De la Bible aux westerns, les grands récits n’ont cessé de parler d’eux, ils sont personnages pour des aventures sans nombre, toujours renouvelées.

Dans ces rocs et ces déserts d’Afrique du Nord, ces idiomes et ces visages d’Afrique du Nord, il est légitime que ce soient des termes et des gestuelles empruntés au rite musulman qui organisent le récit – même si les enjeux ne sont pas ceux telle ou telle religion, mais qu’il s’agit d’une possible variation d’un conte mythique qui pourraient aussi bien se réinventer partout ailleurs dans le monde.

L’important est la justesse des présences, et des distances, et des lumières. Justesse imparable, évidente.

Pour se lancer dans un tel récit, il faut un intrigant alliage d’ambition et d’humilité, et Laxe ne manque ni de l’une ni de l’autre. Réalisateur né en France, ayant étudié en Espagne, vivant et travaillant au Maroc, Oliver Laxe était apparu sur les écrans il y a six ans avec un essai documentaire au souffle mémorable, Vous êtes tous capitaines. Entièrement différent, ce nouveau film porte pourtant la marque de même regard aux confins de la lucidité réaliste et d’une vision d’où le mysticisme ne serait pas absent, sans formater les choix de prise de vue et de montage.

140488Shakib Ben Omar et Ahmed Hammoud dans Mimosas

Saïd et Ahmed convoieront-ils le corps du sheikh jusqu’à cette ville au nom de 1000 et 1 nuits ? Dépouilleront-ils les caravaniers d’un trésor dont on n’est pas du tout sûr qu’il existe ? Vers où roulent ainsi ces taxis bringuebalant soulevant des nuages de poussière dans le désert ? Shakib pourra-t-il mener à bien la mission qui lui a été confiée ? Ou est-il là pour un autre motif ? L’arme dont disposent Shakib et Saïd est-elle suffisamment puissante pour attaquer le village des ravisseurs de la jeune fille ?

Mimosas regorge de paysages somptueux et de rebondissements, ses personnages semblent détenteurs d’autant de secrets que les figures surgies du néant de deux cinéastes italiens qui souvent tournèrent loin de chez eux et sont bien moins éloignés l’un de l’autre qu’on ne croit, Pier Paolo Pasolini et Sergio Leone. On retrouve ici quelque chose de cette relation duelle au lointain, à la démesure, et à l’intimité des espaces-temps.

Avec le soleil et la musique, avec les rochers et l’imaginaire, Laxe sculpte une sorte de fresque aux reliefs changeants, dont on peut accepter la dimension hypnotique : nul ici ne cherche à prendre un pouvoir, ni à imposer un chemin.

Au contraire, comme dans une opération chamanique qui ne viserait qu’à ouvrir chacun à sa propre intériorité, il s’agit, pour qui y consent, de parcourir un chemin – cette « voie de l’Atlas » du sous-titre qui ne désigne pas seulement les montagnes du tournage.

Durée et profondeur, neige et vent, rivière et paroles – le parcours de Mimosas est fécond et mystérieux. Indépendamment de l’anecdote du nom d’un bar de Tanger qui faillit jouer un rôle, son titre énigmatique renvoie moins à des fleurs jaunes, totalement absentes, qu’au « mime », au masque, à la mimesis, à la fois aux apparences qui portent avec elle la possibilité d’une autre présence, et à la ressemblance, avec 1000 et tant de récits. A ce voyage, un seul véhicule, nécessaire et suffisant, véhicule au nom incertain, à la définition impossible, et pourtant à l’existence irréfutable : la beauté.

 

 

 

 

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«Révolution Zendj», immense poème hanté par la révolte

1394297471_2Révolution Zendj de Tariq Teguia. Avec Fethi Gares, Diana Sabri, Ahmed Hafez. Durée: 2h13 | Sortie le 11 mars.

Dans le blanc de l’écran, une silhouette court. Cela pourrait être celle du personnage du précédent film du réalisateur, Inland, laissé dans l’éblouissement du soleil, du Sud, de l’Afrique intérieure. Ce peut être un fantôme, revenant inlassable des révoltes contre l’injustice et l’oppression, malgré toutes les défaites à travers la chaine des siècles. Ce peut être le street fighting man que chantèrent les Stones, un intifada man des innombrables affrontements à armes éperdument, absurdement, grotesquement inégales, ou un lampiste, un biffin toujours-déjà sacrifié de tous les conflits modernes, dans les gaz de mort, entre l’Argonne, le Mékong et Halabja.

C’est quoi, Zendj? Le nom d’une rébellion oubliée, celle des esclaves noirs contre le pouvoir des Abbassides à la fin du 9e siècle de l’ère chrétienne, écrasée en 879 dans les marais de Bassorah en Irak. Là où eut lieu une autre révolte à peine moins oubliée, en 1991, écrasée par Saddam Hussein avec le soutien des Américains qui venaient de le vaincre; les alliés de la région ne voulaient surtout pas de l’exemple d’un tel soulèvement.

Les marais de Bassorah, le delta du Tigre et de l’Euphrate, terre magnifique, mémoire de trente civilisations pas toutes éteintes encore –là où se terminera ce film au terme d’une odyssée dont l’Ulysse porte le nom du plus célèbre explorateur issu du monde arabo-musulman, le Berbère Ibn Battuta, à qui on doit parmi les plus beaux et les plus vastes récits de voyages jamais contés.

Ce Battuta-là, celui du film, est journaliste aujourd’hui à Alger. Il part enquêter sur les affrontements communautaires dans le Sud du pays. Ce qu’il voit et raconte lui vaut d’être sèchement rappelé par sa direction, menacé par les autorités.

Sous prétexte de poursuivre autrement son enquête, prétexte qui dit sa vérité muette –il cherche bien en effet la même chose, ailleurs, autrement qu’au contact des jeunes chômeurs de l’arrière pays algérien– Battuta s’en va.

Il s’en va de par le monde arabe à la recherche des forces actives, celles qui viennent de l’histoire multiséculaire, celles qui ont surgi dans les luttes du panarabisme, des mouvements progressistes et marxistes, du séisme aux mille répliques de l’occupation de la Palestine, ou au cours des printemps arabes. Cela se passe aujourd’hui, dans ce monde. Un monde qui n’est évidemment pas circonscrit au contexte arabe. D’autres élans, d’autres espoirs, d’autres utopies et d’autres répressions interfèrent, font écho, en Grèce par exemple d’où part une jeune femme, Nahla la fille de Palestiniens exilés, dont la route croisera celle de Battuta à Beyrouth. (…)

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«Wild», «Loin des hommes»: la nature n’est pas un personnage

Wild de Jean-Marc Vallée, avec Reese Witherspoon, Laura Dern, Thomas Sadoski. Durée 1h56 | Sortie le 14 janvier 2015

Loin des hommes de David Oelhoffen, avec Viggo Mortensen, Reda Kateb. Durée 1h41 | Sortie le 14 janvier 2015.

576ffd292d4025cf21f3ee424d4785a9Reda Kateb et Viggo Mortensen dans Loin des hommes

Cette semaine sortent Wild et Loin des hommes, où la nature occupe une place essentielle. Mais pas la même.

Il y a les histoires. Et puis il y a les contextes, géographiques, historiques, sociologiques, psychologiques… Il y a aussi les styles, les partis-pris d’organisation des images et des sons. Un film, d’une manière ou d’une autre, raconte une histoire dans un contexte et avec un certain style. Mais toujours un film fait, ou plutôt un film est fait aussi d’autre chose. De tout ce qui est aussi là, dans l’image, dans la bande son également. Certains cinéastes cherchent à éliminer au maximum ces surplus, perçus comme des parasites à leur projet, d’autres au contraire s’en réjouissent, en tirent parti quitte à faire confiance, un peu ou beaucoup, au hasard.

Parmi tout ce qui est là «en plus», il y a, souvent, ce qu’on appelle «la nature». Filmer dans la nature est une chose, pas très compliquée. Filmer avec la nature en est une autre. Cette semaine sortent deux films plutôt réussis, qui se passent l’un et l’autre dans la nature. C’est d’ailleurs leur seul point commun: pas la même histoire, pas le même contexte –époques différentes, pays différents, situation politiques et psychologiques différentes. Mais ici et là, dans Wild, film de Jean-Marc Vallée et dans Loin des hommes de David Oelhoffen, le rapport à la nature, immense, sauvage, magnifique, occupe une place majeure. (…)

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“Run”, épopée hallucinée

RunRun de Philippe Lacôte. Avec Abdoul Karim Konaté, Isaach de Bankolé, Reine Sali Coulibaly, Alexandre Desane, Adelaïde Ouattara. 1h42. Sortie le 17 décembre.

Il marche. Il vise. Il énonce une phrase sibylline où il est question d’un éléphant, il tire. Il court.

Il s’appelle comme ça: Run. Il vient de tuer le premier ministre de Côte d’Ivoire.

C’est le début du film, mais presque la fin de l’histoire. Quelle histoire ? Celle du garçon de la campagne venu dans la grande ville avec ce surnom. Celle de ce pays vaste et complexe, qu’une guerre civile a ravagé. Run n’est pas un personnage, c’est un héro, au sens de l’épopée. Et c’est bien ainsi que le filme Philippe Lacôte, que l’incarne l’impressionnant Abdoul Karim Konaté. Run, le film, n’est pas non plus un récit ni une chronique : c’est une traversée hallucinée dans la réalité et l’imaginaire d’un pays travaillé par des forces archaïques et des tensions très modernes. Très vite le premier long métrage du réalisateur ivoirien ouvre grandes les portes d’une circulation entre passé et présent, réalité et surnaturel, description et incantation.

Run aura plusieurs vies, sans les avoir choisies. Comme dans les romans picaresques il est balloté au fil de rencontres qui décident de son sort, jusqu’à ce qu’à nouveau, il se mette à courir. Membre novice d’une société secrète, assistant d’une ogresse rieuse, petite frappe membre des Jeunes Patriotes (la milice de l’ex-président Gbagbo), nouveau riche arrogant, combattant révolutionnaire, il passe sans le vouloir d’une situation à une autre, et c’est tout un paysage, à la fois mental, politique et très concret qui devient sensible.

Lacôte filme remarquablement les corps et les visages, et tout aussi attentivement les paysages. Dans la forêt tropicale comme dans la luxuriance de la ville, la présence des lieux, à l’occasion aussi des rituels et des chansons, engendre une matière très riche, très physique, qui confère à pratiquement chaque séquence une puissance singulière. Cette force est aussi ce qui fait que la construction non linéaire du film rend plus apte à percevoir, de manière intuitive, une réalité compliquée, et dont il est exclu de prétendre donner toutes les clés.

Créatif, sensuel, étrange, Run est donc également une manière de prendre en charge une actualité toujours à vif. Jailli sans crier gare (il a été montré à Cannes sans attirer grande attention), c’est, ou plutôt ce devrait être une manière d’événement. Il y a quelque chose de scandaleux dans la quasi-indifférence qui accompagne sa sortie, noyée dans la déferlante de films qui s’embouteillent plus que jamais en cette fin d’année.

Sans compter que la large reconnaissance, ô combien méritée, de Timbuktu une semaine plus tôt vient encore aggraver ce peu d’attention – personne ne le dira comme ça, mais on voit bien que un film africain ça va, deux de suite faudrait quand même pas exagérer…  Au milieu de difficultés immenses, il émerge pourtant de nouveaux signes prometteurs du cinéma africain (et il n’est pas indifférent que Lacôte soit aussi le producteur d’un autre film remarquable, Le Djassa a pris feu de Lonesome Solo).  Run en offre un signal particulièrement clair, qui appelle une et même des suites.

 

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« Dersou Ouzala », « Sibériade », la non-indifférente nature

Deux DVD édités par Potemkine, Dersou Ouzala d’Akira Kurozawa et Sibériade d’Andrei Konchalovski.

Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa

Un esprit superficiel s’imaginera peut-être que c’est parce que le nom des deux réalisateurs commence par la même lettre K qui lui sert de logo que l’éditeur Potemkine publie ensemble Dersou Ouzala d’Akira Kurosawa et Sibériade d’Andrei Konchalovski. Il y a à cette double édition de bien meilleurs motifs. L’art, la géographie et l’histoire (deux fois) rapprochent ces œuvres de 135 et 200 minutes. Et plus encore ce qu’ils donnent à voir et à percevoir, aujourd’hui.

L’histoire à double titre, puisque les deux films sont sortis à la même époque, la deuxième moitié des années 70 (1975 pour le premier, 1979 pour le second). De multiples manières, ils sont habités par l’esprit de ce temps-là. Et parce que ce qu’ils racontent s’origine à la même période, l’aube du 20e siècle. Et la géographie puisqu’ils se passent dans la même région, la Sibérie.

L’art tout simplement parce qu’il s’agit de deux très beaux films dans le registre périlleux de la fresque. A sa sortie, Dersou Ouzala fut salué comme un chef d’œuvre, même si sa mémoire a pâli depuis – comme d’ailleurs celle de son auteur, aujourd’hui moins considéré, et par exemple supplanté par son compatriote Ozu dans la plupart des classements cinéphiles. Revoir le film, récit inspiré du journal de l’explorateur russe Arseniev et de sa rencontre, aux confins de la Russie et de la Chine, avec le chasseur indigène Dersou, est une merveille intacte. Le sens de l’espace et de la durée de Kurosawa, sa capacité à inscrire des relations triviales dans un écrin de cinéma qui leur donne une puissance épique sans les trahir, l’infinie générosité avec laquelle il regarde tous ses protagonistes déploient le souffle et le charme d’une grande œuvre, qui marquait aussi à l’époque la « résurrection » de son auteur après l’échec cinglant de Dodes Kaden qui avait mené le cinéaste à une tentative de suicide. Moins coté à sa sortie, ne serait-ce que du fait de son évidente approbation du régime soviétique – et aussi de la moindre renommée de son signataire – Sibériade raconte la transformation d’un village marqué par d’archaïques rivalités sous l’effet de la modernisation et de la révolution russe. Voulu comme le pendant du 1900 de Bernardo Bertolucci (autre immense entreprise historique et artistique aujourd’hui un peu perdue dans les brumes du passé), Sibériade évoque surtout par son énergie et sa volonté de dramatiser les rapports entre nature et humains le grand cinéma hollywoodien ayant célébré la conquête du territoire et la construction de la nation – du côté d’Autant en emporte le vent et de La Conquête de l’Ouest. Konchalovski, auquel on devait les très beaux mais de format beaucoup plus modestes Le Premier Maître et Le Bonheur d’Assia (et qui tenterait ensuite sa chance à Hollywood avec notamment Maria’s Lovers et Runaway Train) dépasse les conventions du genre grâce au mélange de lyrisme et d’intense matérialité de son style.

Sibériade d’Andrei Konchalovski

Deux beaux et grands films, donc, ou pour être plus précis une très grande œuvre, Dersou Ouzala, et un film important et marquant, Sibériade. Mais il y a plus. En phase avec leur époque qui voyait naître de nouvelles préoccupations établissant les bases de l’écologie comme composante politique, l’un et l’autre font une place essentielle à la nature. Dans les deux films, celle-ci est célébrée comme « l’autre » du développement humain, avec chez Kurosawa une mélancolie – et non pas une nostalgie – de la perte d’un lien traditionnel au cosmos, chez Konchalovski l’exaltation d’un nouveau rapport à un environnement dans une dialectique positive avec le développement économique. Découvrir ces films aujourd’hui, au moment où se profilent des catastrophes majeures et où règne l’impuissance face aux tragédies annoncées, suscite un singulier sentiment de remise en jeu de la relation entre les hommes et ce que, selon une partition dont on commence à percevoir les terribles impasses, on a isolé sous l’appellation de nature. Chacun à sa façon, ces deux films réfutent cette séparation, font vivre dramatiquement d’autres modes d’interactions entre les êtres vivants et inertes. D’une manière dont leurs auteurs ne pouvaient avoir conscience, mais qui est désormais bien visible, ils racontent le mystère de la non séparation des hommes et du reste du monde, ce qu’avait d’ailleurs très bien pris en compte le grand cinéaste qui est à bien des égards, par delà tout ce qui les sépare, le « père » commun de Kurosawa et de Konchalovski – que signale de manière fortuite mais cette fois appropriée le nom de l’éditeur : Serguei Eisenstein, qui rédigea à la fin de sa vie un ouvrage justement intitulé La Non-indifférente Nature.

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«Or noir», les mille et une nights

Le nouveau film de Jean-Jacques Annaud, une production issue du monde arabe contemporain avec un casting international, vise un public mondial et joue selon les règles hollywoodiennes.

l y a quelque chose d’un peu pitoyable dans la proclamation qui accompagne les affiches de L’Or noir, sur le mode «cette fois, Jean-Jacques Annaud renoue avec l’épopée» — sous-entendu: oubliez le désastreux Sa majesté Minor, et, peut-être, les peu mémorables Deux frères, Stalingrad ou Sept ans au Tibet. Comme s’il fallait proclamer haut et fort la promesse d’un grand spectacle qui, de fait, advient dans les combats de la dernière demi-heure, après près de deux heures où la formule «traversée du désert» prend tout son sens.

L’épopée c’est autre chose, comme on le sait au moins depuis Homère –la colère d’Achille seul dans sa tente est plus épique que la charge en plan large de centaines de figurants, même juchés sur autant de chameaux.

Il y a quelque chose d’un peu pitoyable dans la proclamation qui accompagne les affiches de L’Or noir, sur le mode «cette fois, Jean-Jacques Annaud renoue avec l’épopée» — sous-entendu: oubliez le désastreux Sa majesté Minor, et, peut-être, les peu mémorables Deux frères, Stalingrad ou Sept ans au Tibet. Comme s’il fallait proclamer haut et fort la promesse d’un grand spectacle qui, de fait, advient dans les combats de la dernière demi-heure, après près de deux heures où la formule «traversée du désert» prend tout son sens.

L’épopée c’est autre chose, comme on le sait au moins depuis Homère –la colère d’Achille seul dans sa tente est plus épique que la charge en plan large de centaines de figurants, même juchés sur autant de chameaux.

Resucée de Lawrence d’Arabie mâtinée de plusieurs autres grandes références, Or noir n’a cinématographiquement guère d’intérêt. Ce qui en a plus, et fournit de quoi s’occuper en attendant le climax, ce sont les conditions de fabrication du film, et en particulier sa gestion au trébuchet de la construction de héros arabes et musulmans dans une production visant le grand public international.

Dans ce type de films, d’habitude, il est rares que des Arabes soient des héros —cherchez, vous verrez, il n’y a que de rares cas de fantasmagories dans un orient sans âge, multiples versions du Voleur de Bagdad ou Aladin selon Disney.

La singularité d’Or noir est d’être une production cette fois issue du monde arabe contemporain.

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Le cadeau des frères Coen

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Jeff Bridges et Hailee Steinfeld, dans True Grit (Paramount Pictures)

Il y a comme ça des films-cadeaux, des films-gâteaux. Des séances où on se retrouve à déguster chaque instant, en se rassasiant les yeux. Avec True Grit, les frères Coen offrent un tel festin, et on ne voit pas bien quelle raison il y aurait de s’en priver. La réussite du quinzième long métrage des Minnesota Brothers gagne son pari grâce à un coup double et un heureux changement de pied.

Le coup double se met en place dès le début. La voix off de l’héroïne qui cadre le contexte propice à l’action et à la vengeance, la découverte de la ville et de ses habitants hauts en couleurs affirment que les réalisateurs ont choisi de prendre le genre au sérieux. Ce «sérieux» s’établit en trouvant plan après plan, ambiance après ambiance, accessoire après accessoire, porte de saloon après crosse de revolver, le juste alliage de l’imagerie du western et de l’authenticité de reconstitution.

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