Un amour entre ciel et terre

Meteora de Spiros Stathoulopoulos

Vous entrez dans une salle de cinéma. Vous ne savez strictement rien de ce que vous allez voir. La salle s’éteint, l’écran s’allume, c’est là. Quoi ? Une histoire, la plus banale et le plus improbable. Ça se passe hors du temps, ça se passe au Moyen-Age, ça se passe aujourd’hui. Il y a un homme, il y a une femme, ils se rencontrent, se désirent, s’aiment. Il est moine dans un couvent tout en haut d’un piton rocheux, elle est nonne dans un couvent en haut d’un autre piton, juste en face. C’est comique. C’est tragique.

Il y a la campagne, un paysan, dans la montagne un vieil ascète. Il y a de drôles de machines pour faire monter les sœurs dans des paniers, qu’elles rejoignent leur couvent tout là-haut. Il y a des dessins qui, en s’animant doucement, parfois racontent un passage de l’histoire, et parfois la commentent. Les dessins ressemblent un peu, un peu, à des icônes. Les rituels orthodoxes tels qu’ils ont cours dans ces monastères suspendus entre terre et ciel sont scrupuleusement observés, le ciel aussi, la terre aussi.  L’histoire continue, on tue une chèvre, on prépare un repas. Les choses sont là. Les lumières. Les émotions. La prière. Le silence. La règle. Les regards.

Et c’est étrange comme ce qui concerne le spirituel, la religion, les rituels, les chants, devient le plus humain, le plus construit, et comme ce qui tient du plus matériel, les champs, les travaux, la flute, la terre, les nuages, devient le plus abstrait. De même les animations s’approchent du réel, les images enregistrées semblent des tableaux. En douceur, Meteora déplace les oppositions, la nature et la culture, le réel et l’imaginaire, la pulsion et la loi, et les fait gracieusement glisser, telles des caresses.

A un moment, un déjeuner à deux dans la campagne, sous un arbre, devient un événement incroyable. C’est comme un tableau de Manet ou de Bonnard, ce qui est montré est banal, la manière de le montrer est si intense, si vibrante que, dans l’instant, il n’est rien de plus important. Chaque plan est une expérience à vivre, un moment à éprouver. Il faut une confiance folle dans le cinéma pour faire un film comme ça, pour seulement en former le projet, et ensuite pour accomplir un à un tous les gestes qui en produisent l’existence réelle, et le possible partage.

Et vous savez quoi ? Le mieux est que cet effet d’étonnement, de découverte, sera exactement le même après avoir lu ces quelques lignes. Parce qu’il n’y a rien à révéler, aucun pot aux roses à découvrir. Dans ce paysage étrange, dans ce monde archaïque et contemporain, un homme et une femme vont s’aimer. La belle affaire ? Mais oui, exactement.

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Theo Angelopoulos est mort

Le cinéaste grec Théo Angelopoulos est mort mardi 24 janvier, après avoir été renversé par un motard. Il avait 76 ans. Il était en train de tourner son quatorzième long métrage, L’Autre Mer.

Né à Athènes en 1935, il avait étudié en France au début des années 1960, d’abord la philo à la Sorbonne puis, brièvement, le cinéma à l’IDHEC, dont il est renvoyé en 1962. Rentré dans son pays, il s’y fait d’abord remarquer comme critique et activiste de gauche, jusqu’au coup d’Etat des colonels en 1967.

Dès ses premiers films, La Reconstitution en 1970 et Jours de 36 en 1972, il met en place les bases de son cinéma: une réflexion critique sur la situation politique de son pays, et de l’Europe contemporaine, s’appuyant sur des fictions historiques ou actuelles qui font échos aux grands mythes grecs.

C’est avec le film suivant, Le Voyage des comédiens (1975), auquel succèderont Les Chasseurs, Alexandre le grand, Le Voyage à Cythère, L’Apiculteur, que le cinéaste parfait le style original qui donne une puissance artistique et d’intelligence à cette approche.

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