«White God», et un chien vivant après elle

doghomeWhite God de Kornél Mundruczó avec Zsófia Psotta, Sàndor Zsótér, Lili Monori.  Durée: 1h59 | Sortie le 3 décembre.

Un chien qui court dans la ville, c’est beau. Du moins lorsque c’est Kornél Mundruczó qui le filme.

Très tôt, cette sensation visuelle, plastique, dynamique, s’impose comme une évidence. Evidence à la fois nécessaire et suffisante à l’existence de ce White God au titre incompréhensible –sinon l’assonance God/Dog suggérant un sens plus vaste, voire métaphysique, à cette histoire centrée sur une adolescente et son gros chien, exclu par la famille et la société, dressé pour tuer et qui revient en Spartacus canin. Mais rien de commun avec le White Dog de Samuel Fuller.

Sens plus vaste? Métaphysique? A l’issue de la projection, les diverses significations de l’histoire de la jeune Lili, larguée par sa mère chez un père qui ne sait que faire d’elle en compagnie du gros chien qui a toute sa tendresse n’est assurément pas ce qui importe le plus.

La parabole sur le racisme et la xénophobie, sujet d’une sinistre actualité dans la Hongrie d’aujourd’hui comme dans les pays environnants, est sans doute le thème du film, mais une fois acté ce que signifie, littéralement et métaphoriquement, la traque systématique des chiens par les autorités soutenues par la majorité de la population, il est clair que la puissance du film réside ailleurs, aussi légitime soit ce thème.

De même ni la question du fossé des générations, ni le classique roman d’apprentissage de l’existence par une jeune fille n’auront grande importance. Et à peine davantage ce qui se trame d’un peu mystérieux, d’un peu complexe dans ce qui semble être la seule activité régulière de Lili, la pratique de la musique dans un orchestre, microcosme où s’affrontent et s’associent discipline de fer, élan passionné et quête de l’harmonie.

Car c’est bien du côté des sens, et des sensations, que se joue la véritable réussite de ce film. Kornél Mundruczó possède un sens puissant et attentif du cadre, du rythme, de la distance. Il filme aussi bien le visage et le corps, singulièrement peu classiques, de la jeune interprète de Lili, Zsófia Psotta, que la course solitaire d’un grand clébard dans les rues, ou une meute de chiens transformés en armée rebelle mettant la ville à sac. Filmant Budapest à hauteur de labrador, il redécouvre les humains avec une acuité impressionnante. L’énergie semble couler comme un fleuve aux multiples bras dans la ville transformée successivement en prison à ciel ouvert, en terrain de recherche, en lieu onirique, en champ de bataille. (…)

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64e Berlinale, jour 3 : films monuments

OursLa compétition officielle du samedi était dominée par deux films aussi similaires qu’opposés. Deux films de plus de 2h, convoquant vedettes et grands moyens pour évoquer une période historique révolue, sous le signe delà culture. Die Geliebten Schwestern (Sœurs bien aimées) de l’Allemand Dominik Graf et Monument Men de l’Américain George Clooney sont caractéristiques de deux types de réponse qu’un cinéma à vocation spectaculaire et commerciale n’ayant pas abdiqué toute ambition est susceptible d’apporter à un tel programme.

Dominik Graf, qui fut associé au renouveau du cinéma allemand connu sous l’appellation « Ecole de Berlin » avant de surtout travailler pour la télévision, raconte les amours tumultueuses de Schiller avec deux sœurs, dont une fut son épouse, sur fond d’Europe des Lumières fascinée par la modernité puis terrifiée par la violence de la Révolution française. On voit bien le modèle principal de Graf : François Truffaut, moins Jules et Jim malgré le récit d’une histoire d’amour à trois que Les Deux Anglaises et le continent et Adèle H  (auxquels on pourrait ajouter ce beau film mal aimé qu’était Les Sœurs Brontë d’André Téchiné). Soit des films qui semblaient jouer le jeu de la reconstitution historique appliquée et décorative, mais ne cessaient de le déborder par la rigueur radicale de la mise en scène, le mise en tension des corps contemporains et des accessoires d’époques, l’usage des voix et des sons comme facteurs de trouble excédant  (sans les trahir) les références historiques et littéraires.

20147812_5_IMG_543x305 Hannah Herzsprung et Henriette Confurius

Une des réussites de Sœurs  bien aimées  tient au choix des deux actrices (Hannah Herzsprung et Henriette Confurius), qui semblent non seulement sœurs sans se ressembler, mais toutes deux sœurs de l’Isabelle Adjani de l’époque (sublime) d’Adèle H, souvenir troublant qui passe comme un fantôme. La durée du film est aussi une arme indispensable, une des rares à vrai dire dont se dote le réalisateur, pour faire entrer un peu de complexité et de cruauté, un peu de vie matérielle aussi, dans un film constamment menacé de se figer sous les poids ajoutés de la reconstitution historique et de la simplification scénaristique, aggravée par des citations picturales appuyées (et anachroniques).

La durée du  film de Clooney est, elle, sans raison particulière sinon le système narratif en vogue désormais à Hollywood et qui a besoin d’une succession de scènes « qui paient », répliques ciselées, insert sentimental ou explosions plein les yeux, petits morceaux de bravoure plus ou moins nécessaires à l’ensemble mais que assurent une jouissance immédiate du spectateur.  A quoi s’ajoute ici la volonté d’enfoncer son clou. Car il s’agit dans ce cas – et cela est dit sans la moindre d’ironie – d’un film à thèse : dans les heures du plus grand péril, les humains ont besoin de culture, de symbolique, d’un « supplément d’âme », tout autant que des moyens matériels de survie. La thèse, on le voit, n’a rien perdu de son actualité, et nul doute qu’en racontant l’histoire (« basée sur des faits réels ») de la brigade de l’armée américaine chargée, en pleine guerre mondiale, de sauver les trésors de la culture européenne volés par les nazis, Clooney n’ait aussi en tête la dictature du fric et de l’évaluation à la rentabilité devenu l’alpha et l’omega des pratiques politiques et sociales, pas seulement aux Etats-Unis.

20147918_7_IMG_543x305Matt Damon, Hugh Bonneville, George Clooney

Avec son bataillon de stars (Clooney himself entouré de Matt Damon, Bill Murray, John Goodman, Cate Blanchett, Jean Dujardin…), l’opération est menée de main de maître au service d’un message pour l’essentiel digne d’éloges – même si l’opposition des gentils Américains donnant leur vie pour récupérer une statue de Michel-Ange et la rendre à ses précédents détenteurs et des vilains Russes qui pillent les œuvres pour le embarquer à leur tour mériterait quelques bémols. Et on sait bien qu’à Hollywood un tel projet ne peut être transformé en grosse production qu’avec l’engagement de telles vedettes – et encore, non sans mal, et la mobilisation de pas moins de deux Majors Companies, Fox et Columbia.

On pourrait également dire que le film, dans sa détermination à faire entendre ce qu’il a à dire, est une sorte de visite guidées des procédés de Hollywood pour transmettre sa vision du monde, sans la moindre interrogation sur ces moyens (narratifs, de représentation) et la place qu’ils jouent dans la culture mondiale, ce bien commun de l’humanité invoqué à plusieurs reprises dans les dialogues. Il ne s’agit pas de comparer la razzia nazie d’alors et la domination formelle hollywoodienne d’aujourd’hui, il s’agit de dire que s’il y a des questions de forme à se poser, des questions de diversité, de modernité, de mises en crise des représentations dominantes par un art moderne qui certains appelèrent jadis « dégénéré », il y aurait quelque raison qu’une telle interrogation apparaisse dans la manière de faire un film qui prétend s’y consacrer. Un aspect qui n’a semble-t-il effleuré personne dans ce cas, alors que, pour le meilleur et pour le pire, on sentait au moins l’effort d’un Dominik Graf pour affronter les effets de conformisme d’un film supposé raconter une situation transgressive durant une période révolutionnaire.

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De filles et de femmes

 

Elles de Malgorzata Szumowska, Sur la planche de Leïla Kilani

 

La semaine dernière, le bien nommé Sport de filles vibrait de l’élan porté ensemble par trois femmes, la cinéaste Patricia Mazuy, l’actrice Marina Hands et le personnage, Gracieuse. Cette semaine, ce sont deux bataillons féminins qui prennent d’assaut les écrans, avec d’autres armes et d’autres énergies.

Juliette Binoche et Anaïs Demoustier dans Elles de Malgorzata Szumowska

Une réalisatrice polonaise, Malgorzata Szumowska, accompagnée d’une scénariste anglaise, Tyne Birckel, et d’une productrice danoise, Marianne Slot, mettent en scène trois actrices remarquables dans Elles. Au départ, il y a un « sujet » (aïe !) et une situation (re-aïe !). Le sujet, c’est la prostitution « amateur » pratiquée par des étudiantes pour payer leurs études, en France où se passe le film comme à peu près partout dans le monde (et plutôt davantage ailleurs, où les études sont nettement plus chères, en attendant que nos diafoirus aux manettes des éducations nationale et supérieure nous alignent sur les tarifs de la mondialisation marchande). La situation, c’est la rencontre entre une grande bourgeoise parisienne, par ailleurs journaliste d’un magazine féminin chic, et deux de ces demoiselles auxquelles elle veut consacrer un article, avec comme astuce de scénario que les deux jeunes putes, la paisible fille de prolos provinciaux et la survoltée immigrée de l’Est, vivent plutôt bien leur situation alors que celle qui a tout et ne demande qu’à compatir est névrosée et en pleine cata côté couple et enfants. Grosse machine socio-psycho-mélo, donc, heureusement en grande partie déjouée, ou surjouée, par les trois actrices précédemment citées.

Il faut finalement porter au crédit de Malgorzata Szumowska d’avoir laissé se déployer les vastes et profondes houles de Juliette Binoche, les précises et délicates risées d’Anaïs Demoustier, les éclats tranchants de Joanna Kulig. Les interprètes font ce que prévoit le scénario, jouent la contradiction portée à l’extrême entre la relation prévue et ce qui se déploie de trouble et de complexe dans les rapports aux corps, à l’argent, à l’image de soi chez les deux jeunes filles, achevant de détraquer la petite mécanique aliénante de la vie bourgeoise de celle qui prétendait les ausculter et, qui sans le dire, les avait jugées.  On ne peut pas dire que le scénario brille par la finesse dans la caractérisation des personnages, les interprètes ne finassent pas avec ça, au contraire, elles se jettent dessus avec appétit, en remettent, la réalisation suit comme elle peut, descend dans la rue, dans le lit, dans le silence enfin. Sur son canevas schématique, le film se sature de présences, présences féminines sans aucun doute, mais où le pluriel souligne que cela ne saurait se résumer à aucune définition, bien au contraire.

Sur la planche de Leïla Kilmani

On change complètement  de registre avec Sur la planche, sans hésiter le film le plus fort qui nous soit venu du Maroc depuis très longtemps, ou même du Maghreb depuis la découverte du cinéma de Tariq Teguia. Pas de sociologie appliquée ni d’horlogerie psychologique ici, mais une détonation d’énergie, une déflagration d’humanité, une fureur de filmer qui répond d’une fureur de vivre.

Une fille, deux filles, quatre filles, quatre femmes redoublées (les actrices, les personnages), et celle avec qui, grâce à qui toutes celles-là adviennent, la cinéaste Leïla Kilmani. Badia (Soufia Ismani, présence renversante) et sa copine Imane (Mounia Bahmad) travaillent, quasi-esclaves d’une conserverie de crevettes à Tanger. Dans la ville, étrillées à fond pour se défaire de l’odeur et du reste, relookées à l’arrache, elles se bagarrent et se marrent, arnaquent et trafiquent, se laissent draguer pour piquer tout ce qu’elles peuvent chez des plus riches, ou des moins pauvres qu’elles. Leur chemin croise celui de deux autres filles (Nouzha Akel et Sara Betioui), semblables et différentes, alliées et rivales, avec lesquelles elles tentent des coups plus audacieux, plus dangereux. Personnages et péripéties abondent dans Sur la planche, ils aspirés par le tonus vital de Badia et des autres, ce sont les brindilles et les buches de ce film-brasier, qui éclaire et brule, pétille et hurle. Leïla Kilani filme des guerrières dans un monde en guerre, en guerre contre les humains, contre le respect de soi, contre le droit de vivre. Badia, Imane, Nawal et Asma sont des héroïnes, pas au sens où elles seraient très gentilles et feraient tout bien, oh non !, au sens où elles sont l’incarnation d’une force qui ne rompt pas, qu’elles sont les visages et les corps d’un combat contre ce qu’on appela autrefois un destin, mais qui est bien clairement aujourd’hui, dans ce film d’aujourd’hui – l’aujourd’hui du Maroc et de pratiquement partout, sous des formes différentes – ce qu’il faut bien nommer la réalité. Quand la réalité est intolérable, les héros et les héroïnes se battent, à fond, à perdre le souffle et davantage.

Qu’y a-t-il à dire de plus au fait que ces films soient « des films de femmes » ? Je ne sais pas. Simplement en prendre acte.

 

 

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Theo Angelopoulos est mort

Le cinéaste grec Théo Angelopoulos est mort mardi 24 janvier, après avoir été renversé par un motard. Il avait 76 ans. Il était en train de tourner son quatorzième long métrage, L’Autre Mer.

Né à Athènes en 1935, il avait étudié en France au début des années 1960, d’abord la philo à la Sorbonne puis, brièvement, le cinéma à l’IDHEC, dont il est renvoyé en 1962. Rentré dans son pays, il s’y fait d’abord remarquer comme critique et activiste de gauche, jusqu’au coup d’Etat des colonels en 1967.

Dès ses premiers films, La Reconstitution en 1970 et Jours de 36 en 1972, il met en place les bases de son cinéma: une réflexion critique sur la situation politique de son pays, et de l’Europe contemporaine, s’appuyant sur des fictions historiques ou actuelles qui font échos aux grands mythes grecs.

C’est avec le film suivant, Le Voyage des comédiens (1975), auquel succèderont Les Chasseurs, Alexandre le grand, Le Voyage à Cythère, L’Apiculteur, que le cinéaste parfait le style original qui donne une puissance artistique et d’intelligence à cette approche.

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2011, bonne année, quelle santé ?

La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, une des belles surprises de la cuvée 2011

e commençons pas tout de suite par parler d’argent. 2011 a été une belle et bonne année pour le cinéma, c’est à dire pour la créativité artistique dans ce domaine. Sans trop chercher, j’ai retrouvé 46 titres de films sortis en salle cette année et qui, selon moi, contribuent à cette réussite.

En détaillant cette offre conséquente, plusieurs traits s’imposent. D’abord la petite forme du cinéma américain: deux très beaux films, œuvres majeures de leur auteurs, un de studio, Hugo Cabret de Martin Scorsese, l’autre indépendant, Road to Nowhere de Monte Hellman. Et de belles réussites des frères Coen (True Grit), de Woody Allen (Minuit à Paris) ou Gus van Sant (Restless), mais qui n’ajoutent pas grand chose à la gloire de leurs signataires.

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Hugo Cabret de Martin Scorsese. DR

Mentionnons aussi Meek’s Cutoff de Kelly Richards, cinéaste qui reste prometteuse sans vraiment s’imposer, et c’est tout. Ni côté grand spectacle ni côté expériences les Etats-Unis englués dans les calculs d’apothicaires qui mènent à la reproduction des franchises et maltraitent encore plus les indépendants se sont révélés anormalement peu féconds.

Aucun film important n’a pour l’heure accompagné les printemps arabes, l’Afrique est muette, et si l’Amérique latine ne cesse de monter en puissance, aucun titre ni aucun réalisateur n’a pour l’instant incarné de manière incontestable cette évolution.

Du monde asiatique, on retiendra le beau Detective Dee de Tsui Hark et les réussites signées par les Coréens Hong Sang-soo et Jeon Soo-il, et l’admirable I Wish I Knew de Jia Zhang-ke. C’est terriblement peu.

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Detective Dee de Tsui Hark. DR

Le Moyen-Orient aura été relativement plus prolixe, avec un chef d’œuvre turc, Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Celan, le passionnant Ceci n’est pas un film des Iraniens Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb et Au revoir de leur collègue Mohammad Rassoulof (mais pas le complaisant Une séparation), et la très belle trilogie de Nurith Aviv consacrée à l’hébreu.

Autant dire que c’est l’Europe qui, la chose n’est pas courante, aura dominé les débats.

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«HH» ou Tintin aux pays du cinéma

«Hitler à Hollywood» est un joyeux film policier qui explore les enjeux du cinéma.

Réjouissante aventure que celle à laquelle invite Frédéric Sojcher avec son troisième long métrage. Hitler à Hollywood est un film farce à propos d’un sujet sérieux. Il se nourrit d’affabulations pour raconter une histoire qui n’a elle rien d’imaginaire – même si, de toutes ses fausses pistes, son titre n’est pas la plus heureuse, et n’aide pas vraiment à entrer dans le jeu. Quel jeu? Une enquête policière pleine de rebondissements farfelus à travers toute l’Europe.

Cette enquête est menée par Maria Medeiros jouant à jouer son propre rôle, en fait celle d’un Tintin en tenues colorées et suggestives…
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