Un peu parce que la question est, à juste titre, devenue omniprésente, un peu comme effet secondaire de la controverse récurrente sur les sélections trop dépourvues de réalisatrices à Cannes; beaucoup par symétrie avec la polémique déclenchée aux Oscars par l’absence de Noirs parmi les nommés, l’enjeu «diversité» a accompagné la cérémonie des Césars qui a eu lieu le 26 février.
Elle l’a accompagnée mezzo voce, la présence de quelques films et de quelques artistes (comédiens et réalisateurs) présentant une image… disons pas trop uniforme: il y a des femmes parmi les candidats aux titre de meilleur réalisateur, il y a des «minorités visibles» parmi les éligibles aux prix d’interprétation. Même si pas assez.
C’est que tout cela n’est formulé qu’en termes statistiques, que le problème n’est posé que sur le mode quantitatif. De quels films s’agit-il, quelles décisions artistiques mais aussi politiques et éthiques sont en jeu? Tout le monde s’en fiche, du moment qu’un quota est si possible atteint.
Au point qu’on peut se demander si, en fait de diversité, ce n’est pas plutôt d’uniformisation qu’il s’agit, les meilleures sentiments poussant à faire autant que possible rentrer tout le monde dans le même moule, fut-il celui du mâle blanc occidental hétérosexuel, intériorisé par tous ceux (l’immense majorité des êtres humains) qui ne relèvent pas de cette catégorie.
Le jour où James Bond sera interprété par une Noire lesbienne, mais en respectant les codes narratifs et spectaculaires de la franchise, diversité où sera ta victoire?
A contrario, il faudrait rappeler que la revendication de diversité est celle de l’apport d’êtres différents, et dont il ne s’agit pas de réduire les différences, au risque d’un appauvrissement généralisé, d’une uniformisation mortifère –cette rencontre entre différence étant, ne pouvant être que problématique. Et ce quand bien même les dominés, les «autres» n’aspirent qu’à rejoindre le groupe dominant –un certain Frantz Fanon nous a très bien expliqué tout cela il y a déjà plus d’un demi-siècle.
Bien sûr, la revendication quantitative de diversité a une bonne raison, une raison syndicale: oui, il faut du travail dans le cinéma et les industries du spectacle, toutes les industries, pour les femmes, les arabes, les Noirs.
Mais disons que ce n’est pas exactement le même problème que celui de la diversité comme projet de société, comme idée du monde dans lequel on a envie de vivre. Cet enjeu autrement libérateur, celui de la rencontre des autres comme autres, et pas comme réduction au même, était admirablement décrite par Jean-Luc Nancy dans le bref film de Claire Denis Vers Nancy, en forme d’hommage à Jean-Luc Godard.
Pour en revenir aux Césars, la question est reformulée dans les mêmes termes que la sélection avec le palmarès. Mais disons alors, une fois n’est pas coutume, que le résultat est plutôt réjouissant cette année, mais selon deux angles d’approche distincts. Il l’est grâce aux lauréats des deux principales récompenses de ce concours, celles attribuées au meilleur film et au meilleur réalisateur. (…)
Cette année comme chaque année, mais cette année plus qu’une autre, les nominations pour les Césars [PDF] racontent un état du cinéma en France. Le «portrait de groupe» composé par les nommés est significatif par sa composition, comme du fait de ceux qui en sont exclus. Et dans sa composition, il faut considérer aussi bien ceux qui dominent que ceux qui sont marginalisés.
2011 aura été une année remarquable, du fait de la fréquentation record des salles, et avec au moins quatre films phénomènes: le triomphe commercial d’Intouchables qui vogue vers les 20 millions d’entrées, le triomphe médiatique et international (c’est-à-dire surtout aux Etats-Unis) de The Artist, et le succès considérable de deux jeunes réalisatrices, Maiwenn avec Polisse et Valérie Donzelli avec La guerre est déclarée.
Grâce à des modifications récentes du règlement, ayant porté de 5 à 7 le nombre de nommés comme meilleur film et meilleur réalisateur, la liste des candidats en lice pour la distribution de statuettes du 24 février reflète à peu près ces aspects saillants. Avec ce correctif que la comédie de Nakache et Toledano n’est pas représentée proportionnellement à son succès.
Comme toujours, il ne manquera pas de faux naïfs pour s’étonner que la fréquentation ne se traduise pas mécaniquement dans la distribution des prix, comme si ceux-ci n’étaient pas précisément destinés à faire prévaloir d’autres logiques. Comme toujours, il faudra répondre que s’il s’agissait de distinguer ceux qui ont eu le plus de succès, il n’y aurait nul besoin d’organiser un vote, il suffirait de regarder le box-office. Ceux-là, les faux naïfs, sont les mêmes qui pensent toujours que le marché devrait seul décider de tout.
Parmi les choix des 4.199 professionnels du cinéma électeurs des Césars, on peut noter le nombre particulièrement élevé de nominations (13) pour un film aussi racoleur que Polisse, qui déballe les ficelles les plus éculées de la sitcom en les pimentant de la souffrance des enfants, utilisée ici comme faire-valoir de manière particulièrement obscène.
C’est certainement le versant le plus antipathique du résultat d’un vote par ailleurs assez diversifié…