«Au-delà des collines», film d’ouverture

Reprise de l’article publié durant le Festival de Cannes. Cette semaine, ce qui s’y dit en faveur du beau film de Christian Mungiu garde son sens dans l’actualité des salles  face aux pénibles “Reality” et “La Chasse”, toujours à l’écran, à “Paradis:amour”, qui arrive, ou au plombé “Thérèse Desqueyroux” qui sort le même jour.

«Au delà des Collines». DRAu-delà des collines, de Cristian Mungiu, avec Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriut (Sortie le 21 novembre).

Au premier tiers du Festival, l’impression qui domine, surtout en compétition, est celle du grand nombre de produits formatés, obéissants à des règles convenues, connues de tous, et qui feraient de l’accomplissement des attentes programmées chez les spectateurs leur but ultime.

C’est exemplairement le cas de Reality, le film de l’Italien Matteo Garrone, prévisible dénonciation convenue des méfaits de la télé réalité et folklorisation condescendante du corps des pauvres et des mœurs napolitaine. Il est même embarrassant d’avoir affaire à une si pauvre redite, 60 ans après Bellissima de Visconti et Le Sheikh blanc de Fellini, cinéastes qui ont vu venir de très loin l’horreur berslusconienne.

Mais c’est tout aussi exemplairement le cas de Paradis: amour de l’Autrichien Ulrich Seidel, rentabilisation malsaine de la misère sexuelle des femmes européennes et de l’exploitation raciste des jeunes hommes des pays pauvres.

Mais c’est aussi le cas de Lawless film complètement américain de l’Australien John Hillcoat, qui démontre sa capacité à réutiliser les clichés du film de violence états-uniens, aux confins du western et du film noir, avec son histoire de paysans bootleggers affrontant les agents fédéraux venus de la ville durant la Prohibition, en prenant grand soin de n’avoir rien à dire sur rien, de n’ouvrir aucun espace d’imprévu.

Et c’est à l’extrême le cas du pénible La Chasse du Danois Thomas Winterberg, calvaire réglé comme du papier à musique d’un homme faussement accusé de pédophilie.

Les réalisateurs sont plus ou moins habiles, voire virtuoses. Cela ne change rien à cette idée déprimante qu’un film serait là pour répondre à ce qu’il annonce d’emblée, confort d’ailleurs, comme on sait, largement plébiscité par le public —à Cannes aussi. C’est à dire l’exact opposé de la découverte, de l’aventure, de l’expérience que pourrait et, si on espère quelque chose de l’art du cinéma, que devrait être la rencontre avec un film.

Cette expérience, cette aventure, elle est au rendez-vous d’un autre film en compétition. Film bizarre, peu aimable a priori, pas forcément plaisant durant le cours de  la projection, mais qui s’en vient chercher en chacun des espaces inconnus, des ressorts inhabituels, et qui fait ainsi vibrer longtemps après toute une gamme d’émotions et d’interrogations.

Au-delà des collines, du réalisateur roumain Cristian Mungiu (Palme d’or 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) raconte ce qu’il advient dans un monastère orthodoxe roumain à la règle particulièrement stricte après que l’une des sœurs y ait introduit une amie en détresse.

Soit, disons-le, une histoire dont on n’a à peu près rien à faire, pas plus qu’on ne se sentira probablement proche des termes dans lesquelles se pose le problème des personnages, écartelés en foi stricte, exigence de protéger la communauté monacale, pulsions de survie d’orphelines roumaines auquel rien n’incite à s’identifier, logique de pouvoir patriarcal, dénonciation rétrograde de l’emprise de Satan sur le monde moderne…

Si on ajoute que rien ne vient enjoliver le récit, conté en images sombres dans un décor fruste, on se doute que tout cela ne fait pas précisément un moment guilleret ou cool.

Mais voilà, il y a le cinéma. Il y a l’évidence de la puissance de la mise en scène de Mungiu, sa capacité à observer, à laisser vibrer ce qui habite les corps, à attendre l’instant où davantage de sens, et surtout davantage de présence, émane de l’écran. Il y ce paradoxal dispositif qui, mettant en branle une question dont on se fiche, la met si bien en mouvement qu’il est impossible de ne pas commencer à se la poser, de ne pas entrer dans la réflexion sur les possibilités concrètes de réponses à la question telle qu’elle est posée.

Au-delà des collines n’est pas un film sur la religion, ou sur le sectarisme, ou même sur l’individu et la collectivité – ou alors seulement de manière seconde. C’est un film qui pose la question de l’action, qui ouvre pour chaque spectateur une délibération complexe sur les possibilités d’agencer des éléments de réponses face à une construction qui a été établie dans toute sa prégnance, son existence dramatique, le temps du film.

D’où l’impression d’imbécillité obtuse que suscite la réaction «normale» d’un personnage extérieure à l’histoire, à la toute fin du film, la femme médecin qui croit pouvoir juger par la norme au lieu de partir des personnes, et de la manière dont, eux, se posent les questions.

Une manière qui, grâce aux seules puissances de la mise en scène, déplace le spectateur, lui ouvre un ailleurs de lui-même, non pas quant au «sujet» du scénario, mais quant à sa propre relation aux histoires, aux personnages, au spectacle. Le contraire de l’accomplissement d’un programme: une ouverture, partout à l’œuvre dans ce film qui semblait tout d’enfermement.

lire le billet

Cannes jour 4: demandez le non-programme

Au delà des collines, de Christian Mungiu, avec Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriut (Compétition officielle)

Au premier tiers du Festival, l’impression qui domine, surtout en compétition, est celle du grand nombre de produits formatés, obéissants à des règles convenues, connues de tous, et qui feraient de l’accomplissement des attentes programmées chez les spectateurs leur but ultime.

C’est exemplairement le cas de Reality, le film de l’Italien Matteo Garrone, prévisible dénonciation convenue des méfaits de la télé réalité et folklorisation condescendante du corps des pauvres et des mœurs napolitaine. Il est même embarrassant d’avoir affaire à une si pauvre redite, 60 ans après Bellissima de Visconti et Le Sheikh blanc de Fellini, cinéastes qui ont vu venir de très loin l’horreur berslusconienne.

Mais c’est tout aussi exemplairement le cas de Paradis: amour de l’Autrichien Ulrich Seidel, rentabilisation malsaine de la misère sexuelle des femmes européennes et de l’exploitation raciste des jeunes hommes des pays pauvres.

Mais c’est aussi le cas de Lawless film complètement américain de l’Australien John Hillcoat, qui démontre sa capacité à réutiliser les clichés du film de violence états-uniens, aux confins du western et du film noir, avec son histoire de paysans bootleggers affrontant les agents fédéraux venus de la ville durant la Prohibition, en prenant grand soin de n’avoir rien à dire sur rien, de n’ouvrir aucun espace d’imprévu.

Et c’est à l’extrême le cas du pénible La Chasse du Danois Thomas Winterberg, calvaire réglé comme du papier à musique d’un homme faussement accusé de pédophilie.

Les réalisateurs sont plus ou moins habiles, voire virtuoses. Cela ne change rien à cette idée déprimante qu’un film serait là pour répondre à ce qu’il annonce d’emblée, confort d’ailleurs, comme on sait, largement plébiscité par le public —à Cannes aussi. C’est à dire l’exact opposé de la découverte, de l’aventure, de l’expérience que pourrait et, si on espère quelque chose de l’art du cinéma, que devrait être la rencontre avec un film.

Cette expérience, cette aventure, elle est au rendez-vous d’un autre film en compétition. Film bizarre, peu aimable a priori, pas forcément plaisant durant le cours de  la projection, mais qui s’en vient chercher en chacun des espaces inconnus, des ressorts inhabituels, et qui fait ainsi vibrer longtemps après toute une gamme d’émotions et d’interrogations.

Au-delà des collines, du réalisateur roumain Cristian Mungiu (Palme d’or 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) raconte ce qu’il advient dans un monastère orthodoxe roumain à la règle particulièrement stricte après que l’une des sœurs y ait introduit une amie en détresse.

Lire la suite

lire le billet