Les Terrasses de Merzak Allouache, avec Adila Bendimerad, Nassima Belmihoub, Aïssa Chouat, Mourad Khen, Myriam Ait el Hadj, Akhram Djeghim, Amal Kateb. Durée: 1h31. Sortie: 6 mai 2015
L’aube, et l’appel à la prière de l’aube, se lèvent sur la grande ville. Dans un immeuble abandonné du quartier Notre-Dame d’Afrique, un homme est torturé pour des motifs sordides. Au sommet d’un bâtiment de Bab El Oued, un propriétaire harcèle une famille de squatters. Sous le ciel de la Casbah, une jeune femme joue d’un instrument de musique en attendant ses copains… Une journée entière rythmée par les cinq prières de l’islam, cinq quartiers d’Alger où sont situées les cinq terrasses. Là se déroule entièrement ce film aux multiples récits, aux innombrables personnages, aux horizons à la fois ouverts sur toute l’Algérie (et beaucoup de notre monde) et fermés par des contraintes, des peurs, des souvenirs, des bassesses et des conformismes.
Les Terrasses est un huis clos au grand air, comme Alger est une prison à ciel ouvert pour la grande majorité de ses citoyens. Le quinzième film du plus reconnu des cinéastes algériens en activité est bâti sur le principe, si souvent tenté, si rarement réussi, du film mosaïque. Entrelaçant plusieurs lieux et plusieurs récits indépendants et qui pourtant ensemble racontent une histoire plus grande que leur somme, il trouve cette fois une remarquable réussite, comme spectacle et comme témoignage.
Cette fois, Allouache donne à regarder, et surtout à ressentir, une société à bout d’illusions, un monde cynique et fragmenté, monde où règnent misère, injustice et corruption, société tiraillée entre conformisme, répression et individualisme. Mais il parvient à le faire sans position moralisatrice ni didactisme, au fil d’existences souvent marquées par la détresse ou prêtes à commettre le pire, mais où passent de multiples élans de vie, des failles, des troubles, des absences.
Un des écueils du film mosaïque est la nécessité de dessiner des personnages relativement simples, affectés à une fonction ou à une caractéristique. Si c’est ici le cas (quoiqu’avec des nuances bienvenues), tout se joue dans la palette très diverses des personnalités, et dans la circulation des affects et des comportements, entre eux et avec le spectateur. Les ellipses au sein de chaque récit et le jeu des harmoniques entre eux, par-delà tout ce qui les sépare et l’ignorance que les divers protagonistes ont les uns des autres, nourrissent la «grande image» qui peu à peu émerge de ces cinq tableaux précisément situés dans l’espace, dans le temps et dans des situations conflictuelles. (…)
Les Jours d’avant de Karim Moussaoui, avec Souhila Mallem, Mehdi Ramdani. Durée : 0h47. Sortie le 4 février.
C’est une histoire de partout et de toujours, une histoire d’amour qui n’adviendra pas entre deux adolescents, ces sont les émois et les retenues, les gestes bravaches et les timidités paralysantes.
Et c’est une histoire située précisément en un lieu et un temps : dans une petite ville au Sud d’Alger en 1994. La romance contrariée de Djaber et Yamina suit son cours chaotique, mais alentour monte la violence extrême de l’atroce guerre civile qui déchire alors le pays.
Avec ce film de moins d’une heure, le jeune réalisateur algérien Karim Moussaoui réussit le tour de force non seulement de raconter avec une justesse rare le roman d’une impossible initiation amoureuse et la montée en puissance des meurtres et des menaces dans un environnement paisible, mais de faire de l’entrelacement de ces deux dimensions si étrangères l’une à l’autre la ressource d’une rare puissance cinématographique.
Il y réussit grâce à la légèreté de l’écriture et à la qualité de l’interprétation de ses jeunes acteurs, mais surtout en filmant avec une sorte de détachement, de constat sans pathos ni discours surplombant. Laissant au spectateur toute latitude de construire ses propres repères et explications dans un contexte à la fois très reconnaissable (les amours adolescentes) et très particulier (les attentats), il trouve une juste distance qui tient notamment à la capacité à se tenir légèrement en retrait, ou en biais. Ce point de vue fait merveille notamment dans les scènes les moins chargées dramatiquement, une promenade dans la campagne, se servir à boire dans une fête, rendre service à l’épicerie du coin.
Ce retrait ou ce décalage ont la vertu d’inscrire les protagonistes dans un environnement qui est d’abord des lieux, des matières, une lumière hivernale, les murs tristes des petits immeubles et la terre boueuse des routes mal entretenues. Cette matérialité des situations donnent leur présence à la vigueur des pulsions vitales chez les lycéens, à la difficulté d’en trouver des manifestations, aux pesanteurs multiples qu’affrontent les jeunes gens, pesanteurs hétérogènes et pourtant mêlées, y compris de manière disproportionnée, quand le danger que papa découvre qu’on est allée à une fête est perçue comme infiniment plus terrible que la menace de mort bien réelle qui rôde.
Ce retrait et ce décalage sont déployés, sur la bande son, par la présence de deux voix off, celle du garçon, celle de la fille, et par l’emploi du passé. En même temps qu’une tristesse, et finalement qu’une horreur, il y a une ouverture quand même, un souffle qui passe dans ces écarts et qui fait des Jours d’avant un film assurément mélancolique et en prise sur une situation horrible, mais vivant.
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Fidaï de Damien Onouri, avec Mohamed El Hadi Benadouda. Sortie le 29 octobre 2014 | Durée: 1h22
C’est, d’abord et peut-être aussi au bout du bout, une histoire de famille. D’abord la famille du réalisateur, Damien Ounouri, jeune cinéaste français né d’un père algérien et d’une mère française, bien sûr.
C’est, assurément, une histoire d’aujourd’hui. Si Fidaï invoque des événements d’il y a plus de 50 ans, c’est en tant que ces actes, ces faits, ce qui les a engendrés, ce qu’ils ont produits, concerne aujourd’hui.
Ounouri entrebâille la porte d’une intimité, d’un quotidien, dans la famille de son père. Parmi ses membres, il y a un homme âgé et affable, le grand oncle du réalisateur, qu’on appelle El Hadi. Lorsqu’il se mêle, discrètement, à la parentèle, il semble surtout s’occuper des plus petits.
Ce monsieur paisible a été, dans sa jeunesse, un combattant du FNL, un fidaï. Comme des centaines d’autres anonymes, il a fait partie des Groupes armés, la structure d’action militaire sur le territoire français du parti indépendantiste pendant la guerre d’Algérie.
Petit à petit, en échangeant avec son petit neveu, il va laisser revenir à la surface une partie au moins de ce que furent ces années-là.
Jusqu’à la séquence la plus impressionnante du film, celle où il retourne à Clermont-Ferrand, son terrain d’action à l’époque, pour rejouer in situ l’exécution d’un «traître» désigné par le FLN, un membre du parti rival, le Mouvement National Algérien de Messali Hadj.
lire le billetRarement une manifestation cinématographique aura aussi bien porté son appellation de « Rencontres ». Dans la salle de la Cinémathèque de Bejaïa dominant le port de la cité kabyle comme dans les bistrots environnants ou au Café-ciné installé dans le foyer du théâtre voisin, les conversations, débats parfois vifs aussi bien qu’échanges érudits ou mise en commun de projets ou de carnets d’adresse semblent ne jamais devoir s’interrompre. Cette circulation de paroles est bien au cœur du projet tel que l’a conçu l’initiateur des Rencontres Cinématographiques de Bejaïa il y a 12 ans, Abdenour Hochiche : « à partir du début des années 2000, au sortir de la période la plus sombre, il est devenu possible de relancer des activités publiques, directement issues de la mobilisation démocratique en même temps que des enjeux artistiques concernés (la ville accueille également un festival de théâtre très actif). Dès le début, nous avons voulu créer un lieu d’échanges sans exclusive, les RCD ne sont ni un festival – il n’y a pas de compétition – ni une vitrine de quoi que ce soit. Chaque année on nous reproche l’absence de tel ou tel film algérien, mais ce n’est pas notre vocation. Il y a en Algérie de nombreuses manifestations copiées sur des modèles extérieurs, et qui tendent à privilégier le côté événementiel, l’effet d’annonce. Nous sommes différents. »
Natif de cette ville au cœur d’une Kabylie toujours rebelle, vigoureusement laïque, et où la culture est depuis longtemps un enjeu politique revendiqué, militant associatif autant que cinéphile activiste, Hochiche insiste sur la relation indispensable entre le temps fort que sont les RCB et le travail au long cours que mène l’association organisatrice, Project’heurts, grâce notamment à un ciné-club bimensuel, mais aussi à l’organisation d’ateliers d’initiation à l’image avec les enfants et les adolescents. Apparues dans le sillage d’une autre manifestation cinématographique consacrée au documentaire, Bejaïa Doc, en tandem avec le travail d’une association basée en France, Kaina Cinema, les RCB organisent également des ateliers d’écriture de courts métrages destinés à de jeunes réalisateur maghrébins.
D’un dynamisme et d’une indépendance d’esprit dont on chercherait en vain l’équivalent dans le paysage actuel du cinéma algérien sinistré par l’asthénie générale qui plombe le pays depuis les années noires, l’incurie officielle et le poids des anciennes baronnies de ce qui porta jadis les espoirs d’un cinéma du tiers-monde dont il ne reste que les fantômes, les Rencontres ont pourtant failli ne pas avoir lieu en 2014. La ministre de la culture d’alors avait coupé les vivres fin 2013, et un cruel paradoxe a voulu que les violentes réactions qui ont marqué, en Kabylie, le coup de force du président Bouteflika violant la constitution pour se faire élire à un quatrième mandat en avril dernier ait entrainé des destructions de bâtiments officiels… dont la Maison de la culture, lieu habituel de la manifestation. D’ordinaire organisée en juin, celle-ci a finalement pu avoir lieu grâce à l’arrivée d’une nouvelle ministre, Nadia Labidi, elle-même productrice de films, qui a rétabli le soutien de l’Etat, indispensable complément de l’apport de la ville et de la contribution de l’Institut français. De quoi rendre in extremis possible une manifestation frugale (100 000 euros de budget total), qui doit ses conditions d’existence à l’engagement de nombreux bénévoles.
L’universitaire Olivier Hadouchi, les critiques Saïdou Barry et Saad Chakhali lors du débat consacré à Serge Daney, animé par Samir Ardjoum, critique et directeur artistique des RCD
Du 7 au 13 septembre, la programmation explicitement conçue pour susciter le débat a donc mobilisé invités et public, dont de nombreux jeunes réalisateurs algériens venus de tout le pays. Conçue par le directeur artistique des RCD, le critique Samir Ardjoum, cette programmation cherche un équilibre entre courts et longs, œuvres artistiquement ambitieuses et sujets de société (dont le très polémique At(h)ome d’Elisabeth Leuvrey sur les essais nucléaires français et leurs séquelles mais aussi l’utilisation du site comme camp d’emprisonnement-mouroir pour des militants islamistes), films algériens, arabes et internationaux. Ardjoum a également animé deux rencontres consacrées à Serge Daney, le plus grand critique de sa génération, qui s’était rendu à de nombreuses reprises en Algérie. Il s’agissait là moins de célébrer une grande figure de la pensée sur le cinéma que de tenter de mettre à jour comment la pratique et la réflexion développées par Daney dans les années 70 et 80 peuvent servir dans le contexte actuel. Des jeunes critiques (le Français Saad Chakhali, le Burkinabé Saïdou Barry) et universitaires (l’historien Olivier Hadouchi) auront ainsi contribué à cette recherche, en écho aux témoignages de participants plus chevronnés (le réalisateur franco-vietnamien Lâm Lê, la productrice de radio Catherine Ruelle – et l’auteur de ces lignes).
Parmi les quelques 36 titres de tous formats présentés aux 12èmes RCD, ce sont surtout des films signés par des Algériens qui ont attiré l’attention – à l’exception du magnifique 1000 Soleils de Mati Diop et d’un beau court métrage cambodgien de Davy Chou. Heureux effet d’un problème technique comme les Rencontres, qui se tiennent dans des conditions qui restent précaires, ne cessent d’en affronter, le documentaire El Oued El Oued d’Abdenour Zahza s’est retrouvé en projection d’ouverture, à la satisfaction générale. Le très beau H’na Barra (Nous, dehors) de Bahia Bencheikh El Fegoun et Meriem Achour Bouakaz, exemplaire transformation par ses deux réalisatrices d’un sujet à thèse (le voile dans la société contemporaine) en épanouissement d’une écoute, d’une attention aux visages, aux voix, aux silences, débordant de toute part un énoncé qui, à Bejaïa, ne fait pas polémique. Ainsi également le très prometteur moyen métrage de Karim Moussaoui, Les Jours d’avant, évoquant le télescopage d’une adolescence et de la violence terroriste au début des années 90. Avec Loubia Hamra, la cinéaste Narimane Mari propose une sorte d’incantation visuelle aussi stylée que complexe autour de la présence contemporaine de la mémoire des luttes anti-coloniales, grâce à une sidérante bande de gosses débordant de vie. Sur les deux rives de la Méditerranée, Nazim Djemaï déploie les ressources d’un regard très personnel : le court métrage La Parade de Taos est un vif poème noir et blanc hanté par la violence subie par les femmes dans l’espace public, quand A peine ombre, tourné à la clinique psychiatrique de La Borde, construit une très belle attention aux êtres humains qui y vivent, sans préjuger du statut qui leur est affecté.
Chaque séance a donné lieu à des discussions inhabituellement denses, et parfois enflammées, grâce à un public qui souvent ne s’embarrasse pas de diplomatie. Quitte à surprendre les invités, comme lorsque le réalisateur tunisien Mehdi Ben Attia s’est félicité de pouvoir pour le première fois montrer Je ne suis pas mort dans un pays arabe, pour s’entendre rétorquer vigoureusement, et collectivement : « ici, ce n’est pas un pays arabe ». Dans cette Algérie qui ne produit plus que 2 ou 3 longs métrages par an, dont les salles vieillottes sont fermées ou désertées, où le travail critique est en jachère et la formation professionnelle aux métiers du cinéma en demi-sommeil, les RCB ne peuvent assurer seules une renaissance d’un cinéma qui est pourtant étonnamment riches de talents susceptibles de rejoindre les grands cinéastes algériens d’aujourd’hui, comme Tariq Teguia ou Malek Ben Smail. Dans l’attente d’une hypothétique nouvelle politique, les Rencontres de Bejaïa entretiennent tout du moins une dynamique dont on sent clairement, sur place, qu’elle ne demande qu’à prendre son essor.
Plus grand festival de cinéma d’Amérique du Nord et rampe de lancement sur le marché étatsunien pour les films du monde entier, y compris hollywoodien, le Festival de Toronto (TIFF) a lieu du 6 au 16 septembre. La manifestation s’est construit une place enviable en jouant à la fois la carte de la quantité (on y montre des centaines de films) et de la qualité (on y présente une bonne part du meilleur de la production récente, sans se soucier de savoir si les films ont déjà été projetés ailleurs). Grosses productions des Majors, films expérimentaux et documentaires issus de pays émergents y cohabitent dans une sorte de boulimie bon enfant qui fait le charme, mais aussi l’efficacité de la manifestation.
Imad Benchenni dans le rôle titre de Zabana! de Saïd Ould-Khelifa
Parmi les inédits, découverte de Zabana ! de Saïd Ould-Khelifa. Le titre reprend le nom d’Ahmed Zabana, premier militant du FLN exécuté par la justice française – 221 autres subiront le même sort. Consacré aux débuts de la lutte d’indépendance en Algérie et au sort de combattants arrêtés et emprisonnés, jusqu’au 19 mai 1956, date de l’exécution de Zabana et d’un de ses compagnons de lutte, le film se trouve de fait le seul grand geste cinématographique produit par l’Algérie pour célébrer les 50 ans de l’indépendance. Suite à une étrange gestion de l’affaire, le ministère de la culture algérien a en effet seulement débloqué courant 2012 les fonds nécessaires à la réalisation de films en l’honneur de l’occasion – qui plus est dans des conditions qui ont alimentés polémiques et contestations. On devrait donc voir arriver plutôt en 2013 ou 2014 les fruits de cette mobilisation décalée.
Polémiques et contestations ont également surgi dans les médias algériens après que le film n’ait pas été retenu par le Festival de Cannes, auquel il était candidat. Une décision qui, outre le relatif intérêt artistique du film, peut s’expliquer par le fait que la Croisette se souvient encore du tumulte suscité par les nostalgiques de l’Algérie française lors de la présentation de Hors la loi de Rachid Bouchareb en 2010. Toujours est-il que cette absence a été dénoncée comme l’expression de l’incapacité des Français à accepter un point de vue algérien sur les événements.
Reconstitution historique des débuts de la lutte armée pour l’indépendance, puis évocation des brutalités et des tortures commises par l’armée et la police française, ainsi que des distorsions de la loi à l’initiative des plus hautes autorités de l’Etat, Zabana ! est un monument commémoratif à la mémoire des premiers héros de l’indépendance. Le combat et le sacrifice des membres du FLN y sont montrés d’une manière qui ne fait place à aucune complexité ou interrogation – au points que, paradoxalement, ce sont les Français, chez lesquels on trouve un communiste solidaire et un ou deux personnages ayant des cas de conscience, qui semblent un peu moins figés, face au monolithe de l’engagement et du courage de la totalité des personnages algériens.
La caractéristique la plus notable de Zabana ! est sa manière d’insister méthodiquement sur les ressemblances entre la Résistance française au nazisme (ou plutôt l’imagerie qui s’en est imposée, dans l’évocation des maquis comme des cellules urbaines combattantes) et les militants armés du FLN. Le parallèle entre Ahmed Zabana et Guy Mocquet est même explicitement formulé. Simultanément, d’une manière qui n’aurait sans doute pas été aussi insistante il y a 10 ou 20 ans, les références à l’islam et au coran sont ici très présentes, témoin de l’inflexion récente du discours officiel en faveur d’une place croissante réservée à la religion. L’omniprésence sur la bande son des « Allah o Akbar » dans la dernière partie du film peut être perçue comme une manière de réaffirmer que le FLN n’a pas attendu son opposition islamiste pour combattre sous le drapeau de dieu. Mais cette insistance renvoie aussi, aujourd’hui, aux combats actuels du monde arabe, notamment en Libye et en Syrie, suggérant une connexion tout à fait différente entre l’épisode historique raconté et d’autres événements, connexion complètement hétérogène à celle concernant la Résistance française. En quoi le système de signes mobilisés par Zabana !, film officiel dont la première mondiale a eu lieu le 30 août à Alger en présence de personnalités du régime algérien, s’avère malgré tout plus complexe qu’il n’y paraît. Et peut-être qu’il ne le souhaitait. Les échos qu’un tel film est capable de susciter en France restent à observer, en un temps où la pression de la droite dérivant vers l’extrême a réussi à empêcher une personnalité aussi modérée que Benjamin Stora d’organiser une exposition consacrée à Albert Camus dans le cadre de Marseille Provence 2013.
El Hadi, le grand oncle du réalisateur, refait ses gestes d’il y a 50 ans
La guerre d’Algérie est également présente à Toronto grâce à un autre film, le documentaire Fidaï réalisé par Damien Onouri (et produit par Jia Zhang-ke). Le jeune réalisateur français – dont le père est algérien – va à la rencontre de son grand-oncle, qui fut un des combattants du FLN sur le territoire français durant la Guerre d’Algérie. Davantage qu’une leçon d’une histoire sur des événements d’il y a plus d’un demi-siècle, le film est une interrogation sur la mémoire, sur les traces d’événements traumatiques tels qu’ils s’inscrivent dans les souvenirs, dans les corps, dans la perception qu’en ont la famille et l’entourage, dans l’emploi de certains mots et l’absence de certains autres. Avec subtilité, Fidaï compose la contrepoint de l’imagerie commémorative exemplairement représentée par Zabana ! (et par des centaines d’autres films du monde entier visant à embaumer le passé dans une geste héroïque et simplifiée). Hommage à un combattant de l’ombre qui avait gardé secret une part de son passé, le film d’Onouri est surtout une manière ouverte d’interroger la manière humaine de vivre avec son histoire. Question qui est clairement loin d’être réglée, ni en Algérie ni en France.
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