Les grands festivals ont clairement un problème. Un problème avec leur film d’ouverture. Après le calamiteux Gatsby de Cannes, voici le totalement dépourvu d’intérêt Gravity, pour lancer la manifestation vénitienne. Il faut comprendre que de telles manifestations ont besoin pour leur ouverture de stars sur leur tapis rouge, et d’une production puissante pour payer le diner de plusieurs centaines de couverts qui fait suite à la projection. Or il apparaît que l’hypothèse de trouver un film qui répondent à ces critères tout en ayant ne serait-ce que quelques mérites artistiques, un petit quelque chose d’un tant soit peu original, s’avère difficile à trouver. Il ne sert à rien de jeter la pierre au programmateur : pour ouvrir Berlin, Cannes, Venise ou Toronto, il faut de l’artillerie lourde médiatique.
Il fut un temps où on trouvait des films qui, tout en répondant à cette exigence, avaient quelque légitimité dans ce qui s’appelle, à Venise, une Mostra d’arte cinematographica. L’art cinématographique, on le chercherait en vain dans la bruyante, grimaçante et totalement dépourvue d’intérêt mésaventure de l’astronaute Sandra Bullock, affrontant la solitude spatiale et le manque de désir de vivre suite à un accident de satellite – mais George Clooney en Jiminy Cricket assurera le retour dans l’atmosphère du happy end, pas de souci. En fait si, il y a une bonne idée dans Gravity : la combinaison de la 3D avec l’apesanteur, effectivement suggestive de sensations, de rapports aux objets, à l’espace et au temps inédits. Il restera à un autre réalisateur la tâche d’en faire quelque chose.
Si ce quelque chose a la possibilité d’être interprété par Leonardo Di Caprio, Kristen Stewart , Brad Pitt ou Angelina Jolie, il pourrait faire une honorable séance d’ouverture d’un grand festival. En attendant, l’ennui pesant qui émane du film d’Alfonso Cuaron, dont il faut reconnaître que le seul film regardable aura été son épisode de Harry Potter (Le Prisonnier d’Azkaban), inquiète sur l’écart qui se creuse entre films à peu près dignes d’un festival et la production « grand public » destinée à sidérer les multiplexes.
Pour le reste, ce mercredi 28 aura donc vu s’ouvrir le 70e Festival de Venise, plus ancien festival de cinéma du monde, création mussolinienne et néanmoins visionnaire qui date de 1932 – au début, la Mostra était calée sur la Biennale, donc tous les deux ans, ensuite la guerre a perturbé son déroulement. Le jury est présidé par un des très rares grands cinéastes italiens survivants, Bernardo Bertolucci, qui malgré le handicap cruel qui le cloue depuis des années sur un fauteuil n’a rien perdu de sa verve de cinéaste, comme l’a prouvé Moi et toi, dont on attend la sortie française, le 18 septembre.
Le directeur artistique de la Mostra a concocté un programme plus qu’alléchant, avec, pour ne parler que de la compétition officielle, un assemblage de grands noms de la recherche cinématographique (Philippe Garrel, Amos Gitai, Tsai Ming-liang, Hayao Miyazaki) et quelques uns des jeunes auteurs les plus prometteur repérés depuis une dizaine d’années (Xavier Dolan, David Gordon Green, Kelly Richardt) auxquels se mêlent des réalisateurs capables du meilleur comme du reste (Terry Gilliam, Merzak Allouache, Stephen Frears) et des débutants (Emma Dante, Peter Landesman). On pourra s’interroger sur le caractère massivement européo-nord américain de la compétition, surtout sachant Barbera très ouvert aux cinémas du monde. Il reste que sur le papier, sa sélection est alléchante, avec également une belle place réservée, toutes sections confondues, au documentaire, avec notamment le film sur Rumsfeld d’Errol Morris, The Unknwn Known, le film fleuve de Frederick Wiseman sur Berkeley, ou The Armstrong Lie d’Alex Gibney. Mais aussi beaucoup de propositions sans indications préalables, invitions à découvrir, ce qui est tout de même la première vocation d’un festival.
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