Lautner avant Lautner

monoclenoirlautnerPaul Meurisse dans Le Monocle Noir de Georges Lautner (1961).

Georges Lautner est mort le 22 novembre. Il était âgé de 87 ans. Il est le réalisateur de 40 films entre 1958 et 1992, dont un grand nombre, comédies et polars, ont été de grands succès. S’il entre dans l’histoire du cinéma, ce sera surtout comme signataire d’une comédie policière devenue «culte», Les Tontons flingueurs, dont le véritable auteur est son scénariste-dialoguiste Michel Audiard, fabriquant de répliques devenues des bons mots répétées à l’envi dans les diners ou devant les zincs.

Lautner aura incarné à la perfection cette idée de l’exécutant fiable, capable de s’adapter au terrain, aux difficultés de tournage et aux états d’âme des vedettes: une «garantie de bonne fin» (comme on dit dans les assurances) pour les producteurs. Pourtant, au tout début de sa carrière, il aura entrebâillé brièvement la possibilité de propositions un peu plus personnelles.

C’est le cas avec le méconnu Arrêtez les tambours, son troisième film en 1960, chronique d’une petite française durant l’Occupation cherchant à tenir un discours non-manichéen à une époque où ce n’était guère de mise. La même année, un autre film dans le même esprit, Les Honneurs de la guerre de Jean Dewever connaitra la même obscurité. Ensuite, la trilogie des Monocle avec Paul Meurisse (Le Monocle noir, 1961, L’œil du monocle, 1962, Le Monocle rit jaune, 1964) fait preuve d’une originalité loufoque, prête à quelques audaces de stylisation, de celles qu’on préfère d’ordinaire admirer chez les comiques anglo-saxons alors qu’il s’agit d’une production très franco-française. Le Monocle est sans doute un des seuls ancêtres locaux des OSS 117 du tandem Hazavanicius-Dujardin. Sous la houlette du patron de Gaumont, Alain Poiré, le réalisateur avait déjà commencé sa longue carrière d’exécutant modèle dont il ne sortira presque plus.

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Patrice Chéreau, le génie de la scène à l’épreuve de l’écran

A l’heure de sa disparition, ce n’est pas rendre service à cet immense artiste que d’uniformiser son parcours: malgré quelques réussites éclatantes, de «Hôtel de France» à «Intimité», sa puissance scénique n’aura jamais trouvé son plein équivalent au cinéma.

Mai 1987, Festival de Cannes. Dans la section parallèle Un certain regard est présenté Hôtel de France. Son réalisateur est une célébrité, mais pas une célébrité de cinéma.

Patrice Chéreau a 43 ans. Il est l’enfant prodige du théâtre, devenu une des figures majeures de cet art. Une figure de proue d’un mouvement de réinvention du théâtre dans l’orbe historique qui a mené à Mai 68 et l’a prolongé, réinvention esthétique et émotionnelle tout autant que politique —mouvement allumé sans doute par les aînés, Vitez, Sobel, mais repris par lui avec une verve ravageuse et raffinée, mouvement dont son ancien acolyte à Villeurbanne, Roger Planchon, ou Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie sont d’autres figures majeures.

Mais seul Chéreau a rejoint, en degré de reconnaissance, son mentor Giorgio Strehler et les deux autres grands maîtres de la scène théâtrale européenne, Peter Brook et Klaus Michael Grüber.

Ses mises en scène ont stupéfait et enthousiasmé les publics de France et d’ailleurs. Il a mis le feu à Wagner et à Bayreuth, il est le seigneur d’un Anneau du Nibelung qui a fait le tour du monde.

Il a mis en scène Ibsen et Marivaux, Mozart et Berg, comme nul ne l’avait fait. Avec Combat de nègres et de chiens et Dans la solitude des champs de coton, il a révélé un grand auteur dramatique contemporain, Bernard-Marie Koltès.

Il règne depuis 1982 sur l’équipement culturel le plus vivant, le plus excitant du pays, le Théâtre des Amandiers à Nanterre, après avoir fait de cette salle de banlieue, grand navire froid échoué au milieu des cités, un rendez-vous impératif pour quiconque a du goût pour le théâtre.

Il y a aussi installé une école d’où, sous la direction éclairée, rigoureuse et affectueuse de Pierre Romans, émerge une génération de jeunes acteurs: Valeria Bruni-Tedeschi, Marianne Denicourt, Agnès Jaoui, Laura Benson, Vincent Perez, Laurent Grévill, Bruno Todeschini, Pierre-Loup Rajot, Thibault de Montalembert, Marc Citti…

A Cannes, une indifférence même pas polie

Pourtant, lors de ce Festival de Cannes 1987, Patrice Chéreau, s’il est évidemment connu, n’est pas une vedette. Côté cinéma, il n’en est pourtant pas non plus à son coup d’essai.

Mais La Chair de l’orchidée (1974) et Judith Therpauve (1978) n’ont semblé ni convaincants, ni cohérents avec ce qu’il a exploré à la scène. L’Homme blessé (1983), plongée fantasmatique dans les abîmes du désir, grand rôle offert à Jean-Hugues Anglade (et mémorables apparitions de la Gare du Nord et de Claude Berri) a impressionné, mais plutôt comme une promesse.

Transposition contemporaine du Platonov de Tchekhov (que Chéreau monte en parallèle aux Amandiers), Hôtel de France est un moment de cinéma libre, qui proclame sa foi en l’espace habité par les corps jeunes, en des formes aussi aériennes et solaires qui répondent en contrepoint à celles, d’un expressionnisme volontiers sombre et oppressant, construites avec Richard Peduzzi aux décors et André Diot aux lumières pour le théâtre.

A Cannes, le film est accueilli avec une indifférence pas même polie. (…)

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Michel Brault est mort

Le cinéaste québécois Michel Brault est mort samedi 21 septembre d’une crise cardiaque à Toronto. Il était âgé de 85 ans. Pas sûr que son nom dise grand chose en dehors des cercles passionnés de documentaire. Avec son compère Pierre Perreault, il fut pourtant à l’origine d’une des plus importants mouvements de transformation du cinéma, non seulement documentaire mais dans tout un questionnement sur le rapport à la réalité des choses et à la vérité des images. Dès Les Raquetteurs en 1958, mais surtout avec Pour la suite du monde (1963) cosigné avec Perreault et Marcel Carrière, il incarne un regard différent, une autre distance à la réalité et à la fiction, en parfaite synchronie avec les explorations de la Nouvelle Vague en France, ou du Direct Cinema des Leacock, Pennbaker, Maysle aux Etats-Unis. Jean Rouch, avec lequel il avait collaboré sur Chronique d’un été (1961), dira alors que « tout le monde à la brauchite » pour insister sur son influence, liée à des remises en causes esthétiques et politiques profitant d’innovations techniques (caméras, pellicules et prise de son). Lui-même aura énormément travaillé à ces évolutions, notamment des caméras de la société Eclair. Ses réflexions et ses modes de travail contribuent largement à la mise en place d’un style documentaire léger, notamment auprès d’une génération de jeunes chefs opérateurs.  Cinéaste engagé, Michel Brault signera en 1974 Les Ordres, inspiré par la répression brutale du mouvement nationaliste québécois. Le film lui a valu un prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Evocation d’une révolte nationaliste québécoise au 19e siècle, son dernier film comme réalisateur, sortie en 1999, porte le beau titre de Quand je serai parti… vous vivrez encore.

Pour la suite du monde

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