Slimane Dazi dans Rengaine
Il faut regarder l’affiche. Elle indique que Rengaine est « un conte de Rachid Djaidani ». Le mot « conte » est décisif. Il pourrait s’intituler Le Renoi et les 40 frangins. Ce conte, c’est une histoire d’amour, une variante dans le Paris d’aujourd’hui de Romeo et Juliette, une chronique de la vie du mauvais côté des rambardes du pouvoir, de l’argent et de l’adaptation sociale, une fantasmagorie contemporaine. Il était une fois Dorcy et Sabrina, ils étaient jeunes et beaux, ils s’aimaient, ils voulaient se marier. Lui est, ou essaye d’être acteur. Elle est chanteuse. Mais voilà, Dorcy est noir (et issu d’une famille chrétienne), Sabrina est arabe (et issue d’une famille musulmane). Sous l’impulsion du grand frère de Sabrina, son innombrable fratrie se mobilise pour empêcher une mésalliance qui ne sied d’ailleurs pas davantage à la famille de Dorcy. Ça c’est le point de départ de l’intrigue, le film, lui, fait autre chose – plein d’autres choses.
Il fonce, à toute vitesse, dans les rue de la ville, les lumières du jour, de la nuit, des cafés, des boites et des gares. Il écoute la parole inventive et inspirée de ses multiples protagonistes, cette camarilla de « frères » prenant au pied de la lettre le vocable communautaire. Il se colle à tous et à chacune, sature l’écran de très gros plans instables, surchargeant d’énergie une réalisation qui ne peut compter que sur le magnétisme de ses interprètes, et la tension qui ne cesse de renaître entre leur visage et la caméra. Il débloque, ajoute des rebondissements beaux et improbables comme des coups de Jarnac trouvés in extremis par Shéhérazade pour sauver sa peau avant l’aube, mélange la fiction avec de la fiction dans la fiction pour être plus proche du réel, regarde aussi avec une affection sans limite ces deux visages qui polarisent la projection, Sabrina Hamida et Slimane Dazi,la petite sœur et le grand frère, le vrai couple du film, quoique prétende le scénario.
Remarqué à la Quinzaine des réalisateurs lors du Festival de Cannes 2012, Rengaine a aussitôt couru le risque d’être submergé par les histoires qui l’accompagnent, son label de petit film qui a gagné son ticket dans la cour des grands, l’odyssée de son réalisateur pulvérisant les obstacles matériels et institutionnels pour faire exister un long métrage en dehors des pistes balisées du cinéma français. Cela est vrai, et pas sans intérêt. Mais l’essentiel, c’est ce film brûlot, parfois sentimental et parfois gouailleur, emporté par des musiques nocturnes vibrantes et des sarabandes de paroles instables, sans doute souvent improvisées, en tout cas marquées d’une vigueur qui claque et qui résonne. Une façon de fabriquer une légende d’aujourd’hui avec les moyens du documentaire le plus radical (et le plus fauché), qui à l’exact croisement de la nécessité et de l’inventivité fait l’exactitude d’un style.
“c’est ce film brûlot, parfois sentimental et parfois gouailleur, emporté par des musiques nocturnes vibrantes et des sarabandes de paroles instables, sans doute souvent improvisées, en tout cas marquées d’une vigueur qui claque et qui résonne. Une façon de fabriquer une légende d’aujourd’hui avec les moyens du documentaire le plus radical (et le plus fauché), qui à l’exact croisement de la nécessité et de l’inventivité fait l’exactitude d’un style.” (Frodon).
Suffit-il de filmer dans l’urgence(’emporté’, ‘instables’, ‘vibrantes’, ‘improvisées’, ‘vigueur’, ‘documentaire’) pour créer un style ? Ce geste est au contraire l’apanage de tout un courant du cinéma actuel à vouloir faire à tout prix réaliste… Vous confondez “faire style”, genre “Yo, je me la joue, casquette à l’envers, je surfe sur la vie”, et avoir du style. Ce n’est pas du tout la même chose.
Est-ce qu’on ne nage pas en pleine démagogie là en voulant porter au plus haut ce petit film sociétal ?
Pas d’accord avec vous. Il ne suffit certainement pas de filmer “à l’arrache” pour que cela constitue un style, cela ne l’exclue pas non plus. Dans ce film, avec ces moyens-là et d’autres, il me semble que le réalisateur se forge un style, très singulier, bien différent des caméras elles aussi très mobiles, par exemple de “Rosetta” ou de “Breaking the Waves”. Mais je me demande si vous avez vu le film.
Effectivement Monsieur Frodon, j’ai pas vu le film. La bande-annonce, avec le parler banlieue, m’a suffit. Et vous savez, c’est desormais ringard de penser qu’il faut avoir vu le film avant d’en faire une critique. Vous “voyez” davantage le film sans l’avoir vu. Ça vous permet de prendre du recul, de pas avoir le nez dans le guidon, et de balancer quelques fulgurances bien senties. Et franchement mettre 10 € en salle – je m’appelle Fauche, Xavier FAUCHE – pour aller voir un mec chebran et chantme qui tourne dans la sacro-sainte urgence et balance sa camera Sony comme un joystick, non merci ! Je prefere les dépenser pour le prochain De Palma ou Paul Thomas Anderson. Et, entre nous, même un film vu, est-ce que nous le… voyons vraiment ? N’est-ce pas lui qui nous regarde ? Et combien de sieges entend-on claquer a Cannes avant la fin d’un film projeté ? Combien de critiques de films, fatigues et assommes de voir des films (car au bout d’un moment c’est emmerdant, comme tout acte répétitif), s’endorment dans la salle pendant le film ? Legion, mon capitaine ! Les ronflements, j’en ai deja entendu en projo privée! Et d’ailleurs peut-etre qu’on voit mieux le film en (le) rêvant… On s’endort devant et l’inconscient fait la suite. Une fois, dans un cine de quartier, un critique avait roupille, eh bien, a la fin du film il en parlait bien! Tres bien meme. Tres inspire, ragaillardi, chabrolien en diable, un regal. Je vous garantis que ses mots, a l’oral, etaient mieux sentis que sa glose litteraire finissant toujours a l’écrit par paraphraser le film au lieu de le décortiquer, de le mettre a plat pour en extraire avec talent le mécanisme et la substantifique moelle. Bonnes projos Monsieur Frodon !
“j’ai pas vu le film”, c’est du parler quoi?
Je peux partager certaines des choses que vous dites, moi j’aime toujours aller voir des films, dans une salle. Il ne me soucie nullement d’être ringard à cause de cela. Et il m’arrive, aussi, de m’endormir à des projections – seulement à des bons films.
Paul Thomas Anderson, de Palma, il est sût que vous n’avez guère de goût pour des rencontres inattendues (enfin, De Palma a de beaux sursauts, de loin en loin). Mais c’est bien entendu parfaitement votre droit, vous faites ce que vous voulez avec vos billets de 10€. Bonnes séances à vous aussi.