On voit très vite ce qui fait la singularité de ce premier film : inventer une alliance entre deux idées du cinéma qui d’ordinaire s’excluent, ou du moins s’évitent. Qu’il s’agisse de la bande de garçons fous de voitures customisées, du rapport du jeune Alex avec Rachel sa copine et mère de leur petite fille ou de l’incident mortel qui ouvre le film pour le hanter, la manière de filmer se branche sur une énergie survoltée venue du film de genre, avec dopage affiché à la frénésie des jeux vidéo. Mais simultanément, Alex et Rachel, habitants d’une cité de la banlieue parisienne, travaillant l’un et l’autre dans un supermarché, appartiennent à un temps et à environnement précis, que le film n’entend nullement sacrifier, caricaturer ou simplement utiliser au service de ses effets de spectacle.
Tonus de film d’action et attention à un quotidien pas forcément séduisant, approche sans simplisme d’un milieu où règne cette passion macho qu’on appelé le tuning et attention délicate aux personnages pour eux-mêmes sont les ressources inhabituelles, difficiles à manier, et qui vont faire la réussite de ce premier long métrage. Sans doute pour tenir la distance devra-t-il recourir à des acrobaties de scénario parfois forcées, en particulier dans les relations d’Alex avec son copain et surtout avec la mère du garçon tué dans la séquence d’ouverture. Mais leur artifice est régulièrement sauvé par la manière très simple et très juste qu’à Christoph Sahr de filmer aussi bien des bolides lancés à fond sur une autoroute d’Essonne, une engueulade dans un couple ou un quartier pavillonnaire.
Et, surtout, Voie rapide est porté par des acteurs tous remarquables, aussi grâce à la façon dont ils sont regardés. C’est vrai des deux actrices du film, Christa Théret qui confirme les espoirs suscités par La Brindille et Isabelle Candelier dont, deux mois après Adieu Berthe, on continue de se demander comment il se fait qu’on ne la voit pas davantage, vrai de l’étonnant Guillaume Saurrel (aperçu dans Le Premier Venu de Doillon et Carlos d’Assayas), mais surtout de Johan Libereau, justement parce que depuis Douches froides il est un peu abonné aux rôles de jeune homme fruste enlisé dans un environnement difficile. Libereau a déjà joué cinq ou six fois des rôles proches de celui d’Alex, et pour la première fois une évidence et une étrangeté, quelque chose de complexe et venu de l’intérieur, l’emporte au-delà de cette force qu’il possède de toute manière.