La balade magique de « Bella e perduta »

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Bella et perduta de Pietro Marcello, avec Sergio Vitolo, Tommaso Cestrone, la voix d’Elio Germano.

Durée : 1h27. Sortie le 1er juin.

Etrange cinéma italien, qui fut jadis le plus beau du monde. A peine si on y repère en position visible deux représentants dignes de cet héritage encore en activité, mais issus de deux générations déjà anciennes, Marco Bellocchio et Nanni Moretti. Ensuite, leurs soi-disants successeurs sont des histrions berlusconisés (les Sorrentino et autres Garrone) ou des fabricants de téléfilms sans relief. Pourtant les talents, immenses, existent dans la péninsule, mais ils sont presqu’entièrement marginalisés.

De festival en festival, et au gré de sorties souvent trop discrètes, on suit les parcours d’Alice Rohrwacher (Les Merveilles), Pippo Del Bono (Amore Carne, Sangue), Michelangelo Frammartino (Il Dono, Le Quatro Volte), Emma Dante (Palerme), Ascanio Celestini (La Pecora nera), Leonardo Di Constanzo (L’Intervallo), Alessandro Comodin (L’Été de Giacommo) – sans oublier les documentaires de Gianfranco Rosi, de Stefano Savona, de Vincenzo Marra… C’est à la fois beaucoup, par le nombre de films et la diversité des propositions artistiques, et si peu, par l’écho que ces films et leurs auteurs rencontrent, y compris et même surtout dans leur propre pays.

Dans cette mouvance, une place singulière revient à Pietro Marcello, découvert il y a 6 ans grâce à l’admirable La Bocca del Lupo. Il est de retour avec un film sidérant de beauté élégiaque et de pugnacité politique, un conte mythologique vibrant des réalités les plus crues de l’Italie actuelle – du monde actuel.

Avec un naturel de grand conteur, le cinéaste accompagne d’abord le parcours de deux créatures fabuleuses, un jeune buffle à la langue bien pendue et un Pulcinella, individu féérique vêtu de blanc et affublé d’un masque, émissaire d’un monde parallèle auquel a été confié une singulière mission. Marcello les accompagne en caméra portée, reportage sur le vif d’un surgissement magique, alliance modeste et suggestive du quotidien et du surnaturel.

Et voici que, chemin faisant dans la campagne napolitaine, ces personnages de féérie rencontrent un château enchanté, un héro et un dragon. Sauf que ce château, ce héro et ce dragon sont bien réels.

Le château est le Palais Royal de Carditello, joyau de l’architecture baroque tombant en ruine du fait de l’impéritie et de la corruption des autorités locales et nationales. Le héro s’appelle Tommaso Cestrone, paysan du voisinage qui, scandalisé par cet abandon, consacre une énergie et un talent insensés à entretenir les lieux, et à les protéger des invasions du dragon. Lequel n’est autre que la Camorra, la mafia napolitaine qui entend utiliser le domaine comme terrain d’enfouissement des déchets dont le trafic lui est si lucratif, avec des conséquences environnementales désastreuses.

Avec une égale délicatesse de filmage, où l’humour, la tristesse et la colère se donnent la main, Pietro Marcello accompagne les aventures du Polichinelle et la description du combat solitaire du protecteur auto-désigné du palais. Bella e perduta est comme un songe, un songe réaliste et inquiétant, qui tire sa force de l’étonnante grâce avec laquelle sont filmés les champs et les bâtiments, les visages, les arbres et les corps.

Ce cinéma peut être dit véritablement panthéiste, au sens où il ne hiérarchise absolument pas le réel et l’imaginaire, les hommes et les bêtes, la nature et la culture, cinéma « pluriversel » qui avance comme au rythme d’une ritournelle opiniâtre, d’une farandole angoissée. Car si la promenade du Pulcinella commis d’office et de son imposant protégé appartient aux contes, ce qu’ils révèlent sous leurs pas, et qui appartient au monde bien réel de l’argent et de la violence, n’a rien d’enchanté.

 

 

 

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“Elle” et les sortilèges

aL’association parfaite de Paul Verhoeven et d’Isabelle Huppert engendre un film tourbillon autour d’une figure féminine d’une puissance exceptionnelle.

Brutale, l’agression. Irruption, coups, viol, insultes. L’homme masqué a frappé et disparu. Le chat n’a pas moufté.

Elle, sonnée. Meurtrie. Agressée dans sa chair, dans son intimité, dans sa demeure cossue de banlieue chic, dans son habitude de maîtriser les choses et les gens.

Elle, elle ne fera pas ce que la plupart ferait. Ne se plaindra ni ne portera plainte. Agressée peut-être; victime, certainement pas. Mais qui est-elle?

S’ouvrant sur une scène violente, le film fait mine d’en décrire ensuite les protagonistes, les circonstances, les antécédents. Michèle (Isabelle Huppert) est une femme d’affaires qui dirige sans états d’âme une entreprise de jeux vidéo où le porno et la violence sont des ressources profitables.

Elle fut jadis directement mêlée –mais jusqu’où?– à un fait divers sanglant. Elle est aussi, entre autres, l’amante du mari de son associée et l’accueillante voisine d’un jeune couple de bourgeois réac bon teint, surtout assez attirée par le monsieur.

Patronne implacable, femme séductrice et manipulatrice, elle se découvre vulnérable, se sent aussi menacée par le retour dans l’actualité des meurtres atroces commis autrefois par son père, ou par la faiblesse geignarde de son ancien mari, ou par l’esprit d’opposition de son plus brillant informaticien, ou par l’infantilisme de son fils… Sa manière de répondre sera moins le résultat d’une stratégie que la manifestation de la force même qu’elle incarne.

Ailleurs, les situations mises en place feraient une ou plusieurs histoires, peut-être trop. Ici cela fait autre chose: Elle n’est pas un récit, Michèle n’est pas un personnage.

Elle est une plongée en chute libre dans les puissances obscures de la psyché, celles qui guident les comportements collectifs comme les actes individuels, en plus, à côté ou à rebours des règles morales et sociales. (…)

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Elle de Paul Verhoeven. Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Charles Berling, Virginie Efira, Judith Magre. Durée: 2h10. Sortie le 25 mai.

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“John From”, heureux rêve de jeune fille

198311-john-from-un-film-aux-couleurs-de-l-ete-4John From de Joao Nicolau, avec Julia Palha, Clara Riedenstein, Filipe Vargas, Leonor Silveira. Durée: 1h35. Sortie le 25 mai.

Ce serait un film entièrement filmé depuis les émotions d’une jeune fille de 15 ans. Pas un film psychologique sur une adolescente, mais une aventure quotidienne reconfigurée par les émotions et les perceptions de cette Rita qu’on accompagne d’abord avec perplexité, puis une sorte de joie disponible, accueillante.

John From n’est pas réaliséé par une adolescente mais par un cinéaste portugais de 40 ans, Joao Nicolau, déjà repéré pour son premier long métrage, l’inventif et romanesque L’Epée et la rose. Loin des tribulations épiques de ce dernier, mais avec le même sens joueur des situations et des images, il accompagne cette fois de manière semble-t-il réaliste le quotidien de son héroïne, durant cet été de vacances, entre parents et ennuis, copine et ennui, musique et ennui.

Et puis, dans l’ascenseur rouge vif de cet immeuble d’une cité moderne pour classe moyenne, Rita a vu Philippe. Le photographe Philippe est un voisin, il est aussi l’auteur d’une exposition sur les îles du Pacifique au Centre culturel où Rita s’exerce sans entrain sur un orgue.

Alors, d’abord… rien. Il ne se passe rien. Mais le monde a changé. C’est à dire que pour Rita, et donc aussi pour nous, qui regardions avec un plaisir sans enjeu particulier cette chronique estivale, le monde a changé. Elle a flashé, sur lui, qui a le double de son âge et une petite fille ? Sur les images exotiques ? N’importe, il ne s’agit pas d’expliquer, il s’agit d’embarquer.

Dans un mouvement de cinéma très gracieux et très sûr, Joao Nicolau déplace progressivement le dosage de réalisme et de fantastique au profit du second, le monde se met à ressembler de plus en plus à des toiles orientalistes du Douanier Rousseau, des brouillards mystérieux se faufilent sur les parkings, les sentiments absolus de la jeune fille colorent le ciel et les bâtiments.

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John From, dont le titre renvoie au Culte du cargo, croyance d’origine mélanésienne, est bien une opération de magie, un geste de croyance. Moins la croyance du personnage dans son idylle avec le charmant voisin  qui a plus de deux fois son âge que celle du réalisateur dans la capacité du cinéma à accompagner ce désir, à lui donner forme, couleur, rythme et musique.

Joao Nicolau retrouve ainsi cette euphorie très particulière, qui fut celle de toutes les grandes aventures modernes du cinéma, celle où le pur bonheur de filmer faisait surgir des plans enchantés, chez Jacques Demy ou chez Jacques Rozier par exemple.

Comme un envol d’aras vert fluo dans un quartier paisible d’une capitale européenne, comme la chanson des pas d’une jeune fille dans une rue inondée de soleil, comme la valeur inestimable du contenu d’un message échangé en cachette avec sa meilleure amie, John From dit le plus légèrement du monde quelques une des choses les plus graves au monde. Obregado.

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Cannes jour 12 : «Elle» domine le débat

342104Présenté le dernier jour de la compétition, «Elle» de Paul Verhoeven pourrait bien mettre tout le monde d’accord à l’heure de la clôture d’un Festival où, à l’écart de la compétition, il fallait aller chercher dans la plus modeste des sections parallèles, l’ACID, la plupart des autres films intéressants découverts à Cannes cette année.

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Cannes, Jour 11: un iguane flamboyant, un astre mourant et quelques (rares) autres

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247718Iggy Pop dans Gimme danger de Jim Jarmusch. Jean-Pierre Léaud dans La Mort de Louis XIV d’Albert Serra.

En compétition, deux films indigents occupent l’avant-dernière journée. L’occasion d’aller jeter un œil ailleurs.

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Cannes jour 10: la grande image

aJaclyn Jose dans Ma’ Rosa, Adrian Titieni et Maria Dragus dans Baccalauréat

«La Fille inconnue» des frères Dardenne, «Ma’ Rosa» de Brillante Mendoza et «Baccalauréat» de Cristian Mungiu, films profondément différents, posent pourtant les mêmes questions essentielles.

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Cannes jour 9: les oiseaux et les arbres

xavier-dolan-photo-juste-la-fin-du-monde-941294Marion Cotillard dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan

Parmi les sélectionnés de la compétition, figurent plusieurs habitués de Cannes: Ken Loach, Olivier Assayas, Pedro Almodovar, les frères Dardenne, Xavier Dolan. Ce qui ne préjuge en rien de l’originalité du nouveau film de chacun d’entre eux.

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Cannes jour 8: survol à mi-parcours

apprenticefilm_19042016_620_465_100Fir Rahman dans «Apprentice» de Boo Junfeng.

A côté de la compétition officielle, dominée par quatre films majeurs, les titres présentés à Cannes offrent un panorama très varié, mais d’où peinent à émerger des œuvres vraiment mémorables.

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Cannes jour 7: le vertige «Personal Shopper»

aDeux apparences de Kristen Stewart dans Personal Shopper d’Olivier Assayas

Fulgurant et perturbant, le nouveau film d’Olivier Assayas est une plongée dans les abîmes du deuil et les puissances occultes de l’art.

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Cannes jour 6: les Américains à la rescousse

90-1Adam Driver dans “Paterson” de Jim Jarmusch

Après un week-end dominé par les déceptions, l’espoir renait grâce à deux grands cinéastes venus des États-Unis: Jim Jarmusch qui présente la magique «Paterson» et Jeff Nichols qui signe «Loving».

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