« Ni le ciel ni la terre », la guerre en abîme

010362Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore avec Jérémie Renier, Kevin Azaïs, Swann Arlaud, Sam Mirhosseini. Durée : 1h40. Sortie le 30 septembre.

Le Festival de Cannes 2015 a, comme chaque année, apporté une moisson de films importants. Il a, pas comme chaque année, permis deux révélations majeures : deux premiers films, deux jeunes réalisateurs au talent évident. L’un de ces films, récompensé au palmarès officiel, sortira le 4 novembre, il s’agit de Le Fils de Saul, de Laszlo Nemes. L’autre sort ce mercredi 30 septembre, et il est signé de Clément Cogitore.

Si Ni le ciel ni la terre est son premier long métrage, son auteur est loin d’être un inconnu : Cogitore est, à juste titre, un des artistes les plus remarqués de la jeune génération de plasticiens français, croisant librement dans les eaux de l’art vidéo, de la photo, de l’installation et de la performance .

Certaines de ses réalisations, exemplairement Un archipel ou Travel(ing) manifestaient une réelle sensibilité cinématographique, ce qui est loin d’être le cas de tous ceux qui circulent entre les territoires de plus en plus connectés des différents arts visuels. Certaines œuvres de Cogitore avaient d’ailleurs été présentées dans un cadre cinématographique, notamment à la Quinzaine des réalisateurs en 2005. Mais un long métrage de fiction pose un défi d’un tout autre ordre, sur lequel bien des artistes contemporains de grand talent se sont cassés les dents. La réussite de ce film n’en est que plus éclatante.

Cinéaste et artiste plasticien, son auteur réussit le tour de force de jouer à fond à la fois la dimension du cinéma narratif, très incarné, avec beaucoup d’action et une intrigue en bonne et due forme, et la dimension « plasticienne », où l’attention aux formes et à leur évolution dans l’espace et le temps peut devenir l’enjeu essentiel.

Il raconte l’histoire d’une section de soldats français en Afghanistan, postée dans une zone montagneuse particulièrement dangereuse, et qui à la veille du retrait des troupes est confrontée à la disparition inexpliquée de plusieurs de ses membres. Le capitaine Antarès et ses hommes affrontent, outre les Talibans qui rôdent sur la frontière pakistanaise toute proche, et les paysans aux sentiments pour le moins mitigés envers la troupe étrangère, une sorte d’impasse logique qui finit par travailler le film de l’intérieur de manière de plus en plus prégnante.

Cogitore reçoit le renfort appréciable de Jérémie Renier incarnant à l’extrême une figure de chef militaire qui réveille les souvenirs de nombreux films de guerre (américains surtout). Et il suit avec un plaisir communicatif nombre des pistes habituelles de ce genre cinématographique – la petite communauté isolée face au danger, l’obligation de s’acclimater à un environnement géographique aussi splendide qu’hostile, l’affrontement violent avec l’ennemi au cours d’embuscades, le brouillage des lignes de conduite des différents protagonistes face au danger, l’incompréhension de la hiérarchie….

Il y distille des composants plus originaux, visuels avec notamment un usage très efficace des lunettes à infrarouge et des caméras thermiques, et thématiques avec la prise en compte des abîmes culturels entre les militaires et ceux qu’ils sont venus protéger ou combattre. Bien au-delà de la question de la langue, déjà si importante, cela se traduit partout, et notamment dans ce qui distingue à l’extrême les corps humains de ces différentes communautés.

Un des plus beaux aspects de la mise en scène porte ainsi sur la manière d’exister des visages et des muscles, sur les façons de se tenir debout ou assis, de bouger et de rester immobile. Il y a là une sensibilité chorégraphique, c’est à dire une sensibilité au sens de ce qu’expriment les corps, tout à fait remarquable – et tout à fait politique.

Si Ni le ciel ni la terre s’en tenait à cette double nature, film de guerre haletant tirant heureusement parti des codes du genre, et mise en relation d’ensembles de pratiques, de rituels, de croyances et d’imaginaires éperdument hétérogènes, il serait déjà une grande réussite. Mais il fait plus et mieux, et devient ainsi exceptionnel.

Il dépasse cette opposition binaire entre « eux » (les Afghans, considérés ici comme fort différents entre eux) et « nous » (les Français, les Occidentaux, la petite troupe à laquelle on est inévitablement amené à s’identifier, comme il a dépassé les opposition entre film de guerre et film fantastique, et entre fiction de cinéma et installation d’art vidéo.

Il les dépasse pour tenir à la fois ce qui sépare et ce qui unit, et accepter au sein de ce qui unit ce que ni les uns ni les autres, ni le ciel des croyances ni la raison terre-à-terre, n’est en mesure de complètement comprendre et affronter.

Il rend dès lors à ses protagonistes, que tout oppose y compris au lance-roquettes et au canon, ou à coups de poing, un monde commun. Mais un monde mystérieux, plus vaste que ce que savent prendre en charge leurs divers systèmes d’explications et de représentations, et dont nul d’entre eux, guerrier, imam, paysan, ne possède la clé. Un monde qui se prolonge au-delà du « théâtre des opérations » et de cette partie de la planète, avec la lettre écrite à la fin. Ainsi, dans ces paysages somptueux de montagnes arides et de gorges insondables, le film s’ouvre sur un autre infini.

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«Vers l’autre rive» les fantômes et l’amour font le cinéma

vers-l-autre-rive-de-kiyoshi-kurosawa_5414953Vers l’autre rive de Kiyoshi Kurosawa, avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano. Durée: 2h07 | Sortie le 30 septembre.

Elle est là. Elle est vivante. Elle travaille, se fait à manger, accomplit les gestes du quotidien. La tristesse est comme une brume, les gestes comme anesthésiés, les rythmes amortis. Et puis, il est là. Son mari mort. Mort mais là, dans l’appartement. Il parle, il rit, il raconte un peu, pas tout. C’est un fantôme? Oui, on appelle ça comme ça. En tout cas c’est une présence.

L’apparition, la présence, c’est bien sûr aussi une question centrale de cinéma. Au cinéma, il n’y a à proprement parler que des fantômes, des êtres impalpables, des projections immatérielles sur une surface vide. Qu’est-ce qui permet que chacun y reconnaisse une présence puissante, active, qui fait rire, pleurer, rêver, frémir, penser? Quoi d’autre que cette autre projection, de notre croyance, de notre désir, de notre besoin?

Mizuki croit que Yusuke est revenu. Forcément, puisqu’il est là. Il n’y a ici ni religion, ni superstition, ni magie. Et d’ailleurs les autres aussi le voient, puisqu’elle le voit. Sa croyance à elle lui donne existence à lui. Une existence de fantôme, mais une existence tout de même.

Depuis longtemps Kiyoshi Kurosawa réalise des films de fantômes, genre classique au Japon, et déjà dans le roman et au théâtre avant le cinéma. Comme en Occident, il est d’usage que les fantômes fassent peur. Dans ses films d’étudiants, et encore avec son premier long métrage professionnel, Cure (1997), ce réalisateur aussi a joué principalement sur les codes du fantastique de frayeur, quoique toujours avec originalité et inspiration. Mais dès Licence to Live (1998), et dans les dix films qui le séparent de celui-ci, les fantômes, toujours là d’une manière ou d’une autre, ont cessé d’être seulement effrayants –même s’ils ont pu l’être aussi.

Autant dire que Kurosawa est une sorte d’expert en «présence» et en «apparition». Voilà plus de quinze ans qu’il décline avec une élégance joueuse d’innombrables modalités de cohabitation entre des personnages acceptés par la fiction comme vivants, «réels», et d’autres, qui ne le seraient pas mais cohabitent de multiples manières avec les premiers.

Et à nouveau, dans Vers l’autre rive, outre le couple principal composé d’une vivante et d’un mort, certains sont morts et ne le savent pas, ou le savent mais pas ceux qui les entourent. Ces morts sont tristes, ou consolateurs, ou vengeurs, ou impuissants à intervenir, mais ils sont là.

Comme sont là en effet tout ce à quoi nous avons affaire dans notre vie, bien que ne relevant du matériel au sens élémentaire du mot –les souvenirs, les phobies, les «produits de notre imagination», les rêves érotiques, infantiles, morbides, etc.

Ils sont là, aussi, parce que le cinéma, c’est toujours nécessairement avoir maille à partir avec l’invisible. Montrer ces êtres qui ne sont pas du «monde sublunaire», tel que le fait ce cinéaste mieux qu’aucun autre avant lui, en les montrant comme fantômes dans la vie des vivants, dans la ville, la campagne, le travail, à table et au lit, c’est simplement user des ressources de son art pour mieux donner à partager ce qui agit les hommes et les femmes.

Et c’est exactement ce qu’entreprend Yusuke, le mari. Il emmène Mizuki en voyage, sur les traces d’un chemin qu’il aurait lui-même parcouru après avoir quitté sa femme, avant de trouver la mort. Voyage extraordinaire! (…)

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« The Look of Silence », un regard en enfer

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The Look of Silence de Joshua Oppenheimer et Anonyme. Durée : 1h43. Sortie Paris le 23 septembre. Sortie nationale le 30 septembre.

Il y a eu un journaliste nommé Teddy Yates. Il a fait un reportage pour une grande chaine américaine, NBC. Dans la bonne humeur, il s’entretenait avec un paysan sympathique de la réussite d’une vaste entreprise de salubrité publique : le massacre, alors en cours, de centaines de milliers d’hommes et de femmes. C’était en 1965, il y a juste 50 ans. C’était en Indonésie. Dans le reste du monde, tout le monde ou presque se fichait de l’Indonésie. Ceux qui ont perpétré cette tuerie de masse sont toujours au pouvoir dans ce pays.

Ils cachent vaguement le tsunami de tortures et meurtres qu’ils ont fait déferler sur le pays. Si on insiste un peu, les puissants menacent : laissez tomber, ou on pourrait recommencer. Les exécutants de base, eux, sont plutôt fiers de ce qu’ils ont fait. Ils étaient au centre du précédent film de Joshua Oppenheimer et Anonyme. The Act of Killing avait à sa sortie en 2013 fait grosse impression en réunissant les témoignages des bourreaux. Des bourreaux qui rejouaient volontiers devant leur caméra leur crime, leur folie sadique. D’autres bourreaux, de rang plus élevé, assumaient et revendiquaient la mort d’innombrables paysans, avocats, professeurs, artisans, syndicalistes, étudiants, et entretenaient soigneusement la mémoire de leurs actes, tels que eux seuls ont le droit de les décrire.

« C’est ici l’endroit » dit l’un des vieux tortionnaires. Ils sont deux compères, débonnaires, ils s’amusent à mimer comment ils ont éviscéré un adolescent, coupé les seins d’une femme, coupé le sexe d’un jeune homme avant de le noyer. Ils sont sur le sentier qui mène à cette rivière du Serpent, dans la province d’Aceh au Nord de Sumatra. Une vieille femme a dit : non non, il ne s’est rien passé à Aceh. Je n’ai rien vu…

Oui, c’est ici l’endroit, invisiblement habité de milliers de cadavres suppliciés par des milices encadrés par l’armée régulière, sous le contrôle direct des Etats-Unis – et des grandes films, Goodyear et ses plantations d‘hévéa au premier chef. Tout est là, invisible et intensément présent dans le paysage, dès lors que faisant son travail, le cinéma vient le rendre perceptible. “C’est ici l’endroit”: on songe au Ja, das ist das Platz (“oui c’est le lieu”), les premiers mots de Simon Srebnik, qui ouvrent Shoah.

Les auteurs – le film est cosigné par Oppenheimer et Anonyme, désignation prudente d’un Indonésien (les trois quarts des noms du générique sont aussi remplacés par “Anonyme”) – les auteurs du film invente un nouveau dispositif pour prendre en charge une horreur dont la monstrusoité semble défier le représentation. Elle est différente des réponses de Lanzmann, de Rithy Panh à propos des Khmers rouges, ou de The Act of Killing. Parce que cette fois, il y a quelqu’un en face, quelqu’un qui regarde ces témoignages obscènes.

55f6ee50785d2.imageUn homme regarde sur un téléviseur des scènes de The Act of Killing où les bourreaux détaillent leurs crimes, s’en vantent, en font des chansons et des blagues. Il s’appelle Adi. Il est le jeune frère de celui qui a été torturé, châtré et assassiné, et qui s’appelait Ramli. Adi a des parents très âgés, des parents qui lui ont donné naissance après la mort de leur premier fils, seule réponse à leur portée aux destructeurs de vie. Adi parle avec sa mère, admirable vieille femme que porte une inextinguible colère, il s’occupe de son père, bébé centenaire quasi-aveugle qui marmonne des chansons d’amour. Il a une femme et deux enfants, il joue avec eux, tente de les éduquer en résistant à la propagande qui, à l’école, héroïse les tortionnaires et déverse des tombereaux de haine sur les victimes.

Surtout, hasard sans doute, pertinente métaphore assurément, Adi est ophtalmo itinérant. Il parcourt les villages, examine les yeux, fait passer des tests, prescrit de nouveaux verres de lunettes. Chemin faisant, il interroge les uns et les autres sur le passé, ce qu’ils ont fait, comment ils le vivent. Ce spécialiste du regard aide, vraiment, y compris les assassins de son frère, à retrouver une meilleure vision, tout en affrontant leur cécité volontaire sur ce qu’ils ont fait, ou sur la nature de ce qu’il admettent, voire revendiquent avoir fait.

The-Look-of-Silence1-e1438074283361Et ce que le film déroule en accompagnant Adi dans ses visites à travers la campagne, jusque chez un oncle dont il découvre qu’il fut aussi complice des tueurs, comme aux côtés d’un des rares survivants de la boucherie, est infiniment troublant en même temps que bouleversant. Troublant, l’éventail des méthodes dont chacun use pour s’arranger avec son passé, dès lors qu’avec une douceur obstinée Adi rappelle les faits, montre des preuves.Troublant, le processus qui fait que depuis un demi-siècle vivent en voisins ceux dont les familles ont été exterminées et ceux qui les ont tués.

Et bouleversante, cette quête qui se situe dans un contexte où les assassins sont à la tête du pays, des régions, des villages, dans la police, à l’école, etc. Qu’il s’agisse de l’Allemagne nazie, du Rwanda, du Cambodge, de la Bosnie, du Chili, du Brésil, de l’Argentine…, les films et documents de témoignages ont toujours été pour l’essentiel produits après la défaite des meurtriers de masse. Avec malgré tout, même de manière très ténue, même à l’extrême limite de la conscience, l’idée dont nous avons tous tant besoin qu’au bout de tant d’horreurs le mal finit par être vaincu. Là, non.

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Face à l’afflux de nouveaux films, le piège mortel de l’e-cinéma

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Petit à petit, l’e-cinema fait son nid. À mesure que les semaines passent, on voit se multiplier les annonces de films sortant directement sur les plateformes VOD ou S-VOD. L’offensive est menée par les deux grands promoteurs du système en France que sont TF1 Video et Wild Bunch. Et, avec un autre modèle de diffusion, par l’américain Netflix, qui vient d’acheter les droits de distribution d’Aloha de Cameron Crowe après s’être offert la comédie St Vincent ou la trilogie The Disappearance of Eleanor Rigby avec Jessica Chastain.

Wild Bunch avait frappé un grand coup l’an passé avec le très remarqué Bienvenue à New York d’Abel Ferrara, avec Gérard Depardieu en Dominique Strauss-Kahn, film médiocre mais opération promotionnelle réussie à laquelle le Festival de Cannes 2014 avait servi de rampe de lancement.

À la différence de la VOD classique, même s’il utilise les mêmes plateformes de diffusion, le e-cinema désigne des films qui sont distribués directement en ligne, sans être passés par la salle ni par la télévision.

Le grand nettoyage?

Depuis le coup d’éclat du Ferrara, aucun des titres n’a beaucoup attiré l’attention. Il est possible que l’offre de films de genre, dont un slasher signé d’un petit maître de l’horreur, Elie Roth (Green Inferno, annoncé pour le 16 octobre), et une comédie horrifique des Australiens Taika Waititi et Jemaine Clement (Vampires en toute intimité, le 30 octobre), améliorent les scores, malgré un tarif, 6,99€, qui reste peu attractif –sauf si on regarde à plusieurs. Ce qui mène à s’interroger sur les effets du dispositif, s’il trouve à se pérenniser.

À terme, il ne s’agira plus seulement de trouver un débouché à quelques produits atypiques laissés de côté par un marché qui, pour le reste, continuerait de fonctionner de la même manière. Bien au contraire, le risque est considérable que le e-cinéma se transforme en arme fatale d’un grand nettoyage, dont il y a tout lieu de s’inquiéter.

Le lancement de l’e-cinéma en France est présenté par ses promoteurs comme une solution à un problème grave, qui possède la caractéristique d’être nié par l’ensemble de la profession: trop de films sortent sur les écrans français (663 nouveautés en 2014). Cet embouteillage calamiteux est aggravé par l’occupation d’un nombre trop élevés d’écrans pour les films présumés «porteurs», ou dont les distributeurs sont assez puissants pour imposer des vastes combinaisons y compris pour des ratages manifestes.

Le tabou du trop de sorties

Un tel déferlement, avec presque tous les mercredis quinze nouveautés ou plus, éjecte mécaniquement les films de la semaine précédente qui avaient besoin de temps pour s’installer, ou simplement qui ne bénéficiaient pas d’une publicité massive au moment d’atteindre les écrans. Ces nouveautés elles-mêmes, à l’exception de 2 ou 3 titres valorisés par le marketing ou la critique, se font de l’ombre et se détruisent les uns les autres. Ils sortent en salles et puis sortent des salles sans que pratiquement personne s’en soit rendu compte.(…)

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Au cinéma avec “Les Prépondérants”

 

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KADDOUR Hédi COUV Les PrépondérantsInnombrables sont les romans au cours desquels les personnages assistent à une séance de cinéma. Rarissimes sont ceux où cette situation devient un ressort majeur du récit, et est considéré comme un enjeu et une ressource, une manière de faire ressentir et comprendre. Uniques, peut-être, sont l’intelligence et la richesse qu’engendre la narration d’une projection publique dans Les Prépondérants de Hedi Kaddour.

Sans hésiter le meilleur roman de la rentrée littéraire qu’on ait pu lire à ce jour, le nouvel ouvrage de l’écrivain de Waltenberg, à nouveau dans la Collection Blanche de Gallimard, fait place au cinéma de diverses manières.

Le livre est situé au début des années 1920, principalement dans une ville d’Afrique du Nord au nom imaginaire de Nahbès mais qui ressemble à Gabès, sur la côte tunisienne. La société coloniale et provinciale qu’il évoque voit notamment débarquer une équipe de tournage américaine, pour une superproduction dans le goût oriental qui a alors cours à Hollywood, genre illustré en particulier par Le Cheikh et Le Fils du Cheikh avec Rudolph Valentino. Dans le livre le personnage du réalisateur s’inspire en partie de Rex Ingram, et le tournage renvoie surtout à celui de The Arab (1924), effectivement tourné à Gabès avec en vedettes l’épouse du cinéaste, Alice Terry, et une star masculine homosexuelle, Ramon Novarro, le grand rival de Valentino.

Les Prépondérants n’est pas un roman à clés, ces situations font avancer l’intrigue, et développent l’ampleur des thèmes qu’elle mobilise, et qui ne concernent pas spécialement le cinéma. Tandis que s’éveillent mouvements révolutionnaires et nationaliste, Hedi Kaddour met en effet en scène trois grands modèles de comportements et de références morales et sociales, liés à la société traditionnelle arabe, à la société coloniale française particulièrement arrogante au lendemain de la victoire de la Guerre mondiale, et à la société nord-américaine, nouvel assemblage de liberté de mœurs, de pragmatisme conquérant et âpre au gain selon des modalités inédites, et de puritanisme.

Ce dernier est notamment évoqué à travers la célèbre affaire de mœurs dont l’acteur et réalisateur burlesque « Fatty » Roscoe Arbuckle fut le centre, et le bouc émissaire en 1921-22 aux États Unis, sous les effets combinés des ligues de vertu et de la presse à scandale dirigée par le magnat William Hearst[1].  Ce scandale servit de levier à la création de la censure américaine avec la mise en place du code Hays.

Dans Les Prépondérants, en des scènes saisissantes et riches de sens, on rencontre aussi un grand cinéaste allemand inspiré à la fois de Fritz Lang et de Joseph von Sternberg. Mais le plus intéressant sans doute, pour ce qui concerne le cinéma, tient à la séance publique organisée à Nahbès par l’équipe de tournage hollywoodienne. Le film projeté, baptisé « Scaradère » par Kaddour, s’inspire directement du Scaramouche de Rex Ingram avec Ramon Novarro. Kaddour consacre pas moins de deux chapitres entiers à cette séance. Ce sont deux chapitres extraordinairement vivants, qui accompagnent en une polyphonie joueuse les multiples effets, émotionnels, culturels, politiques, théoriques, érotiques, que peut provoquer un film en apparence fort simple, et dont il met à jour l’immense complexité enrobée dans les codes spectaculaires hollywoodiens.

Scaramouch-1923-image-20Ramon Novarro dans Scaramouche de Rex Ingram

Mieux, le livre différencie l’extrême variété des réactions selon la position sociale, la culture, la psychologie de chacun. Film de cape et d’épée truffé de rebondissements, le récit en image des tribulations d’un avocat amoureux et d’un noble arrogant se disputant le cœur d’une belle alors que pointe la Révolution française agit comme un extraordinaire détonateur. La réaction en chaine va des effets possibles sur les jeunes activistes locaux (et sur ceux qui sont en charge de les surveiller et le cas échéant de les réprimer) au trouble de spectateurs peu habitués à la projection, et encore moins à voir un homme et une femme s’embrasser en public, des effets des idées à celui des émotions, sans oublier la mise en abime du spectacle (le héros joué par un homme que les spectateurs connaissent puisqu’il réside à Nahbès pour son tournage devient dans le film acteur de théâtre, le jeu se dédouble, parfois se contredit et parfois se redouble…). Dans la salle plus encore que sur l’écran, les rebonds sont sans fin.

Et Hedi Kaddour réussit à prendre en charge la complexité de cette salle elle-même, à la fois lieu physique et espace mental, collectivité réunie dans le noir et face à la fiction, à la fascination et à la polysémie des images, mais composée de groupes divers, très hétérogènes sinon en conflits, et encore d’individus avec chacun leurs affects et leurs intérêts. Jamais peut-être la sociologie du cinéma n’est parvenue à un suivi aussi fin de la singularité d’un tel espace et de ceux qui l’occupent.

Un très sérieux ouvrage universitaire vient de paraître, La Direction de spectateurs[2], qui vise à décrypter certaines des méthodes employées par les cinéastes pour susciter certaines réponses du publics, et leurs effets. Avec les moyens du roman à leur plus haut degré de sensibilité, Les Prépondérants  en offre une formidable perception, qui va bien au-delà du contexte particulier où il est situé, d’autant mieux que le roman prend très précisément appui sur celui-ci. Sans que le cinéma soit son sujet, le livre de Hédi Kaddour s’impose comme une des oeuvres littéraires qui l’aura le mieux évoqué.



[1] Cette affaire a presqu’entièrement éliminé le grand artiste Fatty Arbuckle des mémoires. Du moins cet été aura vu la parution d’un excellent petit livre consacré à une de ses réalisations, Fatty and The Broadway Stars de Roscoe Arbuckle par l’historien du cinéma Marc Vernet (édité chez Le Vif du sujet).

[2] La Direction de spectateurs. Création et réception au cinéma. Sous la direction de Dominique Chateau. Impressions nouvelles, collection Caméras subjectives.

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«Marguerite» ou la passion tragi-comique du faux

catherine_frotMarguerite de Xavier Giannoli, avec Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Christa Théret, Denis Mpunga.  Durée: 2h07. Sortie le 16 septembre.

On entre comme dans… comme dans un film français, reconstitution d’époque (années 1920), costumes et bibelots, personnages typés, intrigue ciselée. Dans une grande maison bourgeoise, des notables s’assemblent, des jeunes gens s’invitent, la maîtresse de maison va faire un récital, il y a des curiosités de cabinet, un petit dosage de gags, de charge sociale pas méchante, de notations dans les coins. La dame se lance dans une interprétation de La Reine de la nuit, parfaitement calamiteuse.

Elle chante faux comme une casserole, on a compris, Marguerite sera une comédie un peu vache dénonçant le règne du faux, l’hypocrisie des puissants, s’amusant aux dépens d’une fofolle qui se rêve cantatrice, et des courtisans intéressés par la fortune du mari ou corsetés par les convenances de caste. On peut le voir et l’entendre ainsi.

On peut aussi, et dès lors le film devient troublant, émouvant, passionnant, compliqué, glisser du côté de cette Marguerite complètement allumée et complètement sincère.

On peut ricaner avec et de l’artiste avant-gardiste qui promeut cette voix qui déraille, entre raillerie et transgression, ou se souvenir de Tristan Tzara, et des stridences autrement dissonantes qui ont échauffé les oreilles de l’Europe entre 1914 et 1918.

C’est quoi, chanter faux? C’est le faux de quelle justesse, de quel ordre, de quelle règle? Ou, côté Marguerite, c’est quoi, entendre dans sa tête l’absolu de la beauté, et que personne ne la partage, et devenir la risée ou l’objet du mépris? Qui décide? Qui maintient l’ordre?

C’est quoi, la beauté des esthètes, des gens de goût? Cette police-là, qui repose sur des lois d’autant plus implacables qu’elles sont non écrites, et peuvent être changées du jour au lendemain au gré de vents, des modes, peut être terrible.

Dans Marguerite, la dimension comique demeure, même si elle se colore de plus en plus en noir. Elle n’est que la facette la plus visible –le masque?– d’un trouble que la délicatesse un peu molle du mari, la loufoquerie désespérée du prof de chant, la recherche méticuleuse par le domestique d’une justesse qui ne serait pas celle de la voix mais d’une manière d’exister parmi les autres. Le domestique est noir, il travaille chez des bourgeois français des années 20, il a toutes les raisons de savoir ce que signifie dissoner dans le monde.

Voilà un peu plus de 20 ans, le 20 octobre 1994 très exactement, l’écrivain, professeur et musicien Francis Marmande publiait dans Le Monde un texte politique trop profond pour attirer l’attention, intitulé Les Chaudrons au tableau!.(1) Il y écrivait:

«On dénombre dix-sept manières différentes de chanter “faux”, toute une sémiotique. Le seul point commun de ceux qui chantent faux comme des chaudrons, c’est qu’ils aiment chanter. Cette passion du faux confond. »

La passion de Marguerite confond éperdument. Tout comme confond l’implacable adhésion à un «juste» qui, pour peu qu’on veuille bien ne pas en rester à la seule ligne mélodique, tourne très vite au normatif, académismes innombrables (y compris et désormais souvent académismes de la transgression), snobisme des uns contre populisme des autres. (…)

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1 — Bien heureusement, l’irréfutable André Minvielle en a fait… une chansonRetourner à l’article

 

 

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“The Program”, ou de quoi Lance Armstrong est le visage

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The Program de Stephen Frears, avec Ben Foster, Chris O’Dowd, Jesse Plemons, Guillaume Canet, Denis Menochet. Durée : 1h43. Sortie 16 septembre.

The Program raconte l’histoire de Lance Armstrong, de ses débuts dans le Tour de France à sa confession publique chez Oprah Winfrey. Le film décrit les principales étapes de sa carrière, les victoires, le cancer, les triomphes, les soupçons, l’intimidation du peloton et des médias, l’extraordinaire succession d’envolées dans les cols et les contre la montre et d’arrivées en jaune aux Champs Elysées, les contrôles et leurs failles, le rôle des médecins et directeurs sportifs, la figure à la Frankenstein de Docteur Ferrari, l’attitude des institutions du cyclisme international.

Pour organiser cette matière très riche, et en gros déjà connue, et lui donner une énergie dramatique, le scénario organise une sorte de combat à trois, trois protagonistes de la véritable affaire : le champion tricheur, le journaliste voué à faire éclater une vérité dont personne ne veut, et un coéquipier d’Armstrong qui deviendra le témoin décisif pour que les pratiques de la star américaine, et du système qui régit le cyclisme professionnel, éclatent au grand jour.

Le journaliste, David Walsh, auteur d’articles longtemps restés sans suite, puis de plusieurs livres[1], incarne et synthétise l’obstination des quelques journalistes (également au Monde et à L’Equipe) qui, à contre-courant, ont amené dans la lumière le système généralisé de tricherie porté à l’extrême par Armstrong. Le coéquipier, Floyd Landis, donne vie à une relation ambiguë à la volonté de vaincre par tous les moyens, dans l’ombre de son patron au sein de l’US Postal – Landis a ensuite gagné le Tour de France dans une autre équipe, puis été disqualifié pour dopage.

Utilisant adroitement quelques séquences d’archives, le film réussit comme rarement à donner une sentiment de vécu lors des scènes de course, notamment dans les ascensions des coureurs durant les quelques épisodes des Tours de France reconstitués. Ecrit avec efficacité, The Program est remarquablement filmé par le styliste Frears, dont l’admirable The Queen montrait déjà sa capacité à rendre élégant et émouvant un récit très factuel et saturé d’enjeux de pouvoirs. Il est aussi très bien interprété, en particulier par Ben Foster étonnant dans le rôle du champion félon. Le film a donc tout pour offrir sur un mode excitant (thriller) un récit convaincant d’une grande affaire publique de notre époque[2].

Il est ça, et bien plus que ça.  Paraissant ne se concentrer que sur la précision des faits et la manière la plus efficace d’en faire spectacle de cinéma, Frears parvient en fait à distiller une interrogation bien plus complexe que les sujets évidents (et nullement dépourvus d’intérêt) que mobilisent cette histoire, autour des grandes notions de Vérité et de Morale – avec majuscule.

Par petites touches, le cinéaste compose en effet une mise en question des mécanismes de croyance et de désirs à l’œuvre partout, chez chacun – y compris chez un réalisateur britannique ou un spectateur comme vous et moi. Il ne cesse de régler et dérégler la distance à la certitude, à la fermeté du jugement, aux motivations qui organisent les comportements.

Aucun relativisme complaisant, se doper n’est pas la même chose que ne pas se doper, mentir n’est pas la même chose que dire la vérité (sans majuscule), gagner n’est pas la même chose que ne pas gagner ( qui est différent de perdre). Et si Armstrong incarne presque trop évidemment la mentalité du gagneur, du self made man à tout prix, l’idéologie américaine dans toute son abjection, Frears et Foster travaillent de leur mieux à rester à proximité du bonhomme, à laisser transparaître tout ce qui en lui ressemble tellement à tant de héros positifs, dans la vie et dans les fictions, à tout ce avec quoi chacun peut trouver des affinités.

Le personnage positif de Walsh, figure classique du journaliste de cinéma qui fera éclater le Bien et le Vrai, est un ressort pour le coup simpliste. Mais il échoue, même s’il joue un rôle important. The Program fonctionne sur le dépassement du scénario binaire (sur lequel est construit l’affiche), le héros qui était finalement un salaud, l’homme de l’ombre qui fera advenir la lumière.

Il le dépasse en accordant une part essentielle aux autres protagonistes, les coureurs, les responsables du Tour, les autres journalistes, les patrons de média, les agents, les dirigeants, le charity business, les supporters, les spectateurs de cinéma, finalement tout le monde – ce monde qui aura voulu croire à la légende Armstrong, à l’histoire mythologique du survivant gagneur, au grand récit sportif, et à l’équivalent de tout cela dans tous les autres domaines.

Puisque le vrai sujet de The Program n’est bien sûr pas le cyclisme ni le dopage, mais la croyance – plus exactement le vouloir-croire, le besoin de croyance, l’addiction à des représentations. « La foule aime les vainqueurs » est une vérité au très long cours. Elle ne prend son sens qu’à condition de ne jamais sous-entendre que « la foule », c’est les autres.

« Le programme », c’est la procédure qui permet la production de ça – des vainqueurs, de la foule, ce que désigne là le mot « aime », et qui s’actualise par exemple dans ce vocable qui aura signé une dégradation majeure de l’espèce humaine, le fan.

La croyance, le jeu entre production d’une image (de soi, de l’autre) et l’adhésion à cette image, est un thème récurrent chez Frears, et qui était notamment au cœur d’un de ses meilleurs films, Héros malgré lui (avec Dustin Hoffman, qui fait ici une apparition savoureuse, justement en homme qui fait du business sur la crédibilité des apparences).

Avant de l’être à l’EPO et aux anabolisants, Armstrong est camé à la réussite, à l’image du vainqueur – et chacun des autres personnages est lui aussi addict d’un modèle, d’une représentation, y compris le journaliste en soldat de vérité.

Du point de vue romanesque, le personnage le plus intéressant est dès lors ni Armstrong ni Walsh, mais ce Landis, adepte de la foi de la gagne mais aussi d’une autre foi, plus archaïque – il appartient à une secte chrétienne.

La tension entre ces régimes de croyance et les déplacements qu’elle engendre dans le système sont le véritable enjeu du film. Puisque, à nouveau, il s’agit de bien plus que de course cycliste, même si celle-ci est traitée avec un maximum d’attention.

Ce que le titre désigne est bien davantage qu’un programme de traitements chimiques destinés à augmenter les performances d’un coureur, ou de la plupart des coureurs. Le programme (télévisé, informatique) est ce qui modélise le fonctionnement social bien au-delà des sphères de la communication ou de l’informatique. La domination dans une compétition de tous contre tous est ce qui programme les rapports sociaux.

Et la croyance est l’énergie qui fait fonctionner ces programmes, qui ne sont que des aspects différents de la même dynamique. Là est le ressort intime de The Program, qui raconte aussi comment la version Armstrong a fini par bugger – mais bien sûr, un bug, ça se débugge, et le programme, lui continue de tourner. Sur les routes de France et sur les écrans des télévisions du monde chaque été en juillet, et partout ailleurs, tout l’année.



[1] Notamment L.A. Confidentiel : Les secrets de Lance Armstrong, L.A. Officiel, Le sale Tour, tous les trois cosignés avec le journaliste de L’Equipe Pierre Ballester, et Seven Deadly Sins : my Pursuit of Lance Armstrong, qui a directement inspiré le scénario.

[2] Cette affaire avait déjà fait l’objet d’un documentaire, Le Mensonge Armstrong d’Alex Gibney, sorti en 2014.

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Accompagner les lycéens vers le cinéma? oui

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L’enseignement artistique, le développement de la présence des arts en milieu scolaire était une des priorités du président, du gouvernement, des ministres de l’éducation et de la culture. On veut croire que cela le reste. Mais on ne peut pas dire qu’on ait assisté à des résultats, ou même des propositions spectaculaires en la matière – même si nul n’ignore qu’il y a eu quelques dossiers brûlants à traiter dans d’autres domaines. En tout cas, pendant que pas grand chose de visible se passe au sommet, des individus mettent en œuvre, sur le terrain, des pratiques exemplaires, et qui devraient inspirer l’instauration de nouveaux dispositifs ou l’amélioration de ceux qui existent. Tout cela s’applique, entre autres, au cinéma.

Et il arrive qu’un de ceux qui mettent en œuvre ces démarches pédagogiques, culturelles, citoyennes – c’est tout un – ait la possibilité et le talent de le raconter, d’en donner à comprendre les raisons, les méthodes, les difficultés et les joies. C’est ce qui se produit en cette rentrée avec la parution d’un ouvrage remarquable, Accompagner les lycéens vers le cinéma édité chez L’Harmattan. Il est signé d’un enseignant, prof de français et d’histoire-géo dans un lycée professionnel en milieu rural. Laurent Gaspard fait le travail que résume le titre du livre depuis une quinzaine d’année, il raconte comment, pourquoi, et avec quels résultats.

Le texte qui suit est la préface que j’ai rédigée après avoir eu connaissance du manuscrit. Je précise que je ne connais pas M. Gaspard, que je ne l’ai jamais rencontré. JMF

 

gGwz362_OUscS_l0Wuvl2ygujXE0Gqt8vrc6QFXzjZlVs4oDWJvDongwkb-UbP17NvwgPSgz6cALWkP_UV9PQ_u4CgScSWpWrmyEELAkjnby-E4XEL_xf-Zxe-nL3vX2OQw9oq7ii3qV0BX6fCzIULefQ1ItoZcT-LWGqjT7GKxlNSutjmazZ1GrN_X2xf-tOTYjtU8ZRg1FBdgenEaqWKbL4qxxolL’enseignement artistique est un drôle d’animal. Tout le monde en parle, et ce n’est pas qu’on ne le voie jamais, mais il surgit et disparaît, change de forme et de taille, échappe à ses défenseurs comme à ceux qui sont supposés organiser son existence. Désormais revendiqué haut et fort par les dirigeants politiques et les responsables qui ont autorité sur l’éducation et sur la vie culturelle, il  ne cesse d’apparaître dans les programmes comme dans d’innombrables rapports, documents de travail ou textes de réflexion. Il existe aussi véritablement, mais de manière si diverse qu’il est pratiquement impossible de l’identifier comme un ensemble de pratiques, un système de référence qu’il s’agirait ensuite de mettre en œuvre, et évidemment d’améliorer toujours.

C’est vrai pour l’enseignement artistique en général, et pour une de ses applications, la présence du cinéma en milieu scolaire. Le cinéma à l’école (« école » s’entendant ici comme l’ensemble des dispositifs pédagogiques liés l’Education nationale, de la maternelle à la terminale et y compris le temps périscolaire) est à son tour à la fois exemplaire et exceptionnel pour ce qui concerne l’éducation artistique « en général », à supposer qu’une telle chose existe. Il représente à la fois l’innovation par rapport aux enseignements classiques du dessin et de la musique, l’interférence avec une pratique non-scolaire, voire perçue comme en opposition avec l’école, des possibilités infinies d’articulation avec le reste des programmes d’enseignement, et un bouquet de pratiques – de la fréquentation de salles de cinéma comme acte porteur de sens à la fabrication de réalisations audiovisuelles par les élèves et la rencontre intensive de professionnels pratiquant leur profession. Décrire en détail et réfléchir de manière approfondie les dispositifs, les enjeux, les difficultés et les bénéfices d’une présence méthodique, conçue par un enseignant, du cinéma en milieu scolaire, permet donc à la fois de mettre en évidence des caractéristiques décisives de l’enseignement artistique et les singularités fécondes qui tiennent au fait qu’il est ici question d’un art et d’une technique particuliers.

Décrire en détail et réfléchir de manière approfondie les méthodes, les enjeux, les difficultés et les bénéfices d’un enseignement « avec le cinéma » (plutôt que d’un enseignement du cinéma), c’est très précisément ce que fait l’ouvrage de Laurent Gaspard. Il le fait à partir de sa pratique de professeur de français et histoire-géo dans un lycée professionnel du Sud-Ouest de la France. Il faut ici à nouveau recourir à l’oxymore de l’exemplaire exceptionnel. Des trois grandes étapes de l’enseignement public obligatoire, école primaire, collège et lycée, le lycée est celui où le recours au cinéma est le plus difficile, notamment dès lors qu’il s’agit de travailler avec le cinéma (perçu comme un loisir), et de travailler avec des films prêts à entrer en conflit avec les goûts revendiqués par les élèves. L’affaire semblera encore plus compliquée dans le cas d’un lycée professionnel, dont on suppose a priori les élèves encore moins enclins à ce genre de remise en question et d’interrogations.

Très précis dans la description des contextes auxquels il a affaire, et des méthodes qu’il utilise, Laurent Gaspard n’élude aucune de ces singularités problématiques. Pas à pas, il montre comment elles peuvent être, selon les cas, surmontées ou transformées en atouts, en ressources. Sans aucune complaisance pour un goût majoritaire formaté par le marché et le conformisme, mais sans aucune arrogance envers des élèves qui, aussi revendicatifs soient-ils de « leurs » choix et de « leurs » goûts, en sont d’abord les victimes, l’enseignant accompagne du même mouvement net les raisons décisives qu’il y a à faire exister – à faire exister vraiment, chez les élèves – d’autres modes de perceptions, de représentations et de récits – et les moyens d’y parvenir.

 

Il existe au moins un ouvrage qui a déjà explicité les buts et les moyens du cinéma à l’école, question profondément politique au sens de la construction du sujet, de sa prise de position parmi les autres, de l’ouverture à des altérités multiples. Il s’agit du livre L’Hypothèse cinéma d’Alain Bergala[1], d’ailleurs cité à plusieurs reprises. Mais même si Bergala est lui-même enseignant, et ayant une longue pratique des multiples formes de présence du cinéma en milieu scolaire, il énonçait des principes, des idées générales. Accompagner les lycéens vers le cinéma en est en quelque sorte le contre-champ depuis une pratique concrète, ancrée dans un lieu et un contexte pédagogique précis. La multiplicité des exemples vécus, la diversité des titres de films choisis, la précision des fiches accompagnant en fin de volume des expériences effectivement menées font de ce livre une réussite rare en termes d’unité de la théorie et de la pratique. En effet, s’il entre avec soin dans les détails, et n’en trouve aucun médiocre ou insignifiant, Laurent Gaspard réussit ce faisant à ne rien perdre des puissances de montée en généralité de ce qu’il décrit et analyse à partir de cas spécifiques, d’exemples clairs, de situations expérimentées par lui.

Une des dimensions de cette démarche, et qui fait particulièrement honneur à l’honnêteté intellectuelle de l’auteur, est la prise en compte des obstacles et objections rencontrés dans ces circonstances : obstacles matériels, institutionnels, mais aussi psychologiques, dans les rapports aussi bien avec les collègues qu’avec les élèves. Il est aussi nécessaire que délicat de prendre en considération les limites, ou les difficultés, internes au corps enseignant, comme le fait l’auteur lorsqu’il écrit : « Le véritable frein à l’introduction du cinéma en classe, c’est bien moins l’absence d’invitation de l’institution et de dispositifs accessibles sur tout le territoire français, que le manque de confiance que nous, enseignants, pouvons ressentir. »

De même, en consacrant des pages précises à un angle particulier du recours au cinéma en milieu scolaire, la question de l’adaptation littéraire, parvient-il à la fois à en montrer les ressources comme les possibles (et fréquentes) dérives, tout en suscitant une réflexion qui va bien au-delà de ce seul sujet, selon les trois axes principaux qui soutiennent tout son travail : la légitimité des enjeux pédagogiques au sens classique d’un apprentissage (et en particulier d’un apprentissage professionnel), jamais négligé ; la légitimité d’une découverte des ressources pour chacun des puissances propres aux œuvres d’art comme œuvres d’art (dans leur complexité et leur mystère) ; et la légitimité d’une démarche citoyenne, qui tend à former des hommes et des femmes dans la société d’aujourd’hui et de demain.

Un autre aspect majeur, et qui là aussi excède en quelque sorte son sujet immédiat, concerne les pages dédiées aux ateliers cinématographiques : parfaitement justes, les explications sur le sens réel et les enjeux (ainsi que les difficultés) de l’utilisation par les élèves des outils du cinéma en compagnie de professionnels, matérialisent également l’idée plus vaste de la prééminence du « faire », du passage à l’acte – qui peut être aussi l’acte de regarder, de parler, d’écrire et, disons-le, l’acte de penser.

Sans jamais s’écarter de son vécu et de son sujet, Accompagner les lycéens vers le cinéma  offre ainsi de précieuses ressources pour comprendre et mettre en œuvre les enseignements artistiques dans leur ensemble. Lorsque son auteur écrit « l’introduction du cinéma en classe amène à avoir non pas seulement de nouveaux rapports avec les élèves, mais d’autres relations avec ses collègues, avec l’équipe de direction, la Drac, les gérants des salles de cinéma, avec les artistes. De telles occasions de rencontres contrebalancent la solitude de l’enseignant, privilège parfois redoutable. Elles permettent aussi de collaborer avec des associations (…) », il explicite également la manière dont cette pratique particulière s’inscrit dans la constitution d’un tissu de relations, conditions vitales pour les enseignants et donc aussi, par ricochet, pour les élèves. Chacun voit bien que si les modalités en seraient différentes, la logique serait la même à propos d’autres enseignements artistiques conçus dans le même esprit.

Mais il y a encore une leçon de plus à tirer du texte du professeur Gaspard. Elle concerne la manière dont il s’avère que c’est à partir de ce dont on ne parle pour ainsi dire jamais, cette quasi tache aveugle qu’est le lycée professionnel dans le panorama de l’éducation, qu’il est possible d’émettre un éclairage qui vaut pour tout le dispositif de l’enseignement public, et au-delà pour l’idée infiniment plus vaste d’éducation.

Exactement du même mouvement, armé d’une réflexion alliant modestie et exigence, Laurent Gaspard suscite une réflexion de fond sur ce que peut le cinéma dans son ensemble, sur ce à quoi il fonctionne (c’est à dire à quoi nous, les humains, fonctionnons quand nous avons affaire à lui), sur ses potentialités et ses promesses innombrables, potentialités et promesses qui sont loin d’être définies par le seul contexte scolaire.

Méditation attentive à partir d’une expérience personnelle, Pour des lycéens au cinéma devient ainsi sans en avoir l’air un des meilleurs textes théoriques contemporains consacrés à cet être tout aussi protéiforme que l’éducation artistique, et qu’on appelle « le cinéma ».

 

 

 



[1] LHypothèse CinémaPetit traité de la transmission du cinéma par l’école et ailleurs. Alain Bergala(Cahiers du cinéma/Essais). Paris, 2002.

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“Les chansons que mes frères m’ont apprises” chante juste

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Les chansons que mes frères m’ont apprises de Chloé Zao, avec John Reddy, Jashaun St John, Taysha Fuller, Irene Bedard, Travis Lone Hill, Eléonore Hendricks. Durée : 1h38. Sortie le 9 septembre.

Où sommes-nous? Les images donnent des éléments de réponse –dans une région rurale, pauvre, pas chez des Européens. Les dialogues et le comportement des personnages préciseront peu à peu: aux États-Unis, chez des Amérindiens, plus précisément dans la réserve de Sioux Lakota de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud –chez les descendants de Sitting Bull et de Crazy Horse.

Le tissage de ces attachements peu à peu explicités –à un territoire, à une collectivité, à une histoire, à une mythologie, à une réalité quotidienne contemporaine– sont l’enjeu du film. Celui-ci se construit autour d’une poignée de personnages dont on découvre donc peu à peu les liens. Au centre se trouvent deux figures très remarquables, un jeune homme, Johnny, et sa petite sœur de 11 ans, Jashaun.

Johnny est trafiquant d’alcool, denrée interdite mais très recherchée dans la réserve. Il cherche à gagner de l’argent pour pouvoir accompagner sa copine, admise dans une fac à Los Angeles. C’est à dire aussi pour abandonner les siens et le territoire où il a passé toute sa vie.

Évitant les manifestants indiens qui essaient de bloquer l’accès du poison distillé qui détruit la santé des individus et les liens sociaux de la communauté, affrontant les bandes rivales de trafiquants, dissimulant son projet de départ à sa mère et à sa sœur, Johnny affronte ses pulsions et ses contradictions. C’est un parcours initiatique, mais accompli de la manière la moins linéaire qui soit, en une succession de situations qui semblent d’abord détachées les unes des autres.

Il faut toute l’empathie –évidente– de la réalisatrice avec ses personnages, et ceux qui les interprètent, pour que le film engendre finalement un monde cohérent et une dramaturgie émouvante, à partir des ces éclats de vie diffractés. Il faut surtout qu’émerge l’idée que Ces chansons raconte aussi, sinon d’abord, mais de manière plus secrète, une autre initiation, celle de Jashaun. (…)

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Festival de Venise 2015 : une poignée de découvertes dans un océan chaotique

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Parmi les multiples usages des grands festivals figure, ou devrait figurer la possibilité d’y observer un état de la planète cinéma, de de découvrir de grands repères sur ce qui travaille le cinéma, et la manière dont lui-même travaille le monde et ses représentations. A mi-parcours de la 72e édition du Festival de Venise, qui se tient du 2 au 12 septembre au Lido, le moins qu’on puisse dire est que la Mostra vénitienne ne joue pas du tout ce rôle.

Impossible de discerner la moindre logique de programmation, la construction d’un quelconque assemblage porteur de sens – hormis le poids massif de film aguicheurs et médiocres en compétition, section pour laquelle l’ambition artistique semble être devenue un repoussoir, surtout en l’absence d’un « grand nom ». Mais si ces noms sont devenus « grands », c’est bien parce qu’en d’autres temps et d’autres lieux des programmateurs et des critiques avaient parié sur ces auteurs.

Face à cette confusion, on peut toujours s’en tirer en revendiquant le chaos, comme le fait dans le sabir prétentieux et prétendument rebelle qui est devenu la langue commune de la plupart des curateurs de grandes manifestations artistique le commissaire de la Biennale Okwui Enwezor, faisant de la confusion  le principe directeur de la gigantesque exhibition d’art contemporain qui s’étale aux Giardini, à l’Arsenale et dans de multiples autres lieux dispersés dans la Sérenissime – dont un certain nombre d’œuvres signées de réalisateurs de films (Chris Marker, Chantal Akerman, Harun Farocki, les Gianikian, Jean-Marie Straub…), rarement à leur avantage.

A défaut, donc, de pouvoir tirer la moindre conclusion un peu générale des quelque 30 films vus au Lido, on se contentera ici de saluer une poignée de découvertes. En compétition officielle, outre Marguerite de Xavier Giannoli dont on aura la possibilité d’expliciter les qualités lors de sa sortie le 16 septembre, et le très singulier Sangue de mi Sangue de Marco Bellocchio, attendu le 7 octobre, deux grandes œuvres ont dominé de la tête et des épaules la première moitié du Festival. Deux œuvres ambitieuses, où se mêlent fiction, documents, reconstitution, pour travailler des enjeux historiques et politiques avec un sens des ressources du cinéma dont la plupart des autres réalisateurs de cette section ne semblent pas avoir la moindre idée.

francofoniaFrancofonia d’Alexandre Sokourov

Ainsi de Francofonia du Russe Alexandre Sokourov répondant à une commande du Louvre, et convoquant archives, jeu avec des acteurs reconstituant des séquences historiques, petits shoots de fiction, pour travailler avec inventivité et un certain humour la question de la place des grandes institutions culturelles dans la construction des nations, et les lignes de force souterraines qui pourraient donner un sens au mot Europe.

rabin_the_last_dayRabin, The Last Day d’Amos Gitai

Et ainsi de Rabin, The Last Day, vertigineux travail de mise en relations des événements qui ont mené à l’assassinat du premier ministre israélien le 4 novembre 1995 et des réalités actuelles. Le vertige ici n’est pas source de confusion, mais de déstabilisation des idées reçues, de remise en mouvement de la pensée, par la construction d’un assemblage rigoureux de documents factuels et de représentations critiques des régimes de langage et d’image.

Brève halte du côté de Hollywood : après une ouverture en altitude qui est surtout un sommet d’ennui et de conformisme (Everest de Baltasar Kormakur, sabotant l’histoire passionnante vécue et racontée par Jon Krakauer dans Tragédie à l’Everest) et le totalement transparent The Danish Girl de Tom Hooper, on aura eu droit à deux retours au classicisme des genres, bizarrement tous les deux situés à Boston. Tout à fait vaine resucée de films noirs 1000 fois vus, Black Mass de Scott Cooper ne vaut que pour la fausse calvitie de Johnny Depp. En revanche, sur un modèle lui aussi éprouvé, Thomas McCarthy réussit un thriller qui pourrait s’appeler Les Hommes du Cardinal : Spotlight raconte en effet la manière dont, en 2002, les journalistes du Boston Globe ont mit à jour l’étendue de la pédophilie au sein du clergé de leur ville, déclenchant une trainée de scandales dans toute l’église catholique, américaine puis mondiale. Du film émane aussi un parfum singulier, lié au rôle de la presse écrite dans l’établissement de la vérité, avec plans obligés des rotatives et des camions se répandant dans la ville, images aux accents aujourd’hui nostalgiques.

Parmi les autres sélections de la Mostra (Orizzonti, Semaine de la critique, Journées des Auteurs), et à condition là aussi de prendre le risque de tomber sur des abominations navrantes, il était possible de faire également des rencontres réjouissantes, qui relèvent de deux groupes, dont on voyait bien (et qu’on entendait confirmer par les collègues) qu’ils attiraient très peu d’attention et de visibilité médiatique, au risque d’une marginalisation toujours aggravée.

2eb761759088d847334afbf29bcec15cA Flickering Truth de Pietra Bretkelly

Parmi les documentaires, à côté d’un montage indigent consacré à la révolution ukrainienne (Winter of Fire) et d’un autre, utile mais sans grande énergie politique ou artistique, dédié à la destruction de l’URSS (Sobytie, The Event de Sergei Loznitsa qu’on a connu plus inspiré), un film véritablement extraordinaire accompagnait la résurrection du cinéma en Afghanistan. Dans A Flickering Truth, la réalisatrice néo-zélandaise Pietra Bretkelly suit pas à pas les efforts du réalisateur et producteur afghan Ibrahim Arify, et c’est à la foire l’histoire moderne du pays, les enjeux artistiques, politiques et éducatifs qu’est capable de mobiliser le cinéma, la fonction d’analyseur social que constitue un travail sérieux de restauration de films, et une admirable aventure humaine qui se déploient.

Outre le nouvel opus, très singulier, de Frederick Wiseman cartographiant la diversité infinie du quartier le plus multiethnique de New York, In Jackson Heights, un portrait assez plan-plan de Janis Joplin (Janis) s’embrase littéralement sous la puissance d’émotion suscitée par la présence à l’image, et au son, de la chanteuse. Et on sait gré à la réalisatrice Amy Berg de n’avoir pas cherché à trop traficoter son matériel, et de laisser réadvenir, dès le surgissement de Balls and Chains et jusqu’à ce que se dissolve Me and Bobby McGhee le magic spell de la plus grande blueswoman blanche de l’histoire.

20920-Viva_la_sposa_2-610x404Viva la sposa de et avec Ascanio Celestini

Avouons être embarrassé de réunir ensemble sous une étiquette réductrice, quelque chose comme « cinémas du monde » (comme si tous les films n’était pas « du monde », comme si « le monde » était en réalité celui des marginalisés du star système et du commerce poids lourds), des films tout à fait singuliers, et différents entre eux.

Bonne nouvelle, voici que s’avance un deuxième bon film italien – aux côtés du maestro Bellocchio, le trublion Ascanio Celestini, repéré il y a 4 ans pour son étonnant premier film, La Pecora nera. Avec Viva la Sposa, il quitte le Mezzogiorno pour la banlieue de Rome, et un asile de fous pour un monde complètement dingue, mais présent, surprenant, vif, comique et triste.

Le grand réalisateur algérien Merzak Allouache a, lui, présenté une nouvelle œuvre puissante et ancrée dans un réel de cauchemar, Madame courage – le titre est le surnom donné à une des drogues qui ravagent une jeunesse sans présent ni avenir.

Dans un magnifique noir et blanc, le réalisateur tibétain Pema Tseden propose avec Tharlo, histoire d’un berger pris dans les mirages de la ville, une fable contemporaine et éternelle, portée par un interprète impressionnant de puissante. Fable aussi, sur les ambigüités de la volonté de bien faire et les dérives délirantes que provoque l’argent,  le premier film de l’Iranien Vahid Jalilvand, Wednesday, May 9.  Véritable découverte – de paysages, d’un mode de vie, d’une manière de raconter – un autre premier film, Kalo Pothi de réalisateur népalais Bahadur Bham Min. Fable, histoire pour enfants même, mais intensément mêlée aux drames de la guerre civile qui a ravagé le pays durant la première décennie du 21e siècle.

234464Beijing Stories de Pengfei

Et, à nouveau premier film, étonnant de puissance d’évocation et de capacité à raconter beaucoup par des moyens très simples, Beijing Stories du jeune et très prometteur réalisateur chinois Peng Fei, accompagnant plusieurs personnages dont les chemins se croisent et se séparent, avec une émotion attentive, des éclats de comédie et des frémissements de drame, finissant par susciter la grande image d’une urbanisation délirante dans la Chine actuelle (Sortie en France annoncée pour le 18 novembre).

De cette réelle et stimulante diversité, à laquelle d’autres titres montrés à Venise mais pas vus pourraient légitimement s’ajouter, il y aurait  tous lieux de se réjouir. Mais ce serait oublier qu’à la Mostra, ces films-là sont de moins en moins visibles, reconnaissables, accompagnés et valorisés par le processus même d’une manifestation qui s’honore d’être le plus ancien festival du monde, mais n’entretient plus que des rapports distants avec ce qui vibre et s’invente dans le cinéma contemporain.

 

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