C’est un géant qui s’est éteint le 21 février à Saint-Pétersbourg, à l’âge de 74 ans. Pas un géant célèbre, en Occident en tout cas ses films auront été peu vus, et où son nom n’a jamais été populaire. Pourtant ceux qui, à la fin des années 1980, on pu découvrir grâce à la Glasnost ses trois premiers longs métrages ont été frappés de l’évidence qu’on se trouvait en présence d’un immense artiste. Mieux encore peut-être : de l’exemple le plus accompli et le plus puissant des richesses artistiques, humaines et critiques recelées par l’école soviétique, telles qu’elles auraient pu et dû prospérer au cours des années 70 si elles avaient pu échapper à la glaciation brejnévienne.
La Vérification (1971), Vingt Jours sans guerre (1976) et Mon ami Ivan Lapchine (1984) sont trois œuvres immenses, d’une richesse formelle et politique quasi-inépuisable, à partir de constructions romanesques qui vont du thriller dans le contexte de la guerre pour le premier à la chronique sentimentale pour le deuxième et à l’enquête policière kafkaïenne pour le troisième. L’interrogation sur les apparences des sentiments, des pouvoirs et des raisons de vivre et d’agir est magnifiée par un travail du cadre, du récit, de la lumière et du rythme qui puise aux meilleures sources du classicisme des années 20, mais ne cesse d’être traversé de vibrations contemporaines. Parmi les Russes (on ne parle pas ici de Paradjanov ou de Iosseliani), en tout cas depuis l’exil en Occident de Tarkovski dont l’œuvre est habitée d’enjeux très différents, nul n’incarne à ce point les ressources esthétiques et politique d’une certaine idée du cinéma, même si elle eut à l’époque d’autres grands représentants, à commencer par Kira Mouratova, mais aussi Gleb Panfilov, Konchalovski à ses débuts ou le Mikhalkov des années 70-85, avant qu’il ne devienne à la fois réalisateur pompier, potentat affairiste et laquais du pouvoir.
Tous interdits aussitôt terminés, les trois premiers films de Guerman demandaient des moyens relativement importants. Ils n’avaient pas été tournés clandestinement mais au sein du studio Lenfilm dont Guerman, fils d’un écrivain connu, était une figure en vue. C’est une des singularités de la dictature soviétique, du moins à partir de la fin des années 50, d’avoir laissé réaliser dans les studios d’Etat des films qui seraient ensuite interdits. Mais « mis sur l’étagère », comme on disait, et non pas détruits, ce qui permettra leur réapparition lors de la Perestroika.
A la veille de l’effondrement de l’Union soviétique, Alexei Guerman se lance dans un projet immense, auquel il consacrera presque 10 ans, pour accoucher d’un film-monstre, Khoustaliov, ma voiture, en compétition à Cannes 1998. Sublime, violent, confus, saturé de références, de sous-entendus et d’abimes, cette œuvre accompagne la descente aux enfers d’un médecin appelé au chevet de Staline mourant, œuvre dont il a trop rêvé qu’elle l’établirait comme le grand cinéaste russe de son temps ne réussira pas à l’imposer. Si elle a ses défenseurs enflammés, elle demeure confidentielle.
Loin de se décourager, Guerman se lance dans un projet encore plus pharaonique, Chronique du carnage d’Arkanar d’après le roman d’heroic fantasy Il est difficile d’être un dieu. Dans la nécrologie consacrée au réalisateur (Le Monde de 23/02/2013), Joël Chapron, grand passeur du cinéma russe, certainement le Français qui a accompagné au plus près les infinies tribulations créatrices de l’artiste, résume : « Sur une planète moyenâgeuse, un tyran impose sa dictature ; un émissaire, intellectuel et bien-pensant, arrive de la Terre pour tenter d’instiller tolérance et humanisme, mais le bain de sang est inévitable. La caméra, époustouflante, s’approche au plus près des corps monstrueux que Guerman a soigneusement choisis et fait pénétrer le spectateur au cœur d’un tableau quasi bruegelien, s’arrêtant sur un profil digne du Portement de Croix de Jérôme Bosch. » Survivant de l’ère soviétique et de sa chute, metteur en scène visionnaire hanté par les fantômes d’une époque à tant d’égards inhumaine, Alexei Guerman est mort sans avoir pu, su, voulu finir le film. C’est son fils, Alexei Guerman Jr, lui même cinéaste, auteur du beau Soldat de papier en 2008, qui devrait la terminer.
lire le billetEn finale pour l’oscar du meilleur documentaire, 5 caméras brisées est un témoignage exceptionnel de la répression dans les territoires occupés, et de la possibilité d’y répondre par les images. Au point de poser la question des puissances de la représentation, supposée une protection contre le pire.
Un film palestinien titré 5 Caméras brisées sous-entend évidemment « 5 caméras brisées par les Israéliens ». Et c’est en effet le cas. Paysan de Cisjordanie, Emat Burnat se procure une caméra en 2005 pour enregistrer les premiers jours de son quatrième fils, qui vient de naître. C’est aussi le moment que choisit l’armée israélienne pour expulser les habitants de son village de leurs champs, afin d’établir une barrière de barbelés qui protègera l’installation, illégale au regard de la loi israélienne, d’une immense colonie juive à la place des oliveraies. Emat Burnat utilise sa caméra pour filmer aussi ces événements, et désormais, en même temps que la croissance de son fils, il documentera les manifestations hebdomadaires, la répression brutale, l’inexorable destruction du mode de vie des siens. Il devient le chroniqueur en image d’une longue lutte, qui fera de son village, Bil’in, un symbole de la résistance pacifique de Palestiniens au vol de leurs terres par les colons juifs, sous haute protection de Tsahal.
Filmant de manière de plus en plus compulsive, au point que sa famille lui reprochera de se, et de les mettre en danger, Emat se revendique plus journaliste que cinéaste. Il lui arrive malgré tout souvent de tourner de véritables plans de cinéma, les plus terribles étant aussi les plus beaux, les oliviers incendiés par les colons brulant dans la nuit, le paysage soudain submergé d’une véritable marée de gaz tirés en rafales par les soldats, les troufions juifs dont l’arrogance brutale masque mal combien ils sont eux-mêmes terrorisés au moment d’arrêter des gamins chez eux en pleine nuit.
Emad Burnat et ses 5 caméras brisées
Le film est rythmé par l’annonce des 5 moments correspondants au résultat annoncé par le titre, thématisé par la montée en puissance de la résistance et la chronique familiale qui lui fait contrepoint, approfondi par l’énonciation paisible, mesurée, de la voix off de Burnat malgré les coups, les blessures et les arrestations. Mais aussi par sa capacité à mettre en avant que c’est bien un hôpital de Tel-Aviv qui lui sauvera la vie lorsqu’il sera victime d’un grave accident (en heurtant le mur construit par les Israéliens). On voit également les manifestations importantes de solidarité, de l’étranger et de la part de juifs israéliens progressistes. Cette mise en forme est le fruit de la collaboration entre le réalisateur et l’Israélien Guy Davidi, auquel Burnat a demandé de l’aider à mettre en forme les quelque 700 heures d’images enregistrées. Ce qui a d’ailleurs soulevé un débat en marge du film, sur sa nationalité (palestinienne ou israélienne) suite à la nomination du film aux oscars – qui lui a par ailleurs valu une accueil tout en douceur sur le sol états-unien.
5 caméras brisées comporte des séquences étonnantes aussi sur le plan journalistique, avec des scènes d’extrême violence commise par les soldats et les colons, et notamment les multiples tirs à balles réelles sur les civils, qui tueront plusieurs villageois, parfois sous l’objectif de l’une de ces caméras, dont deux seront elles aussi détruites par des tirs de fusil d’assaut.
Pourtant, le principal questionnement que suscite le film est ailleurs. Voilà des décennies que les Palestiniens sont humiliés, spoliés, emprisonnés sans jugement par les juifs israéliens, soumis au racisme et aux innombrables vexations quotidiennes (notamment aux check points), privés illégalement de leurs terres, souvent battus et assassinés. Voilà des années que cela est montré, filmé, diffusé, dénoncé notamment par l’image. C’est peu de dire que rien ne s’est amélioré. Les dernières élections ont à nouveau confirmé la haine, le mépris ou l’indifférence au sort des Palestiniens d’une majorité archi-dominante en Israël même. Or, malgré les restrictions et les brutalités contre les gens qui filment (ou photographie), les Israéliens auront globalement davantage laissé montrer ce qu’ils font qu’aucun autre régime pratiquant des exactions violentes systématiques à l’encontre d’une population. Ils l’auront fait sans subir en retour d’effets majeurs tendant à empêcher, ou au moins à réduire de telles pratiques. Une telle attitude est très représentative du fonctionnement « démocratique » version israélienne, qui permet aussi que des fonds de l’Etat juif aient contribués à la production de 5 caméras brisées, ou que le film ait été montré, et primé, au Festival de Jerusalem. Depuis la scène fondatrice du Journal de campagne d’Amos Gitai (1982) où le réalisateur affrontait longuement les soldats voulant l’empêcher de filmer, d’innombrables caméras ont été saisies, détruites ou interdites de fonctionner. Mais infiniment plus ont tourné, un nombre incalculable d’images documentant à l’infini les brutalités et les injustices commises par Tsahal, les services spéciaux, la police et les colons.
Dès lors, la véritable question posée est moins celle du sort des caméras brisées que celle des caméras en fonctionnement, et de leurs effets – ou de leur peu d’effets. Emad Burnat filme des scènes de grande brutalité commise par les soldats, il est à 2 mètres d’eux, ils sont 10, un d’eux pourrait à tout moment l’empêcher de tourner – et cela s’est bien sûr produit. Mais il est plus troublant et finalement plus instructif que soldats et officiers aient très souvent laissé filmer ce que nous voyons.
Comme si les autorités israéliennes avaient compris qu’à la longue, la vision répétée de leurs actes perdrait de sa puissance critique, finirait par s’émousser complètement. C’est une stratégie de long terme, cohérente avec celle de colonisation systématique des Territoires occupés. Elle repose sur une pensée des images comme flux, sur l’hypothèse, globalement vérifiée, qu’à partir du moment où des représentations cessent d’être des constructions singulières, élaborant leurs propres conditions d’adresse, leur chemin singulier, y compris vers des faits d’actualité, leur puissance de révélation et éventuellement de transformation ira décroissante. Une telle situation constitue un défi pour tous ceux qui travaillent le rapport au réel par les images – pas seulement dans le cas d’Israël et de la Palestine.
lire le billet« L’Eléphant blanc » du titre désigne ce qui aurait dû être le plus grand hôpital du continent américain, immense construction au cœur du bidonville de Ciudad Occulta dans la banlieue de Buenos Aires, monstre inachevé devenu repère de trafics et concentré de misère. « L’éléphant blanc » pourrait aussi désigner le gigantisme et le poids des enjeux que prend en charge le septième long métrage de Pablo Trapero : la détresse des quartiers pauvres des grandes villes du tiers monde, les effets de l’action sociale, le rôle de l’église officielle et l’engagement des prêtres activistes dans l’esprit de la théologie de la libération, la violence militaire, policière, mafieuse… La grande réussite du film est d’échapper à cette pesanteur programmée, même par les meilleures intentions, sans les renier pour autant.
Aux côtés d’un jeune prêtre européen traumatisé par le massacre des paysans auprès desquels il travaillait et qui se replie dans le barrio chez son ami et mentor, le père Julian qui organise le combat quotidien contre la misère dans l’ombre du bâtiment inachevé, Elefante Blanco réussit à articuler au plus juste dramatisation et observation. Cette réussite tient pour beaucoup à l’association entre le réalisateur et ses interprètes. Le scénario pouvait donner dix films bien-pensants et simplificateurs, le jeu des acteurs – Jérémie Renier, Ricardo Darin et Martina Gusmàn – trouve le juste régime d’intériorité qui déplace la définition de leur personnage, le met en résonnance et à l’occasion en danger face aux autres protagonistes, et à l’ensemble de l’environnement. Cette réussite du jeu est à l’unisson de la capacité, qu’on connaissait bien chez le réalisateur de Mondo Grua et de El Buenaerense, mais qui s’était estompé depuis, de faire toute la place à la dimension documentaire de sa réalisation, comme matériau même de la mise en forme de sa fiction.
Dès lors, il importe peu qu’Elefante blanco, et notamment le personnage interprété par Darin, soit en partie inspirés de faits réels. L’essentiel est dans la manière dont le labyrinthe physique du bidonville, l’enchevêtrement politique des intérêts et la complexité inextricable des interactions entre engagement religieux, action sociale de terrain où travaillent côte à côté prêtres, militants de gauche et une partie des habitants construisent ensemble un chaos dynamique, mis en place sans complaisance, et aussi sans cynisme. La manière dont Trapero pervient, tout en suivant ses trois protagonistes, à faire toute sa place au collectif, est à cet égard riche de sens. Plus qu’un commentaire, l’épilogue en totale rupture de ton peut dès lors apparaître comme la juste coda d’une symphonie furiosa composée avec fougue et sensibilité.
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N’ayant pas vu tous les films en compétition, on se gardera ici d’émettre un jugement sur l’ensemble du palmarès annoncé au soir du 16 février par les jurés et leur président, Wong Kar-wai. Ayant vu celui qui a reçu l’Ours d’or, Child’s Pose du Roumain Călin Peter Netzer, on ne peut que regretter le choix d’une réalisation aussi sinistre que dépourvue d’enjeu.
Cornelia est une grande bourgeoise de Bucarest. Elle est en conflit avec tous les membres de sa famille. Lorsque son fils unique écrase un enfant dans une petite ville de province, elle se lance, et le film scotché à elle, dans un combat désespéré pour sauver son rejeton. Cela se traduit par une série de face à face avec toutes les personnes impliquées dans l’accident, jusqu’au climax dans la famille de la victime. Entièrement télécommandé par son programme, le film empile psychologie et pathétique avec une lourdeur aggravée par une caméra dont l’incessante agitation prétend traduire l’instabilité émotionnelle des personnages, procédé d’un simplisme lassant.
Le seul intérêt de cette récompense serait de susciter une comparaison avec l’autre Roumain l’ayant précédé parmi les récipiendaires de statuettes aurifiées dans un grand festival, 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, Palme d’or à Cannes en 2007. Superficiellement, on pourrait rapprocher l’atmosphère glauque et la mise en scène à l’arrache des deux films. En fait, tout ce qui était organique, vibrant de sincérité et de nécessité intérieure chez Mungiu semble artificiel et inconséquent chez Netzer, les yeux fixés sur une performance aussi extrême que vaine. Au petit jeu des rapprochements, on pourra aussi noter que Child’s Pose est basé sur le ressort sentimentalo-dramatique que Pieta de Kim Ki-duk, Lion d’or du dernier Festival de Venise, même si le traitement est très différent. Apparemment l’amour au-delà de tout d’une mère pour son fils est un thème qui fonctionne auprès des jurys, avis aux candidats.
A Berlin, lors de la remise de la récompense, la productrice du film lauréat a évoqué l’abandon de l’aide au cinéma par les actuelles autorités roumaines, judicieux cri d’alarme dont on aurait rêvé qu’il soit appuyé sur une œuvre plus convaincante.
Si le palmarès a très injustement oublié le Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, de loin le film le plus fort parmi ceux vus en compétition, il a en revanche bien fait de saluer l’Américain David Gordon Brown pour son très plaisant Prince Avalanche, duo masculin loufoque sur une route en pleine forêt, même s’il n’est pas certain que le prix à la mise en scène soit la récompense la plus appropriée. Et même sans l’avoir vu, on se sera réjoui de l’Ours d’argent décerné à Denis Côté pour son bien nommé Vic+Flo ont vu un ours, alors que le fait de récompenser Harmony Lessons d’Emir Baigazin seulement pour le travail de son chef opérateur au demeurant remarquable – paraît bien en dessous des qualités du film.
Parmi les autres prix annoncés, il faut relever la « mention spéciale », au titre du premier long métrage, attribuée à un film de Guinée Bissau, La Bataille de Tabata de João Viana. Rarement une projection aura donné ainsi le sentiment de pénétrer dans un monde aux règles bien établies mais parfaitement inconnues. L’histoire plurimillénaire de la civilisation mandingue y est invoquée magiquement par musiques et palabres, échos de guerres antiques et contemporaines, gags et drames, irruption somptueuse de rituels dont on ignore sans dommage, et même avec joie, le départ entre tragique et carnaval, mythologie et documentaire. Un bonheur de spectateur.
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Révélé en août dernier au Festival de Locarno, l’extraordinaire film Leviathan de Lucien Castaing Taylor et Verena Paravel n’a depuis plus quitté les programmes des grands festivals du monde entier, et cela ne semble pas près de s’arrêter. A Berlin, il est l’occasion de mettre en œuvre ce qui est devenu une des formes les plus fécondes de mutation du cinéma, l’organisation sous des formes infiniment variées de trafics entre cinéma et arts plastiques. Le grand poème organique pour grand écran des deux réalisateurs est en effet l’occasion de trois installations qui, sous l’intitulé général Canst Thou Draw Out Leviathan with a Hook ?, développent en ce sens les richesses de cette épopée matérialiste et mythologique tournée selon de procédures inédites à bord d’un bateau de pêche dans l’Atlantique Nord.
Organisée par la branche la plus expérimentale de la Berlinale, le Forum Expanded, ces trois installations accompagnent la projection du film proprement dit, toujours aussi envoutant. La première installation, He Maketh a Path Shine After Him. One Would Think the Deep to be Hoary, est une projection selon un rythme distordu, qui ralentit et saccade le déroulement du film, désormais porté de 87 minutes à 6 heures – pas exactement un ralenti, mais une série qui semble infinie de plongées enchainées dans la matière même des images devenues muettes. Car si le film lui-même invente une relation inédite à la matière du monde, à la présence du réel où n’existerait plus de frontière entre esprit, chair, choses et éléments, les installations travaillent la même quête mais du côté de la matière des images.
C’est également ce que font les deux œuvres présentées dans un ancien crematorium berlinois, reconverti de façon assez appropriée en lieu d’accueil de fantômes. Castaing Taylor et Paravel y ont mis en place deux propositions spectrales. L’une est une projection d’images devenues quasi-abstraites, et qui pourtant se souviennent de Marey, d’immenses envols de mouettes sous la coupole d’un lieu qui fut peut-être religieux. L’autre consiste en un choix de spectres, parmi tous ceux apparus dans leurs images, comme les cinéastes les retraversaient sans fin durant le processus du montage. Ces fantômes effrayants ou grotesques, témoins des présences innombrables qui hantent leur film – c’est à dire qui hantent le monde tel que leur film est capable de le faire éprouver – sont comme les messagers (les bons critiques ?) d’un projet artistique exceptionnel.
Si l’œuvre déployée autour de Leviathan est exemplaire des ressources désormais fréquemment explorées de la circulation entre cinéma et arts plastiques, on croise également, et avec grand plaisir, d’autres mises en jeu des limites usuelles dans le champ cinématographique – ce qui n’implique nullement la disparition ou la dissolution de celui-ci, comme on aime à le rappeler régulièrement ici, récemment en appui d’un judicieux ouvrage de Jacques Aumont. Plutôt que les limites du cinéma, il faudrait parler cette fois des limites du film, comme objet construit, circonscrit, dépositaire de son sens autonome et de son régime d’énonciation.
C’est exemplairement ce que remet en question, avec légèreté, profondeur et obstination, le réalisateur coréen Hong Sang-soo. Dans une logique qui rappelle et radicalise la démarche des « collections » d’Eric Rohmer aussi bien que le diarisme sans limite de Jonas Mekas, Hong Sang-soo a transformé son activité de cinéaste en une succession de chapitres d’une sorte de carnet de notes sans fin, explorant sous des modes différents, et avec des personnages différents mais en grande partie interchangeables, les mille facettes du désir amoureux, de la trahison sentimentale, de la brutalité et de la perversité des rapports affectifs, de l’impuissance relationnelle. Après la lumineuse comédie In Another Country avec Isabelle Huppert, découvert à Cannes 2012, l’infatigable Hong revient avec une œuvre beaucoup plus sombre, Nobody’s Daughter Haewon, ce qui n’enlève rien d’ailleurs aux qualités comiques d’un réalisateur à l’humour ravageur. Le film se regarde avec un grand plaisir et non moindre intérêt pour lui-même, mais il ne prend son véritable sens qu’à l’intérieur de ce processus au long cours qu’est l’ensemble des réalisations initiées il y aura bientôt 20 ans avec Le Jour où le cochon est tombé dans le puit, sans rupture de continuité depuis.
On ne pourrait évidemment en dire autant de Viola du jeune argentin Matias Piñeiro, puisqu’il s’agit d’un premier long métrage. Pourtant, sa manière – très rohmerienne elle aussi – d’enchainer des situations d’échanges de paroles entre une succession de protagonistes, féminines et très charmantes pour la plupart, sans exigence d’aucun « développement dramatique » explicite, relève de la même préférence accordée au cinéma, dans les puissances complexes et séduisantes de son avènement possible instant par instant, plutôt qu’à la construction d’un film comme architecture structurée et éventuellement bouclée. De maison en maison, voire dans le refuge provisoire de l’habitacle d’une voiture, dans une salle de répétition ou une autre destinée à l’enregistrement de musique, des filles et des garçons se parlent, avec leurs mots ou avec ceux de Shakespeare ou d’une chanson, se séduisent, se trahissent, se trompent et essaient d’exister. Dès lors qu’on entre dans cette ronde (qui n’invoque pas en vain le nom de Marcel Ophuls), un charme juste, juste au sens où la mise en scène pourrait être juste comme la musique, opère et séduit, laisse déjà attendre moins une suite qu’un rebond, une bifurcation, une relance.
lire le billetDans la jungle des propositions de film qu’est cette Berlinale capable d’offrir bien des découvertes mais définitivement inapte à construire l’intelligibilité d’une programmation, il est possible de capter de multiples échos venus de la terre entière. Un peu comme la navigation sur ces radios ondes courtes qui captent des émissions venues de toutes parties du globe, l’entrée plus ou moins au hasard dans les multiplexes qui accueillent Compétition, Panorama et Forum sont l’occasion de rencontres ô combien inégales, mais parfois réjouissantes. Florilège après deux jours et demi de présence :
– En compétition officielle, une véritable découverte, celle d’un jeune réalisateur de Kazakhstan, Emir Baigazin. Son film, Harmony Lessons, est d’une rigueur brutale, accompagnant sans fléchir le parcours « darwinien » d’un adolescent ostracisé par ses camarades, et qui va construire les conditions de sa survie. Cette fable cruelle, constat sans phrase de la violence sociale, s’impose par la précision de sa composition, sa capacité à ne pas détourner le regard comme à choisir l’ellipse qui ouvre sur le temps, l’espace et l’intelligence.
– Dans un tout autre esprit, Kai Po Che (Brothers for Life) d’Abhishek Kapoor semble de prime abord un pur produit de Bollywood, avec stars draguant éhontément la caméra et bons sentiments à la louche. Et de fait… c’est exactement ça. Mais ça au service d’une interrogation sur ce qui divise et unit la collectivité nationale indienne, avec une capacité à regarder en face la violence des conflits de communauté, de sexe, d’âge et de statuts sociaux qui ne cesse de surprendre. Autour de l’histoire de trois copains passionnés de cricket qui créent leur petite entreprise tandis que montent les antagonismes qui mèneront aux pogroms anti-musulmans du Gujarat en 2002, le film témoigne fièrement des capacités d’un cinéma classique, délibérément adressé au grand public, de prendre en charge de manière frontale les grands enjeux de sa société – une démarche dont on a quelques difficultés à trouver l’équivalent dans les cinémas occidentaux.
– Sur un mode encore très différent, voici une comédie venue du Mexique, et intitulée Workers. Ce premier long métrage de Jose Luis Valle semble d’abord plonger avec détresse dans l’univers fort peu exaltant de quelques travailleurs de Tijuana, un « technicien de surface » salvadorien approchant à l’âge d’une retraite qu’il ne pourra toucher, et les serviteurs d’une riche vieillarde excentrique. Très vite pourtant, des détails d’abord infimes, une distance ou un décalage qui ne feront que se préciser, sans s‘alourdir, travaillent de l’intérieur ces chroniques qui s’avèrent aussi implacables que loufoques. Et l’humour slow burn se révèle un excellent ressort critique, renforcé par l’évidente affection du réalisateur pour ses personnages.
– De l’humour, il y en a également beaucoup dans A World Not Ours du Palestinien Mahdi Fleifel. Il n’y a pourtant pas vraiment de quoi rire, en suivant cette chronique intime et violente de l’existence dans le camp de réfugiés d’Ain Al-Hilweh au Liban, camp dont la famille du réalisateur est originaire, et où ses proches et ses copains n’en finissent plus de végéter, usés par la fatalité du sort de leur peuple. Avec sa caméra utilisée comme pour des films de famille et sa voix off à la fois lucide et ironique, Fleifel dresse un portrait terriblement sombre et tout à fait sans complaisance des multiples sources du désespoir dans lequel s’enlise toute une population. Le recours à des documents d’archives, parfois méconnus, inscrit ces instants de vie dans un contexte à tant d’égard trop connu, et qui trouve pourtant ici un nouveau et juste éclairage.
lire le billetEn principe, un compte-rendu quotidien d’un grand festival de cinéma consiste chaque jour à composer un ensemble aussi significatif que possible à partir de quelques uns des films vus dans la journée. Sauf que là, à peine arrivé, bing ! la grande baffe. Dès la première séance, dans l’immense Friedrischstad Palace bondé, un choc comme on en éprouve pas souvent – au cinéma ou ailleurs.
Qui connaissait le projet de Bruno Dumont de filmer une évocation de Camille Claudel après son internement dans un asile près d’Avignon, avec Juliette Binoche dans le rôle principal, pouvait légitimement s’interroger sur les enjeux d’un tel choix, les effets de la rencontre avec une vedette d’un réalisateur qui a toujours préféré les acteurs non-professionnels, l’étrangeté de sa part à se lancer dans un film d’époque, ou la possibilité pour l’actrice de succéder à la mémorable interprétation d’Isabelle Adjani dans le film de Bruno Nuytten. Interrogations et éventuelles préventions sont balayées par Camille Claudel 1915.
Oh, pas immédiatement. Le film met quelques séquences à imposer son rythme et sa distance, à accoutumer ses spectateurs à la présence infiniment troublante de Juliette Binoche comme jamais vue, à instaurer cette égalité de traitement des mots, des paysages, des visages, qui permet la mise en œuvre d’un programme minimal et bouleversant : regarder la souffrance en face. A mille lieux de tout pathétique, avec une totale dignité dans la manière de montrer chacune et chacun, dans sa folie, son orgueil, ses défenses scientifiques et religieuses, sa générosité ou son égoïsme, ou les deux, le film de Bruno Dumont et Juliette Binoche (il est juste de les associer tant ce qu’elle fait participe de la création même de l’œuvre) envoute et transporte, suscitant en chacun vibrations inédites et interrogations mystérieuses. Sous le soleil froid de Provence, celui-là même qu’avait peint le pauvre Vincent, nait un grand film exigeant, il tarde déjà d’y revenir.
Pas très envie de mêler cette rencontre-là à celle d’autres films. Mais dans les grands festivals, il n’y a pas que les films. Il y a notamment l’occasion d’informations variées. Par exemple la découverte en piles imposantes un peu partout dans tous les lieux de la Berlinale d’un nouveau magazine intitulé The Chinese Film Market, avec le visage énigmatique de Wong Kar-wai en couverture. La seule existence d’une publication de ce titre est significative, les informations qu’elle recèle, notamment sur les modalités de la croissance de la fréquentation en Chine (+30% l’an dernier), la multiplication vertigineuse des multiplexes, ou le secteur émergent des acteurs sino-américains visant clairement une carrière des deux côtés du Pacifique en font, même sur le mode corporate, une assez excitante plongée dans un univers en expansion.
L’étude de cas du premier film chinois à dépasser le milliard de yuans de box-office, la comédie Lost in Thailand, est tout aussi riche d’indications sur l’évolution d’une production commerciale qui avait jusqu’à présent misé sur l’imitation des blockbusters hollywoodiens avec débauche d’effets spéciaux, « sinisés » par la référence au passé légendaire du pays et par les arts martiaux.
L’introduction en bourse des deux géants de la production chinoise, China Film Group et Shanghai Film Group, jusqu’à présent entreprises d’Etat, est aussi de nature à faire évoluer les stratégies de ce qui est devenu, sur le plan financier, la deuxième cinématographie du monde, sans dissimuler son objectif d’atteindre un jour le premier rang.
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Arrivée à Berlin, polaire, pour la fin de la 63e édition, qui se clôturera le 17 février avec l’attribution d’ours qui auraient quelques raisons cette année d’être blancs : en référence à la température, en signe de solidarité avec cette espèce menacée de disparition du fait de la gabegie humaine. Mais aussi blancs comme le vote blanc face à l’absence d’enthousiasme suscité par les films en compétition, à en croire du moins les comptes-rendus des confrères arrivés depuis le début. Mais pas d’inquiétude, Dieter Kosslick, le patron de la Berlinale, est un ami, il a simplement attendu mon arrivée pour sortir ses atouts maîtres.
De son programme, j’ai d’ailleurs déjà vu un film, un excellent film, The Grand Master de Wong Kar-wai, qui a fait l’ouverture le 7 au soir. Virtuosité graphique et chromatique, sens du rythme, jeu sophistiqué entre vérité historique, impératifs du genre et touches personnelles autour de la biographie réinventé d’Ip Man, le maître d’arts martiaux de Bruce Lee, interprété par un Tony Leung toujours parfait, et Zhang Yiyi à son meilleur. Mais est-ce le même film qui a été montré en ouverture, y retrouve-t-on l’interrogation mélancolique au cœur des scènes de combats spectaculaire qui irise le film tel que je l’ai vu quelques jours avant sa première berlinoise ? Fidèle à son interventionnisme compulsif, Wong Kar-wai, qui avait déjà sensiblement modifié la version internationale par rapport à celle présentée en Chine, aurait encore repris le montage. Réponse aux abords du 17 avril, date annoncée de la sortie française.
Faute d’avoir pu assister à leur projection, il y a lieu de regretter parmi les réalisations déjà montrées en compétition les nouveaux films de Gus van Sant, de Steven Soderbergh et du toujours stimulant québécois Denis Côté, le Gold du jeune allemand Thomas Arslan, le nouveau film tourné semi-clandestinement par Jafar Panahi, sans oublier la curiosité que peut susciter la nouvelle adaptation de La Religieuse par Guillaume Nicloux. Mais il ne s’agit là que de la compétition, élément le plus visible mais loin d’être toujours le meilleur d’une manifestation qui se caractérise par son offre pléthorique, essentiellement dans ses deux grandes sections parallèles, le Panorama, programmé par les responsables de la Berlinale, et le Forum, résultat d’une programmation alternative globalement plus audacieuse.
En route pour les projections…
(et un post par jour jusqu’à dimanche)
lire le billetOn ne peut que regretter le choix du titre de ce petit livre. En effet sa connotation funèbre (pour qu’il y ait « reste » il faut qu’il y ait d’abord eu perte ou disparition) et nostalgique (seuls ceux qui appartiennent à une époque révolue, contemporaine de ce qui a disparu, peuvent poser une telle question) ne peut que résonner aux oreilles de tout amateur du cinéma des échos de la chanson de Charles Trenet à laquelle Baisers volés empruntait son titre, chanson entièrement vouée à un monde à jamais disparu. Le regret à l’encontre du titre est proportionnel au plaisir stimulant qu’il y a à lire ce livre qui se situe, lui, aux antipodes de la sempiternelle et imbécile rengaine de la mort du cinéma, cette vulgate qui s’acharne à occulter tout ce qui ne cesse de s’y jouer de vivant et d’innovant.
C’est très exactement ce qu’affirme Aumont, avec une vigueur bienvenue, dès les premières pages de cet essai, bref et vif ouvrage théorique absolument dépourvu de jargon. Il identifie et réfute les arguments symétriques des inlassables croque-morts du cinéma, ceux qui disent qu’il n’est plus nulle part, ayant perdu ce qui avait fait sa force et sa singularité « avant » (dans les années 20, 50, 60, 90, etc.) et ceux qui le réputent être partout, dilué dans le grand chaudron des omniprésentes images mouvantes et sonores : « le cinéma est loin d’avoir disparu dans sa forme la plus habituelle, et, parmi les nouvelles manières d’apparaître de l’image mouvante, il continue de se distinguer comme porteur d’une combinaison de certaines dont il a l’exclusivité ».
Jacques Aumont note avec pertinence combien cette prétendue dissolution, ou cette fausse victoire d’un cinéma aujourd’hui dit expanded, traduit en fait un défaut de vocabulaire, aucun terme n’ayant réussi à prendre en charge la diversité des occurrences de ces images mouvantes contemporaines, faute de quoi on s’est mis à appeler « cinéma » des tas de choses plus ou moins intéressantes, singulières, promises à des développement féconds (les programmes télé, les jeux vidéo, le vidéo art, les clips, etc.), mais qui ne relèvent pas du cinéma. « Dire que le cinéma n’a plus l’exclusivité des images en mouvement n’est donc pas constater sa disparition, pas plus que sa dissolution dans un tout plus vaste où il se distinguerait mal. Ce qui manque, au fond, pour dire simplement cette situation relativement simple, c’est un mot – un mot unique qui dirait “usages sociaux divers d’images en mouvement.“ »
Une telle affirmation ne peut évidemment faire l’économie de la mise à jour de ce qui relève véritablement du cinéma dans sa singularité. En s’y attelant, Aumont dégonfle au passage d’autres affirmations inexactes ou exagérées, qui ont obscurci la compréhension de ce qui mérite l’appellation de cinéma, notamment la surévaluation des effets du passage de l’analogique au numérique. Salutaire mise au point, même s’il arrive à l’auteur de tordre exagérément le bâton dans l’autre sens, minimisant plus que de raison les réels effets de ce changement technique, ou manifestant un refus bien peu argumenté d’un cinéma 3D dont on a le sentiment qu’il ne l’a guère fréquenté.
Au centre de ce qui distingue le cinéma des autres modalités d’images en mouvement, Aumont installe une proposition différente de celle qui avait été mise en avant ici même. Différente mais nullement contradictoire, et d’une incontestable puissance de compréhension, la définition du film, d’un objet cinématographique se caractérise par « la production d’un regard tenu dans le temps », proposition reformulée un peu plus loin en « dispositif dans lequel on regarde ce qu’on voit aussi longtemps que cela dure. »
En associant ainsi comme décisive l’opération qui réclame une relation sensorielle singulière (la production d’un regard) et une exigence de durée construite de manière impérative par cette opération même, le texte fournit une précieuse ressource pour mettre à l’épreuve les produits audiovisuels, et chercher à distinguer les films parmi eux – même si ce repère théorique ne peut en aucun cas être présenter comme une solution clé-en-main, un analyseur automatique, la part de subjectivité demeurant décisive dès lors qu’on se refuse à associer le cinéma à un dispositif (la projection en salle) à l’exclusion de tous les autres. La Prisonnière du désert à la télé c’est toujours du cinéma, la captation de Rigoletto au MET projeté dans une salle ça n’en est pas (et Le Prénom, succès phare de la production française en 2012, pas davantage, mais là, ça prend un peu plus de temps et d’effort pour le montrer).
Même de manière lapidaire – ce bref essai ouvre des pistes qui pourraient donner lieu à de nombreux et amples développements –, Que reste-t-il du cinéma ? explicite le rôle décisif du rapport au temps en soulignant que le cinéma, et lui seul, réussit la combinaison, éprouvée dans l’expérience de la rencontre avec le film, de plusieurs types de temps simultanément. Aumont en identifie trois (il se pourrait qu’il y en ait davantage), le temps de la monstration, le temps de l’histoire que raconte le film et le temps composé par la mise en scène, et notamment le montage. La mise en évidence de ces trois formes de temporalité et de leurs effets permet une formulation convaincante de ce qui caractérise l’expérience cinématographique, tout en laissant ouverte la possibilité d’immenses développements. Ce n’est pas la moindre qualité d’une telle proposition.
lire le billetC’est à la fois un symptôme et un symbole. En (ré)inventant les places plus chères pour certains fauteuils – cela a existé jadis – Pathé affiche la quête éperdue de bénéfices nouveaux de la part de grands circuits qui sont déjà en position de force pour faire euros de tous bois, subventions gigantesques comme vente massive de confiserie, détournement des écrans de leur vocation cinématographique ou obligations aux distributeurs de payer la diffusion de leurs bandes annonces.
Mais surtout, la création de fauteuils plus chers mais plus confortables et mieux placés au Pathé Wepler (Paris, place Clichy) rénové revient à enfoncer un nouveau coin dans l’idée qui aura servi de socle à la relation publique au cinéma, l’égalité de l’accès : sur le même support (la pellicule 35 mm), dans des lieux en principe équivalents (des salles soumises à la même réglementation), on pouvait voir pour le même prix le nouveau film de Steven Spielberg ou le nouveau film de Jean-Marie Straub, même si le cout de fabrication de celui-ci correspondait au cout de fabrication de 3 secondes de celui-là. C’était un facteur d’égalité (entre les spectateurs) et de solidarité (entre les films et ceux qui les font et les diffusent).
Sous les effets conjugués de nouvelles technologies et d’une idéologie ultralibérale débridée, ce « fond » – qui dans les faits a toujours connu bien des accrocs et bien des distorsions, le films n’étant jamais « nés libres et égaux » contrairement au rêve d’André Bazin – ce fond qui servait de base à la fois aux politiques publiques et aux pratiques du public ne cesse d’être défait de toutes parts, sans qu’on observe beaucoup de réactions de la part des autorités en charge d’autre chose que de la défense du sacro-saint droit à la concurrence – par exemple de cette fameuse « exception culturelle », dont il est à craindre que l’on ne s’en gargarise comme jamais que pour mieux en enterrer les principes.
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