Dans la grande maison, le jeune homme, Ake, est cloué dans son lit. Paralysé suite à un accident. Dépendant et furieux. Près de son lit, un autre jeune homme, Pun, s’occupe de lui, lui fait sa toilette, lui tient compagnie. Il y a une tortue dans l’aquarium. Il y a des taches de soleil qui jouent sur le sol. La maison est sous l’empire taciturne du père, elle est animée par la présence des femmes qui s’occupent des taches domestiques. En surface tout est calme, mais dès les premières secondes, lorsque Pun a éteint la lumière, a explosé un rock violent, dissonant. Simple indice d’une tension qui travaille en secret. Au début, Pun a pensé quitter cet emploi, trouvant qu’ici les gens « manquent de sensibilité ». Mais il reste. Et par de multiples voies, certaines tendres, d’autres amères ou abruptes, la sensibilité apparaît, imprègne les rapports entre les êtres et les choses. Des liens se tissent, ou plutôt il faudrait parler de ces courants invisibles dont Robert Bresson faisait le véritable enjeu du geste cinématographique. Des images d’un vieux film super-8, le poème d’un oiseau abattu en plein vol, des rêves de jeunesse inassouvis, un profil sur Internet, une blessure, le menu du repas du soir, un livre qui parle d’une montagne sacrée, très loin, une visite au musée des sciences, une naissance.
Courants invisibles qui circulent de manière incertaine entre les deux garçons, entre chacun et le reste de la maisonnée, entre cet espace circonscrit et un mode de plus en plus vaste, qui s’élargit au cosmos. Courants invisibles qui traversent l’espace, matériel, sensoriel ou mental, selon des circulations qui défient la chronologie, inventent leur temporalité, leurs rythmes, leurs retours, leurs échappées.
La jeune réalisatrice thaïlandaise a une manière très personnelle – qu’on ne peut rapprocher que superficiellement de celle d’Apichatpong Weerasethakul – de laisser s’installer la durée, parfois de la suspendre ou au contraire d’intensifier de micro-situations quotidiennes, une conversation, un repas, l’envie de rester sous la pluie malgré le risque de s’enrhumer, pour que se déploie un univers émotionnel étonnamment riche, à la fois paisible et cruel, délicat et tendu. Un film est là. Une cinéaste est là.