En envol

Très vite, Après Mai d’Olivier Assayas émet quelque chose de singulier. Une manière d’être au présent, son présent. Au tout début des années 70, dans un lycée d’une banlieue plutôt chic, un élève et ses copains participent de l’élan qui porta une grande partie de la jeunesse de ces années-là. Activisme politique, violence et rhétorique, transgressions diverses colorent en profondeur ce qui est l’aventure de toute adolescence, confrontation au désir, à la construction de soi et de ses relations aux autres, famille, amis, amoureux/ses…

Et très vite il saute aux yeux combien cette époque-là, qui n’est pas Mai 68 mais son onde de choc dans la société française durant un peu moins de dix ans, aura été si peu et si mal filmée. Phénomène d’autant plus étonnant que la période a été marquante, sinon décisive, pour plusieurs générations notamment de gens de cinéma (et de médias): disons, ceux qui avaient alors 15-18 ans, comme Assayas (et l’auteur de ces lignes), mais aussi ceux qui en avaient dix ou vingt de plus.

Il est sidérant qu’une période si particulière ait été si peu prise en charge par le cinéma français. Et qu’elle l’ait été si mal, lorsque cela a été le cas. Loin de l’antipathique ironie de Cédric Klapisch (Le Péril jeune) et de l’embarrassante maladresse de Ducastel et Martineau (Nés en 68), Assayas trouve d’emblée comment être avec ceux qu’il montre pour raconter une histoire dont on voit bien qu’elle est aussi la sienne, quoiqu’on sache de l’exacte biographie du cinéaste, et de la proximité avec son bref essai Une adolescence dans l’après-mai. Lettre à Alice Debord (Editions Cahiers du cinéma). Ici est gagné l’essentiel, qui tient tout entier à une certaine manière de faire du cinéma.

Au fond, cette manière-là n’a que faire de la distance avec la date à laquelle se situe le récit. Sans l’ombre d’une nostalgie, ni bien sûr la moindre idéalisation de l’époque, elle s’accomplit dans le temps de ce qu’elle montre, elle est avec ses personnages, leurs mots, leurs corps, leurs choix, jamais en avance ni au-dessus. Olivier Assayas, cinéaste résolument contemporain, en avait déjà donné l’exemple dans L’Eau froide, qui se passait à peu près au même moment qu’Après Mai, mais aussi dans Les Destinées sentimentales et Carlos, malgré tout ce qui par ailleurs distingue ces quatre films.

Dès lors, donc, il est possible d’entrer dans un flux toujours en mouvement, parfois rapide comme un torrent, parfois flâneur et disponible au farniente. Ce mouvement et ses variations ne sont pas «imprimés» au film, comme on dit, ils y naissent naturellement, comme le souffle s’accélère dans la course, la peur ou l’émotion, s’apaise dans l’attente ou la rêverie. Après Mai respire avec Gilles (Clément Métayer), son personnage principal, et c’est cette relation organique qui rend possible le naturel avec lequel peuvent être énoncées (et entendues) les formules coulées dans le plomb du militantisme de l’époque, l’évidence d’accoutrements et d’attitudes d’ordinaire frappés d’une sorte d’exotisme incompréhensible.

En voyant Après Mai, on réalise combien ce qui ont été les codes et les imaginaires d’une génération a été depuis frappé d’irrecevabilité. (…)

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4 commentaires pour “En envol”

  1. j-m je n’ai pas encore vue le film mais je trouve que tes questions sont les bonnes et qu’on sent un vrais désir de faire partager l’envie de voir ce film. Comme je trouve juste ta vision du travail d’Olivier, je n’ai qu’un regret c’est que tu ne parle pas du film de Garrel
    jean-henri

  2. Merci Jean-Henri. C’est en pensant au film de Garrel que j’ai écrit que celui d’Assayas ne porte pas sur Mai 68 mais sur les années 70. “Les Amants réguliers” est le grand film sur 68. amitiés.

  3. Oui, bonjour, euh… heureusement que le lecteur Jean-Henri est la pour nous rappeler… Philippe Garrel. On lit votre texte justement, Jean-Michel, et on se dit sans arret (en tout cas, je parle pour moi!) : va-t-il nous parler – enfin – de Garrel ? Et ça ne vient pas. Ou alors sous la forme de votre commentaire, apres coup. Mai 68, l’apres 68, il y a pour moi deux grands cinéastes qui ont traite de cela, et bien avant Assayas!, Philippe Garrel et Jean Eustache. Ce dernier, avec bien sur “La Maman et la putain”, est essentiel mais difficile a cerner, il parle de la libération des mÅ“urs via l’esprit 68 a l’Å“uvre (triolisme, vie de boheme, paradis artificiels…) tout en incorporant des saillies verbales qui pourrait le faire passer pour un… anar de droite. Et c’est justement ce qui fait le sel et la grandeur de sa “Maman
    et la putain”, ce putain de film-fleuve joue constamment le jeu des oscillations dialectiques, a l’instar de son titre. Mais quel film, quelle experience inédite en salles, quelle audace, quel dandysme. C’est l’un des grands films francais des annees 70, qui fait l’état des lieux des seventies tout en intégrant quelques focus, tres bien sentis, sur ses mirages, sa bouffonnerie d’apparat. Et il y a bien sur Philippe Garrel. Évidemment “Les Amants reguliers”. J’ai envie de dire, en forçant certes le trait, que c’est le “Barry Lyndon” sur les annees 68, tout y est, il y a a la fois l’espoir et le desenchantement, le noir&blanc et le Rouge, l’amour a mort et la trahison, la menace constante du retour a l’ordre et une sensualite débordante. A vrai dire, en voyant le dernier Assayas, une chose m’a frappe : il y a des passages qui sont carrément des copier-coller du dernier Garrel en date, “Un Ete brulant” ; des scènes, des propos (sur le hiatus entre l’art et la vie, la représentation et le reel, l’engagement politique et la bulle de la beaute) sont comme des reprises du dernier Garrel. Mais, pour développer cela, Assayas a besoin de tout un film alors que Garrel, en filigrane, et en quelques moments bien distribues, voire en loucede, évoque l’esprit Mai 68 dans “Un Été brulant”, sans en avoir l’air. De la difference pour moi entre un (assez) bon, quoique inégal, cineaste qui veut bien faire (au risque de tendre faire le cinema scolaire de brocanteur), je vous parle d’Assayas, et d’un grand cineaste qui garde l’esprit d’un mouvement, d’une ambiance, d’une époque, sans l’appliquer a la lettre, au risque d’ailleurs du ratage, du brouillon, de la rature, de la plume qui se casse. [Pour schématiser, Assayas est Claude Francois, Garrel est Serge Gainsbourg !] Le Garrel poétique l’emporte haut la main sur le didactique Assayas. Pour moi, “Apres Mai” garde un cote fâcheusement littéral, au meme titre que le dernier Walter Salles, “Sur la route” : on illustre la rage sans la faire passer ‘de l’interieur’ dans sa bande filmique. A l’inverse d’un Garrel ou d’un Eustache. D’ailleurs, regardez la photo mordorée, que vous mettez en ligne, du jeune couple dans la voiture, on la dirait sortie tout droit de “Sur la route”. Mettez la mignonnette Kristen Stewart a la place de la jeune fille du cliche (certes o combien ravissante) et on est dans la plate illustration du roman-uppercut de Jack Kerouac. Olivier Assayas surjoue sa jeunesse, ou court apres semble-t-il, ses derniers films – historicistes ? – me laissent perplexe, voire dubitatif. En tout cas, je reste a quai.

  4. Pardonnez-moi, mais chercher à opposer Assayas à Garrel et Eustache, c’est juste idiot, et terriblement superficiel. Eustache filmait dans l’époque, son film est indépassable sur ce plan, il ne bloque aucune autre hypothèse d’avenir, au contraire. Garrel sur 68, Assayas sur le début des années 70, dans l’exact sillage de ce film-là, construisent deux propositions aussi cohérentes et justes qu edifférentes. Encore heureux!

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