Cela commence comme une chronique familiale, qui bientôt se transforme en film noir, teinté de fantastique. Qui manipule qui ? Quel est le sens de ces échanges et de ces trafics – de paroles, d’argent existant ou promis, de documents, de sentiments ? Pour son premier film, Massoud Bakhshi construit avec un impressionnant mélange de rigueur et de liberté un récit tortueux, qui peu à peu montre qu’il raconte en effet l’intrigue du film, mais aussi bien davantage.
Quoi ? On ne dévoilera pas ici les ressorts dramatiques, mais une des dimensions essentielles d’Une famille respectable est de rappeler vigoureusement ce fait à la fois évident et partout occulté : l’Iran a une histoire. Que ce soit le traitement du pays dans l’actualité médiatique, où le pays semble figé dans une immédiateté presque toujours réduite à des schémas simplistes et à des traits folkloriques, ou dans la représentation qu’en donne le cinéma iranien, sous le signe d’un éternel présent, la réalité, la complexité et les effets de l’histoire de l’Iran contemporain sont pratiquement invisibles.
Il est d’ailleurs significatif que ce soient des Iraniens vivant à l’étranger qui seuls s’y confrontent. Il y a trois ans, Women Without Men de Shirin Neshat rappelait l’écrasement de la démocratie iranienne incarnée par le Dr Mossadegh à l’instigation des Américains et des Britanniques en 1953. Cette fois, ayant, lui, réussi à tourner en Iran, Bakhshi rappelle l’extraordinaire séisme qu’a été la guerre Iran-Irak, du temps où tous les Occidentaux à commencer par la France armaient Saddam Hussein pour bombarder les populations civiles, et les effets ravageurs de ce conflit sur la société iranienne, conflit qui aura laissé en ruine morale collective et rapport humains autant que villes rasées et milliers de jeunes gens massacrés.
Récit contemporain travaillé de l’intérieur par les souvenirs de la guerre, et des détournements (de fonds, d’image, de morale) qu’elle a suscité, Une famille respectable est un véritable film noir. C’est-à-dire un film à la trame tendue par un enchevêtrement de complots émaillés de meurtres et de coups de théâtre, mais surtout un film hanté.