Festival de Venise, prise N°2

Par les marges

(Il Gemello de Vincenzo Marra, Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa)

 

Deux expériences aux limites du cinéma ont marqué cette deuxième journée. Deux rencontres avec des objets qui, a priori, relevaient d’un autre univers, celui de la télévision, mais que l’approche de leur réalisateur réinstalle fièrement au cœur du cinéma. Le documentaire de Vincenzo Marra, Il Gemello (« Le Jumeau »), aurait a priori tout pour être un reportage de plus sur la vie dans les prisons. En s’attachant au détenu dont le surnom donne son titre au film, en semblant pouvoir rester à ses côtés quasiment en toutes circonstances et sur une durée de plusieurs semaines, Marra révèle au contraire une toute autre compréhension, un tout autre rapport à une situation à la fois convenue et offrant bien des possibilités de voyeurisme et de sensationnalisme. Sans doute ce garçon de 29 ans, enfermé pour 12 ans dans cette prison près de Naples, est un « personnage » étonnant – oui, personnage, comme dans les films de fiction. Encore fait-il savoir trouver la distance et la durée, être attentif à ses mots, à ses gestes, à ce qui se joue – et ne se joue pas – sur son visage, dans sa vois, à travers son corps. Et du coup, autour du Jumeau et de tous ceux auxquels il a affaire dans la prison, codétenus, gardiens, psychologue, mère et sœur en visite…, c’est bien davantage qu’un « témoignage » qui se met en place. Une sensation du temps, une relation à l’énergie de vivre, à la nécessité de s’organiser et de s’adapter à l’environnement, une mise en scène de la violence et de l’intelligence, de la ruse et de l’honnêteté, de l’instinct et de l’expérience qui se révèle incroyablement riche et vivante.

Télévision aussi, et plus encore, avec les 4h30 de Shokuzai (« Punition ») de Kiyoshi Kurosawa : il s’agit bien cette fois d’un téléfilm en cinq épisodes, pour la chaine Wowow. Mais de cette sombre histoire d’une meurtre d’une petite fille dans une école, et de la relation perverse nouée entre les copines de la victime et la mère de celle—ci, avec ses effets 15 ans plus tard, le réalisateur de Kairo et de Jelly Fish fait une aventure cinématographique étonnamment puissante et troublante. Cela tient à sa manière de défaire l’enchainement linéaire des causes et des effets, en une suite de péripéties centrées chaque fois sur un personnage, mais selon des cheminements si peu systématique que tout formatage de la réception par le spectateur est exclu. Cela tient à un art exceptionnel de la suggestion, du jeu avec le hors champ, avec l’apparition des images mentales comme fantômes, visibles ou non, avec une stratégie sur délicate du rapport à la peur, au désir, qu’elle suscite peu à peu des vagues qui balaient tout ce qu’il y avait de programmatique dans le projet. Et cela tient à une manière de filmer ses actrices, leur visage et leur silhouette, qui ne cesse de paraître les découvrir : magie de l’apparition qui fait directement à la magie de l’invocation qui est sa manière, circulant librement à travers le temps et la narration pour aller sans cesse à la rencontre de « quelque chose d’autre ». Quelque chose qui n’a pas de nom. Par où passe le cinéma.

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