Petit passage par le Festival de La Rochelle, qui fête son 40e anniversaire du 29 juin au 8 juillet. Haut lieu de ferveur amoureuse du cinéma, rencontres multiples et amicales, salut à Bertrand Bonello qui a animé ici un atelier dans une cité et retrouvailles enjouées avec Pema Tseden, poète cinéaste tibétain dont espère que les films seront bientôt distribués, avant une conversation publique que j’aurai la joie d’avoir avec Miguel Gomes, enchanteur du quotidien. On picore dans l’éclectique programmation. Entre un Walsh insurrectionnel et sensuel, complètement fou (La Rivière d’argent, 1948) et le nouveau et magnifique Aujourd’hui d’Alain Gomis, boum ! Le plus beau film du monde.
Je sais, j’ai déjà fait le coup, je n’arrête pas. Pas plus tard qu’il y a trois jours avec Holy Motors, ou il y a 10 jours avec Faust de Sokourov, et on ne sait combien de fois avant. Et alors ? Aller au cinéma, ce n’est pas être juge arbitre dans un concours de foire. C’est même l’exact contraire de ce médiocre esprit de compétition ! Quelle importance, la beauté, l’accomplissement sans réserve par d’autres films de tout ce qu’on est en droit s’attendre du cinéma, face à l’expérience, ici et maintenant, de la rencontre avec un film. A ce moment-là, on ne voit pas les autres, on le voit lui. Et ça va comme ça.
Donc, Les Hommes de la baleine est le plus beau film du monde. Absolument et sans réserve.
Documentaire couleur réalisé en 1956, à la main, avec une des premières caméra 16mm et les pêcheurs de baleine des Açores, film d’aventure extrême hanté par Dieu, Herman Melville et le combat de chaque jours des hommes, chorégraphie cosmique à laquelle une dentelle de mots composée par Chris Marker déroule un contrepoint comme une danse de l’esprit, pierre fondatrice de ce qu’on appellera ensuite de noms incertains et maladroits – « cinéma-vérité », « cinéma direct »…
Son réalisateur s’appelle Mario Ruspoli. Il a fait ce qui n’est devenu possible qu’avec l’invention de la DV, 45 ans plus tard. Poète et gastronome, aristocrate et pataphysicien, il a regardé et écouté les ivrognes, les fous, les docteurs, les paysans pauvres, les baleines et ceux qui les affrontent et les tuent pour ne pas mourir. Bientôt, ces merveilles multiples et diverses vont devenir accessibles en DVD. On attend.
Si “l’esprit de compétition” te dérange tant que ça, n’écris pas “le plus beau film du monde”, vu que sans compétition il n’y a plus de surperlatifs! Sois un peu cohérent avec toi-même…
Et alors? Moi, le plus beau film du monde, je le rencontre souvent, et ce n’est jamais le même. Cela aide à moins mal vivre, aussi.
Tu peux vivre mieux sans récupérer la rhétorique des “concours de foire” et t’en plaindre par la même occasion… Le beurre et l’argent du beurre!
Pour moi les plus beaux films que j’ai vu sont souvent des documentaires. Peut-être parce qu’on se dit “et en plus c’est vrai”, ou parce que tout d’un coup on se rend de toute la beauté et la magie qu’il peut y avoir dans le monde, même dans ce qui semble d’abord être le plus banal des quotidiens. Et pour répondre à Harry, je trouve ça très impressionnant qu’un critique de cinéma ayant vu des centaines et des centaines de films puissent encore s’exalter et aimer totalement un film, sans être blasé et tout en restant lucide sur ce qu’il ressent.
Je ne comprends rien à votre message. En cette affaire, il n’y a ni beurre, ni argent. Est-ce si difficile à comprendre? Votre énervement m’attriste.
c’est beau l’enthousiasme, Charlotte a raison, on voit tellement d’images, on pourrait finir blasé. On voit plein de films, de séries TV, le risque est d’anesthésier le regard, de tout niveler, il faut alors chercher les pépites, voir où se trouvent l’inattendu, la surprise, l’émotion…
J’ai pas vu ce doc sur les hommes et les poissons dont vous parlez ; bien entendu – et j’enfonce une porte ouverte ! – un doc peut transporter autant qu’une fiction : j’avais vu “Nénette”, sur l’orang-outan du Jardin des Plantes à Paris. Ce film m’a sidéré. Emouvoir par un vieil animal (une vieille femelle poilue capricieuse, genre à la Robert Crumb) qui nous renvoie à notre propre humanité, à notre propre solitude, à notre propre finitude. Un plan du film m’a ému jusqu’aux larmes : un pan de mur (léger recadrage je crois) montrait les traces des griffes de l’animal, à savoir son désir ô combien frustré d’échappée belle, d’échappement libre. Génial. J’ai été ensuite au Jardin des Plantes. J’ai vu Nénette derrière sa cage, se montrant à peine, j’avais moins d’émotion que devant le film “Nénette”. Comme quoi, l’art, quand il est puissant, transcende le réel ; où de l’art du cinéaste de construire un espace – le film – qui part du réel pour toucher la pensée, non pas une pensée enfermant le monde dans une signification, mais une pensée sensible, à la Jean-Luc Nancy, débouchant sur l’ouverture des sens et des possibilités.
Gardez cet enthousiaste Jean-Michel, c’est l’attitude (juvénile ? adolescente ?) de tous les possibles ; il est tellement tentant, à notre époque plutôt desenchantée et assoiffée par les requins froids de la finance, de voir dans le cinéma qu’une machine de plus pour faire du fric.
Mais il y a encore des Don Quichotte. Godard pour le pas le nommer (John Cassevetes, le bougre, en était un aux States). Mais aussi Leos Carax. FJ Ossang. Je comprends pas les faiseurs par contre. Soderbergh m’ennuie éperdument. Il filme de si loin. Voit-il encore les acteurs ? Sait-il encore qu’il filme ? J’en doute…