Ici et ailleurs. Dans ce contemporain de surveillance, d’omniprésence du spectacle et du contrôle, de traque des étrangers, de révolte qui peine à trouver ses codes et ses objectifs, au-delà du refus et de la beauté du geste. Et dans un monde intemporel, un espace poétique sans âge, celui de la jeunesse comme catégorie philosophique et d’un imaginaire graphique et poétique saturé d’échos, d’Antigone à Sid Vicious, de Rimbaud à Cocteau et à Philippe Garrel. Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval s’installe dans cette zone frontière, non pas entre deux mondes mais entre deux perceptions du monde, documentaire et onirique. Par les nuits et les ruelles, ils accompagnent un groupe de jeunes gens, poètes et activistes, qui évoquent les protagonistes maudits du Diable probablement de Robert Bresson, sans doute le plus terrible requiem des espoirs de la génération 68. Mais nous voici bientôt un demi-siècle plus tard.
Il ne reste rien des matériaux et des agencements d’alors, il reste ces deux tas informes, et qui ne communiquent pas. Ici la misère, la violence, la police, la soumission, la colère. Là l’Amour, la Jeunesse, l’Espoir, la Poésie. Klotz et Perceval cherchent à susciter avec des matériaux lourds quelque chose de très fragile, d’impalpable : un rêve tissé des malheurs du contemporain, expulsions, vidéosurveillance, et des mythes de l’humanité, racines plongées dans les violences archaïques d’Eschyle, et du vaudou. L’activisme d’un petit groupe d’adolescents, puis le vertige et les impasses d’un amour entre une belle rebelle et un sans-papier dans la ville de Lyon hantée de la mémoire des traboules résistantes, se composent en phrases, en tableaux, en scènes où les partis-pris esthétiques travaillent à faire contrepoids aux situations chargées de sens.
Ça s’envole, ou pas. Ça s’enchante, ou pas. Parfois ça danse vraiment. C’est difficile et touchant, y compris de sa difficulté même. La générosité est là, et la disponibilité aux vibrations qu’émettent ces corps si jeunes, si beaux, écartelés entre action et mise à distance, séduction et écart. Bleu comme la nuit et la peur, émouvant et instable, traversé de fulgurances inouïes, magnifié par une bande son venue de la face sombre d’une planète inconnue, Low Life se construit et se défait en même temps. Ses formules – politiques, magiques, artistiques – guettent des fusions improbables, des alchimies utopiques.
Voir le film, c’est en quelque sorte accompagner ses auteurs dans l’aventure même de son invention, de ses élans et de ses apories, de ses frémissements et de ses cris perçus comme d’une nécessité qui cherche sans cesse, trouve, ne trouve plus, retrouve vers quoi ils tendent, où se jouerait leur unisson, et leur montée en énergie, leur propre dépassement. A venir.
J’ai ” accompagné “N . Klotz mais avec d’ autres parfois difficiles à faire se dépasser:
Pardon Jean Michel mais de quelle jeunesse on parle. ? De cette jeunesse dorée ( les héros de Klotz ressemblent à des modèles Agnès B ) qui semble d’avoir découvert la politique en tombant quelque peu par hasard sur la misère du monde entre deux lectures à voix haute de poésie…euh je crois pas que ce soit celle là qui aujourd’hui s’engage, mais celle qui est victime comme leurs parents de l’exclusion, de la précarisation y compris des classes moyennes et dont le désarroi Espagne ou en Grèce plus qu’en France grossissent les rangs des indignés qui ont compris qu’il faut crever ce vieux monde et non le réformer. Les jeunes de Klotz font penser aux dames patronnesses de l’Angleterre victorienne qui se scandalisaient de la misère de Whitechapel.
Avec au passage la condamnation ridicule de la violence dans cette séquence où les jeunes héros vont au secours d’un policier qui prend feu et le soigne avec l’aide des sans papiers…N’importe quoi…Mais qu’il crame, le soldat de la répression inique ! Et puis qu’est ce qu’on a foutre pendant plus d’une heure de leurs atermoiements sentimentaux , de l’angoisse de l’héroïne qui se demande si elle doit aller en Israël…On dirait du BHL au cinéma qui questionne l’engagement des jeunes. Une heure avant de s’intéresser d’un peu plus près au quotidien et combat des sans papiers, qui n’étaient auparavant que des figures abstraites. Ce film est aussi gentillet et condescendant que le Indignados de Gatlif avec certes en plus un vrai talent de mise en scène tant gâché par ce sirop gluant de bons sentiments de gauche rive gauche. Quand on pense à Paria ou à la Blessure, on se demande quel mouche social démocrate a piqué Klotz Afficher la suite
Monsieur Jean-Jacques Rue
Comparer le cinéma des Klotz aux ratages de B.H.L est une insulte aux Klotz et au cinéma.
Ce film est loin d’être aussi gentillet que vous le pensez. Il ouvre par sa forme, la voie à une nouvelle critique, comme “Film Socialisme” de Godard. Il marque comme le dernier Godard, la fin de la mort du cinéma. Peut-être ne savez-vous pas encore en parler. Patience.
Etiez-vous de ceux qui soutenaient “Paria” et “la Blessure” à leur sortie ? Je vous rappelle que “Paria” était noté 0 pointé par les Cahiers à l’époque.
“Low Life” est la suite logique du travail des Klotz, c’est une fresque historique de notre contemporain, poétique plus que politique.
Laissez les dames patronnesses de l’Angleterre victorienne et retournez le voir. Peut-être le comprendrez-vous.
Bonjour Jean-Jacques
Il ne s’agit pas de “jeunesse dorée”, il s’agit de personnages de cinéma. Rien ne serait plus effrayant, et plus stérile, que l’exigence de ne montrer que des pauvres bien pauvres et bien sales pour croire faire un cinéma populaire, ou prolétarien, ou révolutionnaire. Cette idée du naturalisme réveille les pires remugles jdanoviens. Les dandys du jeune Buñuel, les anges de Cocteau, James Stewart ou Peter Fonda, Louise Brooks ou Anna Karina ont été des figures porteuses de rupture et d’interrogation radicale au moins aussi dynamique que la figuration littérale du pseudo “réalisme” qui n’est ici que son dévoiement naguère connu sous le nom de réalisme-socialiste. Les personnages de cinéma des Klotz sont des personnages de cinéma, qui se présentent comme tels. C’est un dispositif de représentation différent de ceux de “Parias” et de “la Blessure” (eux-mêmes différents entre eux), mais qui n’est pas moins une construction interrogeant ouvertement les principes de sa construction. En cela il me semble aussi légitime que disons le passage par un artiste d’une enquête documentaire à une mise en scène d’un spectacle de danse.
Quant à la scène où ils sauvent un type en train de brûler, il me semble qu’il est bien tard dans le siècle, dans les siècles désormais, pour rejouer sans frais la grimace de l’anti-humanisme, et de ses radicalités aux sanglantes aubes. Cela relève de ce qui nous enchaine, la pensée-réflexe, l’automatisme de la posture. Affronter la police, et les formes plus sophistiquées et perverses de défense d’un système inique et mortifère, sans perdre l’humain, c’est à dire sans absolu, est un peu plus compliqué – beaucoup plus compliqué, même. Mais indispensable, sous peine d’avoir déjà perdu.