La semaine dernière, le bien nommé Sport de filles vibrait de l’élan porté ensemble par trois femmes, la cinéaste Patricia Mazuy, l’actrice Marina Hands et le personnage, Gracieuse. Cette semaine, ce sont deux bataillons féminins qui prennent d’assaut les écrans, avec d’autres armes et d’autres énergies.
Juliette Binoche et Anaïs Demoustier dans Elles de Malgorzata Szumowska
Une réalisatrice polonaise, Malgorzata Szumowska, accompagnée d’une scénariste anglaise, Tyne Birckel, et d’une productrice danoise, Marianne Slot, mettent en scène trois actrices remarquables dans Elles. Au départ, il y a un « sujet » (aïe !) et une situation (re-aïe !). Le sujet, c’est la prostitution « amateur » pratiquée par des étudiantes pour payer leurs études, en France où se passe le film comme à peu près partout dans le monde (et plutôt davantage ailleurs, où les études sont nettement plus chères, en attendant que nos diafoirus aux manettes des éducations nationale et supérieure nous alignent sur les tarifs de la mondialisation marchande). La situation, c’est la rencontre entre une grande bourgeoise parisienne, par ailleurs journaliste d’un magazine féminin chic, et deux de ces demoiselles auxquelles elle veut consacrer un article, avec comme astuce de scénario que les deux jeunes putes, la paisible fille de prolos provinciaux et la survoltée immigrée de l’Est, vivent plutôt bien leur situation alors que celle qui a tout et ne demande qu’à compatir est névrosée et en pleine cata côté couple et enfants. Grosse machine socio-psycho-mélo, donc, heureusement en grande partie déjouée, ou surjouée, par les trois actrices précédemment citées.
Il faut finalement porter au crédit de Malgorzata Szumowska d’avoir laissé se déployer les vastes et profondes houles de Juliette Binoche, les précises et délicates risées d’Anaïs Demoustier, les éclats tranchants de Joanna Kulig. Les interprètes font ce que prévoit le scénario, jouent la contradiction portée à l’extrême entre la relation prévue et ce qui se déploie de trouble et de complexe dans les rapports aux corps, à l’argent, à l’image de soi chez les deux jeunes filles, achevant de détraquer la petite mécanique aliénante de la vie bourgeoise de celle qui prétendait les ausculter et, qui sans le dire, les avait jugées. On ne peut pas dire que le scénario brille par la finesse dans la caractérisation des personnages, les interprètes ne finassent pas avec ça, au contraire, elles se jettent dessus avec appétit, en remettent, la réalisation suit comme elle peut, descend dans la rue, dans le lit, dans le silence enfin. Sur son canevas schématique, le film se sature de présences, présences féminines sans aucun doute, mais où le pluriel souligne que cela ne saurait se résumer à aucune définition, bien au contraire.
Sur la planche de Leïla Kilmani
On change complètement de registre avec Sur la planche, sans hésiter le film le plus fort qui nous soit venu du Maroc depuis très longtemps, ou même du Maghreb depuis la découverte du cinéma de Tariq Teguia. Pas de sociologie appliquée ni d’horlogerie psychologique ici, mais une détonation d’énergie, une déflagration d’humanité, une fureur de filmer qui répond d’une fureur de vivre.
Une fille, deux filles, quatre filles, quatre femmes redoublées (les actrices, les personnages), et celle avec qui, grâce à qui toutes celles-là adviennent, la cinéaste Leïla Kilmani. Badia (Soufia Ismani, présence renversante) et sa copine Imane (Mounia Bahmad) travaillent, quasi-esclaves d’une conserverie de crevettes à Tanger. Dans la ville, étrillées à fond pour se défaire de l’odeur et du reste, relookées à l’arrache, elles se bagarrent et se marrent, arnaquent et trafiquent, se laissent draguer pour piquer tout ce qu’elles peuvent chez des plus riches, ou des moins pauvres qu’elles. Leur chemin croise celui de deux autres filles (Nouzha Akel et Sara Betioui), semblables et différentes, alliées et rivales, avec lesquelles elles tentent des coups plus audacieux, plus dangereux. Personnages et péripéties abondent dans Sur la planche, ils aspirés par le tonus vital de Badia et des autres, ce sont les brindilles et les buches de ce film-brasier, qui éclaire et brule, pétille et hurle. Leïla Kilani filme des guerrières dans un monde en guerre, en guerre contre les humains, contre le respect de soi, contre le droit de vivre. Badia, Imane, Nawal et Asma sont des héroïnes, pas au sens où elles seraient très gentilles et feraient tout bien, oh non !, au sens où elles sont l’incarnation d’une force qui ne rompt pas, qu’elles sont les visages et les corps d’un combat contre ce qu’on appela autrefois un destin, mais qui est bien clairement aujourd’hui, dans ce film d’aujourd’hui – l’aujourd’hui du Maroc et de pratiquement partout, sous des formes différentes – ce qu’il faut bien nommer la réalité. Quand la réalité est intolérable, les héros et les héroïnes se battent, à fond, à perdre le souffle et davantage.
Qu’y a-t-il à dire de plus au fait que ces films soient « des films de femmes » ? Je ne sais pas. Simplement en prendre acte.
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Cette année comme chaque année, mais cette année plus qu’une autre, les nominations pour les Césars [PDF] racontent un état du cinéma en France. Le «portrait de groupe» composé par les nommés est significatif par sa composition, comme du fait de ceux qui en sont exclus. Et dans sa composition, il faut considérer aussi bien ceux qui dominent que ceux qui sont marginalisés.
2011 aura été une année remarquable, du fait de la fréquentation record des salles, et avec au moins quatre films phénomènes: le triomphe commercial d’Intouchables qui vogue vers les 20 millions d’entrées, le triomphe médiatique et international (c’est-à-dire surtout aux Etats-Unis) de The Artist, et le succès considérable de deux jeunes réalisatrices, Maiwenn avec Polisse et Valérie Donzelli avec La guerre est déclarée.
Grâce à des modifications récentes du règlement, ayant porté de 5 à 7 le nombre de nommés comme meilleur film et meilleur réalisateur, la liste des candidats en lice pour la distribution de statuettes du 24 février reflète à peu près ces aspects saillants. Avec ce correctif que la comédie de Nakache et Toledano n’est pas représentée proportionnellement à son succès.
Comme toujours, il ne manquera pas de faux naïfs pour s’étonner que la fréquentation ne se traduise pas mécaniquement dans la distribution des prix, comme si ceux-ci n’étaient pas précisément destinés à faire prévaloir d’autres logiques. Comme toujours, il faudra répondre que s’il s’agissait de distinguer ceux qui ont eu le plus de succès, il n’y aurait nul besoin d’organiser un vote, il suffirait de regarder le box-office. Ceux-là, les faux naïfs, sont les mêmes qui pensent toujours que le marché devrait seul décider de tout.
Parmi les choix des 4.199 professionnels du cinéma électeurs des Césars, on peut noter le nombre particulièrement élevé de nominations (13) pour un film aussi racoleur que Polisse, qui déballe les ficelles les plus éculées de la sitcom en les pimentant de la souffrance des enfants, utilisée ici comme faire-valoir de manière particulièrement obscène.
C’est certainement le versant le plus antipathique du résultat d’un vote par ailleurs assez diversifié…
Sport de filles de Patricia Mazuy
La chevalerie, un roman de chevalerie. On croirait un jeu de mot, puisqu’il est question de chevaux dans Sport de filles, mais pas du tout. Que le cheval participe de cette relation à un genre et un esprit, celui qui galope de Lancelot à Don Quichotte, est une évidence, mais qui ne dit pas grand chose de l’énergie et du panache du film de Patricia Mazuy, très loin s’en faut. Ce qui frappe tout de suite, et ne se démentira jamais au fil des tribulations de la jeune femme passionnée de dressage, fille de paysan cherchant à s’imposer dans le monde hautain et vulgaire de la compétition équestre, se résume en deux mots, qui conviennent à une cavalière de haut niveau : du souffle et de la tenue. Mais cela vaudrait aussi pour une danseuse étoile, ou une cinéaste de grande classe (comme Patricia Mazuy), cela vaut pour chacun dans son existence, de diverses manières.
La manière de Gracieuse, le personnage interprété à la perfection par Marina Hands, est brusque et laconique. Elle veut ce qu’elle veut, elle ne plie pas même si elle est capable d’intrigue autant que de coups de force pour frayer son chemin au travers de l’infernal taillis qui l’entoure. Un taillis d’intérêts mélangés, qui tous s’expriment avec une violence sans fard : appétit de pouvoir, volonté de domination (ce qui n’est pas pareil), goût du lucre, orgueil et préjugés, mais orgueil d’abord. Le scénario enchevêtre notations sociales – certaines archaïques mais toujours d’actualité et pas seulement dans le milieu ultra-codé de l’élevage de champions d’équitation, certaines plus modernes (le rapport au spectacle) – et portrait d’hommes et de femmes aux prises d’innombrables démons, dont les moins affreux ne sont pas ceux de l’acceptation du quotidien, du repli sur une vie sans histoire. La vie de Gracieuse ne sera pas sans histoire, elle ne veut pas, toutes ses fibres tendent vers autre chose. Là est, d’abord, la tension chevaleresque qui porte le film, et en fait un grand film d’aventure, avec un héroïne comme dans les grandes fresques hollywoodiennes avec Errol Flynn ou Clark Gable. Lorsqu’un des rebondissements qui jalonnent sa quête la mènera à se nouer un bandeau sur l’œil, ce sera comme une évidence : l’accession au personnage qu’elle était déjà, et qui trouve soudain sa juste forme de fiction, avec cette apparence de pirate qui donne du relief à son maintien et affermit sa course.
On a dit, ici et là, que Bruno Ganz en maître dresseur désabusé retrouvant un sens à sa vie au contact de la passion de Gracieuse, ou Josiane Balasko en intraitable grande propriétaire de haras, étaient remarquables dans le film. C’est vrai. Ce sont de très bons acteurs, qui donnent ici la mesure de leur talent, des nuances et de la puissance qu’ils peuvent apporter à leur personnage. Mais ce que fait Marina Hands est d’une autre trempe, d’une ambition plus élevée, d’une force plus inexplicable. Comme la cavalière qu’elle interprète, la comédienne fait preuve d’une immense virtuosité (y compris, pour autant qu’un ignorant en la matière puisse en juger, lors des nombreuses scènes de monte), mais elle est bien davantage. Une présence, une lumière, une énergie, quelque chose qui n’a pas de nom mais dont la présence se ressent d’emblée.
Avec son air perpétuellement furieux (au temps pour les nuances), mais où vibre une inquiétude et un désir qui sont indistinctement charnels, politiques, enfantins, artistiques et « quelque chose d’autre encore », elle habite le film et l’emporte, de la Normandie à l’Allemagne, du conte d’initiation à l’épopée.
Tout ce qui vient d’être dit de l’actrice et de son personnage s’applique point par point à la réalisatrice, et à sa mise en scène. Quelque chose d’habité, de furieux et de précis à la fois, emballé par un souffle où se mêlent plusieurs souffles, voilà comment Patricia Mazuy filme. Huit ans après Basse Normandie, inoubliable saut d’obstacle documentaire en duo avec Simon Reggiani, cavalier émérite qui est ici scénariste et sûrement davantage, Mazuy retrouve le rythme d’un grand récit accessible à chacun, et pourtant habité d’une exigence – celle du personnage, celle du film – qui ne se compromet avec rien. Et je trouve ça beau.
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Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmèche
Cela se passe d’abord dans la lumière. Elle éclaire un paysage sans âge, cette histoire se déroulera ici, je veux dire sur notre terre. Aujourd’hui comme hier, comme il y a 250 ans ou à l’aube de l’humanité. Mais la lumière vibre, et avec elle la nature, et c’est un souffle qui sera celui de l’épopée. Avant de prendre d’autres sens, les « Chants » du titre font d’abord écho à ceux des grandes sagas, à l’esprit homérique.
Et puis presque tout de suite, cela se passe aussi dans la matière. La terre, le bois, le tissu, les végétaux. Et la chair des hommes est une matière parmi les autres. Et toutes les matières pèsent leur poids, résistent de leur dureté ou de leur souplesse.
C’est de là, de la lumière et de la matière, que nait le film, beaucoup plus que de la reconstitution d’une aventure historique plus ou moins légendaire. Sans doute le contrebandier Louis Mandrin a bien été roué vif le 26 mai 1755, après avoir défié les Fermiers généraux et les soldats de Louis XIV. Peut-être ses compagnons, ceux qu’il est sensé avoir vus « à l’ombre d’un buisson » au moment de mourir, ont-ils continué d’affronter le fisc royal et ses sbires. Qu’ils deviennent alors comme les visages et les corps, les gestes et les voix de tous les rebelles à travers l’Histoire, que, de coups d’escopette en barricades, leurs escarmouches avec la maréchaussée se transforment en affrontement immémorial des combattants de la liberté contre les forces d’oppression, cela adviendra comme naturellement, comme le fruit germe et s’épanouit.
Puisqu’autour des feux de camps ou dans le moulin à papier où s’impriment les pensées de la révolte, une même énergie court de regards en murmures et en cris. Les Mandrins ont composé les quatre « Chants » attribués à leur chef disparu, celui qui les mène désormais a inscrit son nom sur la couverture des libelles que le colporteur diffuse dans les villages comme il a inscrit son nom à l’affiche de son film : RAZ. Dans cette lumière, la même qui faisait vibrer les toiles de la grande peinture européenne du 18e siècle, il est comme la figure même du résistant qu’aurait peint un Francisco Goya seigneur et citoyen d’honneur du maquis.
Bien avant qu’on entende, scandée, psalmodiée, comme réinventée, la fameuse Complainte, qui n’a dès lors plus rien d’une plainte et plutôt quelque chose d’un péan, antique chant de combat, ou d’un poème free, autre chant de combat, Les Chants de Mandrin auront construit un étrange et puissant agencement d’évidence frontale et d’invocation mystérieuse. Frontale la manière de filmer les hommes, la nature, l’effort, dans un cinéma qui ne cille pas, appelle un chat un chat et par son nom l’injustice et le malheur que les hommes infligent aux hommes. Récit droit, gestes simples portés par une raison sûre, courage qui ne vacille pas, force du collectif et fermeté de chacun : oui le film dessine une utopie, se pose en éloge d’une idée-force sur laquelle il n’y a pas à transiger.
Sa vigueur et sa rectitude sont comme les montants solides par lesquels serait tendu l’écran imaginaire où se projettent toutes les colères et toutes les souffrances, toutes les mémoires et tous les espoirs de l’infinie saga de l’oppression, et de la résistance à l’oppression. Parce que ce qu’on voit et ce qu’on entend est clair et net, mais les échos ainsi suscités sont infinis et complexes, mouvants comme les mille chants des mille autres histoires, aventures, tragédies, élégies, des mille autres envols de l’affirmation d’un refus devant la fatalité du droit du plus fort, du plus riche et du plus puissant.
Le soldat blessé à rejoint les rangs des hors la loi, les chevaux ont semblé s’envoler dans un mouvement à la fois naturel et mythique, l’imprimeur à multiplié les paroles du bandit bien-aimé où le marquis libre penseur discerne les prémisses de la République. Péripéties et tribulations d’un film d’aventures, où la lumière et la matière font courir comme un animal aux multiples apparences, comme un esprit aux multiples incarnation, une idée rouge et ample, qui agite les arbres et fait trembler les voix.
Les Chants de Mandrin est une histoire sans âge inscrite dans une époque bien précise, c’est un conte mythique pour aujourd’hui. Et aujourd’hui lui répond, ouvrez votre journal, il est ici, et là, et encore là.
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Cela aurait dû être un mercredi de rêve pour cinéphiles. Ce sera plutôt un jour noir. Ce même 25 janvier sortent en effet au moins quatre films qui figurent, à bon droit, parmi les plus attendus par quiconque s’intéresse à l’art du cinéma contemporain.
Soit trois figures principales de trois générations de ce que le cinéma français a créé de meilleur depuis 40 ans, le nouveau film de Chantal Akerman, La Folie Almayer (photo), le nouveau film de Patricia Mazuy Un sport de filles et le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmèche Les Chants de Mandrin. A quoi il faut ajouter la découverte d’un film aussi remarquable sur le plan de ses choix de mise en scène que pour ses relations à l’actualité, Tahrir, Place de la Libération de Stefano Savona.
Et ce ne sont que les quatre œuvres à nos yeux les plus dignes d’intérêt parmi les 13 nouveautés, où figurent aussi une machine de guerre hollywoodienne (Sherlock Holmes 2), une –épouvantable– machine pseudo-auteuriste tout aussi formatée par Hollywood (The Descendants), deux autres mélos familialistes (Café de Flore et Les Papas du dimanche), une comédie familialiste (Jack et Julie), un autre film d’auteur français (L’Oiseau d’Yves Caumon, prometteur mais pas encore vu)… Et, en plus de ces 13-là, la ressortie de The Artist auréolé de son succès américain.
L’inévitable résultat de cette situation est une boucherie…
Le cinéaste grec Théo Angelopoulos est mort mardi 24 janvier, après avoir été renversé par un motard. Il avait 76 ans. Il était en train de tourner son quatorzième long métrage, L’Autre Mer.
Né à Athènes en 1935, il avait étudié en France au début des années 1960, d’abord la philo à la Sorbonne puis, brièvement, le cinéma à l’IDHEC, dont il est renvoyé en 1962. Rentré dans son pays, il s’y fait d’abord remarquer comme critique et activiste de gauche, jusqu’au coup d’Etat des colonels en 1967.
Dès ses premiers films, La Reconstitution en 1970 et Jours de 36 en 1972, il met en place les bases de son cinéma: une réflexion critique sur la situation politique de son pays, et de l’Europe contemporaine, s’appuyant sur des fictions historiques ou actuelles qui font échos aux grands mythes grecs.
C’est avec le film suivant, Le Voyage des comédiens (1975), auquel succèderont Les Chasseurs, Alexandre le grand, Le Voyage à Cythère, L’Apiculteur, que le cinéaste parfait le style original qui donne une puissance artistique et d’intelligence à cette approche.
Mercredi 25 sort en salle Tahrir, Place de la libération, réalisé par Stefano Savona durant les journées qui entrainé la chute de Moubarak. Film remarqué dès sa première présentation au Festival de Locarno en août dernier, film remarquable pour la perception à la fois claire et complexe qu’il offre de la “révolution” égyptienne, ce documentaire est aussi exemplaire des puissances du cinéma. Entretien avec son réalisateur:
« Avant les événements de janvier-février 2011, quelle était votre relation à l’Egypte ?
– J’y suis allé au moins une fois par an depuis pratiquement 20 ans. Depuis 1991, lorsque j’étais étudiant en archéologie, en égyptologie. C’était l’époque de la première guerre du Golfe, j’avais ressenti sur place une atmosphère, une intensité qui m’ont fait abandonner ma vocation d’enfance pour essayer de raconter la réalité contemporaine. J’ai d’abord décidé, au Caire, de devenir photographe. Et quelques années après, c’est à nouveau au Caire que j’ai compris que le cinéma était mieux adapté à ce que je voulais faire. Mais curieusement, alors que c’est certainement le lieu que j’ai le plus filmé, je n’étais jamais arrivé à terminer un film consacré au Caire, je n’arrivais pas à monter ces images. Je crois que c’était l’absence de liberté de parole des gens que je filmais qui m’empêchait d’organiser ces plans entre eux. La parole restait toujours bloquée sur le quotidien.
– L’expression politique est au centre de votre cinéma.
– Depuis Carnets d’un combattant kurde en 2006, je sais que ce qui m’intéresse est l’expression de la parole dans un cadre public. L’influence déterminante pour définir mon rôle de cinéaste vient de la lecture d’Hannah Arendt. J’étais parti filmer les combattants kurdes par curiosité, j’avais beaucoup lu sur la résistance italienne, ou L’Hommage à la Catalogne d’Orwell, Arendt m’a donné les moyens de comprendre ce qui relie ces différentes expériences, ce que construisent ces jeunes hommes qui s’en vont de chez eux pour s’engager dans une action politique armée. Palazzo delle Aquile, tourné dans un lieu dédié à la politique officielle envahi par ceux qu’on n’y entend jamais d’habitude, offrait une arène idéale pour filmer ça. Et puis évidemment la Place Tahrir m’est aussitôt apparue comme exemplaire.
– Vous avez été surpris par le déclenchement des événements en Egypte ?
– Complètement. Et mes amis égyptiens autant que moi, personne n’imaginait ça. Mais dès les premières informations il m’est apparu qu’on avait affaire à un mouvement politique de masse, avec une immense capacité d’expression, dans un espace délimité. Il était évident que je devais y aller, j’ai arrêté le montage sur lequel je travaillais et j’ai foncé au Caire.
– Vous êtes parti seul ?
– Oui, avec ma caméra. Heureusement j’ai bien choisi, j’ai pris la plus petite, qui s’est aussi révélée la meilleure pour filmer comme je voulais. Il s’agit de la Canon 5D, qui est en fait un appareil photo qu’on peut utiliser comme caméra. Je l’ai prise d’abord parce qu’elle passe inaperçue, qu’elle n’a pas l’air d’un matériel professionnel, ce qui simplifie le passage des contrôles. Mais je suis parti très vite, sans avoir fait d’essais – on ne peut pas faire des tests chez soi pour filmer la révolution… Cet appareil oblige à prendre des risques. Il m’a contraint à m’approcher de ceux que je filmais. Il me fallait reproduire le processus de focalisation qu’on a au milieu d’une foule, lorsqu’il se passe en permanence beaucoup de choses à la fois. L’esprit fait constamment un travail de sélection et de concentration, de toute façon il est exclu de tout voir. On ne voit que ce qu’on regarde. Aucune intention ne précède l’enregistrement. Dans une situation où on a, potentiellement, des dizaines de milliers d’interlocuteurs, il faut en permanence faire de tels choix, et les caractéristiques techniques de l’appareil m’ont forcé à aller encore plus dans ce sens. Très vite, j’ai compris que c’était avec mes pieds que devais construire la distance, pas avec des procédés optiques : aller vers ceux que je choisissais, m’approcher réellement à la distance voulue de ce que je voulais montrer. Mais mes méthodes de travail ont évolué pendant la durée du tournage, ça se voit dans le film. La beauté du documentaire est de s’inventer en permanence. On ne peut pas revenir en arrière, on ne peut pas refaire.
– Qu’est-ce qui vous frappe lorsque vous arrivez Place Tahrir ?
– La diversité des gens présents. On voyait qu’ils venaient de milieux sociaux et des régions différentes, des paysans, des étudiants, des grands bourgeois, des employés, des gens très religieux et d’autres pas du tout…. Et j’ai été frappé par la manière dont on pouvait circuler entre eux, dont eux-mêmes se mélangeaient, dès que quelqu’un dans un groupe disait quelque chose, quelqu’un venu d’un autre groupe venait lui répondre. Personne ne demandait l’autorisation pour prendre la parole, y compris entre des groupes qui, quelques jours plus tôt, ne se seraient jamais adressé la parole. Un autre aspect intéressant concerne la disparition de l’espace privé : la Place était véritablement à tout le monde. J’avais pris le rideau de douche de ma chambre d’hôtel pour dormir par terre, il faisait vraiment froid et je voulais m’isoler du sol avec ce rideau et le rabattre sur moi mais dès que je l’ai posé par terre un type m’a demandé s’il pouvait se coucher à côté. C’était évident.
– Vous avez trouvé rapidement comment commencer à filmer ?
– Que l’espace soit devenu collectif rend mon travail beaucoup plus facile. La caméra ne brise plus une intimité, elle a sa place, comme tout le monde. Il n’y a plus ce travail difficile, que requiert souvent le documentaire, de construire sa position, de se faire accepter, d’entrer dans un cercle privé.
– Connaissiez-vous déjà certains de ceux qu’on suit plus particulièrement ?
– Non, je les ai tous rencontrés en arrivant Place Tahrir, parmi beaucoup d’autres. J’ai choisi ceux-là à l’instinct. Je ne voulais surtout pas des archétype, des représentants de telle ou telle position ou définition. Le problème du documentaire aujourd’hui est qu’il doit décider à l’avance quelle histoire il raconte, et choisir ses personnages pour qu’ils représentent les composantes de cette histoire. Je voulais le contraire, la complexité et les contradictions de personnes qui ne sont pas des personnages. Je ne cherche pas à construire une description analytique, je ne fais pas du journalisme (qui est très utile aussi), je fais du cinéma. J’essaie de donner à partager une autre perception de l’événement. Fabrice à Waterloo est un mauvais observateur objectif des événements, mais Stendhal produit une perception de la bataille qui reste, et qui dit une autre vérité. C’est un peu ce que j’essaie de faire.
– Un des problèmes qu’affronte le film est de raconter une situation vécue dans l’ignorance et l’inquiétude en ce qui concerne sa durée et sur son issue, alors que les spectateurs connaitrons, eux, la réponse à ces questions.
– D’où la nécessité d’avoir ces moments d’opacité, d’attente, de tout ce qui troue le déroulement de ce qui n’était évidemment pas vécu comme se déroulant selon un scénario réglé, ou menant à une solution. Personne ne savait comment ça finirait, il fallait faire ressentir cela aux spectateurs même si eux connaissent l’issue. Il faut faire ressentir la grande incertitude qui a régné durant ces jours et ces nuits.
– Comment avez-vous réalisé la prise de son ?
– J’avais un petit enregistreur, fixé à la caméra. Comme j’étais seul j’ai d’abord cru que j’étais obligé de tout capter du même point. Ensuite, j’ai compris que je pouvais placer l’enregistreur ailleurs, au milieu de ceux qui parlaient même si je tournais à distance, souvent je le mettais dans la poche d’une des personnes qui parlaient. Quand ils discutaient entre eux j’aimais bien laisser un écart. Ils savaient que je ne parle pas arabe, donc ils ne parlaient pas pour moi, ma présence n’affectait pas leurs discussions. J’étais prêt à aller très loin dans la séparation entre image et son, à monter beaucoup de paroles off. Je pensais aux films sur les concerts rock des années 70, où on voit souvent la foule tandis qu’on entend la musique. Finalement je n’ai pas eu besoin d’aller si loin, mais ça m’a donné une grande liberté. L’enregistreur 5.1 permet une bonne perception des sons dans l’espace, il est important que les spectateurs sentent la multiplicité des ambiances sonores sur cette place immense où il se passait en permanence plein de choses différentes.
– Combien de temps êtes vous resté sur la place ?
– Deux semaines exactement, du samedi 29 janvier au samedi 12 février, le lendemain de la chute de Moubarak.
– Avez-vous beaucoup filmé ?
– Pas tellement, une trentaine d’heures : les contraintes techniques m’obligeaient à faire des choix. Il faut pouvoir recharger les batteries, et décharger les cartes mémoire dans l’ordinateur, laissé dans un hôtel, à quelques centaines de mètres mais qui était souvent inaccessible. Du coup j’ai dû prendre beaucoup de décisions en temps réel, ce qui est une bonne chose, on a une perception intuitive de la situation. Le film est vraiment né sur la Place.
– Le film réussit la gageure d’articuler sans cesse l’individuel au collectif. Dans l’excitation du moment, quelle a été votre stratégie pour y parvenir ?
– En choisissant, de manière intuitive, quelques personnes, et en les suivant pour voir où ils m’emmenaient. En leur demandant pourquoi ils allaient à tel endroit. Ils ont été moteur, ils m’ont lancé sur des voies qu’ensuite il m’est arrivé de suivre sans eux.
– Quelle a été leur réaction quand vous leur avez montré le film ?
– Ils se sont découverts différents : la lutte politique, l’action collective changent les gens. Le film les a rassurés sur la réalité de ce qu’ils avaient fait, ils m’ont raconté que depuis le 11 février souvent ils se demandaient s’ils n’avaient pas imaginé ce qui était arrivé.
(Une version légèrement différente de cet entretien figure dans le dossier de presse du film)
lire le billet«Duch, le maître des forges de l’enfer», de Rithy Panh
“Kamtech veut dire détruire, détruire le nom, l’image, le corps. Tout.» Il rit. Lui qui pendant des années a pratiqué ça, «kamtech», à grande échelle, méticuleusement. Est-ce son rire le plus effrayant, le plus troublant? Peut-être. Duch, tortionnaire en chef du régime khmer rouge, commissaire politique du camp de torture et d’extermination S21, est face à la caméra de Rithy Panh. Il est… incroyablement humain.
C’est ça qui est atroce, à la limite de l’insupportable. Il raconte ce qu’il a fait, d’où il est venu, biographie, arrières plans politiques et idéologiques, trajectoire biographique. Il explique calmement. A un moment, brièvement, il sera question de possible pardon, mais de regrets, jamais. D’oubli volontaire, de capacité à effacer ou enfouir des souvenirs, ça oui!
Dans Le Monde des Livres du 12 janvier, Jean Birnbaum soulignait le piège du rire des bourreaux. Il a raison, et c’est l’une des dimensions les plus passionnantes, et les plus éprouvantes, du film de Rithy Panh de ne pas faire comme si cette séparation entre criminels de masse et gens ordinaires, donc entre lui et nous, existait d’emblée, de ne pas faire non plus comme s’il pouvait, lui, le cinéaste, faire tout seul ce nécessaire travail de séparation.
Non, tout le monde n’est pas prêt à devenir un assassin de masse. Mais oui, tout ce que décrit Duch, avec un mélange de ruse et de fatalisme, vient de ce que les humains ont tous en partage. Qu’est-ce qu’un monstre? Est-ce un être radicalement différent, ou un être chez lequel certaines caractéristiques communes à tous sont déformées et disproportionnées? Duch n’est un monstre que selon cette seconde acception.
Du 20 au 29 janvier a lieu le 24e Festival “Premiers Plans”, une des meilleures manifestations cinématographiques de ce pays, qui en compte pléthore. A côté de sa compétition d’oeuvres de jeunes réalisateurs européens et de multiples autres et judicieuses programmations, le festival dédie cette année une rétrospective à Jean-Luc Godard. On dira que ce n’est pas très original. On aura un peu raison et complètement tort. Raison, parce que Godard, le nom de Godard est un des mieux connus de quiconque s’intéresse même vaguement au cinéma, aux arts, à la culture. Tort parce que les films sont peu ou pas vus. Tort parce que “l’image de marque” a recouvert le travail immense accompli durant plus d’un demi-siècle. Tort parce qu’une des caractéristiques d’Angers est d’attirer en très grand nombre de jeunes spectateurs, lycéens et étudiants. Et qu’il serait débile de croire que “Godard, ils connaissent.” Et qu’il y a d’abord et surtout du plaisir à découvrir ces films, les plus connus et les autres. Et que très vite on se rend compte que les autres spectateurs, les moins jeunes, les plus cultivés, eux-non plus ne connaissent pas vraiment, ou qu’on a oublié, simplifié, figé. D’où ce petit texte, rédigé pour le catalogue du festival.
Tout de suite, il a été le cinéaste le plus célèbre de son temps. Parce que ses films étaient drôles, étaient beaux. Parce que ses films flanquaient drôlement la panique dans les habitudes des réalisateurs et des spectateurs, et en beauté. Et parce qu’on a aimé ça, à ce moment, le changement, l’invention, l’expérience de la nouveauté. La Nouvelle Vague, disait-on.
Lui, il disait qu’avec ses copains des Cahiers du cinéma ils faisaient déjà du cinéma dans les années 50, mais avec leur stylo faute d’avoir accès aux caméras. Mais lui seul, ensuite, ferait encore et toujours de la critique, en réalisant des vrais films.
Il a été amoureux, farceur, en colère, chercheur, mélancolique, et toujours c’était avec une caméra, et voilà que c’était les films eux-mêmes qui étaient amoureux, déconnants, furibards, attentifs et studieux, désespérés, comme jamais films ne l’avaient été.
En huit ans (1960-1967) il a réalisé quinze films plus étonnants les uns que les autres. On l’a interdit, insulté, semi-déifié et souvent défié. Rythme d’enfer carburant à l’amour éperdu du cinéma, à la pulsion de miser toujours davantage sur ses puissances. Et puis banco, le tout pour le tout, et cassure.
68. Il fallait changer le monde. A ses yeux, seul le cinéma était assez grand, assez beau, assez juste pour accomplir cela. Mais pour cela il devait se réinventer, et par là le monde lui-même se réinventerait. Il a cru ça, il a tout brûlé au nom de ça, lui qui avait tout.
Il se trompait. Et il y avait dans sa manière de se tromper plus de courage, plus de générosité et plus d’espoir que chez ceux qui eurent raison. L’exigence de tout vraiment transformer, de casser les principes essentiels d’une machine quand même inventée par des patrons d’industrie et mise en forme par des commerçants et des comptables le laissèrent sur la grève, qui ne fut pas générale, pas du tout. Sur la barricade d’un autre possible cinéma, il s’est battu et est tombé. Cela s’appelle l’honneur.
En douze ans (1968-1980) il avait travaillé, avec d’autres, à 20 ou 25 projets, essayé, questionné, attaqué, défendu.
Tombé, il s’est relevé, il est revenu vers les autres, les autres gens et les autres films, comme on avait continué de les faire. 1981-1995, il s’est inventé une place impossible, artisan précis dont les fabrications construisent le questionnement de ses manières de travailler. Ça valait pour lui, Passion, Marie, Carmen… Sauve qui peut !, Hélas… ça valait pour tous les autres, mais les autres… Et puis il est arrivé ça : il avait combattu bien des ennemis, toujours plus forts que lui. Il avait souvent perdu, pas toujours, mais à la fin si, quand même. Voilà qu’il en rencontrait un nouveau, pire. L’ennemi s’appelait JLG. L’époque était aux marques, aux logos. Contre ce qu’il essayait de reconstruire, c’est sa propre labellisation, indexée sur la gloire d’A bout de souffle, du Mépris et de Pierrot le fou comme des actions sur le cours du pétrole, qui se dressait contre ce qu’il voulait faire. JLG devint une vedette, et l’ensevelit. On mettait JLG en couverture des journaux, on se répétait ses bons mots, ça finissait de dispenser de voir ce que lui faisait, ce qu’il fait, au présent, toujours au présent. En 2012, on en est encore là.
Dans le siècle qui finissait, il a inventé la grande machine à penser ce siècle, Histoire(s) du cinéma, avec dix ans d’avance sur les machines numériques, avec la sensibilité en lieu et place de l’ « interactivité ». Il marche dans les montagnes suisses, il vole en esprit aux côtés de ceux qui combattent à Sarajevo, il entend les voix qui reviennent des grottes de la Résistance, des décombres de Sabra et Chatila, il en fait des images qui crient, des couleurs qui chantent, des poèmes à regarder dans le noir.
Il est triste souvent, c’est vrai. Mais ses films ne sont pas tristes, ils ne peuvent pas. Même habités du deuil de ce qui a été trop aimé, trop espéré, ils ne savent pas ne pas rayonner de la beauté inouïe d’un arbre dans le vent, d’un visage dans la lumière, de la rencontre d’un accord de musique et d’un sourire. C’était comme ça avec l’insolence de Belmondo A bout de souffle, c’était comme ça lorsque Michel Subor voyait pour la première fois Anna Karina dans les rues de Genève, c’était comme ça lorsque la grosse caméra Mitchell glissait sur les rails du travelling sous l’autorité de Fritz Lang, c’était comme ça lorsqu’Anne Wiazemsky croisait les Panthères noires pendant que les Stones cherchaient Sympathy for the Devil, quand montait la chanson à la fin de Numéro 2, c’était comme ça lorsque Nathalie Baye dévalait la route ou qu’Isabelle Huppert suivait des yeux le camion dans les rues ou que la photo d’un enfant songeur soudain nous regardait, de sa place qui n’est pas la nôtre. La serviette jaune de Marushka Detmers. Le petit chapeau d’oncle Jean. Le lama dans la station service. C’est comme ça. Cela doit-il être ? Cela est !
Il s’appelle Jean-Luc Godard. Ce n’est pas très important. Mais les films, oui. Toute cette marée furieuse a enfanté à travers les années ces choses-là, les films. Ces « choses » furent extraordinairement de leur temps, elles sont du nôtre. Drôles, étranges, furieuses, dérangeantes. Ceux qui ont vu ces films n’ont pas d’avance sur les autres, ils restent sans fin à découvrir.
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Rien de plus trompeur que l’apparente simplicité de ce genre redevenu à la mode, le biopic. Racontant la vie du fondateur du FBI, Clint Eastwood ne cesse de multiplier les sources de trouble, en un exercice vertigineux d’autant plus étrange qu’en surface, le film semble plutôt statique.
Le choix d’Edgar Hoover comme personnage principal est déjà une gageure dès lors qu’il est clair qu’il ne sera l’objet ni d’une héroïsation ni d’une descente en flamme. Il est en effet très difficile d’accompagner pas à pas la vie d’un personnage sans jamais le condamner ni prendre son parti, mais en mettant en lumière de multiples pratiques, dont beaucoup sont clairement condamnables, tout en choisissant de se tenir à ses côtés plutôt que face à lui, dans une posture de juge, ou à ses pieds en situation d’admiration.
Cette difficulté est décuplée par la longévité de Hoover à la tête de l’agence de police fédérale qu’il a créée en 1924 et dirigée jusqu’à sa mort en 1972. Elle est évidemment retravaillée par la brutalité et souvent l’illégalité des méthodes employées, par l’homosexualité honteuse d’un pourfendeur de toute «déviation», par la relation de dépendance d’Edgar à sa mère. Et encore par un thème devenu cher à Eastwood au moins depuis Mémoire de nos pères, la manipulation des médias par le pouvoir, et du public par les médias.
Enfin (mais la liste n’est pas limitative) par la claire volonté de rapprocher les méthodes expéditives de Hoover de plus récentes atteintes à la démocratie au nom de menaces intérieures et extérieures, notamment sous le signe du Patriot Act. Sur tous ces aspects, le film ne recule pas devant l’immense masse de situations, d’objets, de rapports humains à prendre en charge.
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