Ce mercredi 28 sort en salles Ceci n’est pas un film, le très beau nouveau film (si, si!) de Jafar Panahi, coréalisé avec Mojtaba Mirtahmasb. On a écrit l’importance cinématographique de ce geste de liberté, découvert lors du dernier festival de Cannes. Ceci n’est pas un film est sans doute le plus beau film iranien sorti cette année, année qui aura été marquée par une exceptionnelle présence des réalisations de cette origine sur nos écrans.
Depuis la découverte du grand cinéma iranien au début des années 1990 grâce à Abbas Kiarostami, plus tard Mohsen Makhmalbaf et Abolfazl Jalili, jamais les films de cette origine n’avaient autant attiré l’attention. Plusieurs phénomènes ont concouru à ce spectaculaire engouement, qui est aussi à bien des égards un leurre sur la réalité du cinéma dans ce pays.
Le premier phénomène, extra-cinématographique, tient à l’omniprésence de l’Iran dans l’actualité, le plus souvent pour les pires raisons qui soient: répression impitoyable des opposants, écrasement des velléités démocratiques, où les cinéastes ont payé un lourd tribut, en outre mieux médiatisé à l’étranger où ils bénéficient de davantage de relais.
Jafar Panahi dans son film Ceci n’est pas un film, où il montre des images d’un autre de ses films, Sang et or.
On avouera être allé assister à Ceci n’est pas un film cosigné par Jafar Panahi surtout par solidarité, par acquit de conscience, par conviction que l’existence d’un tel film et le fait qu’il soit montré à Cannes étaient en soi une victoire. Mais sans grande attente à l’égard d’une réalisation tournée sinon clandestinement (que le régime iranien ait pu ignorer sa fabrication n’est pas crédible), du moins dans des conditions de contrainte extrême, et essentiellement avec une visée de manifeste. D’où la très heureuse surprise de découvrir un des meilleurs films auxquels est associé le nom de l’auteur du Ballon blanc, du Cercle et de Sang et or, cette fois en compagnie de son acolyte Mojtaba Mirtahmasb.
Réalisé dans l’appartement du réalisateur sous le coup d’une double condamnation (6 ans de prison, 20 d’interdiction de tourner et de sortir du pays), condamnations dont il a fait appel, attendant un verdict qui ne vient pas, Ceci n’est pas un film se révèle une œuvre inventive, critique des dispositifs du cinéma lui-même autant que de l’inadmissible situation imposée au cinéaste.
Le film se passe de l’aube au milieu de la nuit d’un jour pas comme les autres, le 15 mars qui fut cette année jour et surtout nuit de la Fête du feu, réjouissance populaire traditionnelle inspirée du soubassement zoroastrien de la culture iranienne, donc mal vue du pouvoir puisque non-musulmane, et de surcroit cette année mise à profit par les opposants, et violemment réprimée. A la télévision, rien de ce qui se passe dans les rues de la ville, mais les images d’une autre et monstrueuse catastrophe, le tsunami qui frappe le Japon. Isolé du monde mais relié par le téléphone, la télé, ce qu’on voit et entend par les fenêtres, Panahi met en scène avec malice et exigence sa propre situation, ses impasses et les espaces qu’il peut encore occuper, y compris en relation avec ces multiples profondeurs de champ. Flanqué d’un sympathique mais impressionnant iguane domestique qui apporte une touche d’étrangeté tour à tour comique et un peu inquiétante, il explique sa situation de condamné dont la sentence n’est pas encore exécutoire, et utilise des extraits de certains de ses précédents films (Le Miroir, Sang et or) pour mieux interroger sa place actuelle, politiquement et artistiquement.
De l’évocation de ses projets de film systématiquement interdits à la reconstitution in abstracto, sur le tapis de son salon, du décor d’un film qu’il aurait tant voulu tourner, des échanges politiques avec ses amis et soutiens (dont la grande cinéaste Rakhshan Bani-Etemad) au dispositif intrigant qui nait quand Panahi utilise son téléphone portable pour filmer, et notamment filmer Mirtahmasb en train de le filmer.
A l’évidence Panahi trace ici de nouvelles voies en partie inspirées des explorations de son mentor Abbas Kiarostami, notamment avec Close-up, Ten et Shirin. Mais à Cannes une autre référence, moins prévisible, s’imposait : de la manière la plus improbable, Jafar Panahi recroise la procédure mise en place par Alain Cavalier dans Pater, lorsqu’il échangeait les rôles avec Vincent Lindon, avant, là aussi, de se filmer l’un l’autre, dans un champ contrechamp rieur et intempestif.
Pas question, évidemment, de comparer la situation à Paris et à Téhéran. Mais malgré ces contextes différents, finalement des gestes similaires, gestes de liberté, de rupture avec l’emprise des places instituées (dirigeant/citoyen, réalisateur/acteur, etc.) qui attestent de la capacité d’authentiques cinéastes à mettre en jeu de manière créative leur place et leur rôle social, d’une manière qui (là aussi si différemment) est un défi manifeste à l’ordre du récit, de la fiction, de la définition des positions assignées à chacun – comme Panahi est assigné à résidence. Et Alain Cavalier est par excellente le réalisateur qui aurait su filmer aussi bien (quoiqu’autrement) l’étonnant voyage en ascenseur avec lequel se termine Ceci n’est pas un film. Ce titre est à la fois affirmation de sa forme singulière (ce n’est en effet pas un film comme les autres) et pied de nez en forme d’apparente soumission aux juges qui ont condamné Panahi à ne pas faire de films. Puisque Ceci n’est pas un film est bien du cinéma, et du meilleur.
NB : Ce texte est une nouvelle version de la critique publiée sur le blog Cannes de Slate lors de la présentation du film en mai 2011.
NB: Depuis le 17 septembre Mojtaba Mirtahmasb est à la prison d’Evin de Téhéran. En même temps que lui ont été arrêtés quatre autres cinéastes et la productrice Katayoon Shahabi.
lire le billetDu 26 septembre au 2 octobre, le Festival Biarritz Amérique latine célèbre son 20e anniversaire. Ces vingt années auront été celles d’une éclosion majeure dans le monde du cinéma, même si elle n’a pas attiré toute l’attention qu’elle méritait. Pour qui observe avec quelque curiosité la planète cinéma, un événement aussi récurrent que réjouissant est l’irruption, le plus souvent inattendue, d’un nouveau pays sur la dite scène internationale. L’Iran, la Chine, la Corée, puis dans une moindre mesure la Thaïlande, les Philippines et la Malaisie, ont scandé la montée en puissance de l’Asie comme terre de création aussi bien que comme marché. En Europe, c’est la Roumanie qui a tenu ce rôle un moment, et, en Amérique latine, l’Argentine puis le Mexique se sont distingués un moment. Beaucoup moins facilement reconnaissable et médiatisable, c’est d’un phénomène plus vaste et plus profond qu’il est ici question.
Au-delà des cas argentin et mexicain, on assiste en effet à une montée en puissance de l’ensemble du monde latino-américain, même si la multiplicité des pays, des auteurs, des styles et des sources d’inspiration gêne la reconnaissance du phénomène comme un tout. Pourtant, grâce aussi à des manifestations spécialisées comme Biarritz ou son aîné toulousain, les Rencontres Cinémas d’Amérique latine de Toulouse, dont la 24e édition se tiendra du 23 mars au 1er avril 2012, grâce aux Rencontres de Pessac, aux Reflets de Villeurbanne, au Festival des 3 Continents de Nantes et aux grands festivals internationaux à commencer par Cannes, Berlin et Locarno, les amateurs du monde entier peuvent vérifier cette émergence. Parmi les récents temps forts, le Léopard d’or à Locarno pour Parque Via du Mexicain Enrique Rivero en 2008, l’Ours d’or à Berlin de La Teta asustada de la Péruvienne Claudia Llosa en 2009… Cette émergence est également relayée par la multiplication des festivals en Amérique latine même.
Dans quelle mesure est-il légitime d’englober le Brésil et le Nicaragua, le Chili et le Mexique, l’Argentine et Cuba dans le même sac continental ? Faute d’une meilleure réponse, disons que les intéressés eux-mêmes le revendiquent, et que la conscience collective d’une appartenance latino-américaine se manifeste dans le cinéma, malgré la diversité des situations. Cette dimension collective n’est d’ailleurs pas évidente dans les films eux-mêmes, d’une grande diversité même si on peut souvent y repérer l’influence d’une forme de lyrisme teinté de fantastique qui fait écho aux traits dominants (à nouveau en simplifiant beaucoup) de la littérature latino-américaine.
Si ni la Colombie, ni l’Equateur, ni le Pérou, ni l’Uruguay, ni le Venezuela ne se sont pour l’instant imposé comme pays majeur du cinéma, chaque année on découvre des films d’une ou deux de ces origines, chaque année l’un ou l’autre obtient une récompense dans un grand festival généraliste, une distribution dans les salles françaises…
Trop vaste et trop diffus pour focaliser l’intérêt médiatique, dépourvu de chefs de file incontestables qui incarneraient le mouvement (comme l’ont été Abbas Kiarostami pour l’Iran, Zhang Yimou puis Jia Zhang-ke pour la Chine, Hou Hsiao-hsien pour Taiwan, Pablo Trapero, Lucrecia Martel et Lisandro Alonso pour l’Argentine, Alejandro Iñarritu et Carlos Reygadas pour le Mexique, Chritian Mungiu et Cristi Puiu pour la Roumanie) le processus pourrait être aussi plus durable, et à terme plus fécond que les processus qui trop souvent laissent quelques grands artistes esseulés, quand la vague d’intérêt se retire ou s’oriente ailleurs.
Les Acacias de Pablo Giorgelli
A Biarritz, il est significatif de retrouver en ouverture un premier film, le très beau Les Acacias de l’Argentin Pablo Giorgelli découvert à Cannes où il a obtenu la Caméra d’or (sortie annoncée le 4 janvier 2012), suivi des Raisons du cœur, nouveau film du vétéran mexicain Arturo Ripstein, exemplaire de ceux qui malgré bouleversements et traversées du désert maintinrent haut la bannière du cinéma latino, avec plus de 50 films dont de grandes œuvres comme Le Château de la pureté, Carmin profond, L’Empire de la fortune, Principio y Fin, Asi es la vida… De l’autre côté de cette mauvaise passe qui a duré trop longtemps, il y avait l’actuelle floraison.
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Robert Hébras refaisant son trajet dans les rues d’Oradour, 67 ans après le massacre du 10 juin 1944 auquel il a survécu.
Rarement un titre de film aura défini aussi bien non pas son sujet mais son enjeu. Le documentaire de Patrick Sérodie se construit en effet autour d’une expérience au long cours dans l’onde de choc d’un événement aussi bref que brutal. Cette expérience au long cours, c’est celle de Robert Hébras, une des quatre personnes qui survécurent au massacré perpétré par des soldats de la division SS Das Reich le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), faisant 642 victimes. Et cette expérience, c’est aussi la nôtre, Français, européens, humains qui ont vécu le plus souvent sans y penser dans l’après de ce temps d’horreur dont Oradour est aussi un emblême.
L’autre survivant encore de ce monde, Jean-Marcel Darthout, contribue lui aussi au film, mais c’est bien autour de la figure et du parcours de Robert Hébras que celui-ci se construit. Il accomplit deux opérations, intelligemment solidaires. La première consiste en la remise en récit de l’événement lui-même, sur les lieux conservés en l’état du massacre. Les ruines désertes, la simplicité des lieux comme de la parole du témoin, le caractère strictement factuel de son récit, même l’utilisation, inhabituellement respectueuse et modeste, d’images de synthèse concourent à offrir une perception complexe et vivante d’un événement que son horreur même menaçait de noyer sous un lyrisme doloriste qui fige et éloigne. C’est bien le travail conjoint du réalisateur et du témoin qui retrouve la réalité d’un drame, plus forte que la mythologie qui, inévitablement – et à bien des égards, légitimement – l’accompagne.
Mais surtout la qualité de ce récit fonde la mise en histoire des processus complexes qui s’enclenchent ensuite, et qui traversent les décennies. Processus mémoriels, politiques, pédagogiques. Questions patrimoniales et de gestions des traces matérielles et immatérielles. Stratégie commémorative mise en place par De Gaulle dès mars 1945. Affrontements dont on a oublié combien ils furent violents, quand l’Alsace et la Lorraine entrèrent en quasi-insurrection après la condamnation de « malgré-nous » ayant participé au massacre au procès de Bordeaux en 1953, obtenant de l’Assemblée nationale une amnistie vécue comme une insulte par tout le Limousin, haut lieu de la résistance. Les scansions de la construction de l’Europe, et le rôle décisif de Willy Brandt. Les étrangetés de la couverture (et de la non-couverture) par les médias, principalement par la télévision française. Le rôle désormais d’Oradour comme lieu de réflexion sur la barbarie, mise en lumière dans le film par la visite des maires de Sarajevo et de Srebrenica. Mais aussi, sur le plan personnel, la dimension obsessionnelle, au limite d’un dispositif de cinéma fantastique, qui astreint un homme à reparcourir sans fin ces rues vides et détruites,
En restant au plus proche de la vie de Robert Hébras, qui depuis qu’il est à la retraite consacre tout son temps à partager cette mémoire douloureuse où il n’a renoncé à chercher du sens, notamment avec des scolaires de multiples origines (y compris des lycéens allemands), Une vie avec Oradour se déploie en de multiples ramifications, porteuses de questions toujours vives autant que d’informations et d’émotion.
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Quatre mois après l’avoir découvert au Festival de Cannes, l’envoûtement suscité par le film de Bertrand Bonello est peut-être encore plus puissant que sur le moment. Il est possible d’en énoncer les composants : la beauté hypnotique des plans de la chef opératrice Josée Deshaies, l’élégance généreuse avec laquelle sont montrés les visages et les corps des jeunes femmes (il est ici question à la fois des personnages de prostituées et des actrices qui les interprètent), l’extraordinaire alliage de douceur et de violence qui se tresse au cours du film, avec des puissances extrêmes marquées de signes contradictoires, ou encore les ressorts d’un récit qui, en racontant la vie d’un bordel au tournant des 19e et 20e siècle, donc aussi au moment de la naissance du cinéma, vibre des terreurs de l’ère qui commence plus encore que de l’oppression datée du Paris bourgeois de l’époque.
Mais cette énumération échoue à dire ce qu’est L’Apollonide, souvenirs de la maison close. A la fois visionnaire et méticuleux, prêt à d’inattendus décalages – dont la splendide musique entre blues et jazz, si étrangement appropriée – le film se construit dans une singulière relation au très connu (l’immense littérature et iconographie de la prostitution, également dotée d’une filmographie bien nourrie) pour donner naissance à un être de cinéma à nul autre comparable. Etre de lumières et d’ombres, de mouvements et de contrastes, de vibration des chairs et des regards.
Quelque chose d’essentiel se joue dans la convergence de deux choix techniques, l’usage du film analogique plutôt que du numérique et la décision de tout tourner à l’intérieur d’une véritable et unique maison entièrement décorée comme un bordel Belle Epoque, y compris les parties privées. L’effet de présence devenu désormais rare que permettent les images enregistrées sur pellicule, notamment dans le filmage des infinies nuances de la peau humaine, et la composition des circulations, contiguïtés et oppositions, dans l’espace et le temps, qu’autorise cette unité de lieu, engendrent une relation au film qui excède les enjeux et sujets de ses séquences prises une par une. Comme pour toute grande œuvre, ces choix font de l’ensemble bien davantage que la somme de ses parties, aussi belle soit chacune d’elles.
Huis clos dont les effets sont renforcés par l’unique échappée dans l’écoulement du film, L’Apollonide se construit de manière comparable à la musique composée, comme toujours, par Bertrand Bonello pour son film : un jeu de nappes (sonores, visuelles) glissant doucement les unes sur les autres, une construction étonnamment solide dont les composants sont d’une ferme beauté et parfois d’une puissance tragique, mais dont le mortier qui les joint serait de nuage et de vent. Depuis 1998 et Quelque chose d’organique, son premier film injustement méconnu, et avec Le Pornographe, Tirésias et De la guerre, mais aussi les courts My New Picture et Cindy the Doll is Mine, Bonello construit une œuvre de cinéaste a certains égards comparable à celle d’Ingmar Bergman : l’exploration des zones les moins visitées de l’âme humaine grâce à des outils de cinéma parmi lesquels le romanesque, la métaphore et la présence des acteurs occupent une place de choix. Mais à la différence de Bergman, entièrement nourri de littérature et de théâtre, c’est à des modèles plastiques venus de la musique et de la peinture que s’alimente l’invention de sa mise en scène.
Se défiant du discours, de l’énonciation, le cinéma de Bonello, et exemplairement L’Apollonide compte sur une véritable architecture des sensations que distille le film. Ici cette quête exigeante est nourrie par ce phénomène que devient la présence des femmes. Combien sont elles ? Six personnages principaux parmi les prostituées, et puis six autres avec elles, et puis la patronne du bordel, donc 26 puisque les interprètes existent comme femmes tout autant que les personnages. Vertige à nouveau, nuée magnifiée par la beauté et la singularité de chacune, la complexité des relations construites entre elles et avec elles, la rigueur respectueuse dans la manière de les filmer, y compris dans l’exercice de leur profession ou dans l’humiliation des visites médicales ou des mauvais traitements infligés par les clients.
La brutalité presqu’insoutenable d’un geste accompli très tôt dans le film établit sans retour la menace criminelle qui rôde dans ce monde policé et qui ne manque pas non plus de côtés ludiques et charmants. Elle valide le choix fécond de privilégier toujours le visage et le corps des femmes à l’écran, les hommes apparaissant souvent de dos, ou dans l’ombre, ou à moitié coupés par le cadre.
Ces choix de mise en scène, dont fait aussi partie l’organisation des situations, leur manière de s’enchainer et de s’opposer selon des liens mystérieux, produit un effet très inhabituel. L’Apollonide est un cas rare de film en relief, véritablement en relief. Non pas le relief optique de la 3D, mais le relief mental d’un espace à la fois réel et imaginaire en trois dimensions : un volume qui aurait la taille de la maison qui lui donne son titre, parcourue des combles aux salons par ses occupantes, par ses visiteurs, par les rapports sociaux comme par les pulsions et fantasmes qui l’ont construite. Un film-monde à échelle humaine, dans toute la beauté et l’horreur de l’humanité.
lire le billetKinshasa Symphony de Claus Wischmann et Martin Baer, en salle le 14 septembre
Juché au sommet d’un poteau, un homme noir chante Carmen à pleine voix. En même temps il répare avec des moyens de fortune un câblage électrique. Alentour, l’immense métropole africaine, chaos homérique et boucan dantesque. Cette posture périlleuse et gracieuse, cette inscription des hommes dans la ville, un côté comique et au-delà une grâce vibrante et un troublant effet de présence : dès son premier plan, Kinshasa Symphony affirme ce qui le composera tout entier.
Les documentaristes allemands Claus Wischmann et Martin Baer ont manifestement été saisis par le mélange d’incongruité, d’engagement personnel, de beauté et de multiplicité des sens qui émane de l’expérience OSK. Et c’est l’intensité et la complexité de cette impression qu’ils parviennent à transmettre avec un film à la fois très construit et qui ne se soucie d’aucune démonstration ou réduction. La construction consiste à accompagner de manière dramatisée les membres de l’Orchestre Symphonique Kibanguiste, reconstituant le processus qui va du choix d’une œuvre et de la répétition de son exécution au spectacle en public. Ce parcours est émaillé de portraits de nombreux membres de l’orchestre, d’explications sur les choix des uns et des autres, et les problèmes rencontrés par ces hommes et ces femmes qui tous travaillent par ailleurs. Aucun d’entre eux n’avait une formation musicale, en tout cas pas dans le domaine de ce que nous appelons musique classique. On verra comment ils se retrouvent à faire fabriquer avec les moyens locaux clarinettes et violoncelles, comment au sortir de leur activité de marchande d’œufs, de garagiste ou de coiffeur ils se transforment en instrumentistes explorant les arcanes de la composition par Beethoven ou Haendel, choristes s’échinant à déchiffrer et apprendre par cœur les paroles de L’Hymne à la joie…
« Comment », pas « pourquoi ». Le film, entièrement du côté du « faire » (faire des instruments, faire de la musique, faire une collectivité, faire son travail, chercher un logement…) affirme sa propre construction, notamment grâce aux séquences à l’artifice revendiqué où plusieurs instrumentistes interprètent, un à un, un morceau au milieu du brouhaha et de l’agitation de Kinshasa.
Kinshasa Symphony est un des films les plus émouvants et les plus drôles de cette rentrée – si vous préférez les Guerre des boutons, ça vous regarde. A la fois très fluide et très composite, le film ne prétend à aucune exhaustivité explicative, laisse dans l’ombre bien des éléments d’information, restant évasif en particulier sur le kibanguisme qui donne son nom à l’orchestre. Il ne convoque aucun expert pour débattre de la qualité musicale des interprétations des « tubes » du classique (Le Chœur des esclaves d’Aida, le mouvement le plus connu de Carmina Burana, le finale de la Septième Symphonie…) dont l’OSK a fait son répertoire, ou sur la légitimité de cet investissement dans l’art des anciens colons combattus naguère de toute son âme par Joseph Kibanga, dont le descendant a fondé cet orchestre à plus d’un titre paradoxal, après avoir perdu son emploi de pilote de ligne.
Kinshasa Symphony est un film mystérieux, et dont le mystère s’épaissit de la singularité des personnes qu’il accompagne, de leur implication parfois magnifique et parfois aux limites de la déraison. Des corps, des voix, des gestes et des visages acquièrent une existence autonome autour de cet élan musical, existentiel. C’est un hymne au désir de s’accomplir dans un acte gratuit où se dépasser, un regard attentif, affectueux, amusé, sur les aléas de l’élaboration collective d’un projet que les entourages souvent ne comprennent pas, quand ils ne le combattent pas ouvertement, dans un environnement dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas favorable. Mais lorsque dans la nuit de Kin s’élève les accords et les voix de l’OSK, un frisson parcourt la foule assemblée, et qui ne savait pas pouvoir aimer « ça ». Et nous, pareil.
lire le billetOn le connaît depuis… Je veux dire on le reconnaît depuis, allez, 45 ans et plus : Le Mépris, Jean-Luc Godard, Brigitte Bardot… Il n’a pas tellement changé, Michel Piccoli, il a pris de l’âge bien sûr mais avec lui, c’est ce qui demeure qui compte surtout. Et c’est pour cela qu’on est si frappé lorsqu’on le distingue, cardinal tout de rouge vêtu parmi une horde de cardinaux. Parce que le voilà, pour une fois, en costume, un costume qui ne lui va pas, justement parce qu’il s’impose, insiste, définit, circonscrit. Voilà qu’il a l’air déguisé, lui qui semblait ne jamais l’être. Et ce sera encore pire lorsqu’à l’issue d’une hilarante et très précise reconstitution d’élection papale, c’est lui qui a la surprise générale, surtout la sienne, est élu pape pour succéder à Jean Paul II. C’est-à-dire quand l’ami Michel endosse les attributs ultracodés du saint Père. Frisson où se mêle grotesque et tristesse.
HABEMUS PAPAM de Nanni Moretti – Bande annonce -…
C’est évidemment burlesque, un conclave avec tous ces vieux messieurs compassés vêtus de grandes robes rouges qui votent en silence tandis que se trament en sourdine complots et manœuvres, c’est burlesque et effrayant. Moretti le filme donc comme c’est, sans se moquer ni en rajouter. Jamais, de tout son film, il ne se moquera – sauf, un peu, de son propre personnage, celui du psychanalyste convoqué et bientôt séquestré au Vatican, pour essayer de débloquer ce Pape appelé à régner, et qui ne veut pas.
Araignée ? Pourquoi pas libellule ou papillon?, comme dit la vieille blague qui trouve là une étrange illustration, bien qu’elle ne puisse exister en italien ni aucune autre langue. Car le cardinal Piccoli ne veut pas, mais pas du tout devenir le pape Piccoli. En fait il est clair qu’il ne voulait pas, ou plus, être cardinal non plus. En un mot comme en cent, ça le déprime – pas au sens superficiel mais à celui de dépression, dans toute sa gravité.
Il refuse d’apparaître au balcon de Saint Pierre. Urbi, orbi et in media, la foule des fidèles s’interroge sur l’identité du souverain pontife, c’est le souk, la curie s’arrache les calottes et se cherche des crosses, avant d’aller chercher, donc, le «meilleur des psychanalystes», Nanni lui-même.
SSMP (Sa Sainteté Michel Piccoli) se retrouve devant une autre psy, à qui elle dit la vérité. Quand elle lui demande son métier, il répond: acteur. Dès lors, la scène est en place, la cité côté jardin et la Curie côté cour, SSMP peut prendre la poudre d’escampette et papillonner dans une Rome où nul ne le connaît, où il croisera une troupe d’acteurs qui répètent Tchekhov – lui aussi connaît La Mouette par cœur.
Le spectacle, les apparences, les croyances, la fabrication d’un substitut du Pape pour abuser les cardinaux sur la gravité de la situation, l’invention par le psy d’une coupe du monde de volley entre représentants épiscopaux des cinq continents, les vertiges de la croyance, croyance et adhésion pas plus (ni moins) légitime dans le sport que la science ou la religion ou la politique. Mais ne comptez pas plus sur Nanni Moretti pour une sage dénonciation en trois points des vilénies de l’illusion face aux vertus du «réel» (sic) que pour un pamphlet anticlérical.
Ce qui est en jeu ici, avec une joyeuse virtuosité au-dessus des abimes, c’est l’angoisse d’agir, le trouble qui creuse de l’intérieur, dans ce monde saturé de représentations, de sommations à paraître et à comparaitre, d’habillages, celui qui sous l’effet d’un choc inattendu soudain ne se sent relever d’aucune définition. On songe au personnage que jouait Moretti dans Palombella Rossa, quand il giflait la journaliste avide de définition et trend explicatif. Mais Moretti ne gifle plus personne, il sait bien que ça ne sert à rien, et se défie des défoulements.
Deux figures littéraires habitent ce film étincelant de drôlerie, mais hanté d’une très sombre et profonde mélancolie. La figure de Tchekhov bien sûr, dans le théâtre duquel finiront par entrer cardinaux et religieuses, en une cauchemardesque procession de fantômes droit sortis d’un film de morts-vivants (les bons films, ceux de Romero, où il y a malgré tout de la tendresse pour ces pauvres cadavres en souffrance).
Mais surtout la figure de Bartleby, le personnage du roman de Herman Melville qui «would prefer not to», qui «préfèrerait ne pas». Figure décisive et infiniment troublante du personnage de fiction qui se dérobe à l’impératif de l’action, être mythologique qui passionna Deleuze et Agamben en ce que, avec son impavide «j’aimerais mieux pas», il porte la critique passive mais efficace de toute une morale omniprésente qui a façonné nos sociétés depuis des siècles. Logiquement, le cardinal joué par Michel Piccoli s’appelle Melville.
NB: ce texte a été publié sur le blog “Cannes” de Slate.fr lors de la présentation du film au Festival.
Jean-Pierre Léaud et Catherine Duport dans Le Départ de Jerzy Skolimowski
« Mieux vaut mieux un coiffeur vivant qu’un pilote mort ! » dit le collègue raisonnable. Ce n’est ni l’avis de Marc, ni celui du jeune Jerzy Skolimowski lorsqu’il réalise en 1966, à 28 ans, Le Départ, foudroyant et rigolard hymne à la jeunesse, à la vitesse, à la transgression. Marc, Jean-Pierre Léaud imitant génialement et prémonitoirement Louis Garrel, garçon coiffeur à son corps défendant, n’exerce de toute évidence l’activité passionnée de pilote de rallye amateur que comme traduction d’un appétit de vitesse, de danger, de changement de statut dans l’existence. Marc passe d’une Porsche à l’autre au fil de péripéties abracadabrantes au cœur des rues de Bruxelles fantastiquement filmé, capitale éminemment parisienne et absolument polonaise. Tout vibre et vit dans Le Départ, les images somptueuses de Willy Kurant se distrayant entre Godard et Orson Welles aussi bien que la musique de l’étonnant jazzman Komeda. Et bien entendu les acteurs, l’épatante Catherine Duport (mais pourquoi ne l’a-t-on plus revue depuis ce film et Masculine féminin où elle était simultanément la partenaire de Léaud, et Léaud lui-même, juvénile, tonique, keatonien, aussi maladroit avec la belle de ses pensées qu’habile avec un volant. Il est comme le corps vif, fulgurant et immature d’un cinéma en train de se réinventer.
44 ans plus tard, autant dire un siècle, ce n’est pas que Le Départ n’a pas pris une ride, c’est que sa jeunesse semble encore plus éclatante, de résonner incongrument dans le paysage du cinéma actuel. A l’époque, il raflait l’ours d’or à Berlin (autre chose que la roublarde sitcom iranienne de cette année !), et sonnait comme un des plus puissants coups de trompette de cette nouvelle vague aux multiples ressacs qui balayait le monde, et particulièrement l’Europe de l’Est, et notamment la Pologne où surgissaient le surdoué mais aussi surcoté Polanski, lequel dissimulera indûment les largement aussi talentueux Has, Kawalerowicz et, donc, Skolimowski.
Déjà repéré pour Signe particulier : néant (1964) et Walkover (1965), croisant cette fois ouvertement le chemin de ses cousins par alliance stylistique Godard et Truffaut, le futur auteur de Deep End (1970) et de Travail au noir (1982) et du Bateau phare (1985), dont on redécouvre peu à peu l’importance grâce à une série de rééditions, faisait exploser sa joie de filmer métabolisée en joie de conduire et d’aimer de Marc Léaud. Alors qu’après une éclipse qui durant la dernière décennie du 20e siècle et presque toute la suivante a fait croire à sa disparition, on a retrouvé Skolimowski toujours aussi inspiré, grâce à Quatre nuits avec Anna (2008) et Essential Killing (2010). Des années 60 aux années 2000, le rythme a changé, l’esprit d’aventure et de création, non. C’est aussi ce dont témoigne la retrouvaille avec Le Départ, film qui avait à peu près disparu, et qu’il est très heureux qu’un distributeur audacieux ramène à sa juste place : en pleine lumière.
lire le billetTrafic d’identité. Présence étrangère incontrôlée. Pratiques d’invocation. Rencontre entre mort et vivant. Peut-être faudrait-il prévenir la police ? Assurément, ce lundi, comme tous les premiers lundis du mois depuis avril dernier, il se passe quelque chose de très bizarre à la Ménagerie de verre.
Il est tout seul, l’acteur. Il est assis sur une chaise en face du public, avec derrière lui la profondeur vide d’une salle de répétition de danse. Il est tout seul, et ils sont deux. En même temps. L’autre, c’est Gilles Deleuze, le penseur, le professeur, mort en 1995. Lui, c’est Robert Cantarella, il dit les cours de philosophie que Deleuze consacra au cinéma, durant l’année 1981-1982, à l’Université de Paris 8 Saint-Denis. Dans le spectacle Robert Cantarella fait le Gilles, ils sont 1, ils sont 2, ils sont bien davantage.
Cantarella ne « récite » pas les textes de ces cours, textes connus, et que chacun peut pour sa part écouter aujourd’hui, puisqu’ils sont accessibles en ligne sur le site La voix de Gilles Deleuze ou sur le coffret de six CD édité par Gallimard dans la collection « A voix haute ». L’acteur n’imite évidemment pas Deleuze, il offre son corps pour être traversé par la voix, et surtout par le mouvement de la pensée d’un autre. On songe à la formule de Léo Ferré essayant d’expliquer ce que c’est que composer, et qui disait « je suis dicté ». Les spectateurs sortent des carnets, prennent des notes, comme s’ils étaient à la fac. Mais aussi ils rient et s’émeuvent, comme au spectacle, puisque c’en est bien un.
Cantarella dit les textes, il les profère de telle sorte qu’ils trouvent une incarnation qui tient à ce phénomène inexplicable, médiumnique : la présence physique de l’acteur et l’exactitude de la parole d’un autre. L’exactitude de l’événement de la parole d’un autre, Deleuze. Evénement non pas tant au sens de la curiosité passionnée que suscitèrent les enseignements du philosophe, dont les séminaires étaient pris d’assaut par des auditeurs dont beaucoup n’étaient pas inscrits à Paris 8, mais événement au sens où sa parole advient dans l’instant, surgit, s’invente pour celui qui la prononce, et qui souvent ne sait pas plus ce que sera la phrase suivante que son auditoire. L’enseignement de Deleuze était une aventure de la pensée, une prise de risque en public, ici accrue par la connaissance moins solide du sujet, le cinéma, que lorsqu’il parlait de Spinoza ou de Bergson.
Cette « aventure », cette prise de risques n’est pas un à-côté plus ou moins spectaculaire de son travail de penseur et de professeur, elle est partie prenante du processus de pensée de Deleuze, elle fait partie des conditions de son apparition, à laquelle la rédaction des livres donnera ultérieurement une forme plus stable, plus architecturée. Dans le cas présent, ce sera Cinéma 1 L’Image-mouvement et Cinéma 2 L’Image-temps aux Editions de Minuit.
Cette aventure de la pensée est aussi, inséparablement, une aventure de la parole. « ça veut dire quoi, ça ? » s’interroge presque rituellement, ou plutôt rythmiquement, l’orateur embarqué sur le fil de son propre discours. Deleuze était un virtuose de la circulation parmi les mots, des effets (jamais concertés) de reprises, de redoublements, d’allitérations et de réinterrogations critiques de ce qu’il était en train de dire. Ce qu’il faudrait appeler la fertilité phatique de l’élocution de Deleuze, les effets subtils d’intelligence nés d’une formulation instable, elle aussi toujours en train de chercher, de s’inventer, deviennent dans le contexte du spectacle Robert Cantarella fait le Gilles particulièrement sensibles, à la fois efficaces et touchants.
Assis, les mains mobiles, Cantarella parle. Il a, bien visible, une oreillette dans laquelle il entend les enregistrements de Deleuze, les cours eux-mêmes c’est-à-dire aussi les toux, les raclements de gorge, les hésitations, les digressions. Assis parmi les spectateurs, un autre acteur, Alexandre Mayer, interprète toutes les interventions venues du public de Paris 8 qui avaient émaillé les cours, interrogations de fond, perturbations polémiques ou problème de manque de sièges dans la salle. Robert Cantarella fait le Gilles c’est le réel accepté comme tel pour faire théâtre. Aucune ruse sur le dispositif, aucun ajout, aucune simplification de la trace sonore enregistrée, aucune « théâtralisation ». Et grâce au caractère élémentaire de cette opération, il advient quelque chose de l’ordre du chamanisme, d’un chamanisme joyeux, où la jubilation de penser de Deleuze est comme élevée au carré par la jubilation de jouer de Cantarella. La drôlerie, souvent si vive chez Deleuze, se démultiplie du fait du dispositif, où le caractère aventureux du cheminement de sa pensée devient exploration commune, amicale, des arcanes d’un champ de réflexion.
Il n’est évidemment pas neutre que le champ de réflexion en question soit le cinéma. Car ce que réalise (le mot aura rarement été aussi approprié) Robert Cantarella, en faisant ainsi un spectacle scénique de ce qui fut aussi à bien des égards une performance d’acteur, celle de Deleuze enseignant, cette construction d’une présence sensible des traces d’une présence réelle, c’est justement la mise en œuvre, sans caméra ni écran, d’un processus cinématographique. Ce n’est d’ailleurs pas cette dimension qui avait le plus intéressé Deleuze, venu à penser avec le cinéma à partir de questionnements philosophiques portant essentiellement sur les modes spécifiques d’organisation des signes répondant de différentes approches du réel par des systèmes conceptuels.
Ce que fait Robert Cantarella en faisant le Gilles relève de la mise en œuvre, dans les lieux et avec les outils du théâtre, d’un rapport au monde et aux corps qui tient pour l’essentiel du cinéma. La pensée du cinéma que Cantarella met en œuvre ne redouble pas celle de Deleuze, elle ouvre un écart mobile entre elles, et c’est ainsi qu’ils sont à la fois un, deux, et bien davantage. Proférée par Cantarella la parole de Deleuze s’avance à la rencontre de Buster Keaton et de Jean-Luc Godard, de John Ford et de Kenji Mizoguchi, et ceux-ci deviennent des personnages présents. Parfois la rencontre rate, Robert Deleuze revient en arrière, change d’interlocuteur. Et voici personnages de films, acteurs, cinéastes (ou même mouvements d’appareil ou gestes de montage) rendus aussi présents par la parole de Deleuze que Deleuze est rendu présent par la voix de Cantarella. Voici que la salle de répétition de la Ménagerie de verre n’apparaît plus du tout vide.
Une séance sur Viméo (mais on a compris, j’espère, que ça n’a rien à voir avec l’expérience qui advient à la Ménagerie de verre)
Robert Cantarella fait le Gilles. Chaque premier lundi du mois à 18h.
La Ménagerie de verre 12/14 rue Léchevin, 75011 Paris
Entrée libre dans la limite des places disponibles
Réservations par téléphone : 01 43 38 33 44 du lundi au vendredi
Par mail : info@menagerie-de-verre.org
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