Un point d’interrogation dans la neige

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Poupoupidou de Gerald Hustache-Mathieu sort le 12 janvier. Bonne nouvelle, d’autant plus qu’inattendue.

C’est un de ces clichés débiles dont il on ne peut pas plus se défaire que le capitaine Haddock de son sparadrap. Tous les films français se ressembleraient, ils seraient bavards, nombrilistes et germanopratins. Il suffit pourtant de prendre la liste des meilleurs films de l’an dernier (mais toutes, oui toutes les années précédentes donnerait le même résultat), pour exploser ce préjugé pénible. En quoi concerne-t-il Carlos, White Material, Des hommes et des dieux, Vénus noire, Tournée, Bas fonds, Film: socialisme, Nénette ou La Reine des pommes ? Pourtant, s’il est un domaine où les films français ont plus de mal à se trouver un ton et un style, c’est du côté du film de genre, et notamment de ce genre particulier qu’est le film noir. Très rares sont les réalisations récentes qui échappent et à l’enlisement dans les restes d’un héritage depuis longtemps capté par la télé (le polar-à-la-française, misère) et à l’imitation médiocre du film d’action hollywoodien. C’est pourquoi Poupoupipidou est une si heureuse nouvelle.

Sous ce titre qui affiche à la fois une désinvolture joueuse et son clin d’œil à Marilyn, s’avance en effet une réinvention du genre, à la fois contemporaine et bien inscrite dans son territoire, son double territoire, réel (une petite ville de province) et imaginaire (le fantasme américain).  Aux côtés du dépressif écrivain à succès (de polars, justement) David Rousseau, l’enquête est menée de la plus inventive manière en compagnie de la morte elle-même, réincarnation de miss Monroe dans le bourg le plus froid de France (Mouthe, Jura).

C’est bizarre et précis, imprévisible et drôle, hanté d’une étonnante petite musique. Quelque chose comme du Bashung, je veux dire des tempos anglo-saxons décalés par un sens poétique transgressif venu d’une longue histoire très française. Une histoire d’identité mutante, ce que raconte aussi le film, à propos de ses deux protagonistes, la beauté locale qui voulut être une star et le romancier qui veut échapper à ce qui a fait sa réussite. Et aussi bien sûr le réalisateur français qui s’attaque à un domaine saturé de mythologie US.

Poupoupidou 00213David Rousseau (Jean-Paul Rouve) face au portrait de Candice Lecoeur (Sophie Quinton).

Gerald Hustache-Mathieu multiplie les allusions et les citations empruntées à une vaste palette cinéphile, c’est pour mieux raconter une histoire triste et violente par touches joyeuses et rêveuses, rythmées de brusques embardées du récit, où la vraisemblance cède volontiers le pas à d’autres formes de justesse – logique ludique du système scénaristique revendiqué crânement, glissements ou surgissements des émotions, des phobies et des pulsions.

Le réalisateur reçoit pour cela plusieurs renforts bienvenus. D’abord ce paysage de neige et de silence, filmé comme un décor naturellement fantastique. Puis ses deux interprètes principaux, Sophie Quinton qui campe la Norma Jeane de sous-préfecture retrouvée morte dans le no man’s land inter-frontalier,  et qui a été l’actrice de tous les précédents films du réalisateurs, courts et long. Et le très inattendu Jean-Paul Rouve, ex-Robins des bois auquel on confesse n’avoir jusqu’à présent guère prêté attention au cinéma, ce n’était pourtant pas faute de l’avoir vu (une trentaine de rôles depuis dix ans). L’élégance fêlée qu’il offre à son personnage joue avec l’énergie désordonnée de sa partenaire qu’il ne rencontre jamais, pour donner au film un tonus étrange et cocasse, un stimulant déséquilibre.

Il faudrait ajouter, parmi les forces du film, la réussite des rôles secondaires, défi sine qua non du film de genre, et à bien des égards épreuve de vérité : c’est là, dans la capacité à danser avec les archétypes (impossible de s’en passer, danger maximum de s’y figer) que se joue beaucoup de la réussite d’un tel projet. Après un premier long métrage (Avril, en 2006) qui laissait un peu incertain, on se dit en se laissant glisser sur la luge de Poupoupidou que le film de genre offre à Hustache-Mathieu exactement ce qui manquait : un système de codes, à la fois pour s’en servir et pour les déjouer.

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