Locarno Experience

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Sur la scène et sur l’écran de la Piazza grande, Olivier Père, italianophone habile et programmateur inspiré

Vétéran du genre (il en est à sa 63e édition), le Festival de Locarno qui se tient du 4 au 14 août a la particularité d’être le premier sous la direction artistique d’Olivier Père, auparavant responsable de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, à laquelle il a redonné dynamisme et rigueur. Pas besoin de passer très longtemps sur la rive du Lac Majeur pour comprendre que le nouveau direttore a d’ores et déjà gagné son pari. Servi par une météo bienveillante – donnée importante dans une manifestation dont le climax quotidien est la projection en plein air sur l’écran géant de la Piazza grande devant 9000 spectateurs – le déroulement des opérations se fait dans une ambiance chaleureuse et assidue, un public toujours aussi nombreux se pressant dans les salles.

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Chaque soir face à lui-même, le public du Festival

Ce public est à la fois la chance et le souci du programmateur : véritable trésor constitué au cours des éditions précédentes, il est suffisamment disparate pour que le choix de ce qui lui sera montré constitue un véritable casse-tête. Si des cinéphiles exigeants convergent chaque été de toute l’Europe vers Locarno, on y trouve aussi en grand nombre estivants en famille, professionnels aux intérêts divergents, et riches résidents permanents ou temporaires d’une des régions les plus huppées du monde. A ce défi, Olivier Père a répondu par la vigoureuse revendication de son ambition, appuyée sur quelques habiletés tactiques. La plus visible de celles-ci aura été le choix, cinéphiliquement irréprochable, d’une intégrale Lubitsch : bonheur intact de découvrir ou revoir une œuvre portée par la finesse et l’élégance, véritable opportunité pour beaucoup de découvrir les films réalisés en Allemagne avant l’émigration à Hollywood en 1923, base de repli rassurante face à certaines propositions dans les autres programmes susceptibles de déconcerter les festivaliers timorés.

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Après le thé, Jia-Zhang-ke recevra une statuette dorée à l’image du félin fétiche de la manifestation, et l’admiration sincère de tous les amoureux du cinéma

Autre choix tactique judicieux, la distribution de statuettes honorifiques et autres titres, selon un assemblage à même d’envoyer d’utiles signaux diplomatiques : aux Suisses avec un Léopard d’or à Alain Tanner, aux toujours entreprenants voisins italiens avec un autre à Francesco Rosi, en gage de reconduction du lien traditionnel avec les cinémas asiatiques en rendant un vif hommage à Jia Zhang-ke et en dédiant les journées de bourse aux projets aux cinématographies d’Asie centrale, sans oublier un petit salut au jeune cinéma d’auteur français en la personne de Chiara Mastroianni.  En outre, il a été fort remarqué qu’Olivier Père effectuait toutes ses présentations en italien, contrant ainsi le soupçon toujours très présent, surtout chez les Suisses alémaniques et les Tessinois, contre l’impérialisme culturel français.

Tout aussi adroit aura été la création d’un lieu pour noctambules, boîte de nuit à ciel ouvert qui s’est aussi révélée espace convivial où croiser sans restrictions beaucoup de personnalités invitées, rapidement devenues des habitué(e)s.

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Rubber de Quentin Dupieux et Curling de Denis Côté

Naturellement ces à-côtés ne valent qu’au nom du principal, le choix des films sélectionnés. Il me semble que s’il fallait définir d’un mot la ligne éditoriale, ce serait avec le mot « expérience ». Non pas qu’il s’agisse de ce qu’on appelle des « films expérimentaux », mais parce que la sélection parie sur la singularité et l’intensité de ce qui est susceptible d’être vécu, séance par séance, par ceux qui assistent au Festival, plutôt que sur la construction d’un discours général sur l’état du cinéma mondial. La provocation y a sa place (le porno gay et gore L.A. Zombie de Bruce LaBruce sur la Piazza a fait jaser, c’était prévu pour), comme l’invitation à des rencontres avec des formats inhabituels, par leur durée, leur approche ou leur support. Concevoir ainsi son programme, c’est chercher non une uniformisation ou un affichage, mais la mise en œuvre d’un esprit, qui puisse trouver projection après projection à s’incarner en avatars aussi mémorables qu’extrêmement différents entre eux.

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Homme au bain de Christophe Honoré et Foreign Parts de Verena Paravel et JP Sniadecki

L’esprit fut-il là ? Il m’a semblé que oui. Oui avec la présentation sur la Piazza Grande de Rubber de Quentin Dupieu, réjouissante variation sur le film d’horreur où le monstre est un bon gros pneu semant la mort en Californie. Oui avec le très suggestif et émouvant Foreign Parts de Verena Paravel et JP Sniadecki, qui réinvente le documentaire ethnographique dans un quartier déshérité du Queens en mettant en scène l’intimité organique des habitants et des véhicules qui peuplent cette immense casse à bagnoles et à êtres humains, dans une mise en scène où la comédie, le pamphlet et l’installation d’art contemporain communiquent selon des voies inattendues. Oui avec la très drôle et très touchante dérive amoureuse et érotique, dérive dédoublée entre Gennevilliers et New York par Christophe Honoré, dans son si libre Homme au bain. Oui avec Winter Vacation du Chinois Li Hong-qi, qui repousse les limites du comique slowburn en décrivant le quotidien de quelques adolescents dans un paysage urbain d’un désespoir grand comme le désert de Gobi. Oui avec le conte noir finlandais Rare Import : A Christmas Tale de Jalmari Helander, disséminant sur le grand écran de la Piazza une nuée de Pères Noël aussi nus que vindicatifs. Oui avec le sublime court métrage de Vincent Parreno Invisibleboy qui fait apparaître des fantômes grattés à même la pellicule autour d’un enfant chinois de New York. Oui avec le nouveau film d’Isild Le Besco, déjà impressionnante dans le premier rôle d’Au fond des bois de Benoît Jacquot, qui a fait l’ouverture – et beaucoup d’effet sur le public : avec Bas-Fonds, cette fois comme réalisatrice, elle confirme après Charly sa capacité à s’approcher par des voies inédites du plus trouble de ce qui travaille les humains. Et oui encore avec l’inclassable Curling du Québécois Denis Côté, histoire toute simple et qui bouleverse dans la seconde même où elle fait sourire, bienheureux geste de confiance dans les puissances multiples du cinéma.

Pas grand chose en commun entre ces films, mais chaque fois une proposition qui à la fois tend la main et défie. Et, finalement, un étrange et stimulant courant qui circule entre tous ces moments vécus, véritablement vécus.

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Invisibleboy de Philippe Parreno

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