Une belle histoire de fous

Sortie en salle aujourd’hui mercredi 10 mars 2010 d’un film de joie et d’émotion, Valvert de Valérie Mrejen. Un film qui est aussi une des manifestations d’une expérience exceptionnelle menée à travers toute l’Europe

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Ils sont assis sur les marches d’une terrasse, elle et lui. Ils parlent tranquillement. Mais pas vraiment l’un à l’autre. A qui ? A la personne qui les filme ? A nous, spectateurs ? A quelque interlocuteur imaginaire ? Le film, qui vient à peine de commencer, ne le dit pas. Il laisse juste flotter cette incertitude, ce léger trouble.

Après, nous, les spectateurs, en saurons davantage. Nous saurons qu’on se trouve dans l’hôpital psychiatrique Valvert, à Marseille, que les personnes que nous avons vues sont des patients, que ce lieu qui, lors de sa création il y a une quarantaine d’année,  portait les espoirs d’approches différentes de la prise en charge des malades mentaux est aujourd’hui rattrapé par les si contemporaines exigences sécuritaires et gestionnaires, ce couple fatal de la liberté pour le fric et de la contrainte pour les hommes qui est la Loi de notre début de siècle.

Nous devinerons, en écoutant et regardant des hommes et des femmes dont certains sont des malades, certains des médecins, certains des infirmiers, certains des employés qui s’occupent de la cafétéria, du jardin, de l’intendance, comment se nouent et s’interrogent les unes les autres des histoires, des imaginaires, des choix politiques, des peurs qui rendent fou, comme on dit. Des fous qui sont à l’hôpital. Et des fous qui n’y sont pas. Des fous qui décident peut-être parfois aussi de ce qui va arriver à l’hôpital.

Ce n’est pas une insulte, « fou ». Ni pour les uns ni pour les autres. Juste la manifestation de dérèglement divers, que l’environnement a du mal à prendre en charge, et qui peuvent, en cas de mauvaises réponses, nuire à tous, celui qui est fou et les autres.

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Elle filme tout ça, Valérie Mrejen, dans les couloirs de Valvert, avec son nom de clinique hitchcockienne et son décors méridional, plutôt avenant, pas du tout chic. Elle laisse advenir les paroles, les gestes. Parfois quelqu’un fait irruption dans le cadre, déclare quelque chose, balance une phrase. Parfois quelqu’un parle et on ne comprend pas les mots. On comprend alors mieux la qualité de l’écoute de celui ou celle qui lui répond. C’est simple, c’est rigolo – c’est vrai que c’est rigolo, des fois, les fous. C’est soudain bouleversant. Elle fait un film, Valérie Mrejen, on voit bien qu’elle se fiche éperdument de savoir s’il s’agit d’un documentaire ou d’une fiction, ceux qu’elle a trouvé à Valvert, qu’elle regarde, qu’elle écoute, sont des personnages. C’est à dire qu’elle les filme comme des personnages.

Certains reviennent souvent, d’autres n’apparaissent qu’une fois mais restent dans la mémoire bien après la fin du film. Il y a une femme très belle, et qui ne dit rien. Il y a le garçon qui voudrait bien jouer la pétanque, mais personne ne veut jouer avec lui. Il y a cette femme qui porte un amour irradiant à ce garçon en arrière-plan, flou à lier. Il y a le soignant en colère contre les tâches bureaucratiques qui ne laisse plus de temps pour s’occuper des pensionnaires. Il y a cette grille ouverte sur la rue, et du soleil.

Encore une fois, l’intelligence du cinéma rencontre le défi du monde de la folie. Encore une fois, après Deligny (Le Moindre Geste), Depardon (San Clemente), Wiseman (Titicut Follies), Philibert (La Moindre des choses), après l’admirable Elle s’appelle Sabine de Sandrine Bonnaire (liste non-exhaustive), une écoute, une sensibilité qui est à la fois travail éthique et désir de récit construit un jeu de distances, de lumières, d’émotions, qui donne à comprendre, à s’interroger soi-même, à rire et à s’effrayer. Valvert est une grande joie de spectateur.

C’est aussi une réponse singulière au sein d’un immense projet qui se met en place peu à peu à travers toute la France, et désormais dans d’autres pays d’Europe. Ce projet, initié par la Fondation de France, s’appelle « Les Nouveaux Commanditaires ».

C’est quelque chose qui, quand on en découvre l’existence, redonnerait espoir dans le monde d’aujourd’hui, ce qui n’arrive pas bien souvent.

Les Nouveaux Commanditaires sont nés de l’existence, de la part de personnes ou de collectivités auxquelles cette attente n’est pas d’ordinaire reconnue, envers des œuvres d’art. Il s’agit toujours de la présence d’œuvres d’art dans un contexte précis, un territoire, un lieu public (géré par des organes qui peuvent, eux, être publics, semi-publics ou privés) : une place de village, une école, un ensemble d’immeubles, des bains publics, etc. Quelque part quelqu’un a un problème, se dit que peut-être un artiste pourrait l’aider à résoudre ce problème, mais ne sait pas comment, ni à qui s’adresser. Pour Les Nouveaux Commanditaires, la Fondation de France a mis en place des médiateurs, qui étudient avec les personnes ou la collectivité demandeuse la nature du projet, proposent de rencontrer des artistes contemporains qui semblent pouvoir répondre à ce cas, se chargent de faire se rapprocher des rapports au réel et au symbolique (celui d’un  édile, d’une administrateur, d’e responsables associatifs, d’enseignants et celui d’artistes) à l’origine très éloignés. Ce sont aujourd’hui plus de 250 œuvres qui ont été créées dans ce cadre. La plupart, comme il est prévisible, relèvent des arts plastiques, de l’architecture, du design, parfois de la musique. Valvert est la première œuvre de cinéma commanditée dans ce cadre, par un groupe de médecins et de soignants de l’hôpital marseillais désireux de construire une autre représentation du fonctionnement du lieu où ils travaillent que ce qu’en donnent les rapports administratifs, ou même une description journalistique.

En artiste de cinéma, qui donne toute leur place au temps, à l’espace, aux rythmes, aux couleurs, aux sons, aux personnages, Valérie Mrejen répond exemplairement à la commande. Et prouve combien, par nature, une telle démarche, si elle provient d’une demande spécifique issue d’un groupe précis, par nature s’adresse à tous dès lors qu’elle se matérialise.

3 commentaires pour “Une belle histoire de fous”

  1. […] Projection Publique » Une belle histoire de fous 11 mars 2010 https://blog.slate.fr/projection-publique/2010/03/10/une-belle-histoire-de-fous/ […]

  2. C’est toujours la même chose…quand on vit en Province, pour voir une oeuvre unique, à part, il faut être volontaire et à l’affût. Le dernier Kiarostami n’avait pas même atteint le Midi-Toulousain, Valvert sera diffusé une fois pour 79 privilégiés maximum (la taille de la salle de projection) et seulement le 31 Mars prochain.
    Quelle désolation!

  3. J’aimerais avoir des alternatives à proposer, aujourd’hui il n’y en a guère, sinon de se manifester auprès du responsable de la salle pour obtenir une programmation plus ouverte.

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