On entend ça et la, et notamment durant la table ronde n°2 de l’audition publique “H1N1, et si c’était à refaire” (vidéocast disponible en ligne), de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques du 14 juin 2010, François Heisbourg, de la fondation pour la recherche stratégique, qu’il serait “évident” que la définition de la pandémie inclut une notion de sévérité. Nous ne reviendrons pas sur les fausses assertions au cours de ce débat selon lesquelles l’OMS aurait prétendument changé de définition au cours de la pandémie, ou plus exactement le 4 mai 2009 ; l’historien de l’EHESP, Patrick Zylberman, nous a aidé dans notre précédent billet à tirer les choses au clair à ce propos. En revanche, revenons un instant sur la question de la sévérité associée au mot pandémie.
François Heisbourg si l’on résume ses propos, soutient que le seul sens de l’alerte pandémique – et toutes les conséquences sociales, politiques, économiques, médicales qui s’en suivent – réside en la sévérité attendue derrière le son du tocsin. On ne déroule pas un tapis de mesures dont l’impact sociétal est si lourd pour une grippe saisonnière, et donc on n’avait pas à le dérouler pour un événement dont les caractéristiques en termes d’impact sanitaire (ou de sévérité) ne se distinguerait pas d’une grippe saisonnière. L’expert en stratégie précise cependant en introduction qu’il n’est pas expert de la grippe. Ce point est important pour la suite de notre raisonnement.
En effet, lorsqu’il s’agit de dérouler le plan ORSEC à la suite de la catastrophe AZF, ou l’équivalent d’un tel plan après les explosions du métro londonnien ou l’attentat de la gare de Madrid, on n’a aucune difficulté à estimer rapidement la gravité de la situation. Il y a des morts qui sont rapportés, personne n’en discute la relation de cause à effet, et des blessés qu’il faut évacuer rapidement. On comptera plus tard avec précision, qu’importe, il faut y aller. Il faut aussi éviter tout risque de sur-accident. Le plan est déclenché, la situation l’exige. Mais dans le cas d’une maladie émergente, comment savoir si l’événement est grave ou non ? Les “textbooks“, ces manuels de médecine qui font référence ? Regardez le chikungunya dans l’océan indien en 2005-2006 : jusqu’à l’épisode réunionnais, tous les traités de médecine s’accordaient à dire que la maladie était bénigne. Même le directeur général de l’OMS qui était en voyage officiel à l’ïle Maurice au coeur de l’épidémie, en mars 2006 – île qui s’est avérée fortement impactée par l’épidémie – a déclaré à l’époque que la maladie était bénigne et que les médias “des îles voisines” avaient sur-réagi. 40% de l’île de la Réunion allait être atteinte en 2006, 2% d’hospitalisations parmi les cas, les soins intensifs engorgés, 255 décès. Et pourtant, massivement, dans 98% des cas le chikungunya reste une maladie largement bénigne. Elle laisse cependant des séquelles articulaires prolongées parfois invalidantes (Science, article de M. Enserink, du 21 décembre 2007, en accès payant en ligne, langue anglaise).
Alors que veut dire une maladie bénigne ? Après les attentats du 11 septembre, personne n’ergotait pour savoir si les blessures étaient profondes ou superficielles. Mais la grippe, c’est grave ou c’est bénin ? Eh bien, un peu comme le chikungunya, c’est massivement bénin,… et parfois un peu grave. On sait aujourd’hui que si c’est H3N2, ça touche plus souvent les personnes âgées, et à cause de cela, les personnes âgées étant plus souvent que les plus jeunes atteintes de maladies multiples parfois invalidantes, “décompensent” leurs pathologies graves pré-existantes, c’est-à-dire les voient s’aggraver en présence de l’infection grippale et peuvent en mourir. On sait aujourd’hui que si c’est H1N1pdm, les jeunes adultes, et mêmes les enfants, et certaines personnes âgées peuvent, pour des raisons que l’on ignore, faire un syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA), se retrouver en réanimation avec une méthode de ventilation artificielle très périlleuse, très coûteuse qui se termine dans 20% des cas par le décès du patient. C’est grave ou c’est bénin ? Quelle est la bonne métrique ? La mortalité ? Laquelle ? Comment laquelle ? Un mort est un mort, non ? Oui, mais mort de quoi : mort à cause du virus ou mort avec le virus ? Certains remettent en cause les statistiques de décès d’une autre pandémie, surtout africaine, celle du paludisme. Parce que comme beaucoup de personnes vivant en zone impaludée sont porteurs du parasite (plasmodium), par le fait du hasard déjà, on s’attend à ce que la même proportion des personnes décédées soient aussi porteuse du parasite. C’était vrai pour les décès à La Réunion, pendant l’épisode chikungunya… Et pour la grippe. Alors il y a la mort indirecte, celle que l’on voit statistiquement sur les courbes de mortalité. Mais on n’en dispose qu’une fois que le film est terminé le plus souvent, en tout cas pas au moment de donner l’alerte. Et puis, même, on a vu dans un précédent billet qu’une publication de PLOS Currents Influenza (article gratuit en ligne, en anglais) de l’équipe américaine du NIH de Cécile Viboud et coll. revisitait (le 20 mars 2010) la mortalité attribuée à la grippe en proposant une autre métrique, fondée sur le nombre d’années de vie perdues, pour montrer que la gravité, sur ce critère, de la pandémie 2009 était de niveau supérieur à celle de 1968-69 (qui avait causé 35 000 décès en France… en nombre absolu cette fois). Mais, même cela, nous venons de l’apprendre. En mai 2009, personne ne pouvait encore l’apprécier. En juin non plus. En septembre ou en octobre 2009 ? On était tout juste bon alors pour savoir que la mortalité directe avait un visage nouveau et différent de celui des virus saisonniers des saisons passées. Mais la mortalité directe n’était que le sommet d’un iceberg dont les épidémiologistes de la grippe savaient qu’il pouvait être beaucoup plus important que ce qu’il ne dévoilait alors (…un iceberg quoi !). Donc même en octobre 2009, lorsque l’InVS faisait tourner ses modèles et proposait des scénarios qui allaient jusqu’à 96 000 décès, hypothèse extrême qu’ils ne privilégiaient pas, ils se fondaient sur des résultats de mortalité indirecte qui pouvaient encore survenir. Précaution.
Pas simple l’estimation de la gravité dans le cas des maladies émergentes. Une leçon à tirer pour l’avenir ? Une proposition : traquer avec un groupe pluridisciplinaire l’estimation de cette gravité dès le début, avec tous les instruments en place. Car pour le H1N1pdm, la connaissance des virologues de la distribution d’âge des cas, et de leur similarité du H1N1 saisonnier aurait contribué beaucoup dans le débat pour renforcer l’idée que la mortalité indirecte serait probablement faible. Les épidémiologistes auraient mentionné que le nombre d’années de vie perdues allait être élevé. Et l’on aurait alors communiqué sur les différentes métriques. Acceptons la complexité.
Antoine Flahault
lire le billetUn récent bilan anniversaire de la pandémie de grippe vient de paraître, sous la plume de Declan Butler, dans la célèbre revue scientifique britannique Nature, dans son numéro du 22 avril 2010 (article en anglais, disponible en ligne gratuitement). Il tente, comme nous le faisons sur ce blog depuis plusieurs mois, de tirer les premières leçons “à chaud” de cette crise sanitaire planétaire.
Il résume des informations publiées récemment par une équipe nord-américaine des National Institutes of Health (Cécile Viboud et coll. PLoS Currents Influenza, article disponible en ligne, 21 mars 2010, gratuit, en anglais). Les auteurs revisitent la comptabilité des décès attribuables à la grippe H1N1pdm aux USA. Leur résultats sont intéressants, car quelle que soit l’hypothèse qu’ils retiennent, le nombre d’années de vie perdues à cause du H1N1pdm aura été supérieur aux USA à celui enregistré en moyenne lors des épidémies de grippe saisonnière de ces dernières années.
Selon l’hypothèse la plus conservatrice – en langage scientifique et non politique (!) ce terme signifie que les auteurs sous-estiment très probablement et peut-être largement la réalité – c’est-à-dire en s’en tenant aux seuls certificats de décès mentionnant la grippe H1N1pdm comme cause du décès, alors il y aurait eu entre 7 500 et 12 000 décès dus à cette grippe aux Etats-Unis, soit au moins deux fois moins, en nombre absolu, qu’en période de grippe saisonnière. Avec une autre méthode de calcul, selon les mêmes auteurs, si l’on compare les chiffres de mortalité totale durant la période de circulation de la souche pandémique avec la mortalité moyenne observée les années précédentes, l’excès de mortalité attribué à H1N1pdm est de 44 100 décès, clairement supérieur à celui observé en moyenne durant les grippes saisonnières (36 000 décès par an, par grippe saisonnière, aux USA).
Puis ils se sont attachés à estimer le nombre d’années de vie perdues, un indicateur qui permet de chiffrer la différence entre le décès, par exemple, d’une personne de plus de 95 ans qui décède de la grippe alors que son espérance de vie n’est plus que de quelques mois, à une personne de 17 ans en bonne santé qui a une espérance de vie de l’ordre de 80 ans (moins 17). Eh bien, le nombre d’années de vie perdues a été, quelle que soit la méthode retenue pour l’estimation de la mortalité par grippe H1N1pdm aux USA, très supérieur à celui calculé pour les grippes saisonnière, et voisin du nombre d’années de vie perdues enregistré lors de la pandémie de 1968-69 (pandémie de grippe A(H3N2) de Hong Kong).
Par ailleurs, le virus extrêmement compétitif a supplanté totalement les autres sous-types saisonniers circulant qui ont quasiment disparu des écrans radars, dans tous les pays du monde. La souche H1N1pdm se serait donc comportée comme une vraie souche pandémique, avec tous les attributs d’une souche provoquant une pandémie… des temps modernes. On n’est plus en 1918, on dispose désormais d’antiviraux, d’antibiotiques, de lits d’hôpitaux et de soins intensifs, de vaccins (livrés à partir d’octobre 2009, donc pour le seul hémisphère nord en 2009), de masques, bref de tout l’arsenal pour éviter les désastres sanitaires des siècles passés. Au moins dans les pays développés. Pour les pays en développement, l’absence de retour d’expérience ne signifie pas nécessairement grippette, gardons-nous des messages trop rapides.
Lorsque l’on voit qu’un an après le début de la pandémie, on ne sait toujours pas estimer avec une précision meilleure que “entre 7 500 et 44 100” le nombre de décès aux Etats-Unis, alors que la “Mecque” de la veille sanitaire y officie (CDC d’Atlanta), on peut pensr qu’il faudra attendre encore plusieurs mois ou années avant d’avoir les premières estimations de l’impact de cette pandémie dans les pays en développement, et encore si l’on en dispose un jour. Car comment penser que ceux qui manquent – presque comme en 1918 – d’antiviraux, d’antibiotiques, de vaccins et d’infrastructures sanitaires pour les dispenser auront pu s’en tirer à meilleur compte que nos voisins nord-américains ?
Il semble donc, comme le faisaient remarquer certains de nos amis blogueurs sur le Journal de la Pandémie 2.0 récemment, que l’on se situera in fine, avec cette pandémie H1N1pdm, cru 2009-2010 dans l’un des scénarios que l’on avait envisagé assez précocement dans l’histoire de cette pandémie (Libération du 2 mai 2009, en ligne, gratuit), celui d’une pandémie des temps modernes. Comme le résume mon collègue Marc Lipsitch, épidémiologiste de la Harvard School of Public Health dans le papier de Nature du 22 avril, “la plupart des gens ont été moins souvent infectés que durant les pandémies passées, ils ont été moins souvent malades lorsqu’ils ont contracté l’infection, et ils en sont moins souvent décédés lorsqu’ils en sont devenus malades”, une saine vision de ce que les temps modernes, et leur cortège de progrès, peuvent apporter à nos concitoyens… quand ils ont la chance de pouvoir en profiter.
Antoine Flahault
lire le billetOn commence à tirer de nombreuses leçons de cette pandémie 2009, y compris à travers le dynamisme de ce blog (et de nos blogueurs que nous remercions, même si parfois la technicité de certains de leurs débats ne se met pas à la portée de tous), mais aussi dans les polémiques actuelles qui émergent en France et à l’Etranger. Si elle mêlent sans doute beaucoup de désinformation, elles sont aussi chargées de sens et d’enseignements qu’il faudra bien prendre à bras le corps et analyser en profondeur.
A propos de la mortalité, beaucoup continuent à confondre la mortalité directe de la grippe (les SDRA et les surinfections) et l’indirecte (celle qui fauche les personnes âgées et très malades, pas simplement porteuses d’un facteur de risque comme l’asthme, le diabète ou l’obésité). Il semble acquis et reconnu aujourd’hui que cette souche H1N1pdm est associée à une mortalité directe fortement supérieure à celle des souches saisonnières des années précédentes (j’avais dit 100 fois supérieure en août 2009, mais ce fut peut-être davantage encore). En cela, il est probablement faux de penser que cette souche pandémique est si voisine des souches H1N1 saisonnières, qui elles, n’étaient pas associées à une forte virulence (pas de SDRA ou presque dans les annales des saisons récentes de grippe). Qu’il puisse y avoir une vague immunité croisée plus ou moins efficace ne signe pas l’analogie des souches, loin de là. Elles semblent bien phylogénétiquement différentes.
A propos de morbidité, certains ont – j’ai personnellement – trop rapidement mis dans le même sac les différents sous-types de virus de la grippe, alors qu’une analyse historique plus élaborée aurait sans doute permis de mieux distinguer les sous-types H1N1 des sous-types H3N2. Ainsi, un papier de Lone Simonsen et coll. (Am J Pub Health, 1997, abstract gratuit en anglais en ligne) fut le premier à en parler : il indique que le virus H1N1 (saisonnier) est associé à une faible mortalité chez les personnes âgées (mortalité indirecte donc) et Xavier de Lamballerie (Université de la Méditerranée et EHESP) a présenté au Congrès Mékong Santé (Vientiane, Laos, 27 janvier 2010) la distribution d’âge des cas de grippe pandémique qui est quasi-homothétique de la distribution d’âge des cas de grippe H1N1 saisonnière (très peu de cas après 60 ans, beaucoup de cas chez l’enfant jeune), mais différente des cas de grippe H3N2 saisonnière (certes une distribution jeune aussi, mais moins, avec notamment des cas en plus grande proportion chez les plus de 60 ans). Les données que j’avais l’habitude d’analyser étaient celles du réseau Sentinelles qui mélangent l’ensemble des syndromes grippaux quelle qu’en soit l’origine, puisqu’aucune analyse virologique n’y est pratiquée (et cela, il faudrait y remédier). Je n’avais pas intégré cette notion qui aujourd’hui apparaît clairement. Même s’il est toujours plus facile de dire cela après que sur le moment même, si nous avions pris en compte ces données, nous aurions probablement pu proposer assez tôt un scénario à mortalité faible, en suggérant que si cette souche H1N1pdm se comportait comme les H1N1 saisonniers, alors la distribution d’âge des cas, mais aussi celle des décès devrait être plus jeune, et peu impactée par la mortalité indirecte, à la différence des grippes H3N2. Il se trouve que les 6000 décès en excès attribués à la grippe retrouvés en France (ou 36 000 aux USA) sur les statistiques de mortalité sont une moyenne annuelle estimée sur les 20 dernières années, avec certaines années sans mortalité en excès (celles où la circulation de H3N2 n’était pas intense et H1N1 prédominait), certaines années avec plus de 6000 décès (forte activité et prédominance de H3N2). Il aurait peut-être paru audacieux (voire trop optimiste en avril 2009) de tabler sur une analogie de cette souche nouvelle H1N1pdm avec les souches H1N1 saisonnières, surtout en raison de l’histoire (la pandémie de 1918 fut H1N1 et très meurtrière, mais sans doute par mortalité directe, et probablement largement par surinfection bactérienne comme nous l’avons relevé dans d’autres billets).
Quand au brave Serfling, je ne vois pas de quoi fouetter un chat à son propos. Il a proposé dans les années 1960 un modèle de regression périodique qui tente d’éliminer le bruit de fond des séries chronologiques de grippe dont nous disposons (tout syndrome grippal n’est pas dû au virus de la grippe, toute mortalité par “pneumonie et grippe” n’est pas due au virus de la grippe). Il nous propose ainsi une robuste analyse du signal pour calculer un seuil d’alerte opérationnel (qui fonctionne très bien en routine) et une morbi-mortalité en excès (aire sous la courbe au-dessus du seuil de Serfling). Depuis de nombreux statisticiens ont passé ces séries chronologiques au crible d’autres méthodes disponibles et les résultats se sont révélés peu différents : la mortalité en excès est bien au rendez-vous de chaque hiver où le H3N2 circule, parfois en décembre, parfois en janvier, février ou mars. Ce ne semble ni le froid, ni d’autres facteurs qui sont en cause, mais bien la grippe (depuis L. Simonsen on devrait dire le sous-type H3N2), et de façon consistante, répétée, dans plusieurs pays de niveau sanitaire semblable, avec des méthodes différentes. Ce n’est pas loin de signer la causalité du virus de la grippe dans cette mortalité indirecte en excès observée.
Une leçon importante se profile : si désormais la grippe saisonnière qui nous attend (2010-11 et suivantes jusqu’à l’émergence de la prochaine pandémie) devenait due à cette souche H1N1 2009 et à sa filiation, peut-être bénéficiera-t-on d’une moindre mortalité hivernale liée à la grippe à l’avenir ? Une grippe certes plus sévère par sa mortalité directe mais considérablement moins faucheuse chez les personnes âgées et très malades ? Cela aurait des répercussions possiblement importantes en termes de stratégies vaccinales qu’il faudrait complètement revisiter à l’aune des résultats des recherches en cours sur les formes sévères de grippe. L’hiver n’est cependant pas terminé, et il est peut-être un peu tôt pour dire un adieu définitif aux virus saisonniers H3N2. Affaire à suivre de près…
Antoine Flahault
La dynamique pandémique semble avoir depuis peu atteint un nouveau rythme de croisière. Pas un jour sans nouvelles informations certes ; mais cela est vrai depuis la fin avril. En revanche des informations qui ne cessent jour après jour d’entrer en étranges résonances. Le mercredi 4 novembre est de ce point de vue éclairant. A la différence de celles, délicieuses, de Guitry qui tenaient en un seul acte l’affaire ici en comporte deux.
Acte I. On en trouve, via la Toile, la substantifique moelle sur le site du JAMA, l’organe de l’association médicale américaine (résumé en ligne en anglais). Le texte est signé d’un groupe de praticiens qui se sont passionnés pour l’impact de la pandémie dans l’Etat de Californie où cette même pandémie a émergé dès le mois d’avril. Le travail est issu de la surveillance sanitaire organisée en Californie auprès des personnes hospitalisées et/ou est mortes avec preuve biologique d’une infection par le virus H1N1pdm.
Résumons. Entre le 23 avril et le 11 août 2009 les services sanitaires californiens ont recenses 1088 cas d’hospitalisation ou de décès dus à la pandémie d’ores et déjà millésimée 2009. L’âge médian était de 27 ans (extrêmes allant de 1 à 92 ans) et 68% (741 cas sur 1088) présentaient des facteurs de risque pour des complications de la grippe saisonnière. Au total 21% (183 cas sur 884) des personnes hospitalisées n’avaient reçu aucun traitement antiviral. Dans l’ensemble la mortalité a été de 11% (118 cas sur 1088) et a été la plus élevée (18% -20%) chez les personnes âgées de 50 ans ou plus. Les causes les plus courantes de décès ont été la pneumonie virale et le syndrome de détresse respiratoire aiguë. La période médiane entre le début des symptômes et le décès a été de 12 jours
En d’autres termes aucun groupe d’âge ne semble plus à l’abri face aux risques d’hospitalisation. Contrairement à ce qu’avaient tendance à montrer les premières statistiques nationales américaines récentes la mortalité dans les hôpitaux californiens a été plus élevée chez les personnes de 50 ans que chez les plus jeunes.
Or, des chiffres récents des Centres fédéraux de contrôle et de prévention
des maladies (CDC) portant sur 28 Etats américains montraient que 23,6% des décès
survenaient chez des moins de 25 ans, 65% dans le groupe des 25 à 64 ans et
seulement 11,6% chez les 65 ans et plus.
« A la différence de la perception la plus répandue concernant la grippe H1N1, les hospitalisations et les décès se produisent à tout âge » a tenu à souligner le
Dr Janice Louie, du ministère californien de la Santé, l’une des auteures de l’étude publiée par le Jama. La plupart des personnes hospitalisées avaient des problèmes de santé préexistants accroissant le danger de complications, en particulier l’obésité,
identifiée comme un facteur spécifique de risque de mortalité par la grippe H1N1
et qui selon elle mérite davantage de recherche. « Les données sur lesquelles cette étude est fondée sont similaires à celles que nous avons dans l’ensemble des Etats-Unis et dans le monde, a pour sa part réaffirmé dans la foulée médiatique le Dr Thomas Frieden, directeur des CDC. Cela ne change pas nos recommandations de vaccination [avec priorité aux personnes de 6 mois à 24 ans et aux femmes enceintes] car la très grande majorité des personnes infectées par le virus H1N1 ont moins de 55 ans. » De bien beaux débats éthiques en perspectives outre-Atlantique (pourquoi laisser les personnes âgées au bord du chemin vaccinal ?) sans parler de la problématique d’une vaccination prioritaire sur la base de Guantanamo (geôliers et détenus) qui fait grand bruit dans le pays.
Acte II. Nous sommes en France, et nous sommes toujours le 4 novembre 2009. Et le ministère de la santé de prendre, une improbable pénultième prise de parole. Résumons librement le message officiel : près de 6 millions de personnes (dont l’entourage des nourrissons de moins de 6 mois) seront (devraient) dans un premier temps concernées par la campagne de vaccination contre la grippe H1N1pdm qui débutera le 12 novembre (au lendemain donc de l’anniversaire de l’armistice) dans la population générale. L’élargissement de la campagne inclura à cette date la quasi-totalité des personnels de santé, l’entourage familial des nourrissons de moins de 6 mois (qui eux-mêmes ne peuvent pas être vaccinés), les professionnels de la petite enfance et les sujets à risque de moins de 65 ans, Cette première liste de personnes qui seront invitées à se faire vacciner n’inclut pas les femmes enceintes, pour lesquelles les autorités sanitaires préfèrent –comprenne qui pourra- attendre l’arrivée d’un vaccin sans adjuvant.
On sait que la vaccination ne sera en aucun cas obligatoire et que le schéma vaccinal prévoit toujours à ce stade deux injections (à 3 semaines d’intervalle). Pour l’heure seul le vaccin Pandemrix de GlaxoSmithKline est aujourd’hui disponible avec quatre millions de doses ont déjà été reçues et 2 millions de doses hebdomadaires sont attendues à partir de la mi-novembre. Le vaccin de Novartis devrait arriver à partir du 15 novembre, en quantités plus limitées. Reste, en pratique, le faible écho jusqu’ici rencontré quant à la vaccination des personnels de santé des hôpitaux. On reconnaît ainsi dans l’entourage de Roselyne Bachelot et dans un de ces jolis euphémismes sculpté dans la langue de bois que « le taux d’adhésion reste limité ». Entre 40.000 et 50.000 hospitaliers – sur un effectif de 800.000 personnes – se seraient fait vacciner en deux semaines, selon des estimations ministérielles. Au choix : un bide, un gros souci, un drame.
Et s’il fallait conclure en une forme d’amorce de troisième acte on ajouterait que la circulation A(H1N1)pdm continue à s’intensifier dans toutes les régions. Selon l’Institut de veille sanitaire (InVS) 39 personnes ont été hospitalisées en réanimation ou en soins intensifs la semaine dernière, dont quatre sont décédées.
(A suivre)
Jean-Yves Nau
Protégeons nos personnes âgées à risque en priorité
Le bilan californien publié dans le JAMA ne nous apporte pas de résultats très nouveaux, il précise cependant la distribution d’âge des formes sévères, hospitalisées de cette grippe H1N1pdm. Habituellement, durant les épidémies de grippe saisonnière, seules les personnes âgées étaient sujettes aux complications et susceptibles d’être hospitalisées. Ou quasiment seulement elles. Les plus jeunes étaient certes déjà les plus souvent atteints par les virus saisonniers, mais ils n’étaient gravement atteints que de manière exceptionnelle et n’en mourraient pour ainsi dire jamais. Le virus de la grippe H1N1pdm ne semble pas infecter davantage les jeunes que les virus de grippe H1N1 saisonniers. En revanche, les complications graves et les décès concernent désormais les jeunes ; les jeunes aussi.
L’interprétation trop rapide de la plupart des lecteurs (et de bon nombre d’experts, y compris ceux qui se sont penchés sur les recommandations vaccinales officielles, y compris ceux de l’OMS) était de croire que la grippe H1N1pdm ne serait sévère que chez les jeunes, ou même surtout chez les jeunes. Il fallait lire semble-t-il : « chez les jeunes aussi ». Y avait-il tant de raisons qu’une telle grippe épargne les personnes âgées, fragiles et malades par ailleurs ? Pourquoi un virus qui sait être particulièrement virulent chez les jeunes, passerait-il sans faire de victimes chez des personnes fragiles ou très âgées ?
On a rapporté que les personnes âgées étaient en partie immunisées, probablement par la circulation de virus semblables il y a 50 ou 60 ans. C’est possible en effet. Mais les personnes âgées n’auraient-elles pas aussi été immunisées par des virus saisonniers un peu semblables qui ont circulé durant les années précédentes ? N’aurait-on pas pu servir ce discours de la protection naturelle des personnes âgées contre le H1N1pdm avec les virus de la grippe saisonnière ? Et pourtant, la plupart des décès durant la grippe saisonnière concerne les plus de 75 ans. Ce segment de la population qui doit présenter la plus grande proportion de personnes « immunisées » contre les souches circulantes reste, immuablement, celui qui paie le plus lourd tribut à la grippe saisonnière.
Soit on ne sait pas grand-chose du parallélisme entre l’immunité et la protection clinique effective. Soit la petite proportion (15-20 % malgré tout) de ceux qui ne sont pas immunisés avant l’épidémie est celle qui est le plus à risque. Il n’en demeure pas moins que les personnes à haut risque restent bien les personnes âgées ; et ce même si on est loin de tout comptabiliser aujourd’hui et alors qu’on ne voit que la partie émergée de l’iceberg de la mortalité (voir un billet précédent à ce propos). Le risque de décès, durant la grippe saisonnière est de l’ordre de 1 pour 1000, en grande partie chez les personnes très âgées. Pour cette grippe H1N1pdm, il faudra compter possiblement sur un risque analogue (ce n’est pas catastrophiste d’écrire cela quand même !), et en plus, sur une mortalité directe, inattendue de l’ordre de 1 pour 10 000 chez des jeunes que l’on ne s’attendait pas à voir dans les hôpitaux, dans les services de réanimation. On apprendra parfois qu’ils étaient en bonne santé auparavant et, plus souvent, qu’ils étaient atteints de maladies sous-jacentes ; mais des maladies qui, durant les grippes saisonnières, ne les prédisposaient pas à une complication fatale. Il faut donc – par précaution – protéger nos personnes âgées et ceux qui sont fragilisés par des maladies pré-existantes connues pour les mettre à risque de complications classiques de la grippe.
Antoine Flahault
lire le billetObserver autant que faire se peut, depuis la fin du mois d’avril, les différentes facettes de cette pandémie conduit régulièrement à un étrange constat : le décalage constant entre d’une part la « macrolecture » prévisionnelle qui en est faite par la communauté des experts et des institutions sanitaires internationales et, de l’autre, la perception de l’opinion. Tout se passe, en France, du moins comme si persistait un durable déni. Pourquoi « y croire » puisque l’on n’a rien vu ; ou presque. Pire les mesures préventives prises semblent exorbitantes par rapport au regard que l’on porte sur la réalité du risque. On se refuse à vouloir comprendre que la quasi-bénignité de la très grande majorité des cas individuels peut, en situation pandémique conduire à une véritable (transitoire mais véritable) désorganisation sociale. Après l’émotion nationale causée par l’annulation en catastrophe du match de football qui devait opposer l’Olympique de Marseille au Paris- Saint Germain la seule question qui compte est celle de savoir quand ce match pourra être joué. Les centaines de milliers d’amateurs de football français imaginent-ils ce que serait l’annulation durant plusieurs semaines de la quasi-totalité des rencontres du championnat professionnel, sans même parler de celle des compétions européennes ?
L’Europe justement ; ou plus précisément l’Union européenne. On ne l’a guère entendue ces derniers mois sur le front de la lutte contre la pandémie. Principe de subsidiarité oblige le charbonnier étatique est maître chez lui tandis que Bruxelles regarde ailleurs se passionnant, par exemple cet été, pour la modification des règles permettant d’élaborer des vins rosés (mais j’y songe, pourquoi ne pas mélanger vins blancs et vin rouges ?) ou montant aujourd’hui en première ligne pour tenter de rééquilibrer le marché du lait en plein marasme.
Qui, en France et dans les vingt-six autres Etats de l’UE, connaît le nom de la Commissaire européenne à la Santé ? La Commission devrait d’urgence faire un sondage sur ce thème ne serait-ce que pour faire saisir à quel point, pandémie ou pas, l’Europe sanitaire est un mirage. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir centralisé (et ainsi fait baisser) l’acquisition des vaccins ? Androulla Vassiliou (c’est d’elle dont il s’agit) vient de tenter de se faire entendre. Elle l’a fait dans la presse allemande (pourquoi allemande ?) datée du 27 octobre. « D’après tout ce que nous savons, jusqu’à 30% de la population peut attraper la grippe porcine (sic). Dans ce cas, nous devons nous attendre malheureusement à un nombre de morts important, a déclaré cette ressortissante chypriote au quotidien die Welt. Il est à craindre que le virus évolue et devienne nettement plus agressif dans les prochains mois. »
Mme Vassiliou appelle donc les Européens à « rester vigilants » et à « ne pas négliger » les conséquences socio-économiques de la pandémie.
« La reprise économique dans l’UE pourrait être affaiblie. Certains secteurs économiques comme le tourisme ou l’industrie des loisirs pourraient subir des préjudices, ajoute-t-elle. On peut imaginer qu’une augmentation des arrêts maladies et qu’une baisse de la consommation en raison du sentiment d’insécurité provoquent une baisse de productivité et des perturbations dans le système de production. »
Et Mme Vassiliou de prôné la fermeture « immédiate » des établissements scolaires où des cas de grippe A(H1N1)pdm seraient confirmés et l’ « annulation » des compétitions sportives et des manifestations artistiques également affectées. Elle exhorte encore les Européens à se faire vacciner en grand nombre au motif que « plus il y a de personnes vaccinées, moins la pandémie peut se développer ».
Les vaccins précisément. Le même jour où Mme Vassiliou s’exprimait en Allemagne l’OMS lançait un cri d’alarme depuis La Havane où sa directrice générale –le Dr Margaret Chan- effectuait un voyage. Selon elle le constat est simple : il va manquer « des milliards de doses » pour protéger la population des pays pauvres contre la pandémie. « La capacité globale d’acquisition des vaccins est limitée et inadéquate et il manquera toujours des milliards de doses pour protéger toute la population » a déclaré le Dr Chan tout en rappelant que l’OMS allait commencer à distribuer en novembre des vaccins à plus de 100 pays en développement, dont Cuba. Il s’agira de vaccins fournis par les groupes pharmaceutiques producteurs et par certains pays industriels qui se sont engagés à promis de distribuer jusqu’à 10% de leurs stocks aux pays pauvres. Tout ceci devrait pouvoir protéger près de 2% de la population de ces pays pauvres d’ici quatre ou cinq mois.
Jean-Yves Nau
Expliquons-nous sur les morts dues au H1N1pdm
Tout ce que l’on peut entendre, voir ou lire ici et là nous conforte dans l’idée qu’il nous fallait impérativement tenir ce journal de bord de la pandémie. A la différence des romans d’aventure les livres de bord des navires ne narrent pas des péripéties quotidiennes. La monotonie de la mer d’huile peut se reproduire plusieurs fois au cours d’une traversée hauturière. La constance de l’alizée peut sembler bien longue au portant en longeant les tropiques….
Pour notre part nous retrouvons ici un temps qu’il nous semble avoir déjà vécu il y a plusieurs mois déjà, puis une nouvelle fois il y a quelques semaines. Les modèles prédictifs avaient prévu dès le mois de juin que le tiers de la population mondiale pourrait être contaminée par le A(H1N1)pdm. L’OMS l’a répété également, de même que les autorités sanitaires nord-américaines et britanniques. On a aussi entendu, et ce à de nombreuses reprises qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à un accroissement de la sévérité du phénomène avec l’approche de l’hiver.
Etait-ce là un discours mobilisateur ? Peut-être. Etait-ce au contraire un discours quelque peu lénifiant ? Pas si sûr. Les enseignants disent souvent (eux aussi) que la répétition est la base de l’apprentissage. Ce qui nous importe avant tout ici, c’est « l’état de la mer ». J’entends souvent « ça me fait penser au bug de l’an 2000 cette histoire de pandémie ! ». Il est vrai que l’expérience de l’hémisphère Sud semble contredire des prévisions considérées aujourd’hui comme par trop « alarmistes ». Le fameux « taux d’attaque » de 30% n’y était pas au rendez-vous. La Nouvelle Calédonie dont 15% de la population a été atteinte aurait été l’un des territoires du Pacifique Sud les plus frappés. Mais on ne connaît pas vraiment la proportion des cas asymptomatiques et des cas paucisymptomatiques, ceux que l’on ne repère pas dans la veille sanitaire classique. Ces cas correspondaient-ils en valeur absolue à ceux des infections cliniques comme on l’a vu dans les précédentes pandémies grippales ? Si oui alors, en Nouvelle Calédonie, on retomberait sur la proportion prédite de 30% de taux d’attaque.
Mais tout ceci n’ébranle pas -à raison peut-être – les tenants de la théorie du bug de l’an 2000: ce qui nous attend n’est pas terrifiant. Sauf si la Commissaire européenne à la Santé parlait de 30% de taux d’attaque « clinique » sous-entendant que 60% de la population européenne risquait d’être infectée… Comment savoir ? Cette confusion des termes ne renforce pas la crédibilité du discours général. Disons que nous n’avons pas beaucoup d’éléments nouveaux, et que l’on pourrait bien connaître des taux d’attaque supérieur à ceux observés dans l’hémisphère Sud.
D’ailleurs, l’observation attentive des courbes épidémiques de grippe dans les zones tempérées de l’hémisphère Sud montre que la pandémie a causé des épidémies beaucoup plus fortes que durant les années précédentes (entre deux et cinq fois plus fortes). Si 10 à 15% de taux d’attaque clinique durant l’hiver austral avec la nouvelle souche pandémique ne semble pas un niveau très important, il faut rappeler que dans ces territoires (les moins peuplés du globe) les épidémies de grippe ne se comportent pas tout à fait pareil que dans l’hémisphère Nord. On peut aisément le comprendre : pour aller d’île en île, de ville australe à ville australe, la dynamique épidémique peut perdre un peu en intensité ; c’est le phénomène de l’amortissage bien connu dans la théorie du signal. On a déjà observé cela. De là à avoir expliqué et compris ces phénomènes, il y a un pas que je franchis peut-être ici, j’en conviens.
Et puis, il y a la mortalité de la grippe. On lit, notamment sur notre blog, des commentaires à la fois riches, documentés, et nombreux, y compris rédigés par des enseignants-chercheurs, des mathématiciens sceptiques qui nous aident à réfléchir. A mon sens cependant (et ce n’est pas faute de l’avoir martelé partout) les vraies mécanismes de la mortalité restent peu connus du public, y compris du public averti. Mais pas des chercheurs et des spécialistes du domaine. Alors expliquons-nous.
Nous nous en sommes entretenus récemment, notamment avec des experts de l’OMS, des CDC et de l’ECDC à Berlin au World Health Summit où plusieurs sessions ont été consacrées à la pandémie. Contrairement à ce qui est souvent dit la mortalité par grippe saisonnière dans les pays développés, n’est pas de un cas pour 10 000, ni de un cas pour 100 000 : elle est de un cas pour 1 000 infections par le virus de la grippe. Oui, c’est considérable. La mortalité par grippe pandémique serait-elle, du coup, inférieure ? On ne peut pas le dire. Pas aujourd’hui. Pas encore. Elle est même probablement un peu supérieure, mais ce n’est pas non plus certain.
Attention : il ne faut pas changer la méthode de mesure de la profondeur du phénomène au milieu du gué. Ou bien l’on noie ses auditeurs. C’est cependant ce que font beaucoup de personnes, y compris de nombreux experts. La mortalité par grippe ne se mesure pas (ou pas seulement) par le décompte des victimes de la grippe rapportées par les médecins. C’est une notion fondamentale à garder à l’esprit. Revenons sur les bases de calcul de cet excès de mortalité et sur le hiatus avec l’identification clinique (des médecins).
Le dénominateur d’abord : sachant qu’une infection sur deux est asymptomatique, on estime à 6 millions le nombre moyen d’infections par grippe saisonnière. Donc avec un numérateur à 6000 décès, la surmortalité par grippe chaque année est (en moyenne) de 1 pour 1000. Or en France seuls 600 décès en moyenne sont rapportés par les médecins comme des morts attribuées à la grippe (cause principale ou secondaire) dans les registres de mortalité de l’Inserm. Ainsi, seuls 10% des décès dus à la grippe sont identifiés par les médecins. Les 90% restants viennent des statistiques de mortalité générale, une fois qu’on a pu les récupérer.
On s’aperçoit en effet, de manière reproductible et quasi constante, qu’à chaque fois qu’une épidémie de grippe saisonnière passe dans le pays, un excès de mortalité est observé par rapport aux mois des années précédentes où elle n’était pas passée. Nous le savons parce que la grippe saisonnière dure environ un ou deux mois, se produit chaque année, mais ne débute pas à une date régulière. Elles peuvent survenir selon les années entre novembre et mars. On retrouve le même phénomène, avec la même ampleur, aux USA, au Royaume-Uni, en Australie, et dans tous les pays où l’on a étudié ces phénomènes.
Autre précision, cet excès de mortalité concerne les personnes de grand âge (pour plus de 80% des plus de 75 ans). De quoi sont-elles décédées si les médecins n’ont pas identifié la grippe comme une cause possible de leur décès ? On ne sait pas aujourd’hui répondre à cette énigme. Il faut reconnaître que la mortalité des personnes de grand-âge l’hiver ne passionnait pas les chercheurs jusqu’ici. Une infection asymptomatique qui viendrait déstabiliser un équilibre de santé précaire chez une personne très fragile ? On en saura peut-être davantage si des études sont conduites à l’occasion de cette pandémie. Toujours est-il que pour 90% des décès par grippe, la grippe est passée par pertes et profits dans l’éventail des causes de décès que l’on demande au médecin d’identifier lorsqu’il est appelé à compléter le certificat médical de décès.
Et alors, pour cette pandémie, qu’en est-il ? C’est simple : il est beaucoup trop tôt pour le dire car on ne dispose pas des données de mortalité de toutes causes en temps réel. Sauf aux USA qui ont construit un échantillon de 122 villes où ces données sont rapportées en temps réel. Ils n’ont rien observé durant l’été, mais l’épidémie estivale y a pris la forme de petits foyers, certes multiples et médiatisés, mais sans véritable ampleur ; rien à voir avec les épidémies hivernales saisonnières. D’ailleurs, depuis quelques semaines, les spécialistes américains observent un excès de mortalité qui n’est pas encore analysé en détail, mais qui est significatif (notamment sur les classes d’âge concernées). Il s’agit sans doute du premier signal tangible d’un excès de mortalité observé avec cette grippe H1N1pdm (voir bulletin des CDC sur la grippe H1N1pdm de la semaine en cours, en anglais).
L’InVS en France a mis en place récemment (après la canicule de 2003) un système un peu analogue d’analyse en temps réel de la mortalité de toutes causes ; on pourra donc suivre cet aspect aussi tout au long de l’hiver (voir bulletin InVS de la grippe H1N1pdm du 27 octobre par exemple, fichier pdf). Dans les autres pays européens, je n’en ai pas connaissance. Dans l’hémisphère Sud, aucune donnée de ce type n’a été rapportée durant l’hiver austral. Il faut souvent de longs mois avant que ces données soient disponibles. Elles le seront un jour bien sûr. Mais, tenons l’hypothèse aujourd’hui, somme toute raisonnable, que l’excès de mortalité chez les personnes âgées par cette grippe pandémique ne sera pas inférieur à celui observé habituellement durant les grippes saisonnières. Un pour mille.
Ce qui change, en revanche, et notablement, durant cette pandémie, c’est le profil de la partie émergée de l’iceberg : cette mortalité identifiée par les médecins et qui nous est aujourd’hui rapportée. Cette mortalité directement attribuable à la grippe. La mortalité directe par grippe saisonnière – tout comme l’ensemble de l’excès de mortalité – concerne habituellement les personnes très âgées (les plus de 65 ans pour la plupart). En effet, les adultes jeunes et les enfants ne meurent pas de grippe saisonnière. Or ce sont principalement eux qui meurent de la grippe pandémique. Les adultes jeunes ne sont qu’exceptionnellement hospitalisés en soins intensifs pour la grippe saisonnière. Or ce sont essentiellement eux qui sont aujourd’hui (qui étaient cet été dans le Sud) pour certains entre la vie et la mort en soins de réanimation, sous ventilation, ou pire encore sous oxygénation par circulation extra-corporelle (ECMO). Ils ne représentent sans doute « que » 10% de la mortalité attendue (ce qui fait dire à certains, hâtivement peut-être, que la grippe pandémique semble tuer moins que la grippe saisonnière), mais ces 10% n’ont en rien le visage attendu. De plus, dans près de deux-tiers des cas, ces malades qui font des formes malignes de grippe pandémique sont des personnes qui souffraient de maladies pré-existantes : diabète, asthme, bronchite chronique, obésité majeure. Trop fréquemment aussi, ce sont des femmes enceintes. Mais habituellement un diabétique, un asthmatique, un obèse, ou une femme enceinte peut redouter qu’une grippe saisonnière le fatigue davantage qu’un autre, mais pas d’en mourir.
En conclusion (et l’on me pardonnera – peut-être – d’avoir été un peu long aujourd’hui alors même que j’annonçais qu’il n’y avait rien de très nouveau sous le soleil) on peut s’attendre à deux choses. D’une part à un effet amplificateur de l’excès de mortalité en raison du taux d’attaque qui pourrait être entre deux et cinq fois supérieur à celui d’une grippe saisonnière. Et d’autre part on peut craindre une mortalité directe très rare (1 pour 10 000 ? On ne sait pas encore très bien, mais c’est la seule estimation que j’ai pu faire vers la fin du mois d’août et qui résiste aux chiffres apportés depuis, gratuit en ligne, en anglais). Une mortalité directe très rare, mais au visage très inhabituel aussi touchant des jeunes (des enfants et notamment des nourrissons) et des adultes, avec ou sans maladies sous-jacentes.
Antoine Flahault
L’information nous parvient de Washington. Et comme nombre des informations essentielles concernant les dernières évolutions de la pandémie aux Etats-Unis elle nous est fournie par la voix du Dr Anne Schuchat, directrice de l’immunisation et des maladies infectieuses des plus que prestigieux « Centre fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ». En résumé, c’est une confirmation : les personnes jeunes, âgées de moins de 25 ans, sont bel et bien la catégorie de la population américaine la plus durement touchée par la nouvelle infection grippale. Telle est la principale conclusion qui peut être tirée des dernières statistiques partielles d’hospitalisations et de mortalité publiées le 20 octobre par les autorités sanitaires fédérales.
Du 1er septembre au 10 octobre, 27 Etats américains ont recensé 4.958
hospitalisations dues à l’aggravation d’une infection par le A(H1N1)pdm et 53% d’entre elles concernaient des personnes de moins de 25 ans. D’autre part 39% des hospitalisations ont concerné des personnes de 25 à
64 ans et seulement 7% des personnes de 65 ans Selon le Dr Schuchat quand bien même elles sont incomplètes ces statistiques permettent d’établir les caractéristiques l’actuelle pandémie sont radicalement différentes des grippes saisonnières.
Poursuivons la lecture de ces statistiques américaines. Sur les 292 décès confirmés comme étant associé au A(H1N1)pdm recensés dans 28 Etats entre le 1er septembre et le 10 octobre, près d’un sur quatre (23,6%) ont concerné des personnes de moins de 25 ans ; 65% des personnes âgées de 25 à 64 ans et 11,6% chez les 65 ans et plus. Chaque année aux Etats-Unis les grippes saisonnières sont à l’origine de 36.000 morts qui, dans 90% des cas concernent les plus de 65 ans.
Une majorité des jeunes morts après la nouvelle infection virale souffraient certes de problèmes chroniques de santé, aux premiers rangs desquels une maladie asthmatique ou une insuffisance cardiaque. La minorité qui était préalablement a priori en bonne santé a le plus souvent succombé à une infection pulmonaire aiguë dont les conséquences ont dépassé les possibilités des services spécialisés de réanimation. Il y a quelques jours le Dr Schuchat avait fait part de 43 décès « pédiatriques » associés au A(H1N1)pdm survenus entre le 1er septembre et le 10 octobre aux Etats-Unis, les adolescents de 12 à 17 ans ayant été les plus touchés avec près de la moitié des décès. Le nombre des morts pédiatriques liées au virus H1N1 atteint au total 86 depuis le début de l’infection en avril aux Etats-Unis. Comment comprendre et quand comprendrons-nous?
Dans le pays la maladie sévit désormais dans 41 Etats. Le 20 octobre près de 13 millions de doses vaccinales avaient été livrées (contre 9,8 millions la semaine précédentes). Initialement 50 millions de doses étaient attendues pour la fin du mois mais il faudra très vraisemblablement compter avec des retards de livraisons du fait de l’intensification des procédures de sécurité sanitaire. La priorité demeure les personnels de santé, les enfants, les femmes enceintes et les personnes souffrant de pathologies chroniques. Les adultes et les personnes âgées attendront que les 114 millions de doses commandées soient livrées.
Jean-Yves Nau
Dans le vif de notre sujet
Avec ce premier retour d’une expérience vécue de manière à la fois post-estivale et précoce dans « notre » hémisphère Nord (les données ne remontent qu’au premier septembre dernier, elles sont donc très récentes), nous entrons bel et bien là dans le vif de notre sujet. Il s’agit bien de la vague pandémique qui commence à affecter notre hémisphère et ce durement, c’est-à-dire selon la même dynamique que celle observée dans l’hémisphère Sud ; et ce me semble-t-il avec la même intensité et les mêmes caractéristiques.
Durant ce premier mois de démarrage épidémique précoce, plus précoce (d’un mois peut-être que celui que nous connaissons en Europe) les Etats-Unis ( pays cinq fois plus peuplé que la France) notent-ils donc près de cinq mille hospitalisations pour grippe, la moitié chez des jeunes de moins de 25 ans, et 292 décès, le quart chez des moins de 25 ans.
Comme Jean-Yves Nau prend soin de le souligner ce n’est pas du tout le profil des grippes saisonnières qui pour l’essentiel donnent lieu à des complications chez des personnes âgées ou très malades par ailleurs. La vérité aujourd’hui observable est que cette grippe « H1N1pdm » semble susceptible, haut delà de la normale connue, d’entraîner des complications (y compris mortelles) chez des jeunes adultes (même en bonne santé). De ce fait le débat commence à évoluer aux Etats-Unis. On y évoque moins les risques hypothétiques du vaccin ; le discours cède la place aux controverses sur la disponibilité du vaccin : en aura-t-on en quantité suffisante et en temps et en heure pour se protéger ?
Pour l’heure nous restons en Europe centrés sur d’autres questions : mais où est-donc passé le virus ? l’épidémie a-t-elle véritablement démarré ? Pourquoi nos concitoyens (nos confrères) resteraient-ils à ce point réticents et méfiants vis-à-vis des protections vaccinales bientôt disponibles ?
L’épidémie a certainement commencé en France aussi, mais probablement pas avec la même intensité qu’aux Etats-Unis. Mais comment savoir ? Faute d’une veille sanitaire précise, faute d’une analyse virologique systématique d’un échantillon de la population suspectée d’être malade, on ne sait pas exactement où l’on en est encore. Le propos vaut pour toute l’Europe. Le nombre des cas mortels égrainés sur nos chaînes d’information sont un bien triste indicateur. Comment pourrions-nous échapper encore très longtemps à cette vague épidémique et à ses conséquences désormais de moins en moins imprévisibles ?
Antoine Flahault
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