Veillées d’armes à Paris et Genève
Cette pandémie grippale n’a pas échappé à une règle non écrite : celle qui veut que les grands phénomènes renvoient à l’usage itératif de métaphores guerrières. Filant ces dernières on pourrait aujourd’hui évoquer le concept de veillées d’armes.
Acte I. Paris tout d’abord. En deux points hautement stratégiques de la capitale on se prépare à enquêter ; ce qui, en démocratie, peut parfois se traduire par en découdre. Au Sénat tout d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite. Dans chacun de ces deux palais de la République française une commission d’enquête va bientôt être constituée qui vont passer à la question les responsables de la campagne nationale de vaccination contre le H1N1pdm.
Une fois n’est pas coutume, depuis les splendeurs aujourd’hui givrées du jardin du Luxembourg ce sont les sénateurs qui ont les premiers ouvert le feu. Ainsi, sur proposition du groupe communiste et parti de gauche, le Sénat a donc décidé, jeudi, la création d’une commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1) ». Les adversaires (pour ne pas parler des deux coupables) sont d’ores et déjà bien ciblés. Avant même l’ouverture des hostilités le Dr François Autain, rapporteur de cette commission dénonce « une surévaluation des risques et une dramatisation ». Il entend dès lors concentrer ses feux sur « le fait que ceux qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». Airs de fifre connus. « Nos travaux, menace-t-il, devraient donc porter essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes : la France a le plus grand gap entre le taux de vaccinés (7 % de la population) et le nombre des doses commandées (94 millions) ». La désignation des membres de cette commission sénatoriale devrait être votée en séance le mercredi 17 février.
Quelques hectomètres en aval de la rive gauche de la Seine, à l’Assemblée nationale, c’est un autre médecin élu (le Dr Jean-Luc Préel ; Nouveau Centre) qui est « rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A(H1N1) ». » Ici la focale est élargie. Le Dr Préel : « il convient de s’interroger sur les méthodes qui ont conduit à un échec, avec seulement 5 700 000 Français vaccinés ». Ce vice-président de la commission des Affaires sociales souhaite « mettre l’accent sur la mise à l’écart des généralistes, au profit de dispositifs collectifs, ainsi que sur les modalités des réquisitions dont ils ont fait l’objet ». Le vote en séance pour la mise en place de la commission est fixé au 24 février auditionnera pendant six mois les principaux responsables du plan de vaccination, ainsi que les experts et les dirigeants de l’OMS.
Ce Blog, autant que faire ce peut, se fera au plus vite et au plus juste le fidèle écho de ces enquêtes et des affrontements sans précédents auxquels elles devraient donner lieu.
Acte II. Genève ensuite, où à l’inverse il semble que l’on prépare l’armistice. La direction générale de l’OMS vient de faire savoir urbi et orbi qu’elle allait sous peu réunir un conclave baptisé « comité d’urgence ». Objectif : demander aux devins dénommés experts si la vague maligne est bien sur le recul. Ou, pour parler comme le Dr Keiji Fukuda, responsable des pandémies de grippe sur les rives du Lac Léman, si « le pic de la pandémie grippale H1N1 est passé ».
« L’OMS va demander à son comité d’urgence de se réunir à la fin du mois pour fournir à l’OMS un avis sur le fait de savoir si nous entrons dans une période d’après pic, a tenu à déclarer le Dr Fukuda lors d’une téléconférence comme toujours planétaire. Nous espérons que nous entrons dans cette phase, qui signifie que le pire est passé et que l’on se dirige progressivement vers une situation plus comparable à celle de la grippe saisonnière.» Le faux calme habituel après une tempête mois grave qu’annoncée ?
La réunion du conclave annonçant la fin des hostilités (comme toujours composé d’experts-prélats chargés de fournir des recommandations à l’OMS) pourrait se tenir « dans la dernière semaine du mois de février » ; à la veille des Ides de mars. Attention : le Dr Fukuda a prévenu le monde que cette phase de « transition » ne signifiait pas pour autant que la pandémie était terminée. Car si l’activité du H1N1pdm est depuis quelques semaines en déclin dans l’hémisphère Nord les sentinelles de l’OMS a constaté son apparition dans des régions où il n’était pas présent jusqu’alors, et notamment en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement au Sénégal. Alors, armistice ou pas ?
Acte III. Depuis Washington l’agence de presse Reuters nous mande la dépêche suivante : « La grippe A (H1N1) a peut-être tué 17.000 personnes aux Etats-Unis, dont 1.800 enfants, viennent d’annoncer les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les CDC et l’OMS ont cessé, il y a de cela plusieurs mois, d’essayer de compter tous les cas effectifs. L’OMS et le CDC estiment qu’il n’y a pas assez de tests à administrer pour vérifier que toutes les personnes souffrant de symptômes liés à la grippe A souffraient bien de la maladie. C’est pourquoi les CDC effectuent leurs propres estimations à
partir de modèles recoupant plusieurs sources d’information. La pandémie a conduit à l’hôpital autant de personnes que durant la période de grippe saisonnière, mais la plupart étaient plus jeunes. En outre, cela a eu lieu lors de mois où il n’y a en principe pas de grippe.
Les CDC estiment entre 41 et 84 millions le nombre de cas de grippe H1N1pdm survenus aux Etats-Unis entre avril 2009 et le 16 janvier 2010. Durant cette période, entre 8.330 et 17.160 personnes sont mortes des suites de cette infection virale ; la fourchette moyenne étant à 12.000. Entre 880 et 1.800 enfants sont décédés, jusqu’à 13.000 adultes de moins de 65 ans et entre 1.000 et 2.000 personnes
plus âgées. En temps normal, les CDC estiment que 36.000 Américains meurent chaque année des suites de la grippe dont 90% ont plus de 65 ans. »
Jean-Yves Nau
USA, crash de 30 jumbos remplis de grippés : aucun survivant.
Avec les enquêtes en gestation, les questions de conflits d’intérêts devraient bientôt être mises à plat. Et ce sera probablement utile. Un conflit d’intérêt pose un sérieux problème lorsqu’il n’est pas dévoilé par l’expert dès lors qu’une institution légitimée pour le faire le lui demande. Ensuite, d’autres types de questions se posent, qui ne sont bien souvent plus véritablement du ressort de l’expert. Quand doit-on demander à un expert ses conflits d’intérêt (en dehors des cénacles habituels) ? Lors d’une interview radiophonique ou télévisée ? Pour un « journal papier » ou sur un blog? Qui est légitime pour demander les conflits d’intérêt de l’autre ? Nous sommes régulièrement harangués à ce sujet par des blogueurs souvent anonymes qui n’envisagent pas un instant – eux – de déclarer s’ils ont – ou pas- de tels conflits !
Que fait-on des déclarations de conflits d’intérêts ? A partir de quel moment, juge-t-on qu’elles disqualifient les propos de l’expert ? Où va-t-on dans la déclaration de ses conflits d’intérêts : jusqu’aux liens familiaux ? Et qu’appelle-t-on « la famille », jusqu’où peut-on aller sans violer la vie privée des personnes ? Et puis, se posent des questions plus philosophiques (d’aucuns prétendront qu’elles sont posées pour détourner l’attention vis-à-vis de l’essentiel) : les conflits d’intérêts ne sont-ils que des conflits mettant en jeu des rapports d’argent qu’entretient l’expert ? Qu’en est-il des rapports concernant le sexe, le pouvoir, l’honneur ? Nous ne vivons pas dans un monde aussi simpliste qu’on voudrait parfois le croire.
Les décomptes des conséquences des infections par le H1N1pdm commencent à se consolider. On apprend que la « grippette » de certains a causé plus de morts que ceux initialement rapportés. Cela fera-t-il un deuxième scandale après celui de la « pandémie inventée » ? Irons-nous vers le procès de la veille sanitaire, après celui de l’expertise sanitaire ? Ce n’est pas sûr, car le taquet qui protège d’un tel scandale est fourni par les prévisions dites « alarmistes » des experts, c’est-à-dire le plus souvent par les chiffres de la mortalité saisonnière de grippe. Tant que la mortalité par grippe H1N1pdm ne dépassera pas quantitativement celle atteinte par la grippe saisonnière de moyenne virulence , le profane se dira qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Même 17 000 morts « pandémiques » en comparaison des 36 000 morts « saisonnières » (en moyenne) aux USA ne feront pas pleurer dans les chaumières. Et ce, alors même que l’analyse est rapide, encore peu étayée.
Outre-Atlantique nous avons en effet d’une part cette moyenne saisonnière de 36 000 décès attribués à la grippe et survenus pour l’immense majorité d’entre eux chez des personnes très âgées, le plus souvent très malades de surcroît. Ces décès sont même rarement identifiés par les médecins comme étant dus à la grippe : ce sont des « morts en excès » statistiquement identifiés sur les courbes de mortalité, mais jamais identifiés individuellement. Ces personnes sont décédées en pleine vague de grippe sans que l’on sache très bien d’ailleurs le lien de cause à effet entre la grippe et la mort ; sans que l’on sache même si ces personnes avaient seulement été infectées avant leur décès par le virus de la grippe saisonnière.
Et nous avons d’autre part entre 8 000 et 17 000 morts prématurées attribuées au H1N1pdm, survenues dans l’immense majorité chez des moins de 60 ans, dans une proportion non négligeable chez des jeunes en bonne santé, parfois chez des personnes dont on sait qu’elles souffraient d’un diabète ou d’un asthme (des maladies rarement mortelle en cas de grippe). Il s’agissait aussi parfois de femmes enceintes. Nous savons en outre qu’il y a eu par centaine de milliers (aux USA) des hospitalisations lors de cette épidémie, dans des tranches d’âge jamais observées auparavant avec une telle fréquence. Des hospitalisations souvent dans des services réanimation, parfois dans des conditions acrobatiques, avec un traitement complexe (autant que coûteux) par ECMO (machine permettant l’oxygénation de l’organisme par membrane extracorporelle).
Alors quelle est la vraie question aujourd’hui ? Probablement pas celle de savoir si « le » pic est derrière nous : oui, clairement, « un » pic est derrière nous. Plutôt celle de savoir ce que nous réservera le H1N1pdm durant les prochains hivers. Seront-ils à l’image de celui que nous venons de connaître ? Une fois les polémiques dépassées, ne finirons-nous pas par trouver ces hivers un peu longs… sans vaccin ? Une dernière question : combien d’équivalents de jumbo-jets ayant fait le plein de passagers faudra-t-il voir s’écraser sous nos yeux (en fin d’hiver) pour enfin se décider à réagir, à faire en sorte que plus de 9% de la population demande à (et puisse) être vaccinée pour éviter des milliers de morts prématurées ?
Antoine Flahault
M Flahault, sur les conflits d’intérêt, ce n’est pas parce que c’est compliqué et peut aller jusqu’à l’amant ou la maîtresse secrète de l’expert(e), qu’il ne faut pas appliquer un minimum syndical de décence. Toute expression publique d’un “expert” (oui qu’est-ce qu’un expert ? ) devrait sans doute faire l’objet d’une publication (filet en bas d’écran) de présence ou absence de conflits d’intérêt ou des détails, je ne sais et je m’en fiche parce que je pense que ce ne sera pas fait ne seraiît-ce que par la loi du moindre effort et la réticence des intéressés à afficher des sources de revenus, en France.
Vous faites bien de rappeler qu’il n’y a pas que la mortalité il y a aussi la morbidité (allez donc passer 15 jours en réa, les sceptiques) .
Mais ce faisant et parlant des Jumbojets (vous avez un conflit d’intérêt avec Boeing, pourquoi cet ostracisme contre Airbus A 380 hein ? ) vous illustrez bien le problème mais on vous reprochera de tomber dans l’émotionnel.
Des cyniques calculeraient le rapport coût /bénéfice…. et le compareraient à d’autres interventions.
Babaorom, anonyme pour de bonne raisons, et sans conflit d’intérêt sexuel, de pouvoir, financier. Juste une boîte de bon confit de canard.
La comparaison avec l’avion qui s’écrase a ceci de faux qu’une bonne partie de l’importance accordée à l’événement réside dans la perte d’un appareil qui coûte très cher en soi mais qui peut aussi compromettre ses ventes, la crédibilité de la compagnie ou du constructeur.
Idem pour le Titanic : ce ne fut pas seulement 2000 personnes d’un coup au fond de l’eau mais un magnifique bateau tout neuf. Sans cela il n’y aurait jamais eu de films sur le sujet.
Idem pour la guerre 14-18 par rapport à la grippe espagnole : la guerre ne fait pas que tuer des gens, elle détruit beaucoup de structures matérielles comme le font aussi les tremblements de terre qui détruisent aussi les habitations, les monuments, les routes etc toutes les structures qui permettent à la vie et aux échanges de reprendre et qui sont très longs à reconstruire.
Cette analogie entre les victimes de la grippe et celles d’accidents d’avion récupère donc quelque chose qu’on ne retrouve pas dans les conséquences réelles des maladies. C’est pourquoi elle ne me paraît pas vraiment acceptable.
Monsieur Flahault,
Il y a une loi de la République (article L4113-13 du CSP et son décret d’application R4113-110) qui répond à la plupart de vos inquiètes questions sur les conflits d’intérêts.
Elle vous concerne directement, vous, en tant que médecin, ainsi que le Dr Nau.
Que ne vous y référiez vous point !
Que ne l’appliquiez vous point !
Etonnant de la part d’un serviteur de l’Etat, directeur d’une de ses grandes écoles, non ?
“En matière de santé tout ce qui n’est pas transparent est réputé biaisé, corrompu ou incompétent jusqu’à preuve du contraire” Richard J Smith, BMJ 2003, rédacteur en chef du BMJ
Indépendant de l industrie pharmaceutique aujourd’hui n’est pas possible pour un médecin de haut niveau de connaissance ,chercheur,pour deux raisons :
1la médecine ne peut que rarement de passer des industriels ( loin est le temps des préparations artisanales de plantes)
2 l’industrie pharmaceutique et de matériel médical ne peut se passer de l expertise des Medecins ! Ca parait idiot a dire mais puisque l ebm nous impose de tout démontrer faut il à cette mode sacrifier en le disant et en le démontrant par les faits logiques absolu . Autrefois existait (peut être que plus maintenant) 😉 la démonstration par l absurde :
On peut rêver d’indépendance et prévoir des subventions pour indemniser les recherches infructueuses mais dans ce cas il faudra comme le suggèrent les polytechniciens en herbe ,nationaliser la recherche et supprimer les purs effets de la concurrence .
Le corollaire de la demande d’ independance est lanationalisation de l industrie pharmaceutique et médicale
De même que le métier de banquier ne supporte pas (on l a vu ) la concurrence (sur le dos du client qui seul assume les risques via ses impôts ) Autant ne laisser qu une seule banque d’ état susceptible de créer de la monnaie ,autant ne laisser que quelques labo internationaux sous le contrôle et la subvention de l’oms
Au fond si un procès d’intention peut être fait aux grands professeurs , c’est d’ abord au capitalisme qu’il faut le faire .