Continuer, coûte que coûte, à vacciner ?

Entre 20 et 30% de Français seraient déjà, « naturellement » ou pas, protégés

Après la transe, la pause ? La grippe pandémique ne fait plus beaucoup parler ; du moins dans cet espace à géométrie variable généralement qualifié, faute de mieux, de « médiatique ». Pour autant la machinerie institutionnelle et sanitaire est lancée que rien ne saurait brutalement arrêter. Ainsi en est-il de la vaccination. On le sait : les désormais fameux « centres dédiés », ces gymnases transformés durant quelques mois en dispensaires, ont retrouvé leurs sportifs en herbe. Mais on sait aussi que leurs portes fermaient quand les médecins généralistes et les pédiatres exerçant dans le secteur libéral avaient retrouvé toute latitude pour immuniser. En ce début du mois de février doivent-ils le proposer ? A qui et sur quelles bases rationnelles ? Les médias devenus silencieux à quels saints les praticiens doivent-ils désormais se vouer ?

En France, depuis le début de l’épidémie, 1 266 cas graves et 275 décès liés à la grippe ont été signalés. Parmi eux, 257 cas graves (20 %) et

42 décès (15 %) sont survenus chez des personnes n’ayant pas de facteur de risque. Ajoutons à ce constat quelques éléments officiels de réponse avec la précieuse aide du « Haut Conseil de la santé publique » (HCSP) qui vient d’émettre un avis « relatif à la pertinence de la poursuite à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) 2009 (daté du 29 janvier 2010) ; avis qui, pour peu que l’on s’intéresse à lui, « doit être diffusé dans sa totalité, sans ajout ni modification » ; ce que les progrès de la toile numérisée autorisent désormais sans difficulté   http://www.hcsp.fr/docspdf/avisrapports/hcspa20100129_pertH1N1.pdf

Cette vénérable institution avait été saisie le 6 janvier par le Pr Didier Houssin, Directeur général de la santé afin qu’elle donne un avis « sur la continuation de la campagne de vaccination pandémique en cours, et ce dans l’état actuel de la situation épidémiologique liée au virus grippal pandémique et de l’avancement de la campagne ». On peut l’écrire autrement : poursuit-on l’ouvrage collectif ou arrêtons-nous les frais ? Et comment se préparer au mieux pour la prochaine campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2010/2011 avec le A(H1N1)pdm  dans notre nouveau paysage épidémiologique ?

C’est peut dire que le HCSP joue, ici,  la prudence. Extraits :

« L’évolution de l’épidémie présente un caractère incertain. Les données épidémiologiques actuelles sont en faveur de la fin de la vague épidémique de grippe à virus A(H1N1)v. Toutefois, le virus continue à circuler et il est très probable que cette circulation perdure dans les

semaines à venir. L’hypothèse de la survenue prochaine d’une ou de plusieurs autres vagues pandémiques semble peu probable. En revanche, la possibilité d’une saison grippale 2010-2011 durant laquelle cette souche prédominerait est plus que vraisemblable. »

« L’épidémiologie de la grippe A(H1N1)2009 varie selon les pays avec, dans certains pays, une seule vague l’hiver et dans d’autres, comme le Mexique ou certaines parties des Etats-Unis, deux ou trois vagues successives d’intensité différente. Il n’existe pas de variations génétiques ou antigéniques significatives identifiées à ce jour chez les souches de virus A(H1N1)v analysées. »

Et le HCSP de rappeler quelques faits qui peuvent faire politiquement mal :

« L’objectif principal de la vaccination pandémique débutée à l’automne 2009 était la réduction du risque de formes graves et de décès. La maîtrise de la dynamique épidémique était également souhaitée mais s’est avérée hypothétique du fait de la mise à disposition tardive des vaccins pandémiques. Le bilan de la campagne de vaccination pandémique montre l’insuffisance de la couverture vaccinale obtenue : 5,74 millions de sujets, soit 9 % de la population française, ont été vaccinés à la date du 18 janvier 20102 [données du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises]. »

Il ajoute :

« Il est difficile de déterminer le nombre de personnes ayant une immunité protectrice  car il s’agit aussi bien des personnes protégées par le vaccin ou par l’infection, y compris celles ayant présenté une forme clinique asymptomatique, que les sujets ayant bénéficié d’une pré-immunité. Les estimations produites par l’InVS sont en faveur d’une proportion de la population immunisée contre le virus A(H1N1) par une infection ou une vaccination récente qui se situerait, début janvier 2010, entre 19 % et 30 %, soit 12 à 18 millions de sujets. Ces valeurs sont proches de la proportion de la population qui devrait être immune pour interrompre la circulation virale (…) Ces résultats ne sont pas en faveur, sous l’hypothèse de la stabilité génétique du virus, de la survenue d’une vague épidémique de grande ampleur. »

On peut le dire autrement : la campagne de vaccination associée à la somme des contaminations virales visibles ou invisibles fait que la population française de l’Hexagone ne doit pas redouter de nouvelles attaques massives pandémiques.

Et au final, cette recommandation du HCSP au gouvernement français :

« (…) poursuivre la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)2009 pour : les personnes estimées à risque de complications lors d’infection par le virus A(H1N1)v, quel que soit leur âge ; les personnels de santé et médico-sociaux les plus exposés au risque d’infection grippale et amenés à avoir des contacts fréquents et étroits avec des personnes grippées ou estimées à risque de complications. »

En ce qui concerne les personnes sans facteur de risque, le HCSP rappelle enfin (mais comment pourrait-il faire autrement ?) « que toute personne qui le souhaite doit pouvoir être vaccinée ».

Au total, donc, un avis architecturé, prudent autant que mesuré, a priori débarrassé de toute forme de conflit d’intérêts : en substance on peut raisonnablement réduire la voilure vaccinale. Or voici que nanti de cette réponse le Pr Didier Houssin vient de déclarer « Quotidien du médecin » que le gouvernement français ne modifierait nullement sa communication et continuera à exhorter les médecins à poursuivre la vaccination de la population générale. Comment comprendre ? « C’est parce que nous enregistrons un taux élevé de cas graves et de décès chez des personnes dépourvues de facteurs de risque que la question de réviser notre stratégie vaccinale ne nous semble pas aujourd’hui posée, alors que les données de pharmacovigilance confirment la très bonne tolérance des vaccins et que nous disposons des vaccins en nombre suffisant » explique le Pr Didier Houssin.  Pour lui « la modification de la communication officielle sur la vaccination est d’autant moins opportune que nous sommes en présence d’un virus qui, sans avoir subi de mutations génétiques ou antigéniques à ce jour, suscite des évolutions épidémiques un peu erratiques. Le Haut Conseil n’en disconvient pas, qui constate que le virus continue à circuler et qu’il est très probable que cette circulation perdure dans les semaines à venir. »

Quelle meilleure conduite à tenir pour les médecins libéraux  en charge de la vaccination ?  Le Pr Houssin distingue deux cas : « Les patients qui demandent à être vaccinés et qui, naturellement, doivent l’être, et ceux qui demandent conseil à leur praticien, qui doivent recevoir une réponse favorable à la vaccination. » Perfide ou pas Le Quotidien du médecin précise qu’au cabinet de Roselyne Bachelot, ministre de la santé, la question d’une suite officielle à donner à l’avis du HCSP, dix jours après sa publication est toujours à l’étude. Un premier symptôme d’un début de vacance ministérielle ?

Jean-Yves Nau

Un vaccin anti grippal aussi légitime que celui contre la méningite

Il est sans doute quelque peu difficile de faire des recommandations vaccinales pour une maladie dont on cerne mal encore le potentiel épidémique à venir. Certains éléments apparaissent néanmoins clairement aujourd’hui : le H1N1pdm s’est conduit comme les virus H1N1 saisonniers concernant la distribution d’âge des taux d’attaque. En clair, le profil d’âge des personnes qui ont été infectées par le virus H1N1pdm a été le même que celui de la grippe saisonnière H1N1.

Ce virus s’est montré en revanche, très différent de celui du H3N2 saisonnier qui attaquait surtout les personnes âgées (et les faisait mourir, mais très indirectement, essentiellement par décompensation de maladies graves pré existantes). Le H1N1pdm s’est attaqué aux jeunes, notamment aux très jeunes (de moins de deux ans), et très peu aux plus de 60 ans. Son agressivité directe (mesurée par la mortalité au décours d’une hospitalisation, Louie JK et coll, Jama, nov. 2009, résumé en anglais en ligne) s’est avérée supérieure chez les adultes jeunes et les personnes âgées par rapport aux enfants (et de même ordre de grandeur chez les personnes âgées et chez les adultes plus jeunes, contrairement à une idée reçue).

L’agressivité directe du H1N1pdm a été d’une extraordinaire intensité cet hiver, on l’a rappelé à plusieurs reprises, de l’ordre de cent fois celle attendue avec les souches saisonnières. Le rapprochement de l’épidémiologie de H1N1pdm avec les souches de méningocoques est de ce fait pleinement licite, notamment pour éclairer les décisions en matière de politique vaccinale. Le portage du méningocoque est sinon ubiquitaire, du moins largement répandu dans la population, le plus souvent selon l’expression clinique d’un portage asymptomatique ou pauci-symptomatique. Dans de rares cas cependant, sans d’ailleurs que l’on sache très bien pourquoi, la bactérie devient hautement invasive, entraîne une pneumonie grave ou un purpura fulminans, forme fortement létale de méningite.

On a dénombré 36 décès dus au méningocoque en 2002 en France. Le virus de la grippe H1N1pdm a tué 275 personnes de façon directe, en dehors des décompensations de maladies pré-existantes dont on ne connaît pas encore le chiffre aujourd’hui, mais qui pourrait être très inférieur à celui provoqué lors d’épidémies saisonnières H3N2, ce que l’on ne savait pas anticiper en juin, ni même en septembre 2009 ; et ce quoi qu’en pensent certains blogueurs qui continuent à croire sur notre site qu’on a sciemment voulu occulter une réalité que l’on aurait pu appréhender. Faut-il ici redire que nul ne savait ce que la mortalité indirecte allait provoquer jusqu’à ce que les premières estimations de cette mortalité indirecte soit transmises par les USA ou l’hémisphère sud, c’est-à-dire très tardivement ? Si cette incompréhension ou suspicion demeure, il nous faudra refaire un point à ce propos.

Le portage H1N1pdm était massivement asymptomatique dans la population. Même si la proportion exacte de ce portage n’est pas encore connue, les recherches actuellement en cours que nous conduisons sur des échantillons représentatifs de la population permettront de mieux l’évaluer. Le HCSP évalue avec l’InVS entre 19 et 30% (entre 12 et 18 millions) le nombre des infections H1N1pdm qui seraient survenues depuis le démarrage de la pandémie en France.

Que se passera-t-il l’hiver prochain ? Nul ne le sait. Une nouvelle épidémie H1N1pdm ? Possible. L’émergence d’une souche saisonnière H1N1 issue de H1N1pdm de 2009 ? Possible aussi, et très probable à terme, c’est-à-dire dès 2010-2011 ou sinon après. Le retour aux vieilles souches saisonnières H3N2 et/ou H1N1 ? Possible, mais peu probable, en raison de l’expérience apprise des pandémies passées.

Quelle différence entre les trois scénarios ? Le premier (H1N1pdm sans mutation) devrait se traduire par une épidémiologie amortie par l’immunité grégaire, acquise par la population tant par la vaccination (9%) que par l’infection naturelle (19 à 30% ?). Amortie mais probablement pas totalement gommée. Le deuxième scénario pourrait se traduire par une vague saisonnière d’amplitude habituelle, mais aux caractéristiques H1N1, c’est-à-dire attaquant davantage les jeunes que les personnes âgées, avec donc une mortalité indirecte restant faible. Le troisième scénario serait celui d’un retour à l’épidémiologie de la grippe saisonnière telle qu’on la connaissait avant la pandémie d’origine nord-américaine de 2009.

Si l’on table sur les deux premiers scénarios, le bien fondé de la vaccination pandémique est donc plus que légitime. Au moins avec la même légitimité que la vaccination contre la méningite à méningocoque. Eviter autant que possible la mortalité directe sera alors l’objectif affiché de lutte contre cette souche H1N1 pandémique ou dérivée (par légère mutation). Le vaccin « adjuvanté » devrait être efficace dans les deux cas, et l’on sait aujourd’hui sa bonne tolérance dans les populations qui l’ont reçu. Les personnes déjà vaccinées (ou naturellement contaminées durant l’hiver, mais comment le sauront-elles, en l’absence de tests sérologiques disponibles en routine ?) n’auront pas besoin de l’être à nouveau :  selon toute vraisemblance l’immunité conférée par la primo-vaccination/ primo-infection sera durable pendant plusieurs années contre la même souche, voire contre une souche légèrement mutée.

Le coût économique sera des plus modestes puisque le vaccin existe déjà et que les stocks permettent la vaccination en France. La restriction aux groupes à risques ? Mais quels groupes à risques : les diabétiques, les asthmatiques et les femmes enceintes ? Oui, certainement. Et ensuite : que fait-on des 42 décès sans facteurs de risque connus ? On les néglige, les accidents de la circulation automobile, les suicides et les cancers du poumon étant prioritaires ? Mais pourquoi accepterait-on ces 42 décès évitables chez des jeunes adultes en bonne santé alors que l’on cherche à contrer les 36 de la méningite cérébrospinale ? Parce que la grippe s’appelle grippe ? Parce qu’elle n’est pas grave dans l’inconscient collectif alors que la méningite a un nom qui à lui seul fait trembler ?

Non, Didier Houssin a raison de mon point de vue : le vaccin doit rester proposé à tous ceux, jeunes ou moins jeunes qui le souhaitent aujourd’hui. Il n’y a aucun intérêt en jeu dans l’affaire, puisqu’ils existent et sont déjà stockés. 1266 cas graves hospitalisés en réanimation pour une infection grippale en 2009, c’était du jamais vu en France lors d’un hiver normal. Certains veulent polémiquer aujourd’hui, c’est leur problème, qu’ils le fassent. D’autres ont aussi le droit de vouloir tout faire avec les moyens dont le pays dispose (et qui sont à disposition aujourd’hui), et sans en nécessiter de moyens supplémentaires, pour tenter d’augmenter la couverture vaccinale contre le H1N1pdm. Tenter ce n’est pas obliger. Tenter c’est vouloir convaincre.

Antoine Flahault

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