H1N1 tue (peu) les jeunes, H3N2 tuait (beaucoup) les vieux

On commence à tirer de nombreuses leçons de cette pandémie 2009, y compris à travers le dynamisme de ce blog (et de nos blogueurs que nous remercions, même si parfois la technicité de certains de leurs débats ne se met pas à la portée de tous), mais aussi dans les polémiques actuelles qui émergent en France et à l’Etranger. Si elle mêlent sans doute beaucoup de désinformation, elles sont aussi chargées de sens et d’enseignements qu’il faudra bien prendre à bras le corps et analyser en profondeur.

A propos de la mortalité, beaucoup continuent à confondre la mortalité directe de la grippe (les SDRA et les surinfections) et l’indirecte (celle qui fauche les personnes âgées et très malades, pas simplement porteuses d’un facteur de risque comme l’asthme, le diabète ou l’obésité). Il semble acquis et reconnu aujourd’hui que cette souche H1N1pdm est associée à une mortalité directe fortement supérieure à celle des souches saisonnières des années précédentes (j’avais dit 100 fois supérieure en août 2009, mais ce fut peut-être davantage encore). En cela, il est probablement faux de penser que cette souche pandémique est si voisine des souches H1N1 saisonnières, qui elles, n’étaient pas associées à une forte virulence (pas de SDRA ou presque dans les annales des saisons récentes de grippe). Qu’il puisse y avoir une vague immunité croisée plus ou moins efficace ne signe pas l’analogie des souches, loin de là. Elles semblent bien phylogénétiquement différentes.

A propos de morbidité, certains ont – j’ai personnellement – trop rapidement mis dans le même sac les différents sous-types de virus de la grippe, alors qu’une analyse historique plus élaborée aurait sans doute permis de mieux distinguer les sous-types H1N1 des sous-types H3N2. Ainsi, un papier de Lone Simonsen et coll.  (Am J Pub Health, 1997, abstract gratuit en anglais en ligne) fut le premier à en parler : il indique que le virus H1N1 (saisonnier) est associé à une faible mortalité chez les personnes âgées (mortalité indirecte donc) et Xavier de Lamballerie (Université de la Méditerranée et EHESP) a présenté au Congrès Mékong Santé (Vientiane, Laos, 27 janvier 2010) la distribution d’âge des cas de grippe pandémique qui est quasi-homothétique de la distribution d’âge des cas de grippe H1N1 saisonnière (très peu de cas après 60 ans, beaucoup de cas chez l’enfant jeune), mais différente des cas de grippe H3N2 saisonnière (certes une distribution jeune aussi, mais moins, avec notamment des cas en plus grande proportion chez les plus de 60 ans). Les données que j’avais l’habitude d’analyser étaient celles du réseau Sentinelles qui mélangent l’ensemble des syndromes grippaux quelle qu’en soit l’origine, puisqu’aucune analyse virologique n’y est pratiquée (et cela, il faudrait y remédier). Je n’avais pas intégré cette notion qui aujourd’hui apparaît clairement. Même s’il est toujours plus facile de dire cela après que sur le moment même, si nous avions pris en compte ces données, nous aurions probablement pu proposer assez tôt un scénario à mortalité faible, en suggérant que si cette souche H1N1pdm se comportait comme les H1N1 saisonniers, alors la distribution d’âge des cas, mais aussi celle des décès devrait être plus jeune, et peu impactée par la mortalité indirecte, à la différence des grippes H3N2. Il se trouve que les 6000 décès en excès attribués à la grippe retrouvés en France (ou 36 000 aux USA) sur les statistiques de mortalité sont une moyenne annuelle estimée sur les 20 dernières années, avec certaines années sans mortalité en excès (celles où la circulation de H3N2 n’était pas intense et H1N1 prédominait), certaines années avec plus de 6000 décès (forte activité et prédominance de H3N2). Il aurait peut-être paru audacieux (voire trop optimiste en avril 2009) de tabler sur une analogie de cette souche nouvelle H1N1pdm avec les souches H1N1 saisonnières, surtout en raison de l’histoire (la pandémie de 1918 fut H1N1 et très meurtrière, mais sans doute par mortalité directe, et probablement largement par surinfection bactérienne comme nous l’avons relevé dans d’autres billets).

Quand au brave Serfling, je ne vois pas de quoi fouetter un chat à son propos. Il a proposé dans les années 1960 un modèle de regression périodique qui tente d’éliminer le bruit de fond des séries chronologiques de grippe dont nous disposons (tout syndrome grippal n’est pas dû au virus de la grippe, toute mortalité par “pneumonie et grippe” n’est pas due au virus de la grippe). Il nous propose ainsi une robuste analyse du signal pour calculer un seuil d’alerte opérationnel (qui fonctionne très bien en routine) et une morbi-mortalité en excès (aire sous la courbe au-dessus du seuil de Serfling). Depuis de nombreux statisticiens ont passé ces séries chronologiques au crible d’autres méthodes disponibles et les résultats se sont révélés peu différents : la mortalité en excès est bien au rendez-vous de chaque hiver où le H3N2 circule, parfois en décembre, parfois en janvier, février ou mars. Ce ne semble ni le froid, ni d’autres facteurs qui sont en cause, mais bien la grippe (depuis L. Simonsen on devrait dire le sous-type H3N2), et de façon consistante, répétée, dans plusieurs pays de niveau sanitaire semblable, avec des méthodes différentes. Ce n’est pas loin de signer la causalité du virus de la grippe dans cette mortalité indirecte en excès observée.

Une leçon importante se profile : si désormais la grippe saisonnière qui nous attend (2010-11 et suivantes jusqu’à l’émergence de la prochaine pandémie) devenait due à cette souche H1N1 2009 et à sa filiation, peut-être bénéficiera-t-on d’une moindre mortalité hivernale liée à la grippe à l’avenir ? Une grippe certes plus sévère par sa mortalité directe mais considérablement moins faucheuse chez les personnes âgées et très malades ? Cela aurait des répercussions possiblement importantes en termes de stratégies vaccinales qu’il faudrait complètement revisiter à l’aune des résultats des recherches en cours sur les formes sévères de grippe. L’hiver n’est cependant pas terminé, et il est peut-être un peu tôt pour dire un adieu définitif aux virus saisonniers H3N2. Affaire à suivre de près…

Antoine Flahault

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