La démonstration en est faite: un redoutable virus de la grippe peut apparaître.
Comme beaucoup d’entre nous, les virologues sont des hommes. Ils restent aussi, parfois, de grands enfants qui aiment jouer avec les objets qu’ils étudient; au risque de se brûler les ailes. Dans le passé une démonstration en a été apportée: avec les (derniers?) stocks de virus de la variole jalousement conservés dans deux laboratoires hautement sécurisés, en Union soviétique et aux Etats-Unis.
La variole a certes disparu de la planète depuis trente ans (grâce à la vaccination) mais l’affaire demeure d’actualité: précisément parce que la maladie a disparu (et la vaccination obsolète) le virus à l’origine de cette maladie mortelle hautement contagieuse est désormais une formidable arme potentielle au service du bioterrorisme. C’est dire les passions secrètes que les hommes de la science virologique peuvent nourrir à son endroit.
La pandémie grippale n’est pas non plus sans intérêt. Nous connaissons tous les données de l’actuelle, durable et planétaire équation virologique. Le virus H5N1 (dit «de la grippe aviaire») ne parvient qu’au prix d’extrêmes turpitudes à infecter l’homme, la femme, l’enfant. Il faut semble-t-il pour cela que ces derniers soient durablement exposés au contact de volailles massivement infectées. Mais quand il parvient à ses fins, le H5N1 tue sa cible humaine plus d’une fois sur deux. Ainsi, selon les données officielles, ce virus aviaire a été à l’origine, directement ou non, de la mort de centaines de millions d’oiseaux sauvages et d’élevage. Dans le même temps, il a infecté 442 personnes et en a tué 262.
Combinaison du H5N1 et du H1N1
C’est dans ce contexte que l’OMS (suivie par les autorités sanitaires de nombreux pays industriels) a, il y a moins d’un an (et avec l’émergence du nouveau H1N1) obtenu la mise en œuvre de programmes drastiques prévention. L’un des scénarios catastrophes parmi les plus redoutés était alors de voir ces deux agents échanger l’un l’autre des fragments de leur matériel génétique: la voie ouverte, alors, à la déferlante planétaire dans les populations humaines d’un nouveau virus à la fois hautement pathogène (comme le H5N1) et très contagieux (comme le H1N1).
Ce scénario, on le sait aujourd’hui, ne s’est fort heureusement pas produit. Ce qui n’empêche nullement les virologues de tenter de comprendre pourquoi; et, donc, de tenter de le réaliser au sein de leurs laboratoires. C’est précisément ce que vient de réussir le virologue Yoshihiro Kawaoka et son équipe de l’Université de Wisconsin-Madison. Financés par les National Institutes of Health américains ainsi que par le gouvernement japonais ces travaux viennent d’être publiés sur le site des Proceedings of the National Academy of Sciences.
Les chercheurs ont ici développé des trésors d’ingéniosité expérimentale. Objectif: obtenir des échanges de matériels génétiques entre des souches du H5N1 (qui circulent actuellement dans différentes régions du globe) et des souches de H3N2 (virus lui aussi en circulation et l’un des responsables de nos dernières grippes saisonnières). Ils ont ainsi obtenu 254 types de virus «réassortis». Puis en expérimentant sur des souris de laboratoires ils ont découvert que certains des nouveaux virus hybrides ont hautement gagné en virulence par rapport au H5N1 d’origine. Création d’un monstre potentiel, en somme, à partir d’une simple hypothèse virologique.
Echange de matériel potentiel
«C’est inquiétant», explique Yoshihiro Kawaoka. A dire vrai c’est d’autant plus inquiétant que les travaux (publiés) conduits sur ce thème dans différents laboratoires spécialisés avaient toujours conduit à des souches virales hybrides, moins virulentes que celle d’origine. Et l’inquiétude est désormais d’autant plus grande que rien n’interdit d’imaginer que cette rencontre (que cet échange de matériel génétique aux redoutables conséquences potentielles) puisse se faire un jour prochain quelque part dans le monde.
L’équipe de Yoshihiro Kawaoka va plus loin: elle pense avoir identifié la clef moléculaire de la nouvelle virulence créée sur leurs paillasses et dans leurs modernes cornues. Le nouveau danger semble directement provenir de l’un des huit gènes viraux (le PB2) passant du génome du H3N2 vers celui du H5N1.
Pour ces chercheurs, un tel résultat témoigne d’une absolue nécessité: maintenir coûte que coûte la double surveillance épidémiologique planétaire de l’évolution de la structure génétique et de la virulence des populations virales grippales. Faute de quoi on tarderait à identifier l’émergence d’un nouveau virus à la fois hautement contagieux et hautement pathogène. «Avec le nouveau virus pandémique H1N1, l’opinion publique a oublié l’existence du virus H5N1 de la grippe aviaire. Mais la réalité est que le H5N1 est toujours là, alerte Yoshihiro Kawaoka. Nos résultats laissent penser qu’un réassortiment entre le H5N1 aviaire et le H1N1 pandémique est possible; un réassortiment qui pourrait créer un virus H5N1 hautement plus pathogène.»
Question pour le futur: si cette funeste émergence devait survenir qui nous assurera que ces chercheurs ne sont pas, directement ou non, responsables?
Jean-Yves Nau
lire le billetDans le billet précédent, je m’interrogeais sur l’adhésion des populations à la future proposition protectrice dans le cadre d’une nouvelle vague pandémique — et vaccinale qui en découlerait. Là encore, il n’est peut être pas trop tôt pour soulever la question. Dans ce contexte, la lecture d’un tout récent document (bientôt disponible sur Internet) est riche d’enseignements. Il s’agit du rapport d’étape publié par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) qui analyse les responsabilités des différents acteurs dans le plan national anti-pandémique français grippale. Ce document est le fruit des rencontres entre députés et sénateurs qui ont interrogé, depuis le mois de septembre, professeurs de médecine, chercheurs, réseaux de médecins, syndicats et représentants des diverses autorités sanitaires concernées. Selon ce rapport le plan, conçu à l’origine contre un risque de pandémie aviaire à très forte mortalité, a souffert de sa «rigidité» et d’un «manque de concertation et d’information».
Pour Claude Le Pen, spécialiste d’économie de la santé «celui qui porte en fait, aujourd’hui, la légitimité pour arrêter la politique de santé en France, c’est Internet, le média qui nie et voit de la manipulation partout. Il véhicule la contestation de toutes les superstructures sociales. Et traite la parole publique comme véhicule du mensonge».
Lecture voisine de l’historien Patrick Zilberman: «Internet, durant la pandémie grippale, aura joué le rôle d’une caisse de résonance alors que la communication gouvernementale aura fait preuve d’une timidité incroyable. Le site pandemie-grippale.gouv.fr n’est abonné à aucun des réseaux sociaux (Facebook et Twitter), qui sont justement capables de toucher une population à risque particulièrement rétive aux gestes barrières et à la vaccination.»
Et encore le Dr Michel Combier, président de l’Union nationale des omnipraticiens français: «du fait de la circulation des informations sur Internet, les médecins sont parfois, voire de plus en plus, les derniers informés de ce qui arrive aux patients: les réseaux d’observation de la grippe remontent des informations vers l’Etat, ce qui explique cette situation paradoxale: il faut souvent une démarche volontaire de notre part pour pouvoir obtenir ces informations».
Conséquence logique: la communication sur la grippe et sur la vaccination devrait être organisée différemment, dans un contexte marqué par le développement des outils de publication sur Internet et l’intense croisement d’informations non hiérarchisées, qui vont de la culture scientifique partagée à la circulation des rumeurs. On peut aussi voir plus loin. «Dans ces conditions, s’interroge la sénatrice (Verts) Marie-Christine Blandin, co-rapporteure (avec le député –UMP- Jean-Pierre Door) du travail de l’OPECST, la démocratie sanitaire ne devrait-elle pas prendre un virage, sociétal et historique, en intégrant l’importance croissante d’Internet, pour passer les crises de santé publique avec des échanges d’informations, des coopérations, de la concertation?»
Où la grippe et les vaccins nous conduisent ainsi donc, via la Toile, à (re)parler de «démocratie sanitaire».
Jean-Yves Nau
lire le billetLa «saison» 2009/2010 s’achève, la suivante est en cours de montage. Vous avez apprécié la première? La deuxième pourrait ne pas vous décevoir. On se moque bien sûr; et l’on a sans doute grand tort. Mais comment ne pas, parfois, prendre quelques distances avec l’objet de son étude? Comment ne pas être marqué par l’omniprésence de cette contagieuse et multiforme mise en scène pandémique? L’émergence du H1N1pdm n’a pas un an et, déjà, tous les regards se tournent vers le catalogue automne-hiver 2010-2011. Quelques rapides illustrations sur ce thème.
Depuis les hauteurs du lac de Genève, décidemment insubmersible, l’OMS vient de publier son dernier bulletin à consonances prophétiques: le A(H1N1)pdm risque fort de circuler l’hiver prochain dans les populations humaines de l’hémisphère nord. Et l’OMS de préconiser l’incorporation de ce nouvel agent pathogène dans les futurs cocktails vaccinaux élaborés contre la prochaine vague grippale saisonnière. Retour à la normale, si l’on ose dire. On abandonne, cette fois, un vaccin unique produit en urgence comme ce fut le cas l’été dernier dans l’indifférence générale avant qu’un nombre croissant de voix s’élèvent pour critiquer cette stratégie, pour revenir sur des schémas plus traditionnels en quatre temps:
1 surveillance épidémiologique et virologique planétaire ;
2 recommandations formulées via l’OMS aux multinationales productrices de vaccins ;
3 élaboration progressive des associations vaccinales les mieux adaptées au prochain paysage épidémique et virologique ;
4 proposition de l’immunisation avec, en France, prise en charge par la collectivité pour les personnes exposées à un risque supérieur à la moyenne.
Le H1N1pdm avait bouleversé cet ordonnancement auquel l’opinion s’était progressivement adaptée sans, le plus souvent, véritablement s’y intéresser. Mais, et c’est sans doute l’information la plus importante, le H1N1pdm reste dans le paysage et sera associé aux autres souches vaccinales comme le H3N2 et une souche B déjà présentes cet hiver et qui, selon toute vraisemblance, continueront de cohabiter en 2010-2011 dans l’hémisphère nord. L’OMS a donc d’ores et déjà décidé de recommander cette nouvelle association. Cette décision vient d’être prise à l’issue de la réunion d’experts qui, deux fois par an, formulent des recommandations vaccinales pour les deux hémisphères.
Quelle sera, à travers le monde, l’adhésion des populations à la future proposition protectrice? Il n’est peut être pas trop tôt pour soulever la question. En dépit des recommandations officielles des autorités sanitaires nationales (fondées sur des craintes qui se sont révélées progressivement inadaptées), la vaccination contre l’infection par le virus pandémique n’a pas rencontré l’écho attendu et de nombreux pays industriels disposent aujourd’hui de stocks considérables dont ils ne savent que faire et qu’ils peinent à revendre.
L’OMS annonce que tous les vaccins déjà conditionnés ne pourront être réutilisés mais que les fabricants ont en revanche la possibilité «théorique» de se servir des produits actuellement «en vrac». Selon l’OMS (qui envisagea un moment l’objectif d’une vaccination planétaire), environ 200 millions de personnes se sont faites vaccinées contre le H1N1pdm.
Question: les anticorps «anti-vaccinaux» que l’on a vu émerger, fleurir et se développer à haute vitesse ces derniers mois vont-ils réapparaître avec la prochaine campagne vaccinale? Que va-t-il en être des réactions souvent irrationnelles et les rumeurs innombrables dont nous avons souvent parlé sur ce blog? Comment les théoriciens du complot vont-ils intégrer la présence «diluée» du virus pandémique dans les doses vaccinales millésimées 2010/2011?
Et comment va-t-on gérer la somme des situations inédites qui se poseront alors, à commencer par celle des personnes déjà vaccinées contre le H1N1pdm (ou qui sont d’ores et déjà protégées sans le savoir)?
Jean-Yves Nau
lire le billetVeillées d’armes à Paris et Genève
Cette pandémie grippale n’a pas échappé à une règle non écrite : celle qui veut que les grands phénomènes renvoient à l’usage itératif de métaphores guerrières. Filant ces dernières on pourrait aujourd’hui évoquer le concept de veillées d’armes.
Acte I. Paris tout d’abord. En deux points hautement stratégiques de la capitale on se prépare à enquêter ; ce qui, en démocratie, peut parfois se traduire par en découdre. Au Sénat tout d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite. Dans chacun de ces deux palais de la République française une commission d’enquête va bientôt être constituée qui vont passer à la question les responsables de la campagne nationale de vaccination contre le H1N1pdm.
Une fois n’est pas coutume, depuis les splendeurs aujourd’hui givrées du jardin du Luxembourg ce sont les sénateurs qui ont les premiers ouvert le feu. Ainsi, sur proposition du groupe communiste et parti de gauche, le Sénat a donc décidé, jeudi, la création d’une commission d’enquête « sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A(H1N1) ». Les adversaires (pour ne pas parler des deux coupables) sont d’ores et déjà bien ciblés. Avant même l’ouverture des hostilités le Dr François Autain, rapporteur de cette commission dénonce « une surévaluation des risques et une dramatisation ». Il entend dès lors concentrer ses feux sur « le fait que ceux qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». Airs de fifre connus. « Nos travaux, menace-t-il, devraient donc porter essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes : la France a le plus grand gap entre le taux de vaccinés (7 % de la population) et le nombre des doses commandées (94 millions) ». La désignation des membres de cette commission sénatoriale devrait être votée en séance le mercredi 17 février.
Quelques hectomètres en aval de la rive gauche de la Seine, à l’Assemblée nationale, c’est un autre médecin élu (le Dr Jean-Luc Préel ; Nouveau Centre) qui est « rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur « la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne contre la grippe A(H1N1) ». » Ici la focale est élargie. Le Dr Préel : « il convient de s’interroger sur les méthodes qui ont conduit à un échec, avec seulement 5 700 000 Français vaccinés ». Ce vice-président de la commission des Affaires sociales souhaite « mettre l’accent sur la mise à l’écart des généralistes, au profit de dispositifs collectifs, ainsi que sur les modalités des réquisitions dont ils ont fait l’objet ». Le vote en séance pour la mise en place de la commission est fixé au 24 février auditionnera pendant six mois les principaux responsables du plan de vaccination, ainsi que les experts et les dirigeants de l’OMS.
Ce Blog, autant que faire ce peut, se fera au plus vite et au plus juste le fidèle écho de ces enquêtes et des affrontements sans précédents auxquels elles devraient donner lieu.
Acte II. Genève ensuite, où à l’inverse il semble que l’on prépare l’armistice. La direction générale de l’OMS vient de faire savoir urbi et orbi qu’elle allait sous peu réunir un conclave baptisé « comité d’urgence ». Objectif : demander aux devins dénommés experts si la vague maligne est bien sur le recul. Ou, pour parler comme le Dr Keiji Fukuda, responsable des pandémies de grippe sur les rives du Lac Léman, si « le pic de la pandémie grippale H1N1 est passé ».
« L’OMS va demander à son comité d’urgence de se réunir à la fin du mois pour fournir à l’OMS un avis sur le fait de savoir si nous entrons dans une période d’après pic, a tenu à déclarer le Dr Fukuda lors d’une téléconférence comme toujours planétaire. Nous espérons que nous entrons dans cette phase, qui signifie que le pire est passé et que l’on se dirige progressivement vers une situation plus comparable à celle de la grippe saisonnière.» Le faux calme habituel après une tempête mois grave qu’annoncée ?
La réunion du conclave annonçant la fin des hostilités (comme toujours composé d’experts-prélats chargés de fournir des recommandations à l’OMS) pourrait se tenir « dans la dernière semaine du mois de février » ; à la veille des Ides de mars. Attention : le Dr Fukuda a prévenu le monde que cette phase de « transition » ne signifiait pas pour autant que la pandémie était terminée. Car si l’activité du H1N1pdm est depuis quelques semaines en déclin dans l’hémisphère Nord les sentinelles de l’OMS a constaté son apparition dans des régions où il n’était pas présent jusqu’alors, et notamment en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement au Sénégal. Alors, armistice ou pas ?
Acte III. Depuis Washington l’agence de presse Reuters nous mande la dépêche suivante : « La grippe A (H1N1) a peut-être tué 17.000 personnes aux Etats-Unis, dont 1.800 enfants, viennent d’annoncer les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les CDC et l’OMS ont cessé, il y a de cela plusieurs mois, d’essayer de compter tous les cas effectifs. L’OMS et le CDC estiment qu’il n’y a pas assez de tests à administrer pour vérifier que toutes les personnes souffrant de symptômes liés à la grippe A souffraient bien de la maladie. C’est pourquoi les CDC effectuent leurs propres estimations à
partir de modèles recoupant plusieurs sources d’information. La pandémie a conduit à l’hôpital autant de personnes que durant la période de grippe saisonnière, mais la plupart étaient plus jeunes. En outre, cela a eu lieu lors de mois où il n’y a en principe pas de grippe.
Les CDC estiment entre 41 et 84 millions le nombre de cas de grippe H1N1pdm survenus aux Etats-Unis entre avril 2009 et le 16 janvier 2010. Durant cette période, entre 8.330 et 17.160 personnes sont mortes des suites de cette infection virale ; la fourchette moyenne étant à 12.000. Entre 880 et 1.800 enfants sont décédés, jusqu’à 13.000 adultes de moins de 65 ans et entre 1.000 et 2.000 personnes
plus âgées. En temps normal, les CDC estiment que 36.000 Américains meurent chaque année des suites de la grippe dont 90% ont plus de 65 ans. »
Jean-Yves Nau
USA, crash de 30 jumbos remplis de grippés : aucun survivant.
Avec les enquêtes en gestation, les questions de conflits d’intérêts devraient bientôt être mises à plat. Et ce sera probablement utile. Un conflit d’intérêt pose un sérieux problème lorsqu’il n’est pas dévoilé par l’expert dès lors qu’une institution légitimée pour le faire le lui demande. Ensuite, d’autres types de questions se posent, qui ne sont bien souvent plus véritablement du ressort de l’expert. Quand doit-on demander à un expert ses conflits d’intérêt (en dehors des cénacles habituels) ? Lors d’une interview radiophonique ou télévisée ? Pour un « journal papier » ou sur un blog? Qui est légitime pour demander les conflits d’intérêt de l’autre ? Nous sommes régulièrement harangués à ce sujet par des blogueurs souvent anonymes qui n’envisagent pas un instant – eux – de déclarer s’ils ont – ou pas- de tels conflits !
Que fait-on des déclarations de conflits d’intérêts ? A partir de quel moment, juge-t-on qu’elles disqualifient les propos de l’expert ? Où va-t-on dans la déclaration de ses conflits d’intérêts : jusqu’aux liens familiaux ? Et qu’appelle-t-on « la famille », jusqu’où peut-on aller sans violer la vie privée des personnes ? Et puis, se posent des questions plus philosophiques (d’aucuns prétendront qu’elles sont posées pour détourner l’attention vis-à-vis de l’essentiel) : les conflits d’intérêts ne sont-ils que des conflits mettant en jeu des rapports d’argent qu’entretient l’expert ? Qu’en est-il des rapports concernant le sexe, le pouvoir, l’honneur ? Nous ne vivons pas dans un monde aussi simpliste qu’on voudrait parfois le croire.
Les décomptes des conséquences des infections par le H1N1pdm commencent à se consolider. On apprend que la « grippette » de certains a causé plus de morts que ceux initialement rapportés. Cela fera-t-il un deuxième scandale après celui de la « pandémie inventée » ? Irons-nous vers le procès de la veille sanitaire, après celui de l’expertise sanitaire ? Ce n’est pas sûr, car le taquet qui protège d’un tel scandale est fourni par les prévisions dites « alarmistes » des experts, c’est-à-dire le plus souvent par les chiffres de la mortalité saisonnière de grippe. Tant que la mortalité par grippe H1N1pdm ne dépassera pas quantitativement celle atteinte par la grippe saisonnière de moyenne virulence , le profane se dira qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Même 17 000 morts « pandémiques » en comparaison des 36 000 morts « saisonnières » (en moyenne) aux USA ne feront pas pleurer dans les chaumières. Et ce, alors même que l’analyse est rapide, encore peu étayée.
Outre-Atlantique nous avons en effet d’une part cette moyenne saisonnière de 36 000 décès attribués à la grippe et survenus pour l’immense majorité d’entre eux chez des personnes très âgées, le plus souvent très malades de surcroît. Ces décès sont même rarement identifiés par les médecins comme étant dus à la grippe : ce sont des « morts en excès » statistiquement identifiés sur les courbes de mortalité, mais jamais identifiés individuellement. Ces personnes sont décédées en pleine vague de grippe sans que l’on sache très bien d’ailleurs le lien de cause à effet entre la grippe et la mort ; sans que l’on sache même si ces personnes avaient seulement été infectées avant leur décès par le virus de la grippe saisonnière.
Et nous avons d’autre part entre 8 000 et 17 000 morts prématurées attribuées au H1N1pdm, survenues dans l’immense majorité chez des moins de 60 ans, dans une proportion non négligeable chez des jeunes en bonne santé, parfois chez des personnes dont on sait qu’elles souffraient d’un diabète ou d’un asthme (des maladies rarement mortelle en cas de grippe). Il s’agissait aussi parfois de femmes enceintes. Nous savons en outre qu’il y a eu par centaine de milliers (aux USA) des hospitalisations lors de cette épidémie, dans des tranches d’âge jamais observées auparavant avec une telle fréquence. Des hospitalisations souvent dans des services réanimation, parfois dans des conditions acrobatiques, avec un traitement complexe (autant que coûteux) par ECMO (machine permettant l’oxygénation de l’organisme par membrane extracorporelle).
Alors quelle est la vraie question aujourd’hui ? Probablement pas celle de savoir si « le » pic est derrière nous : oui, clairement, « un » pic est derrière nous. Plutôt celle de savoir ce que nous réservera le H1N1pdm durant les prochains hivers. Seront-ils à l’image de celui que nous venons de connaître ? Une fois les polémiques dépassées, ne finirons-nous pas par trouver ces hivers un peu longs… sans vaccin ? Une dernière question : combien d’équivalents de jumbo-jets ayant fait le plein de passagers faudra-t-il voir s’écraser sous nos yeux (en fin d’hiver) pour enfin se décider à réagir, à faire en sorte que plus de 9% de la population demande à (et puisse) être vaccinée pour éviter des milliers de morts prématurées ?
Antoine Flahault
lire le billetEntre 20 et 30% de Français seraient déjà, « naturellement » ou pas, protégés
Après la transe, la pause ? La grippe pandémique ne fait plus beaucoup parler ; du moins dans cet espace à géométrie variable généralement qualifié, faute de mieux, de « médiatique ». Pour autant la machinerie institutionnelle et sanitaire est lancée que rien ne saurait brutalement arrêter. Ainsi en est-il de la vaccination. On le sait : les désormais fameux « centres dédiés », ces gymnases transformés durant quelques mois en dispensaires, ont retrouvé leurs sportifs en herbe. Mais on sait aussi que leurs portes fermaient quand les médecins généralistes et les pédiatres exerçant dans le secteur libéral avaient retrouvé toute latitude pour immuniser. En ce début du mois de février doivent-ils le proposer ? A qui et sur quelles bases rationnelles ? Les médias devenus silencieux à quels saints les praticiens doivent-ils désormais se vouer ?
En France, depuis le début de l’épidémie, 1 266 cas graves et 275 décès liés à la grippe ont été signalés. Parmi eux, 257 cas graves (20 %) et
42 décès (15 %) sont survenus chez des personnes n’ayant pas de facteur de risque. Ajoutons à ce constat quelques éléments officiels de réponse avec la précieuse aide du « Haut Conseil de la santé publique » (HCSP) qui vient d’émettre un avis « relatif à la pertinence de la poursuite à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) 2009 (daté du 29 janvier 2010) ; avis qui, pour peu que l’on s’intéresse à lui, « doit être diffusé dans sa totalité, sans ajout ni modification » ; ce que les progrès de la toile numérisée autorisent désormais sans difficulté http://www.hcsp.fr/docspdf/avisrapports/hcspa20100129_pertH1N1.pdf
Cette vénérable institution avait été saisie le 6 janvier par le Pr Didier Houssin, Directeur général de la santé afin qu’elle donne un avis « sur la continuation de la campagne de vaccination pandémique en cours, et ce dans l’état actuel de la situation épidémiologique liée au virus grippal pandémique et de l’avancement de la campagne ». On peut l’écrire autrement : poursuit-on l’ouvrage collectif ou arrêtons-nous les frais ? Et comment se préparer au mieux pour la prochaine campagne de vaccination contre la grippe saisonnière 2010/2011 avec le A(H1N1)pdm dans notre nouveau paysage épidémiologique ?
C’est peut dire que le HCSP joue, ici, la prudence. Extraits :
« L’évolution de l’épidémie présente un caractère incertain. Les données épidémiologiques actuelles sont en faveur de la fin de la vague épidémique de grippe à virus A(H1N1)v. Toutefois, le virus continue à circuler et il est très probable que cette circulation perdure dans les
semaines à venir. L’hypothèse de la survenue prochaine d’une ou de plusieurs autres vagues pandémiques semble peu probable. En revanche, la possibilité d’une saison grippale 2010-2011 durant laquelle cette souche prédominerait est plus que vraisemblable. »
« L’épidémiologie de la grippe A(H1N1)2009 varie selon les pays avec, dans certains pays, une seule vague l’hiver et dans d’autres, comme le Mexique ou certaines parties des Etats-Unis, deux ou trois vagues successives d’intensité différente. Il n’existe pas de variations génétiques ou antigéniques significatives identifiées à ce jour chez les souches de virus A(H1N1)v analysées. »
Et le HCSP de rappeler quelques faits qui peuvent faire politiquement mal :
« L’objectif principal de la vaccination pandémique débutée à l’automne 2009 était la réduction du risque de formes graves et de décès. La maîtrise de la dynamique épidémique était également souhaitée mais s’est avérée hypothétique du fait de la mise à disposition tardive des vaccins pandémiques. Le bilan de la campagne de vaccination pandémique montre l’insuffisance de la couverture vaccinale obtenue : 5,74 millions de sujets, soit 9 % de la population française, ont été vaccinés à la date du 18 janvier 20102 [données du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises]. »
Il ajoute :
« Il est difficile de déterminer le nombre de personnes ayant une immunité protectrice car il s’agit aussi bien des personnes protégées par le vaccin ou par l’infection, y compris celles ayant présenté une forme clinique asymptomatique, que les sujets ayant bénéficié d’une pré-immunité. Les estimations produites par l’InVS sont en faveur d’une proportion de la population immunisée contre le virus A(H1N1) par une infection ou une vaccination récente qui se situerait, début janvier 2010, entre 19 % et 30 %, soit 12 à 18 millions de sujets. Ces valeurs sont proches de la proportion de la population qui devrait être immune pour interrompre la circulation virale (…) Ces résultats ne sont pas en faveur, sous l’hypothèse de la stabilité génétique du virus, de la survenue d’une vague épidémique de grande ampleur. »
On peut le dire autrement : la campagne de vaccination associée à la somme des contaminations virales visibles ou invisibles fait que la population française de l’Hexagone ne doit pas redouter de nouvelles attaques massives pandémiques.
Et au final, cette recommandation du HCSP au gouvernement français :
« (…) poursuivre la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1)2009 pour : les personnes estimées à risque de complications lors d’infection par le virus A(H1N1)v, quel que soit leur âge ; les personnels de santé et médico-sociaux les plus exposés au risque d’infection grippale et amenés à avoir des contacts fréquents et étroits avec des personnes grippées ou estimées à risque de complications. »
En ce qui concerne les personnes sans facteur de risque, le HCSP rappelle enfin (mais comment pourrait-il faire autrement ?) « que toute personne qui le souhaite doit pouvoir être vaccinée ».
Au total, donc, un avis architecturé, prudent autant que mesuré, a priori débarrassé de toute forme de conflit d’intérêts : en substance on peut raisonnablement réduire la voilure vaccinale. Or voici que nanti de cette réponse le Pr Didier Houssin vient de déclarer « Quotidien du médecin » que le gouvernement français ne modifierait nullement sa communication et continuera à exhorter les médecins à poursuivre la vaccination de la population générale. Comment comprendre ? « C’est parce que nous enregistrons un taux élevé de cas graves et de décès chez des personnes dépourvues de facteurs de risque que la question de réviser notre stratégie vaccinale ne nous semble pas aujourd’hui posée, alors que les données de pharmacovigilance confirment la très bonne tolérance des vaccins et que nous disposons des vaccins en nombre suffisant » explique le Pr Didier Houssin. Pour lui « la modification de la communication officielle sur la vaccination est d’autant moins opportune que nous sommes en présence d’un virus qui, sans avoir subi de mutations génétiques ou antigéniques à ce jour, suscite des évolutions épidémiques un peu erratiques. Le Haut Conseil n’en disconvient pas, qui constate que le virus continue à circuler et qu’il est très probable que cette circulation perdure dans les semaines à venir. »
Quelle meilleure conduite à tenir pour les médecins libéraux en charge de la vaccination ? Le Pr Houssin distingue deux cas : « Les patients qui demandent à être vaccinés et qui, naturellement, doivent l’être, et ceux qui demandent conseil à leur praticien, qui doivent recevoir une réponse favorable à la vaccination. » Perfide ou pas Le Quotidien du médecin précise qu’au cabinet de Roselyne Bachelot, ministre de la santé, la question d’une suite officielle à donner à l’avis du HCSP, dix jours après sa publication est toujours à l’étude. Un premier symptôme d’un début de vacance ministérielle ?
Jean-Yves Nau
Un vaccin anti grippal aussi légitime que celui contre la méningite
Il est sans doute quelque peu difficile de faire des recommandations vaccinales pour une maladie dont on cerne mal encore le potentiel épidémique à venir. Certains éléments apparaissent néanmoins clairement aujourd’hui : le H1N1pdm s’est conduit comme les virus H1N1 saisonniers concernant la distribution d’âge des taux d’attaque. En clair, le profil d’âge des personnes qui ont été infectées par le virus H1N1pdm a été le même que celui de la grippe saisonnière H1N1.
Ce virus s’est montré en revanche, très différent de celui du H3N2 saisonnier qui attaquait surtout les personnes âgées (et les faisait mourir, mais très indirectement, essentiellement par décompensation de maladies graves pré existantes). Le H1N1pdm s’est attaqué aux jeunes, notamment aux très jeunes (de moins de deux ans), et très peu aux plus de 60 ans. Son agressivité directe (mesurée par la mortalité au décours d’une hospitalisation, Louie JK et coll, Jama, nov. 2009, résumé en anglais en ligne) s’est avérée supérieure chez les adultes jeunes et les personnes âgées par rapport aux enfants (et de même ordre de grandeur chez les personnes âgées et chez les adultes plus jeunes, contrairement à une idée reçue).
L’agressivité directe du H1N1pdm a été d’une extraordinaire intensité cet hiver, on l’a rappelé à plusieurs reprises, de l’ordre de cent fois celle attendue avec les souches saisonnières. Le rapprochement de l’épidémiologie de H1N1pdm avec les souches de méningocoques est de ce fait pleinement licite, notamment pour éclairer les décisions en matière de politique vaccinale. Le portage du méningocoque est sinon ubiquitaire, du moins largement répandu dans la population, le plus souvent selon l’expression clinique d’un portage asymptomatique ou pauci-symptomatique. Dans de rares cas cependant, sans d’ailleurs que l’on sache très bien pourquoi, la bactérie devient hautement invasive, entraîne une pneumonie grave ou un purpura fulminans, forme fortement létale de méningite.
On a dénombré 36 décès dus au méningocoque en 2002 en France. Le virus de la grippe H1N1pdm a tué 275 personnes de façon directe, en dehors des décompensations de maladies pré-existantes dont on ne connaît pas encore le chiffre aujourd’hui, mais qui pourrait être très inférieur à celui provoqué lors d’épidémies saisonnières H3N2, ce que l’on ne savait pas anticiper en juin, ni même en septembre 2009 ; et ce quoi qu’en pensent certains blogueurs qui continuent à croire sur notre site qu’on a sciemment voulu occulter une réalité que l’on aurait pu appréhender. Faut-il ici redire que nul ne savait ce que la mortalité indirecte allait provoquer jusqu’à ce que les premières estimations de cette mortalité indirecte soit transmises par les USA ou l’hémisphère sud, c’est-à-dire très tardivement ? Si cette incompréhension ou suspicion demeure, il nous faudra refaire un point à ce propos.
Le portage H1N1pdm était massivement asymptomatique dans la population. Même si la proportion exacte de ce portage n’est pas encore connue, les recherches actuellement en cours que nous conduisons sur des échantillons représentatifs de la population permettront de mieux l’évaluer. Le HCSP évalue avec l’InVS entre 19 et 30% (entre 12 et 18 millions) le nombre des infections H1N1pdm qui seraient survenues depuis le démarrage de la pandémie en France.
Que se passera-t-il l’hiver prochain ? Nul ne le sait. Une nouvelle épidémie H1N1pdm ? Possible. L’émergence d’une souche saisonnière H1N1 issue de H1N1pdm de 2009 ? Possible aussi, et très probable à terme, c’est-à-dire dès 2010-2011 ou sinon après. Le retour aux vieilles souches saisonnières H3N2 et/ou H1N1 ? Possible, mais peu probable, en raison de l’expérience apprise des pandémies passées.
Quelle différence entre les trois scénarios ? Le premier (H1N1pdm sans mutation) devrait se traduire par une épidémiologie amortie par l’immunité grégaire, acquise par la population tant par la vaccination (9%) que par l’infection naturelle (19 à 30% ?). Amortie mais probablement pas totalement gommée. Le deuxième scénario pourrait se traduire par une vague saisonnière d’amplitude habituelle, mais aux caractéristiques H1N1, c’est-à-dire attaquant davantage les jeunes que les personnes âgées, avec donc une mortalité indirecte restant faible. Le troisième scénario serait celui d’un retour à l’épidémiologie de la grippe saisonnière telle qu’on la connaissait avant la pandémie d’origine nord-américaine de 2009.
Si l’on table sur les deux premiers scénarios, le bien fondé de la vaccination pandémique est donc plus que légitime. Au moins avec la même légitimité que la vaccination contre la méningite à méningocoque. Eviter autant que possible la mortalité directe sera alors l’objectif affiché de lutte contre cette souche H1N1 pandémique ou dérivée (par légère mutation). Le vaccin « adjuvanté » devrait être efficace dans les deux cas, et l’on sait aujourd’hui sa bonne tolérance dans les populations qui l’ont reçu. Les personnes déjà vaccinées (ou naturellement contaminées durant l’hiver, mais comment le sauront-elles, en l’absence de tests sérologiques disponibles en routine ?) n’auront pas besoin de l’être à nouveau : selon toute vraisemblance l’immunité conférée par la primo-vaccination/ primo-infection sera durable pendant plusieurs années contre la même souche, voire contre une souche légèrement mutée.
Le coût économique sera des plus modestes puisque le vaccin existe déjà et que les stocks permettent la vaccination en France. La restriction aux groupes à risques ? Mais quels groupes à risques : les diabétiques, les asthmatiques et les femmes enceintes ? Oui, certainement. Et ensuite : que fait-on des 42 décès sans facteurs de risque connus ? On les néglige, les accidents de la circulation automobile, les suicides et les cancers du poumon étant prioritaires ? Mais pourquoi accepterait-on ces 42 décès évitables chez des jeunes adultes en bonne santé alors que l’on cherche à contrer les 36 de la méningite cérébrospinale ? Parce que la grippe s’appelle grippe ? Parce qu’elle n’est pas grave dans l’inconscient collectif alors que la méningite a un nom qui à lui seul fait trembler ?
Non, Didier Houssin a raison de mon point de vue : le vaccin doit rester proposé à tous ceux, jeunes ou moins jeunes qui le souhaitent aujourd’hui. Il n’y a aucun intérêt en jeu dans l’affaire, puisqu’ils existent et sont déjà stockés. 1266 cas graves hospitalisés en réanimation pour une infection grippale en 2009, c’était du jamais vu en France lors d’un hiver normal. Certains veulent polémiquer aujourd’hui, c’est leur problème, qu’ils le fassent. D’autres ont aussi le droit de vouloir tout faire avec les moyens dont le pays dispose (et qui sont à disposition aujourd’hui), et sans en nécessiter de moyens supplémentaires, pour tenter d’augmenter la couverture vaccinale contre le H1N1pdm. Tenter ce n’est pas obliger. Tenter c’est vouloir convaincre.
Antoine Flahault
lire le billetConflits d’intérêts : les « experts » sur le grill
Connue de longue date la délicate problématique des « conflits d’intérêts » de certains experts ne sortait guère des cénacles médicaux et scientifiques. Tel n’est plus tout à fait le cas avec la pandémie grippale due au virus H1N1, puissant révélateur psycho-socio-économique. Car il ne faut pas s’y tromper : ce sont bien les experts que l’on retrouve visés, directement ou non, par les accusations aujourd’hui formulées contre le gouvernement français, l’OMS ou les multinationales pharmaceutiques productrices de vaccins http://www.slate.fr/story/16329/grippe-h1n1-accuse-oms-levez-vous. Et la principale question aujourd’hui soulevée est de celle de savoir si, comme certains symptômes le laissent penser, le gouvernement français et l’OMS se désolidariseront des experts à qui ils avaient, ces derniers mois, demandé de les conseiller dans l’élaboration de d’une politique anti-pandémique désormais condamnée parce que disproportionnée.
Pourquoi les experts ? Deux raisons principales. La première, conjoncturelle, tient au H1N1 ; la seconde est structurelle. On sait que la plupart des spécialistes (travaillant dans des institutions publiques) ont, de manière récurrente, alerté ces derniers mois les responsables sanitaires et l’opinion publique sur la menace sanitaire. Ils postulaient, schématiquement, que le potentiel pandémique du H1N1 était de nature à avoir de redoutables conséquences sanitaires sociales et économiques. A la puissance publique d’en tirer les conclusions qu’elle jugerait utile et nécessaire.
Quelques mois plus tard ces mêmes experts reconnaissent bien volontiers aujourd’hui publiquement que ce nouveau virus est doté d’un pouvoir pathogène moins élevé que les expériences passées pouvaient leur laisser supposer. Le nouveau H1N1 représentait certes (représente toujours) une menace pour l’espèce humaine. Ce virus effectivement très contagieux a provoqué des grippes compliquées d’infections sévères et il a tué ; mais il a tué dans des proportions nettement inférieures à ce que prévoyaient (en intégrant de très nombreuses inconnues) la plupart des scénarios élaborés par les meilleurs spécialistes de virologie et d’épidémiologie. Y a-t-il là matière à accusation ou, pire, à sanction ? Et si oui à quel titre ? Si l’épidémiologie et la virologie ne sont pas des arts divinatoires ce ne sont pas, non plus, des sciences exactes.
Or voici que l’on découvre –ou que l’on feint, parfois, de découvrir – que nombre de ces mêmes spécialistes ne sont pas des savants enfermés dans une tour d’ivoire. Ce ne sont pas non plus des saints laïcs oeuvrant dans le dénuement, jour et nuit, au service de la collectivité humaine. Les fausses images colportées depuis l’époque pastorienne ont pourtant la vie dure et on estime, du moins en France, que la recherche médicale et scientifique n’a de vertus que si elle ne touche pas à l’argent.
Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal et il est désormais du domaine public que nombre des experts en charge de conseillers les autorités sanitaires nationales ou les institutions internationales étaient par ailleurs (ou avaient été) rémunérés pour des activités de conseils ou de recherche clinique par des firmes pharmaceutiques ; des firmes qui plus est impliquées dans la lutte contre les grippes saisonnières et donc contre la dernière pandémie grippale.
Ces scientifiques n’ont certes jamais fait mystère de cette situation qui s’explique pour la plupart d’entre eux précisément par le fait qu’ils excellent dans leurs domaines de compétence. Mais l’ambiguïté de leur situation fait que l’on peut aujourd’hui facilement les accuser d’un coupable mélange des genres. On peut aussi postuler qu’en lançant, comme ils l’on fait, des alertes à la pandémie et en recommandant régulièrement la vaccination ils servaient plus la cause des multinationales pharmaceutiques (aujourd’hui souvent diabolisées) que celle de la santé publique. Rien n’interdit non plus d’imaginer la situation inverse : un nouveau virus pandémique hautement pathogène et ces mêmes experts honorés, portés aux nues, pour avoir incité publiquement à la vaccination de masse.
Comment, dans un tel domaine, faire la part des choses et pourra-t-on jamais établir la vérité ? En France les sénateurs communistes et du parti de gauche le pensent qui entendent que soit créée une commission d’enquête sur « le rôle des laboratoires pharmaceutiques dans la gestion de la pandémie de grippe H1N1 ». Ils évoquent notamment « une surévaluation des risques », une « dramatisation », et jugent indispensables d’enquêter sur « le rôle des experts » tout en déplorant que ceux « qui conseillent les laboratoires sont souvent ceux qui conseillent les gouvernements ». « Notre commission portera essentiellement sur ces liens incestueux qui expliquent la situation dans laquelle nous sommes » prévient le sénateur François Autain (Parti de gauche, Loire-Atlantique).
Et après d’autres ces sénateurs désignent tout particulièrement le Pr Bruno Lina, « un des experts du gouvernement », par ailleurs président du « Groupe d’expertise et d’information sur la grippe (GIEG) ». Il affirme que le CIEG est « financé à 100% par des laboratoires qui produisent des vaccins contre la grippe » et que son directeur, Bertrand Vermee « est même le directeur du service marketing du département vaccin de Sanofi Pasteur ». Bien peu de travail d’investigation ici : tout sur ce sujet est disponible sur le site du GIEG http://www.grippe-geig.com/fr/geigc/ Cette association loi 1901 a pour objet « l’information du public en France sur la grippe et sa prévention » et elle œuvre dans le domaine de la lutte contre la grippe « aux côtés des autorités sanitaires, de la communauté scientifique, et des laboratoires pharmaceutiques ». Raison d’être : amener à une prise de conscience plus forte des conséquences de la grippe (qui entraîne 2 500 à 3000 décès chaque année en France) et contribuer à l’atteinte de l’objectif de santé publique en matière de couverture vaccinale contre la grippe, fixé par la loi française de santé publique. Ainsi donc, sauf à démontrer le contraire, une opération de lobbying pharmaceutique transparente et quelque peu atypique réunissant depuis une vingtaine d’années des entreprises concurrentes (dont les parts de marché sont stables) interdites de publicités destinées au grand public et souhaitant faire la promotion de leur vaccin au travers celle de la vaccination antigrippale.
« Dès l’origine, le GEIG s’est entouré d’un conseil scientifique composé de spécialistes de tout premier plan, issus des différentes disciplines représentatives des aspects scientifiques, médicaux et socio-économiques de la grippe, précise-t-on encore. Le GEIG est financé par les 5 laboratoires qui distribuent des vaccins contre la grippe sur le territoire français (Sanofi Pasteur MSD, GSK, Pierre Fabre, Solvay et Novartis Vaccines). » On ajoute que le budget de fonctionnement (montant non précisé) est consacré à l’organisation annuelle d’un colloque scientifique et d’une conférence de presse annuelle (pour informer les français de la disponibilité des vaccins en pharmacie et ainsi lancer la campagne de vaccination contre la grippe saisonnière dans les meilleures conditions).
« En aucun cas, ce budget ne rétribue des experts, membres ou non du conseil scientifique » prend-on soin de souligner.
Aujourd’hui président de ce conseil scientifique dont les membres « assurent un rôle d’interface entre la communauté scientifique nationale et internationale d’une part et le grand public d’autre part » le Pr Bruno Lina est avant tout chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon, directeur d’une unité CNRS, directeur de l’un des deux centres nationaux français de référence des virus grippaux ; et, de ce fait expert auprès du ministère français de la santé pour le risque pandémique. La commission d’enquête parlementaire établira-t-il qu’il y a ici un « conflit d’intérêt » constitué ? En toute hypothèse les enquêteurs devront se pencher sur une large fraction de la communauté française des spécialistes de virologie grippale dont les membres les plus connus ont d’ores et déjà fait savoir qu’il leur était arrivé de nouer des relations de travail (rémunérées) avec des firmes pharmaceutiques. Il suffit d’ailleurs d’aller sur le site du ministère de la santé http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/comite-de-lutte-contre-la-grippe,3956.html pour avoir le détail des « déclarations publiques d’intérêts » faites par les membres du « comité de lutte contre la grippe » (créé par décret en juillet 2008, bien avant la pandémie H1N1) et qui avaient été nommés par la ministre de la santé. Des situations ambiguës similaires sont observées à l’étranger concernant de nombreux experts de l’OMS au premier rang desquels le très célèbre Pr Albert Osterhaus, citoyen néerlandais, virologue cultivant savamment son aura médiatique et, à ce titre, irritant ses pairs.
Quand on interroge en privé ces experts sur les dangers inhérents à ce type de situation, tous ou presque déclarent ne pas comprendre. Ils parviennent sans mal, assurent-ils généralement, à faire la part des choses ; et ce d’autant mieux que depuis quelques années les « déclarations publiques d’intérêts » sont devenues obligatoires, qu’il s’agisse d’articles de recherches médicales et scientifiques soumis à des revues pour publications ou de travaux d’expertises menés pour des tiers. Et dès lors qu’il y a un « conflit d’intérêt » manifeste la publication est refusée ou l’expert ne participe pas à la prise de décision. Est-ce suffisant ? Tous, ou presque, le pensent.
Reste à connaître les raisons qui peuvent pousser à nouer de telles collaborations potentiellement à risque. Sans doute bien sûr y a-t-il l’argent, conservé à titre personnel ou reversé à une unité de recherche. Mais il faut aussi compter avec une forme de reconnaissance extérieure de ses compétences. Quant aux firmes pharmaceutiques concernées elles peuvent ici nouer, pour des montants relativement modestes, des collaborations avec des noms prestigieux de la communauté scientifique et médicale. Il faut aussi ajouter que la quasi-totalité des essais cliniques concernant les médicaments avant commercialisation fonctionnent sur ce modèle de collaborations nouées avec des responsables hospitalo-universitaires et financées par les firmes concernées. Cette situation tient au fait que seules ces firmes ont les moyens de financer ces travaux, que ces travaux ne peuvent pas ne pas être rémunérés ; avec comme postulat que l’argent versé aux experts n’altèrera en rien la nature et la valeur de leurs résultats.
Plus généralement les experts occupent une position délicate mais irremplaçable. La direction générale de l’OMS vient d’en témoigner. Elle aussi vivement critiquée pour sa gestion de la pandémie (et les possibles liens incestueux qu’elle, ou ses experts, entretiendraient avec « Big Pharma ») elle vient de faire savoir qu’elle allait faire procéder, lorsque la pandémie sera éteinte, à une évaluation de son action ; une évaluation qu’elle demandera, dit-elle, non seulement à des experts mais, mieux encore, à des « experts indépendants ». Seront-ils rémunérés ?
Jean-Yves Nau
Plus blanc que blanc ?
Cette polémique est saine. Elle est aussi révélatrice d’une perte de confiance du public qui après avoir atteint les autorités politiques et dans une certaine mesure les journalistes, gagne désormais les scientifiques et les experts. Nous formions jusqu’à présent une caste privilégiée sur ce plan : intouchables ou presque dans les médias, souvent faire-valoir des politiques, toujours courtisés des industriels des produits de santé. L’expert, souvent drapé dans sa dignité d’universitaire, bénéficiait d’une impunité qui ne pouvait évidemment pas durer. Aujourd’hui il tombe de son piédestal et c’est heureux : on lui demande des comptes, financiers certes, mais aussi sur la qualité de son expertise. Sur les deux pans, il n’y pas à s’en plaindre. Il faut seulement répondre.
Sur le plan financier, ou disons des « conflits d’intérêts », comment procéder ? Doit-on s’offusquer des liens entre les producteurs de vaccins et de médicaments et les experts ? La réponse est prévue par le code de la sécurité sociale (article L.161-44) : les conflits d’intérêts se préviennent et se gèrent. Les agences de sécurité sanitaire, la Haute autorité de santé savent comment procéder et demandent à tous les experts qu’ils sollicitent de déclarer et de mettre à jour leurs éventuels conflits d’intérêts. Certains sont jugés rédhibitoires pour poursuivre la collaboration entre l’agence et l’expert. D’autres liens sont estimés suffisamment étroits pour motiver l’exclusion de l’expert lorsqu’il est confronté à un dossier concernant des produits concernés par le conflit (produits du laboratoire qui rémunère l’expert ou produit de ses concurrents). Enfin certains liens ne sont pas considérés comme obérant le jugement de l’expert. Tout cela est discutable sans doute, mais est au moins contrebalancé par la collégialité et la transparence habituelles de l’expertise qui diluent – espère-t-on – les éventuels biais dans l’analyse. Au moins tout cela est déclaré, même si l’exhaustivité et la sincérité des déclarations sont parfois difficiles à vérifier.
Le manque que souligne la polémique actuelle sur la grippe pandémique, c’est l’absence de déclaration des conflits d’intérêt en dehors des cadres que je viens de citer, hors-agences. Lorsque l’on s’exprime dans un média, il ne vous est jamais demandé de déclarer vos conflits d’intérêts. Il n’y a aucune transparence sur ce point. Aucune non plus, réciproquement, de la part des médias eux-mêmes, ni de leurs journalistes. Rien non plus du côté d’Internet ni des blogueurs. Or il est clair aujourd’hui que ces supports sont des prescripteurs d’opinions et peuvent compter dans les décisions publiques. Ceux qui alimentent aujourd’hui la polémique ont bien vu la faille du système : dans le fond, un expert peu scrupuleux pourrait instrumentaliser les médias au profit d’intérêts cachés à son avantage. On est au bord de la théorie du complot, mais comme la définition même de la qualité d’expert n’est pas claire, on peut comprendre les doutes de certains : on a vu notamment des experts s’exprimer longuement cet automne sur la pandémie grippale sans jamais avoir publié un seul article scientifique sur le sujet. Aujourd’hui l’expert qui intervient « au-dessus » des agences, directement sollicité par le cabinet d’un ministre n’est pas soumis à l’exigence de déclaration de conflits d’intérêts comme il l’aurait été s’il avait été sollicité par une agence de sécurité sanitaire ou par la Haute autorité de santé.
Il faut certainement tirer profit (si j’ose dire) de la polémique suscitée autour de ces questions actuellement pour remettre à plat la transparence des conflits d’intérêts dans les domaines où elle n’existe pas ou qu’imparfaitement. Il conviendrait aussi que ces déclarations soient rendues publiques. Tout le monde y gagnera. Mais les experts seront en droit d’exiger en retour que les journalistes, les médias eux-mêmes, et les personnels des agences et des autorités sanitaires, procèdent aux mêmes déclarations publiques d’intérêts. Sur la qualité de l’expertise, le public aussi est en droit d’avoir des réponses. Il y a tout d’abord la qualité « a priori » ou intrinsèque de l’expert. Je ne sais pas s’il faut formaliser cela. La liberté d’expression dans le domaine scientifique est cruciale et il ne s’agit pas de vouloir la limiter ou la réserver aux seuls chercheurs ayant publié sur le sujet. Mais le lecteur ou l’auditeur devrait pouvoir savoir si « l’expert » qui s’adresse à lui est expert dans le domaine (A-t-il publié des articles scientifiques sur la grippe ? A quelle date ?), ou d’un domaine plus large (celui des maladies infectieuses, de la virologie ?), ou encore d’un domaine non médical (politologue, sociologue, économiste). S’il n’est pas issu du domaine scientifique -homme politique ou citoyen lambda- il a droit comme les autres à l’expression, il a son mot à dire dans des débats sociétaux, mais alors, ne l’appelons pas nécessairement « expert ».
Il y a ensuite la qualité a posteriori de l’expertise. « Il nous a prédit 30 000 morts et il y en a eu que 300 ». Cela mérite de s’y attarder. On veut des comptes. Et c’est normal. On demande aujourd’hui les mêmes comptes à ceux qui ne prédisent pas correctement les tempêtes météorologiques, ou la rupture des digues en cas de cyclones. En fait, on n’écoute pas toujours ce que disent ou écrivent les experts. Ou bien on le déforme. Ou encore, ils n’ont pas été clairs. Pas toujours « à dessein ». Pas toujours « pour être en vedette ». Pas toujours « pour servir des intérêts cachés ». Même si tout cela peut arriver aussi. Lorsque le professeur Roy Anderson, éminent spécialiste mondial des maladies transmissibles, directeur de l’Imperial College avait annoncé, à partir d’un modèle mathématique, qu’il y aurait au Royaume-Uni entre 36 et 136 000 décès par maladie de Creutzfeldt-Jakob dans son nouveau variant (maladie de la « vache folle »), les médias ont retenu la borne supérieure de sa prévision. Il n’y a eu « que » 200 décès in fine, et il peut se targuer de l’avoir prévu (puisque c’était dans sa fourchette).
Pour cette pandémie H1N1pdm l’InVS avait annoncé entre 3000 et 96 000 décès. Comme moi, cet institut s’est trompé. Car personne n’a imaginé qu’il y aurait moins de décès avec cette souche pandémique que durant une épidémie de grippe saisonnière. Nous ne sommes pas des devins, certes, mais nous nous sommes quand même trompés et cela mérite un certain retour sur nous-mêmes. Même si le reproche s’estompe car tout le monde est d’accord que c’est une sacrément bonne nouvelle. En revanche, cette sale grippe a tué directement (=SDRA) malheureusement plus de 100 fois plus que la grippe saisonnière, comme nous l’avions annoncé. Beaucoup escamotent aujourd’hui ce fait. Personne ne dirait que la méningite cérébrospinale (à méningocoques) n’est une « méningitette », avec ses 40 décès par an en France. Avec 300 morts, la grippe H1N1pdm (dont une très forte proportion de SDRA), a tué beaucoup plus lourdement que la méningite (contre laquelle personne ne trouve à redire que l’on ait décidé récemment de vacciner systématiquement tous les enfants).
Rendre des comptes ? Oui, mais à condition qu’ils soient complets. Sinon, on ne tirera jamais bien les leçons de ce qui s’est passé (et de ce qui ne s’est pas passé).
Antoine Flahault
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