Grippe A: et si c’était à refaire ?

L’heure n’est peut-être pas encore au bilan. On est probablement au milieu du gué, ou d’un gué, et nul ne sait véritablement ce qui va se passer à partir de maintenant. Le virus H1N1pdm n’a pas disparu de la planète et la quasi-totalité des virus de la grippe identifiés aujourd’hui dans le monde (et notamment en France) sont des virus de la nouvelle souche pandémique, preuve (si c’était nécessaire d’en disposer) qu’il y a bien eu une pandémie, et que cette pandémie a changé radicalement la donne en matière de circulation de la grippe dans le monde. Non ce n’est pas une invention des laboratoires pharmaceutiques !

Les souches saisonnières (H3N2 et H1N1) reviendront-elles, à la faveur notamment d’une immunité partielle d’une partie de la population comme le soutiennent certains ? Possible. Possible que non. La souche pandémique (H1N1pdm) reviendra-t-elle ? Sûrement. Cet hiver ou l’hiver prochain, mais son comportement très “grippal” ne nous laisse pas supposer qu’elle ne fera pas comme ses cousines. Sera-t-elle plus virulente ? Possible. Possible que non. Sans être plus virulente, si elle se mettait à contaminer davantage les personnes âgées et fragiles qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent, elle pourrait retrouver sa capacité de “fauchage” connue lors des grippes saisonnières.

Admettons qu’elle ne revienne pas avant l’hiver prochain, qui faudra-t-il vacciner désormais à l’automne ? Tout le monde, parce qu’elle a pu faire des victimes parmi des personnes sans facteurs de risque ? Ou bien seulement les groupes les plus à risque non encore vaccinés (les femmes enceintes, les obèses, les asthmatiques et les diabétiques) ? Et faut-il revenir à charge auprès des personnels de santé ? Faudra-t-il protéger en priorité les personnes âgées et à risque ? On a vu au cours des deux vagues passées (printemps-été et automne-hiver) que cette grippe H1N1pdm avait la même virulence chez les personnes âgées que chez les jeunes, même si elle a contaminé préférentiellement les jeunes jusqu’à présent.

Nous allons avancer en terre inconnue. Comment faudra-t-il s’y prendre pour définir la stratégie de lutte et de prévention contre la grippe désormais si la grippe saisonnière disparaît ? Va-t-on reprendre les recettes de l’an dernier ? Combien de temps encore les centres de vaccination resteront-ils ouverts ? Décidera-t-on que l’on passe en régime de “grippe saisonnière” : on vaccine les personnes âgées et fragiles et vogue la galère ? Ou bien tirera-t-on des leçons du passé récent ?

Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose, a expliqué notre Ministre de la santé sur les ondes récemment. N’est-ce pas justement ce que beaucoup redoutent aujourd’hui ? Ne pas tirer de leçons du passé pour mieux faire ? Ce n’est pas tant d’avoir commandé 94 millions de doses de vaccins, d’avoir stocké 33 millions de traitements de Tamiflu, ou 1 milliard de masques de protection qui pose le plus question. Ce n’est pas tant d’avoir investi 1,5 milliard d’euro dans la prévention d’une pandémie dont on ne pouvait pas savoir quel serait son développement au moment où l’assurance a été prise comme nous l’avons évoqué lors de précédents billets. Tout cela est certes reproché par certains et sera reproché au moins par ceux qui “n’y croyaient pas” à l’époque. On les comprend bien aujourd’hui, mais bien souvent il ne connaissent pas vraiment le virus grippal, et ignorait jusqu’à son potentiel meurtrier bien fréquent. Personne, honnêtement, ne pouvait justifier sur les faits acquis par la science, jusqu’en novembre 2009, que cette grippe pandémique tuerait moins que la grippe saisonnière. Et l’on pouvait redouter qu’elle tuerait plus. Sur quoi, ceux qui ne le redoutaient pas, basaient leurs prévisions optimistes ? J’ai souvent expliqué que la plupart des “optimistes” ne connaissaient seulement pas la façon de calculer la mortalité de la grippe saisonnière. Sauf à en réfuter la méthode de décompte qui remonte à Serfling, un statisticien des CDC d’Atlanta, en 1961 ; méthode qui fut mise à l’épreuve par 5 autres méthodes de calcul statistique depuis sans jamais se voir contre-carrer véritablement dans la littérature. Mais alors la seule posture scientifique acceptable serait de montrer en quoi le calcul de l’excès de mortalité par grippe saisonnière était faux depuis 50 ans, et de le publier. Sinon, il faut disposer des données sur cet excès de mortalité avant de dire que la grippe a fauché ou non. Et tant qu’on ne disposer pas de ces données, la seule estimation que l’on peut faire de la mortalité prévisible est de l’ordre de celle attendue par la mortalité saisonnière, à tout le moins. Jusqu’en novembre, personne ne disposait encore de ces statistiques concernant la grippe H1N1pdm et aujourd’hui encore elles sont peu disponibles, mais force est de constater que lorsqu’elles sont disponibles, on ne décèle pas d’excès de mortalité, notamment chez les personnes âgées, et c’est une extraordinaire bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle est la surmortalité directe, qui a été – comme nous le redoutions dès le mois d’août, fort de l’expérience de l’hémisphère sud – considérable avec cette souche virale. Plus de 1100 personnes ont été hospitalisées en réanimation pour une grippe sévère, la plupart pour une détresse respiratoire, et le plus souvent d’origine virale (parfois avec une surinfection bactérienne). Plus de 200 en sont décédées. Depuis 5 ans, moins de 5 personnes ont été hospitalisées dans les hôpitaux français chaque année pour un syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA). Entre une et trois personnes en sont décédées chaque année. Ce syndrome était tellement exceptionnel du temps de la grippe saisonnière, partout dans le monde que nulle série prospective de SDRA n’a jamais été publiée dans la littérature (seule récemment une série rétrospective dans un article de la Mayo Clinic). La grippe H1N1pdm a donc montré un visage très particulier, inattendu et presque incompréhensible pour les chercheurs, virologues, cliniciens, épidémiologistes : une maladie beaucoup plus souvent bénigne que la “faucheuse” saisonnière que nous connaissions, et beaucoup plus souvent maligne, y compris chez des adultes en bonne santé par ailleurs, chez qui quasiment jamais elle ne tuait auparavant. Il reste encore à l’heure où l’on écrit ces lignes plus de 180 personnes dans les lits de réanimation français, dont certaines sont entre la vie et la mort. Du jamais vu de mémoire de réanimateur.

Si c’était à refaire ? Comment ferait-on pour améliorer la couverture vaccinale des citoyens ? Comment ferait-on pour mieux les convaincre ? Pour mieux porter un message qui pourrait s’avérer utile ? On sait vacciner contre la poliomyélite qui aujourd’hui ne tue pas en France. Ou contre la diphtérie qui ne fait pas non plus de victimes. On a une couverture de 90-95% contre la rougeole qui tue extrêmement rarement. Même contre l’hépatite B où la couverture des Français a considérablement chuté après l’affaire de la sclérose en plaque, elle est restée supérieure à 30% en milieu pédiatrique où elle est préconisée. Mais 7% ? Si c’était à refaire, qui se contenterait de 7% ? Avant même que la messe ne soit dite, il faut absolument tirer les leçons – des leçons – de cette pandémie. La grippe pandémique deviendra une grippe saisonnière lorsque les premières mutations saisonnières se produiront, lorsqu’il faudra modifier la préparation vaccinale parce que le vaccin pandémique ne sera plus efficace (sans doute lorsque une grande proportion de l’humanité aura été contaminée et/ou vaccinée), et cela pourrait ne pas se produire avant quelques mois voire quelques années. D’ici là, il nous faut réfléchir collégialement, pourquoi pas sur le Web 2.0, sur notre blog, aux questions à se poser pour faire ce bilan d’étape. Voilà l’urgence. Les commissions d’enquêtes vont aussi d’une autre manière faire ce travail, tirer des leçons. Les papiers nombreux, les travaux sur ce sujet, les réflexions des uns et des autres sont bienvenues. Car ce n’est pas simple. Complexités écrivions-nous il y a quelques temps déjà. Le temps est à la relecture des événements passés. Relire. Ré-écouter. Revoir. Et, comme ce sera à refaire, comment faire pour ne pas refaire exactement la même chose. Comment faire pour éviter des décès parmi les 200 décès toujours de trop. Comment faire – et à quel coût – pour limiter le nombre de patients hospitalisés en réanimation pour une détresse respiratoire d’origine grippale ? Comment faire pour faire mieux que 7% de Français vaccinés ? Comment nos voisins s’y sont-ils pris ? Mieux ? Moins bien ? Moins cher ? Plus sereinement ?

Antoine Flahault

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