Critiquer Roselyne Bachelot est affaire de salubrité publique

«Critiquer Roselyne Bachelot est trop facile» vient de faire valoir Thomas Legrand sur Slate.fr. Dont acte. Est-ce dire qu’une critique aisée pourrait ne pas être nécessaire? En l’espèce (et en dépit des solides arguments avancés par notre confrère), il nous semble que cette critique est non seulement nécessaire mais bel et bien indispensable. Mieux: cette critique est désormais  affaire de salubrité publique et citoyenne.

Comprenons-nous bien: il ne s’agit nullement ici  de hurler soudain avec les loups, de vouloir trouver séance tenante un bouc émissaire tricolore à l’incurie républicaine. Il ne s’agit pas plus –corollaire —  d’exonérer l’ensemble des –nombreux — responsables gouvernementaux qui, ces derniers mois, ont eu à traiter de cette question.

S’autoriser à passer au crible l’action de Roselyne Bachelot, c’est  remettre en perspective les différents éléments de ce dossier politico-sanitaire sans vrai précédent; c’est rappeler aussi  que son action ne saurait  être évaluée à la seule aune de l’application du  principe constitutionnel de précaution. Exonérer d’emblée (et, paradoxalement, par principe) Bachelot aurait une première et dramatique conséquence: celle de se résigner collectivement à ne tirer aucune véritable leçon de la gestion par le gouvernement français de la crise pandémique.

Roselyne Bachelot-Narquin est la ministre française de la Santé et, accessoirement, des Sports. Le hasard et/ou la fatalité a voulu que la carrière politique et ministérielle de cette femme (pharmacienne de formation) croise la trajectoire de la pandémie due au nouveau virus grippal qui a émergé en avril  2009 au Mexique. Neuf mois plus tard Roselyne Bachelot est toujours ministre de la Santé et, de plus en plus accessoirement, des Sports. Tout laisse aussi penser que cette ministre sur la sellette sera bientôt en partance vers les affres des oubliettes  politico-médiatiques.

Le cas de Mme Bachelot est à la fois voisin et différent de celui de  l’un de ses prédécesseurs ; celui du Pr Jean-François Mattei qui, au début de l’été 2003,  n’avait curieusement pas su prendre  la mesure de la crise sanitaire de la canicule. Le Pr Mattei qui, sourire et chemise Lacoste, rassura la France depuis sa verte campagne  au journal télévisé de 20 heures; d’autres trouvaient alors la mort par hyperthermie sous les combles parisiens. Il est ainsi, hasard ou fatalité, des plans assassins.

Le cas de Roselyne Bachelot est certes d’un degré et d’un ordre différents. Après des mois d’omniprésence médiatique sur le front anti-pandémique la ministre de la Santé et des Sports  est venue dire aux Français, lundi 4 janvier au journal de 20 heures de TF1 qu’elle virait lof pour lof. Attaquée sans ménagement depuis 24 heures par l’ensemble des partis politiques ainsi que par des membres du parti de la majorité présidentielle (on retiendra ici tout particulièrement l’élégance exprimée à son endroit par le Pr Bernard Debré) allait-elle démissionner ou  manger publiquement son chapeau ?  Une générale en chef ne démissionne pas au motif qu’elle aurait trop dépensé pour combattre un ennemi annoncé comme redoutable. Elle explique donc aujourd’hui qu’il faut changer radicalement de stratégie. Qui peut raisonnablement la suivre ? Croit-elle d’ailleurs dans le discours qu’on lui demande, en haut lieu, de tenir avant de lui demander de quitter la place ?

«La ministre de la santé est très critiquée depuis le début et aujourd’hui, ceux qui la critiquent peuvent affirmer qu’ils avaient raison… depuis le début. Et c’est vrai. C’est donc le moment de défendre la ministre. Enfin la défendre… Disons plutôt que c’est le moment d’essayer de se mettre à sa place » écrit Thomas Legrand. Mais pourquoi donc? Comment, raisonnablement, pourrions-nous «essayer» de nous «mettre à sa place» ? L’empathie n’est certes en rien un sentiment condamnable. Le commentaire politique paradoxal n’est certes pas non plus dénué de charmes et de vertus.

Reste l’essentiel : tirer au mieux, dès que possible, les leçons de ce que l’on se prend collectivement plaisir à qualifier –comme toujours dans l’urgence –  de «gabegie» et de «fiasco».  La citoyenne Roselyne Bachelot-Narquin n’est pas aujourd’hui condamnée  à comparaître devant la Haute Cour de Justice; et rien ne dit qu’elle le sera un jour.  Devrait-elle pour autant sortir blanche comme neige de toute cette affaire au motif qu’elle a tout fait (ce dont elle ne se cache pas) pour ne pas devoir répondre à l’avenir de ses actes devant des juges ?

Thomas Legrand:

« Alors, c’est vrai il y a quand même un grand gâchis financier avec ces millions de doses de vaccin achetées pour rien. Roselyne Bachelot peut nous expliquer qu’elle va annuler la commande de 50 millions de doses. On imagine bien que cela ne va pas se passer si simplement et sans frais. Mais cet écart, qui apparaît comme une imprévoyance, n’est pas une faute de gestion en soi, disons plutôt que c’est le résultat d’un travers de notre société. Un défaut que l’Etat, les médias et l’opinion partagent. Nous ne savons pas gérer l’incertitude. Nous n’acceptons pas l’incertitude (…) Et le gouvernement est trop content de nous montrer qu’il est réactif, qu’il ne sous-estime pas la crise et les angoisses. En ne la sous estimant pas, il risque aussi de l’alimenter, alors il fait appelle à des cabinets de communication de crise pour adapter un discours forcement contradictoire: “j’agis parce que c’est grave” mais “ce n’est pas grave parce que j’agis”.

Ne pas savoir «gérer l’incertitude»? Un «défaut que l’Etat, les médias et l’opinion partagent» ? Raison de plus, s’il en était besoin d’organiser la critique, méthodique, citoyenne et documentée de l’action, en l’espèce, de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports. Sans oublier « l’Etat », les « médias » et « l’opinion ».

Jean-Yves Nau

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50 millions de doses de vaccins résiliées

Coup de théâtre. Le gouvernement français a «résilié» les commandes de 50 millions de doses de vaccin contre la grippe H1N1. L’annonce en a été faire dans la soirée du 4 janvier sur TF1 par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. « Ces commandes n’avaient été ni livrées, ni payées, elles sont donc résiliées, a précisé la ministre. Compte tenu du montant total des doses commandées – 712 millions d’euros – cela fait une économie de plus de la moitié », a précisé la ministre de la Santé.

Quelques heures auparavant, plusieurs des multinationales concernées avaient commencé à infléchir leur position. C’était le cas de GlaxoSmithKine et de Sanofi Pasteur, la division vaccins du français Sanofi-Aventis, disposés à examiner une éventuelle demande de renégociation du contrat d’achat de doses de vaccins contre la grippe H1N1 avec la France. Selon un porte-parole de Sanofi Pasteur, la moitié des 28 millions de doses de vaccins commandées ont été déjà livrées, l’autre moitié devant l’être «dans le courant du premier trimestre 2010».

Dans la perspective d’une pandémie mondiale, la France avait commandé 94 millions de doses de vaccin auprès de GlaxoSmithKline (GSK, 50 millions de doses), Sanofi Pasteur (28 millions), Novartis (16 millions) et Baxter (50.000). La résiliation serait de l’ordre de 32 millions de doses pour GSK, de 11 millions pour Sanofi-Pasteur, et 7 millions pour Novartis.

L’annonce spectaculaire de Roselyne Bachelot renvoie aux conditions, encore pour partie secrètes, des contrats passés entre la France et les quatre multinationales pharmaceutiques concernées (dont Novartis et Baxter). « Les contrats d’achat des vaccins ont été rendus publics par L’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS) — sous la pression de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) — mais ils ont été communiqués après avoir été expurgés (on dirait caviardés) des informations confidentielles relatives aux clauses commerciales, rappelle  Marc Perez  l’un des principaux contributeurs de ce blog. Ces contrats ne prévoyaient peut-être pas la possibilité de “renégociation”, c’est-à-dire de révision à la baisse des quantités commandées. Dans ce cas il s’agirait de commandes fermes et non révisables. »

Nous devrions  bientôt en savoir plus.

Jean-Yves Nau

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