Impitoyable

Invisibles de Michal Aviad

Evgenia Dodina et Ronit Elkabetz dans Invisible de Michal Aviad

Ce sont deux femmes, pas des jeunes femmes, des femmes, très belles, une blonde une brune. Elles boivent une bière abritée sous un auvent, en attendant que la pluie s’arrête de tomber sur Tel-Aviv. Elles ont quelque chose en commun, quelque chose qui s’est passé il y a plus de 20 ans, avec quoi elles ont vécu depuis. Elles ne se connaissaient pas quelques jours plus tôt, Nira et Lily, qui, adolescentes, ont été victimes du même violeur en série. Leur rencontre a été fortuite, quand Nira (Evgenia Dodina), qui travaille à la télévision, a participé à un reportage sur la destruction des oliveraies palestiniennes par Tsahal et les colons malgré l’opposition de juifs israéliens progressistes dont fait partie Lily (Ronit Elkabetz). Leur rencontre a rallumé des douleurs anciennes, enfouies.

Invisible est un film à propos du viol. Une fiction nourrie de références à des événements réels, dont on verra les archives filmées à la fin des années 70, dont on entendra des victimes. Invisible est un film qui cherche avec rigueur et intensité à faire partager, plus encore que la violence et l’humiliation de l’acte du viol lui-même, la douleur et la fragilité qu’il engendre durant des années, des décennies, des vies entières. Michal Aviad filme la monstruosité et la banalité du « vivre avec », même longtemps après, des séquelles et des effets sur l’entourage, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Les archives, les photos et coupures de journaux d’époque sont l’équivalent cinématographique de ce fait brut, impossible à anéantir, qui a déclenché jadis des ondes de choc dont Invisible observe les remous, tant d’années après. Le documentaire comme pierre de touche de la fiction.

La réalisation, en scènes découpées au couteau, et l’interprétation d’une intensité qui peut mettre mal à l’aise, visent à déjouer toute séduction perverse, tout double jeu, ces résultats habituels des effets induits par l’évocation des violences sexuelles au cinéma. Entre gag et déclaration, l’unique scène de lit du film exhibe, à rebours de ce qui se pratique à peu près toujours, la seule nudité de l’homme. Et si le thème principal du film est hélas universel, Michal Aviad ne manque pas de l’inscrire aussi dans un contexte où se produisent d’autres violences et d’autres souffrances, d’autres gestes de prises en force du plus faible. Pas de métaphore ici, surtout pas, mais l’affirmation claire qu’on ne saurait combattre contre une forme d’inadmissible en fermant les yeux sur d’autres.

Les commentaires sont fermés !

« »