Total Forgettable

Total Recall de Len Wiseman

Colin Farrell dans Total Recall

Au début des années 90, avec une intelligence dont on aurait tort de s’étonner, Hollywood prenait acte de la grande mutation en cours qu’on commençait à appeler la révolution du virtuel. Branché sur les avancées technologiques dans la Silicon Valley alors en plein essor, des scénaristes, producteurs et réalisateurs trouvaient notamment chez le romancier de science-fiction Philip K. Dick, mais aussi dans les thèses du philosophe Jean Baudrillard sur le simulacre, la matière à des projets de blockbuster capables de mettre en scène ce bouleversement des relations entre réel et imaginaire, un thème qui en effet concernait directement leur activité. C’est l’acteur Arnold Schwarzenegger, alors bêtement affublé par beaucoup d’une image de brute épaisse, qui aura le plus méthodiquement et le plus intelligemment accompagné cette thématique, avec Total Recall de Paul Verhoeven (1990), Last Action Hero de John MacTiernan (1993) et True Lies de James Cameron (1994), sans oublier le film qui marque un tournant décisif dans l’utilisation des images virtuelles, Terminator 2, également de Cameron (1991). En 1998, The Truman Show de Peter Weir donnera de cette mise en fiction de la question du virtuel la version la plus simpliste, tandis que deux grands films, Man on the Moon de Milos Forman et Fight Club de David Fincher, portent le thème à incandescence en 1999, la même année que l’habile mais nettement moins subtil ExistenZ de David Cronenberg.

22 ans après, le meilleur gag du remake de Total Recall sorti ce 15 août sur les écrans français est sans doute d’être produit par une société nommée Original Films. Rien n’est original dans le film, qui pique allègrement à droite et à gauche les idées de décors (pillage éhonté de Blade Runner… première grande adaptation à l’écran d’un texte de Philip K. Dick), de design et de gadgets, sans parler des péripéties. Reprenant les mêmes prémisses que Souvenirs à vendre, la nouvelle de Dick, et pas mal de ressorts du film de1990, qui déjà  s’éloignait beaucoup du bien plus complexe texte d’origine, le scénario est surtout marqué par un parfait désintérêt pour le trouble qui faisait l’enjeu du premier film, enjeu vaillamment conservé par Verhoeven comme une interrogation durant toute la projection.

Hollywood n’a pas renoncé à travailler ces interrogations, de Matrix à Inception, pour ne citer que deux des meilleurs exemples, les aventures dans les épaisseurs du réel continuent. Rien de tel avec le reboot de Len Wiseman, insipide histoire de combat contre une dictature standard. S’il a un vague intérêt, c’est qu’il s’y joue un curieux phénomène, qui peut être relié au principal événement technologique advenu au cinéma à grand spectacle ces dernières années : le passage à la 3D. Total Recall est en 2D, mais en termes de mise en scène sa seule idée originale concerne une séquence où des cabines d’ascenseur circulent dans les trois dimensions, se croisant aussi bien horizontalement que verticalement. Comme si l’idée de la 3D venait brièvement ensemencer la réalisation, alors même que l’essentiel de celle-ci, mais surtout le scénario aplatissent au contraire le film, le privant de sa dimension d’incertitude, du jeu sur le passage entre différents niveaux de réalité, de voyage dans l’espace mental. Cet aplatissement est traduit visuellement par l’invention plutôt ridicule du nouveau scénario : le voyage sur mars est remplacé par une improbable traversée de la terre dans une sorte de métro, ou de train de banlieue reliant l’Angleterre à l’Australie ( ?). Ce passage par le centre de la terre (clin d’œil involontaire au titre québécois du premier Total Recall, Voyage au centre de la mémoire), est tout ce qui reste d’intériorité à ce film… totalement oubliable.

3 commentaires pour “Total Forgettable”

  1. ” (…) que l’habile mais nettement moins subtil ExistenZ de David Cronenberg. ” (JMF)
    Euh, pas du tout, c’est le plus subtil des films que vous citez ici.
    J’aime bien Verhoeven. Mais j’ai quand même le regret qu’il ait confié le rôle principal de son “Total Recall” à Schwarzie. Jusqu’à preuve du contraire, l’ancien Governator de Californie n’a jamais fait dans la dentelle question jeu. Autant le rôle du Terminator, froid comme un robot, lui va comme un gant – génie du casting de James Cameron -, autant dans certains rôles notre cher Schwarzie est à la ramasse. C’est comme “Last Action Hero”, la trame est bonne. Mais on aurait pu se passer de Schwarznegger, il balourdise le film, le rendant trop “Commando”.
    Concernant ce dernier “Total Recall”, oui, il pille à tire-larigot : de “Blade Runner” bien sûr en passant par “Minority Report ” et autres “I-Robot”. Pour autant, le film présente quelques qualités. D’accord avec vous pour sa “fausse” 3D, mais on pourrait aussi l’interroger en tant que remake – ne se trompe-t-il pas de film-matrice ? Il part de “Total Recall” mais rêve de “Blade Runner” ! -, et louer la qualité de l’interprétation : Colin Farrell fait le job, il n’a rien à envier à Schwarzie, d’ailleurs son côté ” mec lambda ” sert le propos du film (il est tellement normal qu’on se dit qu’on a toujours un pied dans le réel, ce qui alimente la confusion réel/imaginaire…), et les actrices du film (les belles Kate et Jessica) donnent une petite allure sexy à ce film SF, ce qui n’a rien de déplaisant : de la science-fiction à la sexy-fiction, il n’y a peut-être qu’un pas…
    Certes, il est oubliable comme film. Mais quel film n’est pas oubliable aujourd’hui ? A quelques exceptions près (“Le Nouveau monde” de Terrence Malick, “Film Socialisme” de Jean-Luc Godard).

  2. Bonjour
    C’est très volontairement que j’ai mis en scène cette opposition entre Verhoeven-Schwarzy et ce film de Cronenberg. Je crois au contraire que le choix de Schwarzenegger est excellent, exactement parce qu’il est déjà lui-même un effet spécial, un “matériau” littéralement sculpté pour la fiction et le jeu avec les limites de l’humain. Et que c’est ce qui intéresse Verhoeven d’aller chercher la grosse brute de films d’action (pas Arnold S., puisque il serait absurde de prendre pour un crétin un type qui a suivi une trajectoire personnelel telle que la sienne, mais son image de marque), pour la plonger dans cette incertitude ontologique. Alors que, à la différence de tant de films passionnants de Cronenberg fondés sur le mystère de la mutation, de la transgression, de la co-présence de plusieurs états (dont La Mouche et Mr Butterfly seraient deux exemples extrêmes), cette manière de changer de palier, de “niveau de fiction” (et/ou de réalité selon un procédé en fait ultrasimpliste même s’il est emberlificoté d’alibi ma parait une imitation bien peu féconde des jeux vidéo.
    Quant aux interprètes du nouveau TR, je crains de ne pas être non plus d’accord avec vous, ce qui me frappe chez ces trois acteurs est leur apparence synthétique, qui tient à leur jeu (alors que Schwarzenegger, lui, joue avec son apparence artificielle) mais aussi à une photo numérique particulièrement hideuse, surtout dès qu’il s’agit de filmer un visage.
    Pour ma part, je rencontre relativement souvent des films que je croisque je n’oublierai plus jamais, parmi ceux sortis depuis le début de cette année, Holy Motors, Faust, Twixt, Cosmopolis, Les Chants de Mandrin, Duch, Sur la planche, Le Fossé…

  3. Bonjour,

    Autres emprunts manifestes :

    – le cinquième élément pour les points de fuite à l’infini et les courses de voitures volantes (avec plongeon de Houser alias Korben Quaid)

    – Inception pour les basses façon Dunchen Radong tibétain (passage désormais visiblement obligé dans tout bon film hollywoodien de SF…)

    Le seul mérite de ce film aura été de me permettre de me rendre compte des nombreuses qualités de son prédécesseur.

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